Intervention de Marie-Françoise Couillard, directrice et Jean-Pierre Delrue, assistant social à l Etape L Etape Maison d Accueil et Service extra-muros L Etape à Tournai est d abord une Maison d Accueil qui héberge et encadre des personnes adultes, hommes ou femmes isolés, en couple et/ou accompagnés d enfants. Certains sans domicile, vivaient dans la rue, en squatts, d abri de nuit en abri de fortune. La plupart ont connu des parcours de vie difficiles, douloureux. Ils sont pour d autres, issus du logement privé ou social. Dans la Maison d Accueil ces personnes viennent chercher un endroit où se poser, faire halte un moment, trouver un peu de réconfort, du confort : un lit, des repas équilibrés, des sanitaires, une certaine sécurité. Ils trouvent tout cela, mais pas uniquement cela. Comme l indique son nom, l Etape est un lieu où les usagers passent, ils s y arrêtent pour récupérer avant d aller plus loin. Au terme du séjour, il leur est offert de retrouver un logement où reprendre racines ainsi que d utiliser leurs droits sociaux. Le service d accompagnement extérieur a été réfléchi depuis les années 1988/89. A cette époque, beaucoup d hébergés quittaient l institution au terme de leur séjour et allaient se loger dans des taudis aux loyers exorbitants, humides inchauffables. Rapidement, leurs ressources ne suffisaient plus à couvrir les frais de la vie courante, leur santé se dégradait et ils venaient solliciter un nouvel hébergement tout en perdant leur caution locative, ce qui accentuait leur précarité. Pour la maison, le taux de récurrence était inquiétant, l équipe voyait les énergies développées en cours de séjour anéanties et les hébergés revenus à la case départ, ce qui n était pas- en soi- l issue positive d un hébergement. L équipe de l époque a réfléchi à ces problèmes, cherchant une réponse originale pour l Etape. Il s agissait pour elle de casser le système rue-prison-rue, maison d accueil-logement-maison d accueil ou maison d accueil-prison maison d accueil. Elle a visité et rencontré des expériences diverses menées dans d autres centres pour finalement, en accord avec le Conseil d Administration démarrer cette expérience qui allait évoluer au cours du temps et qui est encore appelée à évoluer aujourd hui.
Les difficultés rencontrées avec les hébergés au sortir de la maison furent ciblées : Craintes qu inspire vis-à-vis de l extérieur ce public réputé instable, impécunieux, ex-taulard Le choix du logement en fonction des ressources et souvent de dettes d énergie, d une exigence de salubrité et de confort minimum Difficultés d autonomie au sortir d une vie en groupe, choix et peurs de relations nouvelles Respect des clauses du contrat de location : relations avec le propriétaire, entretien des lieux, rapports de voisinage, paiement dans les temps du loyer, des charges Alimentation et santé Entretien du linge Recherche d activités, de travail Les conditions d accès au service de post-hébergement : 1- Avoir impérativement séjourné à l Etape. situation en voie d assouplissement 2- La demande de suivi doit être introduite auprès de l équipe en cours ou en fin de séjour 3- Cette demande suppose la négociation d un contrat écrit et dûment signé qui précise les droits et devoirs réciproques 4- Limites que se donne l équipe de l Etape en cas de non-respect des clauses du contrat Avec le temps, l équipe de la maison a aussi réfléchi à la mise en place durant le séjour d un atelier de recherche de logement et de gestion budgétaire. Elle travaille avec les hébergés qui s interrogent sur la représentation d un chez soi : Que ferez-vous lorsque vous serez installé? Comment mûrir et s approprier cet objectif en fonction des échecs précédents? Comment concrétiser ce rêve pour qu il devienne accessible, concret, travaillé? Comment enfin choisir : où, avec qui, à quel coût, comment se présenter et inspirer de la confiance? La prospection fait partie du processus d autonomisation de l usager et de son appropriation de son projet. L emménagement et l installation s organisent avec la recherche d aides et de primes ainsi que de l équipement minimum de base. L hébergé reste toujours l acteur de ses démarches et choix. L équipe l oriente et lui communique les informations indispensables
Concrètement Le service offre un regard sur la santé, les assuétudes, l hygiène corporelle et vestimentaire, l alimentation, le mode de vie. Le temps a apporté une relation de confiance entre le service et les propriétaires qui trouvent en la personne des gestionnaires du service des interlocuteurs sérieux. Fin des années 90, l Etape a repris en location 2 immeubles en ville qu elle sous- loue à 6 anciens résidents. Elle y a installé ensuite un bureau décentralisé qui symbolise une prise de distance avec la Maison d Accueil, mais qui avec le temps est devenu un lieu de rencontres privilégiées, chaleureuses et informelles. Une permanence y est organisée 2 fois par semaine avec, en fonction des disponibilités, la répartition et la remise de colis alimentaires. La gestion financière - permet à des personnes fragiles de garder le cap et de ne plus être la proie de vendeurs peu scrupuleux, - poursuit le remboursement des dettes entamé durant le séjour ainsi que des démarches administratives. - offre une guidance budgétaire individualisée au cas par cas, qui, avec le temps s assouplit, parce que les usagers reprennent progressivement la gestion de leur avoir. Le service poursuit aussi le maintien de la relation de confiance établi durant le séjour. Ce public en décrochage social que l équipe a apprivoisé a tissé un lien relationnel unique parce qu il touche à la fois une part d affectif qui réconcilie des personnes abimées aux comportements imprévisibles et le souci d une équipe de les voir avancer et évoluer en sachant qu elles ne pourront progresser qu à tout petits pas vers une autonomie ténue pour reprendre le fil de leur vie. Les collaborations établies ont permis des interventions rapides en cas de problème qui ont évité des expulsions musclées. Elles ont aussi facilité sur le terrain la clarification de problèmes relationnels entre locataires d un même immeuble. Comment garder son logement et l habiter Forte de ce qui précède, l équipe a progressivement organisé l accompagnement audelà de l hébergement : comment s installer, habiter durablement, ce qui signifie qu en fin de compte la personne retrouve autonomie et équilibre de vie avec comme conséquence qu elle considère ce logement comme sien?
5 points au départ nous semblent importants : paiement du loyer, respect de l hygiène, relations saines de voisinage, suivi administratif qui maintient les ressources, intégration sociale. - le loyer La plupart des bénéficiaires ont connu par le passé des difficultés conséquentes d ordre budgétaire. Ils dépensaient, vivant au jour le jour, sans prévision ni précaution aucune. Cette manière d agir, qui pour certains est une manière de survivre, refait surface dès qu ils se retrouvent seuls, livrés à tous les appels et pressions extérieurs. Très vite, le paiement du loyer devient secondaire. Pour y remédier, le service impose une gestion budgétaire stricte avec, petit à petit la constitution d une épargne. Cette gestion plus ou moins bien acceptée est régulièrement discutée, remise en question, réorganisée avec souplesse et renégociée au fil du temps. Il ne faut pas perdre de vue que ce fameux loyer représente une part conséquente du budget. En outre certains sont endettés, ils doivent par ailleurs payer des pensions alimentaires. Des dépenses «petit plaisir» font aussi partie de la négociation. - le maintien de la guidance budgétaire suppose également un suivi administratif rigoureux : réponse à des convocations, présentation dans les temps des documents demandés. La garantie financière du droit au logement est extrêmement étriquée et laisse de ce fait peu de marge de manœuvre. - les problèmes d hygiène Même si la personne semble avoir retrouvé un certain équilibre et se sent bien dans son logement, elle peut n avoir aucunement modifié son attitude face aux règles élémentaires d hygiène corporelle, vestimentaires, de son habitat. Comment faire évoluer cette problématique? Comment l interpréter? Est-elle une manière de se garantir l attachement du suivi du Travailleur Social? Une façon de garder le lien avec ceux qu elle a connus et côtoyés durant les années de galère? Quelques victoires temporaires ont été emportées, mais elles restent de courte durée. L hygiène peut, à tout moment re- dysfonctionner, de manière aussi imprévisible que les dépendances. La vigilance reste de mise. - les conflits interpersonnels Les problèmes d hygiène apportent des conflits de voisinage d importance variée selon les inconvénients supportés et.supportables. Il y a les poubelles qui traînent sur les paliers, les odeurs..diverses.
D autres désagréments sont signalés sous forme de bruit, de tapage nocturne, de comportements violents, voire asociaux. Le service est attentif à la capacité relationnelle des personnes en ce y compris le respect de soi et des autres. Il veille à intervenir rapidement en cas de querelle, d accroc entre voisins qui parfois sont eux aussi d anciens résidents de l Etape. L idéal serait que la ou les personnes impliquées abordent d elle-même cette ou ces difficultés. De cette manière, elle peut être aidée à comprendre ce qui s est passé, à trouver d autres manières d exprimer sa frustration voire sa souffrance. Par contre, si c est le travailleur social qui aborde le problème, pour parler de la plainte, l usager risque d être frustré, de se fermer à la confiance, sa parole pourrait être mise en cause.ce qui risquerait de détruire la relation construite. Tout est dosage individuel et connaissance de la fragilité de chacun. - l intégration sociale et les permanences Ce service de post-hébergement joue depuis plusieurs années dans la construction d une nouvelle relation à l autre, aux autres. Pour rappel, les permanences se tiennent 2 fois par semaine dans un lieu décentralisé de l Etape. Là, les usagers se découvrent les uns à travers les autres, ils apprennent des modes de fonctionnement différents, apprécient le bien-être qu il peut y avoir à partager ses problèmes plutôt que de s y enfermer. Le service apporte à chacun un soutien, des conseils mais aussi une certaine invitation à la tempérance, oserions-nous dire à une relative sagesse? Tous ces messages seraient-ils possibles s il n y avait pas la présence rassurante, fidèle et confiante du Travailleur Social? Pour beaucoup d usagers du service, cette permanence est le seul lieu où nouer des contacts en dehors des cafés habituels. Peu à peu, une solidarité s installe et les uns s inquiètent des autres pour peu qu ils soient absents lors d une permanence. De façon informelle s instaure un travail collectif dont acteurs et bénéficiaires restent les usagers.
En guise de conclusion L équipe de l Etape est persuadée que si le logement est pour les usagers de la maison une finalité en soi, il est aussi - dans le cadre d un accompagnement adapté et négocié - un merveilleux outil de travail qui vient ajouter un plus au travail institutionnel. Il permet de rester en contact avec des personnes qui ont accumulé les ruptures, de prévenir l expulsion avec son cortège de conséquences qui les ramèneraient à la rue. Il permet aussi d améliorer les conditions de vie des personnes et par là de les faire évoluer. Ce travail d accès et de maintien en logement n est possible que dans le long, parfois très long terme. La notion» d économie à brève échéance» n est pas la trame qui le dirige. Avec un public aussi précarisé, l équipe ne peut imaginer d évoluer selon un canevas pré-déterminé. Il convient d intégrer la notion de durée dans un coude à coude avec la personne, selon son rythme et ses capacités.