Place du foie dans le métabolisme des lipoprotéines Fabrizio Andreelli, Delphine Jacquier Service de diabétologie-endocrinologie-nutrition, hôpital Bichat-Claude Bernard, 46 rue Henri Huchard, 75877 Paris Cedex 18 <fabrizio.andreelli@bch.aphp.fr> Le foie capte les remnants des chylomicrons, synthétise les particules V, capte les particules sénescentes et les particules HDL. Le foie synthétise des apoprotéines spécifiques des V et des, des triglycérides (à partir des acides gras non estérifiés du sérum) et du cholestérol endogène. Il participe au cycle entérohépatique du cholestérol. Il joue donc un rôle central dans le métabolisme des lipoprotéines. Mots clés : lipoprotéine, hypertriglycéridémie, V,, stéatose, insulinorésistance, hypolipidémiant L e métabolisme hépatique des lipoprotéines est perturbé au cours des hypertriglycéridémies (type IV de la classification de Frederikson), et des hypercholestérolémies (de type IIa de la classification de Frederikson). La stéatose associée à l hyperinsulinémie et à l insulinorésistance est encore mal comprise. La synthèse hépatique des lipoprotéines est un des points d impact majeur des traitements hypolipémiants (régime, fibrates et statines). Le foie a un rôle essentiel dans la régulation du métabolisme des différentes lipoprotéines circulantes. En effet, le foie participe non seulement au métabolisme des triglycérides mais aussi au métabolisme des lipoprotéines riches en cholestérol (HDL ou ). Les triglycérides sont constitués de 3 acides gras branchés sur un squelette de glycérol (figure 1). Nos apports alimentaires sont de 15 g par jour de triglycérides et de 400 mg par jour de cholestérol. Le foie contient des stocks de triglycérides (et donc d acides gras qui, toxiques pour l hépatocyte, ne sont jamais sous forme libre) et de cholestérol. Définition d une lipoprotéine Tirés à part : F. Andreelli Les lipides étant insolubles dans le sang circulant, leur transport a lieu au sein de lipoprotéines qui comportent (figure 2) : une structure externe de phospholipides et d apoprotéine ou protéine de surface de la lipoprotéine. L apoprotéine (comme l apob ou l apoa) est reconnue par certaines enzymes ou tissus, ce qui permet d orienter la lipoprotéine circulante vers tel tissu ou tel métabolisme ; les triglycérides et le cholestérol au sein de la structure. 185
Lipogenèse Glycérol Triglycéride Figure 1. Structure des triglycérides. Certaines apoprotéines sont spécifiques de certaines lipoprotéines : l apob48 est spécifique des chylomicrons, l apoa1 est associée au HDL-cholestérol et l apo-b100 aux V et au -cholestérol. Métabolisme simplifié des lipoprotéines riches en triglycérides Acide gras Lipolyse Les lipoprotéines circulantes riches en triglycérides les plus importantes en pratique sont : les chylomicrons, très riches en triglycérides alimentaires, présents uniquement en postprandial, fabriqués par l intestin ; Cholestérol estérifié Triglycérides Phospholipide Figure 2. Structure générale des lipoprotéines. Apoprotéine Cholestérol non estérifié les lipoprotéines de très basse densité ou V (very low density lipoprotein), très riches également en triglycérides et contenant un peu de cholestérol. Au contraire des chylomicrons, les V sont synthétisées par le foie et sont présentes dans le sang à jeun ou en postprandial. L hypertriglycéridémie du matin à jeun est donc constituée exclusivement de V et est secondaire à une production nocturne exagérée de V par le foie. Lors du repas, puisque les chylomicrons apparaissent, la production hépatique de V est normalement diminuée afin de tamponner le taux circulant de triglycérides en postprandial. En cas d hypertriglycéridémie postprandiale, les triglycérides dosés dans le sang circulant seront à la fois des chylomicrons et des V. Les triglycérides des chylomicrons et les V circulantes sont hydrolysées par la lipoprotéine lipase (d origine myocytaire et adipocytaire mais fixée secondairement à l endothélium capillaire) et par la triglycéride lipase des sinusoïdes hépatiques. Cette hydrolyse permet de libérer des acides gras non estérifiés pour les tissus (muscle squelettique, tissu adipeux et foie) (figures3et4). À jeun, l insulinémie est basse ; des acides gras non estérifiés libérés des V et du tissu adipeux serviront de combustible au muscle squelettique si le jeûne se prolonge. En période postprandiale, l insulinémie est haute, stimule la lipoprotéine lipase et les acides gras libérés des chylomicrons sont stockés dans l adipocyte, l hépatocyte et le myocyte. À partir des chylomicrons progressivement épurés de leur contenu en triglycérides, on obtient une nouvelle particule appelée «remnant» qui sera captée par le foie (figure 3). Celui-ci constitue alors les V, une nouvelle particule relativement pauvre en cholestérol mais riche des triglycérides issus des «remnants» et des triglycérides stockés antérieurement dans l hépatocyte (figure 4). Les V entrent dans le sang circulant. Leurs triglycérides subissent à leur tour l hydrolyse par la lipoprotéine lipase et par la triglycéride lipase hépatique (figure 4). Comme les chylomicrons, les particules V vont donc également s appauvrir peu à peu de leur contenu en triglycérides. Dans ce processus, les V donnent naissance aux particules IDL (intermediary density lipoproteins, dont une partie revient au foie) puis aux particules (low density lipoproteins) (figure 4). Ainsi, la particule n est autre qu une particule V qui a totalement perdu ses triglycérides et qui ne contient plus que la faible quantité de cholestérol présente au départ dans la particule V. C est pour cela que l on parle de -cholestérol. La particule comme la V ont comme apoprotéine reconnaissable l apo B100. On comprend alors que l apo B100 186
Apoprotéines Lipoprotéine lipase AGL Apo E Apo B 48 CM Apo C Apo A-I CM remnant Apo E R Apo B-E LRP LSR CHOL Intestin Figure 3. Métabolisme des chylomicrons. V Muscle Lipoprotéine lipase AGL Adipocyte IDL V IDL Adipocytes Acides gras non estérifiés Triglycérides lipase hépatique Figure 4. Métabolisme des V produites par le foie. Genèse des particules. 187
Triglycérides lipase hépatique RÉCEPTEUR APO B 100/E Apo B 100 IDL varie dans le même sens que le -cholestérol et qu en pratique, le dosage de suffit. Métabolisme simplifié des lipoprotéines riches en cholestérol Les particules Glycérol Acides gras non estérifiés Figure 5. Métabolisme des particules. Apo B 100 Le rôle des particules de est de transporter le cholestérol du foie vers tous les tissus périphériques (figure 5). Toutes les membranes cellulaires contiennent du cholestérol à renouveler. De plus, les surrénales synthétisent de nombreuses hormones stéroïdes à partir du cholestérol. Les cellules captent le cholestérol des par des récepteurs membranaires au. Le foie possède 70 % des récepteurs au -cholestérol de l organisme. La mutation de ces récepteurs à l état homozygote conduit aux hypercholestérolémies familiales très athérogènes par défaut d épuration plasmatique du -cholestérol dont la concentration plasmatique augmente. Grâce aux récepteurs, le cholestérol entre dans les cellules où, de libre, il sera stabilisé par une estérification (figure 6). S ajoutant au RÉCEPTEUR APO B 100/E Tissus périphériques cholestérol alimentaire, du cholestérol endogène est synthétisé par le foie grâce à une enzyme clé, l HMG- CoA réductase. Le foie distribue alors l ensemble de ces cholestérols d origine variée au reste de l organisme. En cas d excès de cholestérol intracellulaire, les cellules diminuent le nombre de leurs récepteurs de surface (figure 6), ce qui peut conduire à une augmentation de la concentration de -cholestérol circulant. Les Suppression de l'expression Particules du récepteur des Cholestérol estérifié Récepteur des Glucose Acétyl-CoA HMG-CoA Suppression de la synthèse de cholestérol Cholestérol Particules HDL Récepteur des particules Figure 6. Métabolisme des particules dans les cellules. 188
Synthèse CE CNE Tissus périphériques Transport - aller du cholestérol Particules V et Particules HDL Transport - retour du cholestérol statines, en bloquant l activité de la HMG-CoA réductase, réduisent la synthèse endogène de cholestérol hépatique et donc augmentent le nombre de récepteurs de surface : la captation des particules circulantes de augmente, ce qui abaisse la concentration sanguine de. Les particules HDL Le rôle des particules HDL est de ramener le cholestérol des cellules périphériques vers le foie (figure 7). Des particules circulantes précurseurs des particules matures d HDL vont récupérer au niveau des cellules périphériques le cholestérol : les particules HDL sont donc des particules enrichies du cholestérol périphérique, qui est ramené au foie par leur intermédiaire. Dans le foie, une partie du cholestérol sera recyclée mais une autre partie sera éliminée par les voies biliaires dans le tube digestif. Le foie a ainsi un rôle fondamental pour permettre à l organisme de se débarrasser du cholestérol. Dans le tube digestif, une partie du cholestérol va être réabsorbée et retourner au foie, bouclant ainsi un cycle entérohépatique. L autre partie du cholestérol sera éliminée. Les phytostérols présents dans un certain nombre d aliments enrichis se lient au cholestérol présent dans le tube digestif (qu il soit alimentaire ou qu il provienne du cycle entérohépatique) afin d empêcher leur réabsorption intestinale et favoriser leur élimination. Hypertriglycéridémie, insulinorésistance et stéatose hépatique CE Acides biliaires, cholestérol Plus de 90 % des hypertriglycéridémies vues en pratique courante sont de type IV (selon la classification de Frederikson), c est-à-dire liées à un excès de production hépatique de V. Ce type de dyslipidémie s observe fréquemment en situation d insulinorésistance associée CE CNE Figure 7. Métabolisme des particules HDL. CE : cholestérol estérifié ; CNE : cholestérol non estérifié. ou non à un diabète de type 2. Paradoxalement, en présence d une insulinorésistance, non seulement la mise en circulation des particules V est exagérée, mais on constate en plus un stockage augmenté de particules V dans le foie conduisant à la stéatose hépatique. Les mécanismes en cause ne sont pas encore connus mais de multiples anomalies d expression de gènes ont pu être identifiées. Ainsi, la stéatose hépatique s associe à une augmentation d expression de gènes codant pour des facteurs de transcription comme ChREBP (carbohydrate responsive element ou élément de réponse aux glucides) ou SREBP-1c (sterol responsive element binding protein). Ces facteurs de transcription régulent l expression de nombreux autres gènes (dont ceux nécessaires à la synthèse des V) ou diminuent l expression des gènes qui codent pour les enzymes d oxydation des lipides dans le foie (ce qui favorise leur stockage). Un des marqueurs de l insulinorésistance est l hyperinsulinisme. En effet, avoir un taux d insuline exagéré alors que la glycémie n est pas basse démontre qu il existe un défaut d action de cette hormone au niveau de ses tissus cibles (sinon, on observerait une hypoglycémie). L hyperinsulinisme de l insulinorésistance ne semble pas pouvoir complètement expliquer la stéatose hépatique. En effet, à l état normal, l insuline inhibe la production hépatique des V (a) d une part en diminuant les acides gras non estérifiés plasmatiques (par inhibition de la lipolyse du tissu adipeux) ; (b) et d autre part en réduisant la sécrétion d ApoB des V au niveau de l hépatocyte lui-même. Ainsi, l hyperinsulinisme serait plus un marqueur de l anomalie métabolique à l origine de la stéatose hépatique que la cause directe de celle-ci. Une fois dans le sang circulant et en condition d insulinorésistance, une enzyme particulière, la CETP (cholesterol ester tranfer protein), va entraîner un transfert des triglycérides des V vers les HDL en échange de cholestérol transféré des HDL vers les V. Les particules HDL enrichies en triglycérides sont vite hydrolysées et, du fait de leur catabolisme accru, le taux sanguin de HDL-cholestérol diminue. Les particules V enrichies en cholestérol vont donner naissance, après avoir perdu leurs triglycérides grâce à l action de la lipoprotéline lipase, à des particules plus petites et plus denses que les particules habituelles. Ces particules petites et denses sont plus susceptibles d être oxydées et d être captées par les cellules spumeuses des futures plaques d athérome. Ainsi, l insulino-résistance provoque un profil athérogène qui associe une chute d HDL-cholestérol et une hausse des petites et denses dans un contexte de production hépatique accrue en V (et donc en triglycérides) [1]. Ces phénomènes sont accentués en période postprandiale lorsque l afflux d acides gras libres et de triglycé- 189
rides en provenance du repas vient s ajouter au flux basal. Impact hépatique des traitements hypolipémiants L hypertriglycéridémie est aggravée par des apports trop riches en sucres rapides et/ou en alcool et/ou en lipides. Il faut donc tester la sensibilité de l hypertriglycéridémie aux différents facteurs diététiques susceptibles d en augmenter le taux selon le schéma présenté dans l encadré. On peut ainsi mieux cibler les conseils diététiques en étudiant la puissance d effet des différentes modalités diététiques. Les fibrates diminuent la production hépatique de triglycérides en diminuant l expression d un certain nombre de gènes codant pour des protéines nécessaires à la synthèse des V comme le gène de l apo B et en augmentant l expression du gène de la lipoprotéine lipase. Néanmoins, la puissance d effet de ces molécules peut être faible, en particulier lorsqu il existe un déséquilibre diététique trop important ou lorsqu il existe une importante insulinorésistance. Des molécules comme la metformine ou les thiazolidinédiones améliorent la stéatose hépatique en favorisant l oxydation intra-hépatique des triglycérides stockés [2]. Néanmoins, les effets bénéfiques ne sont En résumé Comment tester la sensibilité d une hypertriglycéridémie aux facteurs alimentaires On demande d abord au patient une abstinence totale en alcool pendant une période de 10 jours, - que l on clôt par un contrôle de la triglycéridémie. On demande ensuite une réduction drastique des apports en sucres rapides pendant 10 jours, - que l on clôt par une nouvelle détermination de la triglycéridémie. On demande enfin une réduction des apports en lipides pendant 10 jours - que l on clôt par un dernier contrôle de la triglycéridémie. pas observables chez tous les patients, ce qui suppose l existence de facteurs individuels encore mal connus. Références 1. Pegorier JP, Girard J. Thiazolidinediones and insulin sensitivity. Ann Endocrinol 2004 ; 65 : 65-72. 2. Andreelli F, Ziegler O. How to manage metabolic syndrome? Ann Endocrinol 2005 ; 66 : 2S36-45. 190