Forum de la Régulation 2009 1-2 décembre 2009 Paris Conséquence de la crise financière ou crise d une forme de capitalisme : La faillite des Big Thre Michel FREYSSENET (CNRS), Bruno JETIN (Paris XIII)
Des pertes abyssales depuis 2005 après des années médiocres depuis 2001
Les explications couramment données à la crise des Big Three La crise financière aurait donné le coup de grâce à une industrie automobile américaine en difficultés croissantes depuis 2000, en raison de * l inadaptation de son offre, * de coûts structurellement trop élevés, * d une lourdeur organisationnelle, dont elle n aurait jamais su se défaire Les responsables: des dirigeants suffisants, un syndicat intransigeant 1-2 décembre 2009, Paris, 17 p. Éditions numériques, web.upmf-grenoble.fr/regulation/forum, 2009; freyssenet.com, 2011, 2,4 Mo, ISSN 7116-0941.
mais ces explications ne permettent pas de comprendre pourquoi, les Big Three ont été profitables de 1983 à 2000 pour Ford, à 2004 pour GM, si l on excepte la récession de 1991-3 pourquoi les résultats ont été bons en Amérique latine en en Asie depuis 2004 pour Ford, depuis 2006 pour GM pourquoi les filiales américaines des constructeurs japonais ont vu leurs profits baisser depuis 2006, puis devenir négatifs début 2009 pourquoi une firme comme GM, 1er constructeur mondial de 1930 à 2007, et longtemps 1ère entreprise mondiale, s écroule en peu d années Elles présupposent enfin que les trois cas sont semblables 1-2 décembre 2009, Paris, 17 p. Éditions numériques, web.upmf-grenoble.fr/regulation/forum, 2009; freyssenet.com, 2011, 2,4 Mo, ISSN 7116-0941.
Ce qui a fait le succès des Big Three dans les années 90 est la cause de leurs problèmes d aujourd hui Le boom des lights trucks La conversion à la «nouvelle économie» Ces deux traits sont directement liés au mode de croissance qui s est mis en place aux États-Unis à partir de 1980 - le premier à la dérégulation salariale - le second à la dérégulation financière 1-2 décembre 2009, Paris, 17 p. Éditions numériques, web.upmf-grenoble.fr/regulation/forum, 2009; freyssenet.com, 2011, 2,4 Mo, ISSN 7116-0941.
La dérégulation salariale à l origine du boom des light trucks et de la régression des cars Le passage rapide d une distribution du revenu national «coordonnée et modérément hiérarchisée» à une distribution «concurrentielle» La croissance des inégalités sociales des revenus: écarts croissants des montants et des degrés d incertitudes Les couches de la population favorisées par la dérégulation salariale, et celles qui croyaient l être devenues durablement, se tournent massivement à partir du contre-choc pétrolier vers les light trucks. L origine réglementaire de cette catégorie particulière de véhicules, vendus nettement plus chers et beaucoup plus gourmands en carburant Les ventes de cars régressent à partir de 1987 Les couches de la population les moins favorisées ont de plus en plus de mal à accéder aux véhicules neufs. Stagnation tendancielle du marché automobile
Le changement du mode de distribution du revenu national: de «modérément hiérarchisé» à «concurrentiel» Freyssenet M., Jetin B., Présentation avec diapositives, «Conséquence de la crise financière ou crise d une forme de capitalisme : La faillite des Big Three», Forum de la Régulation 2009,
Des pensions de retraites devenues plus aléatoires et variables
Le déclin de la puissance syndicale pourcentage de salariés couverts par des accords avec les syndicats Freyssenet M., Jetin B., Présentation avec diapositives, «Conséquence de la crise financière ou crise d une forme de capitalisme : La faillite des Big Three», Forum de la Régulation 2009,
Le seul pic d inégalité historiquement équivalent : 1928! Data on income concentration going back to 1913 show that the top 1% of wage earners now hold 23% of total income, the highest inequality level in any year on record, bar one: 1928. In the last few years alone, $400 billion of pre-tax income flowed from the bottom 95% of earners to the top 5%, a loss of $3,660 per household on average in the bottom 95% (Lawrence, Mishel, Bernstein Jared, and Shierholtz Heidi 2008) 1-2 décembre 2009, Paris, 17 p. Éditions numériques, web.upmf-grenoble.fr/regulation/forum, 2009; freyssenet.com, 2011, 2,4 Mo, ISSN 7116-0941.
De l abandon des parités fixes aux chocs pétroliers puis au contre-choc de 1986 Source: OPEC Statistical Annual Bulletin
Les light trucks progressent, les cars régressent à partir de 1987
Un accroissement des dépenses d achat VN pour les deux quintile les plus élevées, de 1995 à 2003 en dollar 2008, États-Unis, 1984-2207
Des dépenses d achat plus élevées pour les VO que pour les VN dans les trois quintiles les plus bas en dollar 2008, Etats-Unis, 1984-2207
Les Big Three s emparent du marché des light trucks et engrangent de substantiels profits jusqu en 2000 Tout s est passé comme si les Big Three avaient abandonné aux constructeurs japonais et coréens le marché des cars et avaient monopolisé le marché des light trucks, protégé pendant de nombreuses années et beaucoup plus rémunérateur, mais beaucoup plus gourmands en carburant et plus polluants Mais ce faisant, ils ont déstabilisé leur «stratégie de profit» et ont rendu incohérent leur «modèle productif» et ils ont contribué ainsi à la crise écologique et ont pris le risque d un renversement brutal du marché en cas d augmentation des cours du baril
Sur un marché des cars déclinant, une division par deux de la part des Big Three. Celle des constructeurs étrangers lui est supérieure depuis 2002
Sur un marché des light truks en forte croissance jusqu en 2004, les Big Three monopolisent les ventes jusqu en 1999
La libéralisation financière à l origine de la «nouvelle économie» Au cours des années 90, les États-Unis, suivis de la Grande-Bretagne, imaginent pouvoir devenir le cœur à la fois financier et innovateur du monde, tirant leur croissance du contrôle des activités de production, disséminées mondialement au gré des opportunités de moindre coût, mais rendues dépendantes financièrement et techniquement Les entreprises américaines sont invitées à externaliser leur production, à s approvisionner dans les pays à bas coûts, et à se concentrer sur la conception-innovation, le financement, la commercialisation et les services, à l instar des start-up californiennes devenues en quelques années des géants mondiaux. Les risques financiers peuvent être annulés par la titrisation. Le changement de «gouvernance» et les exigences de rendement des fonds d investissement devraient contraindre les entreprises à ce bouleversement La moindre progression des revenus des couches de la population défavorisés par la dérégulation salariale sera compensée par la baisse des prix des produits importés des pays aux plus bas coûts
GM, Ford, et dans une moindre mesure Chrysler, se convertissent à la «nouvelle économie» au plus mauvais moment Séparation rapide des filiales équipementières: GM de Delphi (1999), Ford de Visteon (2000), et développement de l approvisionnement mondial Tentative de centralisation de la conception au détriment des filiales étrangères au nom de la commonalisation, tout en élargissant l offre, notamment vers le haut de gamme rémunérateur Renforcement et multiplication des services: nouvelles formules de crédit auto, leasing, assurance, louage, contrat d entretien, réparation, financement des réseaux et des sous-traitants, crédit immobilier, activités de placements financiers, titrisation des créances, etc Gestion «dynamique» des fonds de pension et d assurance maladie pour faire face à l alourdissement des charges dû à l externalisation
Et le rêve paraît se réaliser. Le doublement du cours de l action avant sa division par 6! Le cours de l action Ford de 1993 à mars 2008
La baisse des effectifs: brutale chez GM, partiellement compensée par des acquisitions chez Ford
2000: éclatement de la bulle «innovation», premier pilier de la «nouvelle économie» Les pertes des fonds d investissement, des fonds de pension et des ménages. Deux conséquences majeures: Le financement des pensions et de l assurance maladie en question. Le brusque alourdissement des charges salariales des Big Three. Le creusement des écarts de coûts avec les filiales japonaises Les ventes automobiles affectées. Leur maintien est obtenu par l offre sans limite du crédit et du leasing. Gonflement d une nouvelle bulle: les subprimes Parallèlement, exacerbation de la concurrence. Les constructeurs japonais pénètrent le marché des light trucks. Rabais systématique. Les marges sont laminées Les pertes de l activité automobile sont de moins en moins compensées par les bénéfices financiers
Envolée des coûts salariaux de GM aux États-Unis après la séparation de Delphi et la bulle internet
La charge des retraités sur les actifs multipliée par 4 pour GM avant et après la séparation de Delphi retraité par salarié actif GM Ford Chrysler 1995: 0,85 2002: 2,80 1,2 1,0 2007: 3,44 Sources: rapports annuels de GM, Glenn Mercer
Pour la première fois, le revenu médian des ménages n augmente pas d un pic de croissance à l autre
Une progression et un niveau d endettement par tête sans équivalent depuis 1945
2007-8: crise écologique puis éclatement de la bulle du «crédit», deuxième pilier de la «nouvelle économie» Le développement rapide de la Chine et de l Inde, principaux bénéficiaires de la «nouvelle économie» depuis 2000, provoque une montée du cours des matières premières et du prix du baril à partir de 2005 Enchérissement des produits et baisse du pouvoir d achat des catégories sociales précarisées par la dérégulation salariale Défauts de paiement des emprunteurs américains. La crise se propage souterrainement à travers les produits dérivés éparpillés à travers le monde, puis éclate banque après banque, pays après pays, au fur et à mesure de la dépréciation sans fin des actifs Coupure du crédit. Faillite des ménages surendettés. Baisse brutale de la consommation. Crainte de l avenir. Chômage. La spirale dépressive
Le piège de la dérégulation salariale et financière se referme sur les Big Three Baisse des ventes des light trucks dès 2005 Faillite de Delphi (2005), sauvetage de Visteon par Ford (2005) Impossibilité d honorer les engagements pris en matière de financement des pensions et de la couverture maladie Dépréciation des stocks et des véhicules en leasing Effondrement de tous les marchés automobiles. Le marché américain en dessous du marché chinois en janvier 2009
La chute des ventes de light trucks à partir de 2005 deux millions en moins
La chute pour les Big Three est plus précoce (2005) et plus forte que pour les autres
Les Big Three n étaient pas restés inertes leurs réactions différentes expliquent le traitement différencié de leur faillite Tous ont réduit les effectifs, fermés des usines, renégocié leurs accords avec l UAW et CAW à peine étaient-ils signés, réduit leur nombre de modèles, accru la commonalisation de leurs plates-formes Ford a commencé à le faire dès 2001 après avoir remercié brutalement son CEO, chantre de la «nouvelle économie», Jacques Nasser. Il a cédé à très bon prix plusieurs marques et obtenu des banques des fonds de roulement juste avant la crise GM a investi a bon escient dans les BRIC avant de commencer à se restructurer aux États-Unis Chrysler n avait pas les mêmes problèmes, mais a été touché de plein fouet par le changement de structure du marché mais la crise était en marche et elle est allée plus vite et plus fort,
Parmi les scénarios possibles, les choix immédiats faits et les grandes incertitudes de demain Les scénarios possibles: la faillite, le chapitre 11, le renflouement public, le repliement sur le marché nord-américain, la prise de contrôle par des constructeurs étrangers, le scénario anglais, le slalom sous la mitraille Les choix immédiats: GM: le renflouement public; Ford: le slalom; Chrysler: la reprise par une autre firme Les incertitudes de demain: quel modèle de croissance? quelle structure de marché? quelle politique produit? quelle organisation productive?
Conclusions Les dégâts sont considérables: la chute des Big Three, les pertes des constructeurs japonais, la fragilisation de l industrie équipementière Les déficits et les pertes devront bien être payés: par qui? Salariés déjà, Contribuables sous peu, Épargnants demain? Les deux conditions de la profitabilité (Boyer, Freyssenet, 2000) L insoutenabilité écologique, économique, sociale et géopolitique de la «nouvelle économie». La crise automobile est une crise d une forme de capitalisme, pas du capitalisme L incontournable question des inégalités de revenus et de la liberté de circulation des capitaux et des biens. Retour sur l histoire. La deuxième révolution automobile est en préparation et annonce un bouleversement profond des structures, des acteurs et de la géographie de l industrie automobile
et le dernier livre en date: mai 2009
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