Utilisation de l échographie pour la pose de cathéters veineux centraux Eric Desruennes1, Benjamin Aubier1,2, Antoine Tesnière1,2 1Département anesthésie-réanimation et pathologie infectieuse, Institut Gustave-Roussy, 94800 Villejuif 2 Internes des Hopitaux, AP-HP, 75015 Paris 1. Introduction Depuis la description par Aubaniac en 1952 du cathétérisme de la veine sous-clavière, l utilisation et les indications des abords veineux centraux se sont largement développées dans la prise en charge des patients en réanimation, au bloc opératoire, en salle d hospitalisation classique ou à domicile : il peut s agir de cathéters de courte et moyenne durée mis en place dans un contexte de soins postopératoires, de soins intensifs ou d hémodialyse, ou encore de dispositifs intraveineux de longue durée implantés pour administrer des chimiothérapies, des antibiotiques, une nutrition parentérale au long cours. Les principaux sites d insertion sont les veines jugulaires internes, sous-clavières, fémorales et les veines du bras (céphalique et basilique). A l exception des veines du bras souvent abordées par dénudation chirurgicale, l abord veineux central se fait généralement par ponction à l aveugle aidée par la connaissance de l anatomie habituelle des vaisseaux, l existence de repères cutanés ou osseux et, le cas échéant, la palpation d une artère de voisinage (carotide pour la jugulaire interne, artère fémorale pour la veine fémorale). Malheureusement la pose d une voie veineuse centrale selon la technique classique du repérage anatomique n est pas exempte de complications, lesquelles contribuent à une augmentation des durées et des coûts d hospitalisation et majorent le risque de survenue de complications secondaires (1). Les complications décrites sont la ponction artérielle avec le développement d un hématome, le pneumothorax, la malposition du cathéter, les lésions des nerfs périphériques et du plexus brachial, l embolie gazeuse, les arythmies cardiaques et l échec de la mise en place du cathéter. Des études antérieures ont montré que le taux de ces complications oscille entre 5 à 29% (2-4). Les facteurs de risque de complications mécaniques ont été largement étudiés (5). Ils incluent des facteurs liés au patient (âge avancé, body mass index élevé ou Utilisation de l échographie pour la pose de cathéters veineux centraux - 1
bas, troubles de l hémostase, hypovolémie, tachypnée, antécédents de cathétérisme, de radiothérapie ou de chirurgie cervicale, goitre, ganglions cervicaux, cou court, variations anatomiques) et des facteurs liés à la ponction elle-même (expérience de l opérateur, degré d urgence, nombre de ponctions). L incidence élevée des complications de la ponction basée sur les seuls repères anatomiques a incité de nombreux auteurs à recommander l utilisation de l échographie bidimensionnelle et/ou du Doppler pour le cathétérisme veineux central. Des études échographiques montrent des variations des rapports entre veine jugulaire interne et carotide allant de 15 à 54% (6). Dans une autre étude prospective le taux de complications et d échecs doublait lorsque le diamètre de la veine était inférieur à 7mm (7). Le bénéfice de l échographie bidimensionnelle pour l abord veineux central est aujourd hui bien établi chez l adulte comme chez l enfant (8;9) et a conduit le National Institute for Clinical Excellence (NICE) à publier au Royaume Uni les recommandations suivantes (10) : - Le guidage de la ponction par l échographie 2-D est recommandé lors de la mise en place des cathéters veineux centraux par voie jugulaire interne chez l adulte et chez l enfant ; - Dans les situations d urgence, la possibilité de recourir aux ultrasons devrait être considérée ; - Une formation appropriée des professionnels susceptibles de placer des cathéters veineux centraux sous écho guidage est recommandée ; - L utilisation du Doppler sonore comme mode de guidage n est pas recommandée. 2. L échographie vasculaire Les vaisseaux sont hypoéchogènes et se traduisent à l écran sous forme d images sombres facilement différentiables des organes de voisinage (Figure 1). Les veines se distinguent des artères par leur caractère compressible et non pulsatile et un signal Doppler différent. En pratique le Doppler est rarement nécessaire pour identifier une veine de gros calibre ou pour poser un diagnostic de thrombose veineuse, le thrombus étant généralement clairement visible sous forme de matériel échogène au sein de la veine qui perd de surcroît sa compressibilité. Les manœuvres de Valsalva (expiration forcée à glotte fermée) permettent également d identifier les veines lorsqu elles sont Utilisation de l échographie pour la pose de cathéters veineux centraux - 2
peu remplies. Par contre, et contrairement à une idée reçue, la mise du patient en position déclive est de peu d intérêt. Les ganglions, les structures liquidiennes (kystes thyroïdiens, collections), peu échogènes également, peuvent parfois simuler une structure vasculaire, en particulier les ganglions peuvent sembler anéchogènes lorsque le gain de l échographe est réglé trop bas. 3. Utilisation pratique de l échographe : repérage préopératoire et/ou ponction écho guidée Une première façon simple consiste à faire un repérage échographique et un marquage cutané juste avant la mise en place des champs opératoires de façon à visualiser la situation exacte de la veine, sa profondeur sous le revêtement cutané, ses rapports avec la carotide et les organes de voisinage, sa taille, souvent liée à la volémie de l enfant, et ses variations respiratoires. Cette méthode rapide à acquérir et peu coûteuse en consommables a été peu évaluée : une évaluation rétrospective faite à l Institut Gustave Roussy chez l adulte a montré que les complications immédiates de la ponction étaient divisées par trois par le simple repérage échographique (11). Lors d un travail prospectif sur 292 abords jugulaires internes consécutifs à l hôpital Saint-Louis le taux global de réussite avec un simple repérage échographique était de 99% dont 94% dès la première ponction, alors qu en 1995 le taux de réussite de l abord veineux percutané sans échographie réalisé par les mêmes opérateurs sur une cohorte de 2986 cathéters veineux centraux consécutifs était seulement de 85% (12). La deuxième méthode est la ponction écho guidée : la ponction n est plus faite «le vide à la main» mais sous contrôle visuel direct de la progression de l aiguille sur l écran de l échographe (Figure 2). La sonde recouverte de gel est enveloppée dans une gaine stérile et du sérum physiologique ou l antiseptique utilisé suffit à assurer l interface entre la gaine et la peau. La ponction écho guidée est le «gold-standard» mais un apprentissage est indispensable. En fonction de l abord choisi la sonde d échographie visualise la veine en coupe sagittale (jugulaire interne, fémorale, veines du bras) ou longitudinale (sous-clavière), l aiguille étant soit parfaitement parallèle à la sonde et vue sur toute ou partie de sa longueur, soit perpendiculaire et dans ce cas c est l extrémité de l aiguille que l on cherche à visualiser (13) (Figures 3 et 4). Utilisation de l échographie pour la pose de cathéters veineux centraux - 3
Si un simple repérage échographique préopératoire peut suffire dans la majorité des cas lorsque la veine choisie est d un bon calibre et en situation anatomique «habituelle», le gainage de la sonde et la ponction écho guidée d emblée sont recommandées si des difficultés prévisibles sont mises en évidence lors de l échographie de repérage : veine de petit calibre, proximité artérielle dangereuse, nourrissons et enfants de petit poids, patient hypovolémique et/ou dyspnéique, veine laminée par des ganglions.etc. Enfin il est toujours préférable de recourir à l échographie d emblée plutôt qu en «sauvetage» lorsque plusieurs tentatives de ponction aveugle ont créé des hématomes ou des complications plus graves. 4. Indications Dans la méta analyse de Hind l abord jugulaire interne est celui qui bénéficie le plus de la ponction écho guidée avec une diminution des échecs de 86% et des complications de 57% par rapport à une ponction classique basée sur les repères anatomiques (8). Dans les pathologies de la tête et du cou l abord de la jugulaire interne n est pas toujours aisé, voire impossible, par exemple en présence d une trachéotomie, en cas d antécédents radio-chirurgicaux majeurs (évidements ganglionnaires sacrifiant la veine jugulaire), en cas de compression par des ganglions métastatiques ou par un cancer évolué de la glande thyroïde. L échographie est alors incontournable dans ces situations cliniques en permettant d aborder les veines avec des repères inhabituels comme l abord direct du confluent de Pirogoff ou de la veine sous-clavière par voie sus-claviculaire. Dans les cas extrêmes l abord du système cave inférieur par la veine fémorale reste la seule possibilité. Une seule étude randomisée a été réalisée pour l abord fémoral chez 20 patients pris comme leur propre témoin en cours de réanimation cardio-respiratoire : le taux de succès passe de 65% avec les repères anatomiques à 90% sous écho guidage avec une diminution significative du nombre de passages de l aiguille et du nombre de ponctions artérielles (14). Bien sur le fait qu il n y ait qu une étude et le contexte clinique (ressuscitation) font qu il est difficile de tirer des conclusions formelles mais la situation anatomique de la veine fémorale et l existence de variantes plaident en faveur d un bénéfice réel de l échographie un peu comme pour la veine jugulaire interne. Enfin il ne faut pas oublier qu il existe des limites à l échographie : le médiastin n est pas visualisé et en cas de tumeur médiastinale ou de syndrome cave supérieur seul le Utilisation de l échographie pour la pose de cathéters veineux centraux - 4
scanner thoracique apporte les éléments iconographiques préopératoires indispensables. L échographie ne visualise pas non plus l intégralité du trajet suivi par le cathéter et ne saurait dispenser de l utilisation de la fluoroscopie ou d un cliché radiographique en fin de procédure 5. Conclusion L apport de l échographie est indiscutable lors de la mise en place d accès veineux centraux en termes de réduction des complications immédiates. Contrairement à des idées préconçues, l utilisation quotidienne des ultrasons ne fait pas oublier les repères anatomiques classiques mais aide à la compréhension d éventuelles difficultés rencontrées. Si l intérêt de l échographie dans la prévention des incidents et accidents immédiats est indiscutable, son impact possible en termes de réduction des complications tardives thrombo-emboliques et/ou infectieuses est à évaluer. Reference List (1) Timsit JF, Bruneel F, Cheval C, Mamzer MF, Garrouste-Org, Wolff M et al. Use of tunneled femoral catheters to prevent catheter-related infection. A randomized, controlled trial. Ann Intern Med. 1999;130:729-35. (2) Mansfield PF, Hohn DC, Fornage BD, Gregurich MA, Ota DM. Complications and failures of subclavian-vein catheterization. N Engl J Med. 1994;331:1735-38. (3) Merrer J, De Jonghe B, Golliot F, Lefrant JY, Raffy B, Barre E et al. Complications of femoral and subclavian venous catheterization in critically ill patients: a randomized controlled trial. JAMA. 2001;286:700-707. (4) Sznajder JI, Zveibil FR, Bitterman H, Weiner P, Bursztein S. Central vein catheterization. Failure and complication rates by three percutaneous approaches. Arch Intern Med. 1986;146:259-61. (5) Merrer J, Lefrant JY, Timsit JF. [How to improve central venous catheter use in intensive care unit?]. Ann Fr Anesth Reanim. 2006;25:180-188. (6) Caridi JG, Hawkins IF, Jr., Wiechmann BN, Pevarski DJ, Tonkin JC. Sonographic guidance when using the right internal jugular vein for central vein access. AJR Am J Roentgenol. 1998;171:1259-63. (7) Mey U, Glasmacher A, Hahn C, Gorschluter M, Ziske C, Mergelsberg M et al. Evaluation of an ultrasound-guided technique for central venous access via the internal jugular vein in 493 patients. Support Care Cancer. 2003;11:148-55. (8) Hind D, Calvert N, McWilliams R, Davidson A, Paisley S, Beverley C et al. Ultrasonic locating devices for central venous cannulation: meta-analysis. BMJ. 2003;327:361. Utilisation de l échographie pour la pose de cathéters veineux centraux - 5
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Figure 1 : Aspect échographique des vaisseaux du cou : veine jugulaire interne (Jug) et artère carotide (Ca) Figure 2 : Ponction écho guidée chez un nourrisson de 14 mois, 8 kg Utilisation de l échographie pour la pose de cathéters veineux centraux - 7
Figure 3 : Aiguille de ponction et sonde parallèles (schéma de gauche) et l image échographique correspondante montrant la totalité de l aiguille, la veine jugulaire (Jug) et la carotide (Ca). Si l aiguille et la sonde ne sont pas parfaitement parallèles, une partie de l aiguille n est pas visible à l écran (schéma de droite). Utilisation de l échographie pour la pose de cathéters veineux centraux - 8
Figure 4 : Aiguille perpendiculaire à la sonde. Il faut chercher à visualiser le bout de l aiguille (schéma de gauche). Lorsque l aiguille est trop enfoncée et dépasse la sonde, son extrémité n est plus visible (schéma de droite). Utilisation de l échographie pour la pose de cathéters veineux centraux - 9