Le risque de défaillance économique et les options juridiques proposées à l'entrepreneur individuel



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Transcription:

Article publié aux Petites affiches, 03 février 2015 n 24, P. 6 - Tous droits réservés Droit des affaires Par Véronique Goncalves Le risque de défaillance économique et les options juridiques proposées à l'entrepreneur individuel L entrepreneur individuel peut, comme toute entreprise, connaître des difficultés. Selon le régime choisi, EIRL ou déclaration d insaisissabilité, des règles spécifiques s appliqueront à la procédure collective. Pour autant, ces règles peuvent porter atteinte à la séparation des patrimoines et finalement à l efficacité du dispositif d affectation du patrimoine. Le statut de l'eirl a pour objectif de favoriser la création d'entreprises en limitant le risque d'entreprendre. Une adaptation du Code de commerce et du Code de la consommation est ainsi intervenue pour permettre à l'entrepreneur ayant opté pour le statut de l'eirl de bénéficier : de l'ensemble des procédures relatives aux difficultés des entreprises (prévention des difficultés des entreprises, mandat ad hoc, conciliation, sauvegarde, redressement judiciaire et liquidation judiciaire), en ce qui concerne son activité professionnelle ; de la procédure de surendettement des particuliers, en ce qui concerne son patrimoine non affecté. Ainsi, il convient de distinguer la déclaration d'affectation du patrimoine de la déclaration d'insaisissabilité. La déclaration d'affectation du patrimoine effectuée en cas d'option pour le régime de l'eirl porte obligatoirement sur les biens, droits, obligations ou sûretés nécessaires à l'exercice de l'activité professionnelle et facultativement sur les biens, droits, obligations ou sûretés utilisés dans ce cadre. Ces derniers doivent être nécessaires à l'activité de l'eirl ou n'être utilisés que dans le cadre de l'activité professionnelle. Les autres, notamment la résidence principale de l'entrepreneur, ne pourront être affectés à l'eirl.

La déclaration d'insaisissabilité porte quant à elle sur les biens immobiliers non affectés à l'usage professionnel, c'est-à-dire : l'habitation principale de l'entrepreneur, qu'elle soit en pleine propriété, en usufruit ou en nue-propriété ; tout bien foncier bâti ou non bâti qu'il n'a pas affecté à son usage professionnel. Les deux déclarations n'ont donc pas le même objet et peuvent être cumulées. La déclaration d'affection du patrimoine en EIRL permet ainsi d'exclure du patrimoine professionnel tous les biens mobiliers et les droits qui ne peuvent être protégés par la déclaration d'insaisissabilité. La question qui se pose ici est finalement celle de savoir si la séparation des patrimoines destinée à protéger l'entrepreneur individuel, seul ou dans le cadre de l'eirl, peut résister aux situations de difficulté. C'est l'ordonnance du 9 décembre 2010 qui a définit les contours du traitement des difficultés de l'eirl tandis que la déclaration d'insaisissabilité reste opposable à la procédure collective, dans certaines conditions, selon la jurisprudence. Ainsi, le droit actuel des entreprises en difficulté répond à deux finalités différentes. La première, celle espérée, consiste dans le maintien de l'activité. En cas de sauvegarde ou de redressement, le chef d'entreprise, même s'il conserve en principe les pouvoirs d'administration, voit ses prérogatives limitées. Il ne peut plus disposer des biens composant son patrimoine. La seconde, la plus fréquente en pratique, la liquidation judiciaire, s'analyse en une saisie collective des biens du débiteur. Avec l'eirl, ce schéma classique est nécessairement modifié, d'ailleurs principalement pour la liquidation judiciaire. Le principe du cloisonnement posé par l'ordonnance du 9 décembre 2010 postule que la procédure touchant un patrimoine affecté ne doit pas se répercuter sur les autres patrimoines du débiteur en difficulté ; il existe donc un cantonnement de la procédure. Mais il signifie également qu'il est possible qu'un débiteur subisse en même temps plusieurs procédures. 2

À l'heure où le nombre de faillites tutoie les records, nous verrons ici quel est le régime applicable à l'eirl, d'une part, puis à l'entrepreneur individuel dans le cadre de la déclaration notariée d'insaisissabilité, d'autre part, lorsque des difficultés financières apparaissent. I. L'application du droit des entreprises en difficulté à l'entrepreneur individuel Il convient de distinguer l'entrepreneur individuel dans le cadre de l'eirl de l'entrepreneur individuel bénéficiant d'une déclaration d'insaisissabilité. A. L'étendue du régime applicable 1. Une application de la procédure «patrimoine par patrimoine» dans le cadre de l'eirl L'article 8 de l'ordonnance du 9 décembre 2010 a posé un principe simple et clair d'adaptation du droit des entreprises en difficulté aux entrepreneurs individuels à responsabilité limitée en restreignant son périmètre au patrimoine affecté. L'article L. 680-1 qu'il insère dans le Code de commerce énonce, en effet, que : «Lorsque les dispositions des titres I er à VI du présent livre sont appliquées à raison des activités professionnelles exercées par un entrepreneur individuel à responsabilité limitée, elles le sont patrimoine par patrimoine» (a). Le texte précise ensuite comment la composition du patrimoine de l'entrepreneur doit être traitée compte tenu de l'effet de saisie inhérent aux procédures judiciaires (b). a) Le critère des «activités professionnelles exercées» C'est la notion d'«activités professionnelles exercées par un entrepreneur individuel à responsabilité limitée» qui est le facteur déclenchant de l'application du livre VI patrimoine par patrimoine. Le critère est ingénieux, car il ne fait référence ni à la «personne» du débiteur, ni à un ensemble de biens, mais il n'est pas nouveau. On rappellera que depuis la loi du 26 juillet 2005, l'article L. 611-4 du Code de commerce dispose que la procédure de conciliation est «ouverte à l'égard des personnes exerçant une activité commerciale ou artisanale». 3

De la même manière, l'article L. 620-2 déclare aussi que la procédure de sauvegarde est «applicable à toute personne exerçant une activité commerciale ou artisanale» et la compétence d'attribution du tribunal de commerce dépend aussi de la nature commerciale ou artisanale de l'activité du justiciable. La référence à l'activité professionnelle est implicitement une référence à l'entreprise exercée, mais elle permet d'éviter le concept d'entreprise et les débats inévitables sur la personnification de celle-ci. Dans l'ordonnance du 9 décembre 2010, ce critère des «activités professionnelles» exercées est essentiel. Si l'entrepreneur a un seul patrimoine affecté à son activité professionnelle, celui-ci répondra seul des difficultés de l'activité correspondante. Le patrimoine personnel non affecté sera à l'abri des poursuites des créanciers du patrimoine affecté. Mais le cas échéant, l'entrepreneur sera éligible à la procédure de surendettement pour ses dettes personnelles. Si l'entrepreneur a en revanche plusieurs patrimoines affectés à plusieurs activités professionnelles différentes, ce qui est possible depuis le 1 er janvier 2013, les procédures collectives s'appliqueront à chaque patrimoine affecté à chaque activité dans la mesure où l'activité en cause est en difficulté. «À chaque patrimoine, sa procédure». La trilogie «un débiteur, un patrimoine, une procédure» disparaît ainsi ; elle est remplacée par une nouvelle : «un débiteur, des patrimoines, des procédures». b) Une application cantonnée à un patrimoine La notion d'affectation patrimoniale est au cœur du dispositif. Les procédures de prévention ou de traitement des difficultés des entreprises s'appliquent au patrimoine que l'entrepreneur a affecté à son activité. Les règles du livre VI du Code de commerce s'appliquent ainsi «patrimoine par patrimoine», qu'il s'agisse de la situation du débiteur ou de ses créanciers. 4

L'article L. 680-2 précise, en effet, que les dispositions du livre VI «qui intéressent la situation économique ou les biens, droits ou obligations du débiteur entrepreneur individuel à responsabilité limitée doivent, sauf dispositions contraires, être comprises comme visant les éléments du seul patrimoine affecté à l'activité en difficulté ou, si l'activité est exercée sans affectation de patrimoine, du seul patrimoine non affecté». Cela signifie que la procédure collective s'applique aux seuls éléments affectés à l'activité en cause et, dans le cas où l'entrepreneur n'a pas affecté un patrimoine à son activité professionnelle en difficulté, c'est le «patrimoine non affecté» qui répond de ses dettes. Le raisonnement est le même pour les créanciers. Les dispositions du livre VI «qui intéressent les droits ou obligations des créanciers du débiteur, entrepreneur individuel à responsabilité limitée s'appliquent, sauf dispositions contraires, dans les limites du seul patrimoine affecté à l'activité en difficulté ou, si l'activité est exercée sans affectation de patrimoine, du seul patrimoine non affecté». En d'autres termes, les règles de l'arrêt des poursuites, de l'interdiction des paiements, de l'arrêt de l'inscription des sûretés ou du cours des intérêts, de la déclaration des créances, etc., concernent le patrimoine affecté à l'activité en difficulté ou le patrimoine non affecté, à défaut d'affectation d'un patrimoine à l'activité en difficulté. À partir de là, les règles exposées aux titres I à VII du livre VI du Code de commerce sont appliquées au seul patrimoine affecté à l'activité en difficulté. C'est ce qu'exprime l'article L. 680-4 qui donne en quelque sorte une «grille de lecture» des textes au regard de la limitation de l'affectation patrimoniale : «Sauf dispositions contraires, les références faites par les titres I à VI du présent livre au débiteur, à l'entreprise, au contrat, au cocontractant s'entendent, respectivement : du débiteur en tant qu'il exerce l'activité en difficulté et est titulaire du patrimoine qui se rattache à celle-ci, à l'exclusion de tout autre ; de l'entreprise exploitée dans le cadre de l'activité en difficulté ; 5

si un patrimoine est affecté à l'activité en difficulté, du contrat passé à l'occasion de l'exercice de cette activité ou, si l'activité est exercée sans affectation de patrimoine, du contrat passé en dehors du ou des activités auxquelles un patrimoine est affecté ; du cocontractant ayant conclu le contrat mentionné au précédent alinéa». C'est également au regard du patrimoine affecté qu'il conviendra d'apprécier si l'eirl rencontre des «difficultés insurmontables» le rendant éligible à la procédure de sauvegarde ou s'il se trouve en état de cessation des paiements parce que l'actif disponible affecté ne permet pas de faire face aux dettes professionnelles exigibles liées à l'activité en difficulté de sorte qu'il peut être mis en redressement ou en liquidation judiciaire. Pareillement, les droits des créanciers antérieurs sont gelés au jour du jugement d'ouverture lorsque leurs créances sont nées de l'activité en difficulté. De nombreux textes de l'ordonnance rappellent cette application du livre VI «patrimoine par patrimoine». Il en est ainsi en matière de prévention : Ainsi, il est précisé par l'article 2 de l'ordonnance que l'article L. 611-2 qui permet au président de la juridiction d'enjoindre au débiteur de déposer ses comptes s'applique, «dans les mêmes conditions, à tout entrepreneur individuel à responsabilité limitée qui ne procède pas au dépôt des comptes annuels ou documents mentionnés au premier alinéa de l'article L. 526-14, lorsque l'activité professionnelle à laquelle le patrimoine est affecté est commerciale ou artisanale». Ou encore dans le domaine des procédures judiciaires : la levée de l'interdiction d'émettre des chèques attachée à l'arrêt d'un plan ne concerne que les «comptes afférents au patrimoine visé par la procédure». La même idée fonde la modification des articles L. 620-2, L. 631-2 et L. 640-2 du Code de commerce relatifs à la règle «Faillite sur faillite ne vaut». Selon cet adage, il est interdit d'ouvrir une nouvelle procédure alors que la précédente n'est pas clôturée. Les textes sont ainsi complétés : «à moins qu'il ne s'agisse d'activités distinctes exercées par un entrepreneur à responsabilité limitée». Il est donc possible d'ouvrir une procédure collective au titre d'une autre activité du même débiteur, ce qui est logique puisque les autres patrimoines ne sont pas concernés par la procédure en cours. 6

Le livre VI s'applique donc «au patrimoine visé par la procédure». Celle-ci ne touche pas les autres patrimoines. C'est pourquoi l'article 5, 3, de l'ordonnance prévoit que l'article L. 641-9 relatif au dessaisissement du débiteur en liquidation judiciaire n'empêche pas l'entrepreneur d'exercer d'autres activités si celles-ci engagent un patrimoine autre que celui visé par la procédure. L'affectation patrimoniale produit un effet de cantonnement de la procédure collective au seul patrimoine affecté. La règle est simple. Est-elle aisée à mettre en pratique? Il faut que les cocontractants de l'eirl en difficulté soient très vigilants et aient conscience que l'acte conclu ne sera exécutoire que sur le patrimoine affecté à l'activité en difficulté s'il est lié à celle-ci, ce qui suppose que les règles de répartition des pouvoirs soient respectées. À défaut, il serait inopposable à la procédure collective. 2. Une application limitée à la déclaration d'insaisissabilité Grâce à la déclaration d'insaisissabilité, on a vu que l'entrepreneur individuel peut bénéficier d'une meilleure protection de son patrimoine domestique qui va ainsi être soustrait au droit de gage des créanciers professionnels. Initialement le législateur n'a posé aucune règle sur l'influence de l'ouverture d'une procédure collective sur la déclaration d'insaisissabilité. Ce fut donc à la jurisprudence de trancher. Un premier arrêt de la Cour de cassation (1) a considéré que le débiteur peut opposer la déclaration d'insaisissabilité qu'il a effectuée avant la mise en liquidation judiciaire malgré la règle du dessaisissement de l'article L.641-9 du Code de commerce. Cette position de la Cour de cassation a été reprise par la suite dans plusieurs arrêts. La Cour de cassation est ainsi venue consacrer l'opposabilité de la déclaration d'insaisissabilité au liquidateur. Ainsi, la déclaration d'insaisissabilité est désormais opposable au liquidateur judiciaire dès lors que la déclaration a été faite avant la mise en liquidation judiciaire. Cette opposabilité lui interdira de saisir et de vendre l'immeuble déclaré. On notera deux occasions de mise en œuvre de cette opposabilité. 7

Soit les créanciers seront tous postérieurs à la déclaration ou ayant des créances nées de l'activité professionnelle du débiteur ; soit l'opposabilité de la déclaration ne concernera que certains des créanciers. Dans ces deux situations, la déclaration est opposable au liquidateur. A contrario, la déclaration d'insaisissabilité reste inopposable aux créanciers antérieurs à la publicité de la déclaration ou dont la créance est extraprofessionnelle. La chambre commerciale confirme ainsi sa position dans un autre arrêt du 13 mars 2012 (2) aux termes duquel elle expose qu'il résulte des articles L. 622-4, alinéa 1 er et L. 621-39, alinéa 1 er du Code de commerce, dans leur rédaction antérieure à la loi du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises, que le liquidateur ne peut légalement agir que dans l'intérêt de tous les créanciers et non dans l'intérêt personnel d'un créancier ou d'un groupe de créanciers. En application de l'article L. 526-1 du Code de commerce, la déclaration d'insaisissabilité n'a d'effet qu'à l'égard des créanciers dont les droits naissent, postérieurement à sa publication, à l'occasion de l'activité professionnelle du déclarant. En conséquence, le liquidateur n'aurait pas qualité pour agir, dans l'intérêt de ces seuls créanciers, en inopposabilité de la déclaration d'insaisissabilité. Cette position encore été reprise par des arrêts du 23 avril 2013 (3) et du 18 juin 2013 (4). Cette jurisprudence pose une difficulté pratique car elle ne permet pas d'appréhender le cas de la souscription frauduleuse d'une déclaration notariée d'insaisissabilité avant l'ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation. La fraude paulienne elle-même ne pourrait donc pas être combattue par le liquidateur, ainsi d'ailleurs que l'a jugé la chambre commerciale de la Cour de cassation dans son arrêt du 23 avril 2013. En outre, cette jurisprudence pourrait permettre aux créanciers non professionnels ou aux créanciers professionnels antérieurs de saisir le bien déclaré insaisissable en dehors de la procédure collective, au détriment des créanciers professionnels postérieurs et éventuellement, en cas de procédure de redressement judiciaire, du redressement même de l'entreprise. 8

En tout état de cause, comme l'a indiqué Véronique Legrand, la déclaration notariée d'insaisissabilité offre manifestement un niveau élevé de protection pour le patrimoine personnel de l'entrepreneur individuel. La conservation de la disposition de son patrimoine lui permet alors, en cas de redressement judiciaire, d'accéder au crédit en offrant ce patrimoine en garantie. Cette mise au point quant à la portée de la déclaration d'insaisissabilité est bienvenue en ce qu'elle clarifie pour l'entrepreneur qui souhaiterait faire une telle déclaration les cas où celle-ci sera ou non opposable : si le liquidateur ne pourra saisir le bien, il est probable que les créanciers à qui la déclaration reste inopposable pourront toujours le faire hors du cadre de la procédure de liquidation. B. L'organisation de la procédure tant à l'égard de l'entrepreneur individuel qu'à l'égard de ses créanciers 1. Une application à un patrimoine «affecté» s'agissant de l'entrepreneur individuel L'article L. 680-5 du Code de commerce commence par régler une situation particulière : celle où la procédure concerne un entrepreneur au titre d'un patrimoine non affecté alors que précédemment l'entrepreneur avait affecté une partie de ses biens à une activité professionnelle. Par hypothèse, la déclaration d'affectation a cessé de produire ses effets, soit par renonciation de l'eirl, soit par décès. En pareil cas, l'article L. 680-5 du Code de commerce prévoit que les éléments d'actif et de passif qui proviennent du patrimoine dont l'affectation a cessé de produire ses effets «sont considérés comme étant hors du patrimoine non affecté». Ils ne sont donc pas rattachés à la procédure collective (sauf si l'exercice de l'activité à laquelle le patrimoine était affecté s'est poursuivi après la cessation d'affectation). L'article L. 526-15 du Code de commerce qui permet aux créanciers antérieurs à la déclaration de conserver pour seul gage général celui qui était le leur au moment de la renonciation ou du décès peut ainsi produire ses effets. Mise à part cette situation particulière, la procédure collective a pour périmètre le patrimoine affecté à l'activité en difficulté au jour du jugement d'ouverture. Cette affectation ne peut être modifiée, ce qui ne signifie pas que des biens qui relèvent d'un autre patrimoine ne puissent en être soustraits. 9

a) L'interdiction d'affectation ou de modification de l'affectation d'un bien compris dans le périmètre de la procédure La procédure ouverte à l'égard de l'entrepreneur individuel à responsabilité limitée concerne tout le patrimoine affecté à l'activité professionnelle tel qu'il est décrit dans la déclaration d'affectation prévue par l'article L. 526-7 du Code de commerce et publiée au registre prévu à cet effet. En cas d'hésitation sur le contenu du patrimoine affecté, il appartiendra au tribunal de la procédure de trancher les éventuelles contestations. Il est ensuite interdit à l'eirl d'affecter des biens après le jugement s'il en résulte une diminution de l'actif, sous peine de sanction. Aux termes de l'article L. 680-6 du Code de commerce, en effet, «le jugement d'ouverture d'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire emporte, de plein droit, jusqu'à la clôture de la procédure ou, le cas échéant, jusqu'à la fin des opérations du plan, interdiction pour tout débiteur d'affecter à une activité professionnelle un bien compris dans le patrimoine visé par la procédure ou, sous réserve du versement des revenus mentionnés à l'article L. 526-18, de modifier l'affectation d'un tel bien, lorsqu'il en résulterait une diminution de l'actif de ce patrimoine. Tout acte passé en violation des dispositions du présent article est annulé à la demande de tout intéressé ou du ministère public dans le délai de trois ans à compter de sa date». Ce texte pose un principe, une sanction et une exception. Le principe est celui de l'interdiction de plein droit, pendant toute la durée de la procédure du jugement d'ouverture à la clôture, soit d'affecter à une activité professionnelle un bien compris dans le patrimoine de la procédure, soit de modifier l'affectation d'un tel bien «lorsqu'il en résulterait une diminution de l'actif de ce patrimoine». Le patrimoine, assiette de la procédure, est donc figé à la date du jugement d'ouverture, ou du moins il ne peut pas être diminué. Il pourrait, le cas échéant, être augmenté. Comme pour toutes les interdictions (des paiements, des actes graves sans l'autorisation du juge-commissaire), la sanction est l'annulation de l'acte d'affectation ou de modification de l'affectation. Cette annulation est ouverte à tout intéressé et au ministère public dans un délai de trois ans à compter de l'acte. Le parallèle avec la sanction édictée par l'article L. 622-7 du Code de commerce est évident. 10

Cependant, une exception est prévue pour assurer le «versement des revenus mentionnés à l'article L. 526-18», c'est-à-dire pour que l'entrepreneur puisse verser dans son patrimoine non affecté des revenus du patrimoine affecté, ce texte énonçant que : «L'entrepreneur individuel à responsabilité limitée détermine les revenus qu'il verse dans son patrimoine affecté». Il semble qu'il ait toute liberté pour le faire et, malgré l'ouverture de la procédure, il conserve cette prérogative. On imagine mal l'absence de tout contrôle des organes de la procédure sur ces versements, car s'ils sont très importants, le patrimoine affecté sera vidé de sa substance et le gage des créanciers du patrimoine affecté réduit d'autant. b) L'exclusion des biens non affectés au patrimoine en cause Si le débiteur ne peut modifier l'affectation d'un bien après le jugement d'ouverture, il peut soustraire de la procédure des biens qui relèvent d'un autre patrimoine. En outre, certains biens n'entrent pas dans le patrimoine affecté si leur affectation est inopposable. La reprise des biens non affectés «au patrimoine en cause» est expressément prévue par l'article L. 624-19 du Code de commerce (nouveau). Ce texte prévoit, en effet, que «le débiteur entrepreneur individuel à responsabilité limitée établit, dans les conditions prévues par l'article L. 624-9, la consistance des biens détenus dans le cadre de l'activité à raison de laquelle la procédure a été ouverte qui sont compris dans un autre de ses patrimoines. L'administrateur, avec l'accord du mandataire judiciaire, peut acquiescer à la demande tendant à la reprise du bien. À défaut d'acquiescement ou en l'absence d'administrateur, la demande est portée devant le juge-commissaire. L'article L. 624-10-1 est applicable». Pour faciliter l'application de ce texte, il est prévu par l'article L. 622-6 que le débiteur entrepreneur individuel à responsabilité limitée doit faire figurer dans l'inventaire «les biens détenus dans le cadre de l'activité à raison de laquelle la procédure a été ouverte qui sont compris dans un autre de ses patrimoines et dont il est susceptible de demander la reprise dans les conditions prévues par l'article L. 624-19». L'ouverture de la procédure de prévention ou de traitement à l'égard de l'entrepreneur individuel à responsabilité limitée se traduit donc par une restriction de son périmètre au seul patrimoine affecté dans sa composition au jour du jugement d'ouverture. Ce patrimoine ne peut plus être diminué, si ce n'est des versements faits en application de l'article L. 526-18 du Code de commerce, et il n'inclut pas les biens dont l'affectation est inopposable. 11

L'acclimatation des procédures s'effectue sans difficulté «au patrimoine visé par la procédure». Cependant, l'application des règles du livre VI ne peut pas toujours être automatique. C'est pourquoi l'ordonnance du 9 décembre 2010 prévoit aussi des mesures d'adaptation. En dehors de ces quelques éléments mentionnés dans l'ordonnance de 2010, le déroulement d'une procédure collective touchant un entrepreneur individuel à responsabilité limitée ressemblera en tous points à celle ouverte à l'égard d'une autre entreprise. Simplement, la création du patrimoine affecté qui peut se combiner avec une déclaration d'insaisissabilité permettra, dans la majorité des situations, au chef d'entreprise de protéger son patrimoine personnel. Ainsi, sans passer par la création d'une personne morale, les risques liés à la création de l'activité seront limités sous réserve de bien respecter les obligations qui pèsent sur l'entrepreneur individuel à responsabilité limitée. 2. Le sort incertain des créanciers L'ordonnance du 9 décembre 2010, hormis des dispositions sur la reprise des poursuites des créanciers contre le débiteur (5), ne fournit pas d'indications détaillées sur la situation des créanciers au cours de la procédure visant une activité à laquelle un patrimoine est affecté. L'article L. 680-3 du Code de commerce issu de l'ordonnance affirme que les dispositions du droit des procédures collectives visant les créanciers s'appliquent dans les limites du seul patrimoine affecté à l'activité en difficulté. Ils conservent l'exercice de leurs droits sur les autres patrimoines. Dans la procédure ouverte, il faut donc en déduire que les règles de droit commun seront applicables aux créanciers. L'une des difficultés sérieuses pourra être alors de bien identifier les créanciers qui doivent participer à la procédure touchant le patrimoine affecté ou le patrimoine non affecté abritant une activité économique. D'une part, si l'entrepreneur mène des activités sous couvert de plusieurs patrimoines, il pourra être délicat de rattacher les créances à une activité, l'article L. 526-6 du Code de commerce précisant qu'il doit utiliser une dénomination incorporant son nom, ce qui est de nature à créer des confusions. 12

Entrevoyant les risques de confusion qui pourraient naître du manque de précision de la disposition légale, le décret du 29 décembre 2010 impose une dénomination par patrimoine affecté à une activité, dénomination qui comprend le nom de l'eirl. Quoi qu'il en soit, la tâche du mandataire chargé de la vérification des créances risque d'être ardue. D'autre part, il conviendra, au cas par cas, de déterminer la situation des créanciers au regard de l'affectation. En effet, la loi du 15 juin 2010 pose dans différents textes des règles d'opposabilité ou d'inopposabilité des affectations réalisées par l'entrepreneur, cette affectation ne pouvant être bloquée par l'action des créanciers. Ainsi, pour les créanciers antérieurs à la déclaration d'affectation, leur situation dépendra de la démarche accomplie par l'entrepreneur individuel à responsabilité limitée. Si la déclaration ne leur a pas été rendue opposable selon le processus assez formaliste prévu à l'article L. 526-12 du Code de commerce, les créanciers antérieurs à la déclaration, quelle que soit la nature de leurs créances, devront participer à la procédure puisqu'ils conservent l'ensemble des biens de leur débiteur comme gage. Cette entrée dans la procédure nécessite alors une déclaration de créance dans les conditions du droit commun. Elle ne les privera pas de leurs droits sur des biens situés dans un patrimoine non touché par la procédure, par exemple le patrimoine non affecté. Il en ira de même pour l'affectation de certains biens soumis à des formalités particulières, comme les biens immobiliers, les biens communs, les biens indivis, puisqu'à défaut de les respecter, l'affectation est déclarée inopposable aux créanciers antérieurs. L'entrepreneur individuel à responsabilité limitée ne peut pas éviter cette inopposabilité en utilisant la procédure prévue à l'article L. 526-11 du Code de commerce. Ainsi, dans la procédure collective touchant un EIRL, on assistera à une multiplication des catégories de créanciers dont les droits et les obligations pourront être différents. Il y aura les créanciers de l'entrepreneur dont la créance est née antérieurement au dépôt de la déclaration auxquels, sauf procédure particulière, la déclaration n'est pas opposable et qui conservent leur gage sur les biens affectés. Les créanciers dont les droits sont nés postérieurement à la déclaration subissent de plein droit l'affectation et, selon la nature de leur créance, ils ont comme gage exclusif soit le patrimoine non affecté, soit le patrimoine affecté. 13

Cette première distinction est bien sûr à prendre en compte pour déterminer le champ d'application des principes du livre VI du Code de commerce. Ensuite, se greffera sur cette première distinction celle, traditionnelle, des créanciers antérieurs et des créanciers postérieurs du droit des procédures collectives. II. Les atteintes à la séparation du patrimoine professionnel/personnel de l'entrepreneur individuel à travers le droit des entreprises en difficulté A. La remise en cause de l'opposabilité de l'affectation durant le déroulement de la procédure Il est permis de constater que certaines dispositions applicables aux entreprises en difficulté viennent gommer la séparation des patrimoines prééminente dans l'eirl en permettant d'atteindre le patrimoine non affecté tandis que d'autres sanctionnent le débiteur qui a méconnu l'affectation de patrimoine qu'il avait créée en détournant des biens ou en organisant son insolvabilité. Toutes mettent en exergue la fragilité certaine du cloisonnement patrimonial. 1. L'appréhension du patrimoine non affecté La possibilité d'atteindre le patrimoine non affecté limite l'efficacité de l'affectation patrimoniale. Le législateur était très attendu sur ce point et il a transposé les règles de la procédure collective à l'entrepreneur individuel à responsabilité limitée, bien que certaines concernent la situation différente des dirigeants de personne morale. Dans cette perspective de sanction de la fraude ou des fautes commises, l'ordonnance prévoit une action en réunion de biens non affectés au patrimoine affecté, une action en responsabilité pour insuffisance d'actif ainsi que la possibilité pour les créanciers de reprendre les poursuites individuelles sur le patrimoine affecté. a) Réunion de biens non affectés à la procédure en cause Selon l'article L. 621-2 du Code de commerce, la procédure ouverte peut être étendue à d'autres personnes en cas de confusion de leurs patrimoines ou de fictivité de la personne morale. 14

L'article 3 de l'ordonnance du 9 décembre 2010 ajoute à ce texte que : «Dans les mêmes conditions, un ou plusieurs autres patrimoines du débiteur entrepreneur individuel à responsabilité limitée peuvent être réunis au patrimoine visé par la procédure». La réunion des biens affectés sera possible dans quatre cas : en premier lieu, «en cas de confusion» par l'eirl du patrimoine «visé par la procédure» avec un autre patrimoine (et notamment avec le patrimoine non affecté), ce qui suppose que soient remplies les conditions habituelles de l'action en extension : une imbrication de biens, des flux financiers anormaux ou des relations financières anormales entre les patrimoines. La jurisprudence qui s'est forgée sur la confusion des patrimoines semble transposable, qu'elle concerne la confusion des patrimoines de personnes physiques ou celle des patrimoines de personnes morales. En revanche, l'hypothèse de la fictivité de la personne morale comme cause d'extension est exclue puisque l'affectation de patrimoine de l'eirl se produit sans création de personne morale ; en deuxième lieu, lorsque l'entrepreneur a commis un manquement grave aux règles de l'article L. 526-6, alinéa 2. Ce texte donne, en principe, toute liberté à l'entrepreneur pour composer son patrimoine d'affectation, mais il prévoit qu'«un même bien, droit, obligation ou sûreté ne peut entrer dans la composition que d'un seul patrimoine affecté». En cas de méconnaissance grave de cette interdiction, si l'entrepreneur a utilisé, par exemple, le même bien pour deux patrimoines, malgré le cantonnement patrimonial, le tribunal pourra ordonner la réunion d'un ou de plusieurs patrimoines à celui de la procédure ; en troisième lieu, cette réunion sera également possible lorsque l'entrepreneur a failli aux obligations prévues à l'article L. 526-13 de tenir une comptabilité autonome pour l'exercice de l'activité professionnelle à laquelle le patrimoine est affecté ou de faire ouvrir dans un établissement de crédit un ou plusieurs comptes bancaires exclusivement dédiés à cette activité ; enfin, elle est recevable lorsque l'eirl aura commis «une fraude à l'égard d'un créancier titulaire d'un droit de gage général sur le patrimoine visé par la procédure». Dans tous ces cas, un ou plusieurs patrimoines non affectés à la procédure peuvent être réunis à l'actif de celle-ci. L'objectif est de limiter l'affectation patrimoniale parce que les règles qui la gouvernent n'ont pas été respectées. Il en est de même en cas d'action en responsabilité pour insuffisance d'actif. 15

b) Action en responsabilité pour insuffisance d'actif L'article L. 651-2 du Code de commerce énonce que «lorsque la liquidation judiciaire a été ouverte ou prononcée à raison de l'activité d'un entrepreneur individuel à responsabilité limitée à laquelle un patrimoine est affecté, le tribunal peut, dans les mêmes conditions, condamner cet entrepreneur à payer tout ou partie de l'insuffisance d'actif. La somme mise à sa charge s'impute sur son patrimoine non affecté». L'action en responsabilité permet donc d'atteindre le patrimoine non affecté, c'est-à-dire, en général, le patrimoine personnel. Mais, compte tenu de la rédaction adoptée, en cas de pluralité d'activités et de patrimoines affectés, l'action ne permet pas d'atteindre les autres patrimoines affectés. À cet égard, l'ordonnance traite l'eirl comme un dirigeant de personne morale qui aurait par sa faute conduit la personne morale dirigée à la liquidation. Mais l'expression «personne morale» est remplacée par celle d'«activité», ce qui évite d'évoquer l'«entreprise» et de personnaliser celle-ci. Si l'eirl ne paie pas les sommes mises ainsi à sa charge, il est exposé à la sanction de la faillite personnelle. c) Reprise des poursuites individuelles L'ordonnance met aussi en place un nouveau cas de reprise des poursuites en cas de clôture de la liquidation judiciaire pour insuffisance d'actif. Si celle-ci est prononcée à l'issue d'une procédure ouverte à raison de l'activité d'un débiteur entrepreneur individuel à responsabilité limitée à laquelle un patrimoine est affecté, le tribunal, en cas de fraude à l'égard d'un ou de plusieurs créanciers, peut autoriser les actions individuelles de tout créancier sur les biens compris dans le patrimoine non affecté de cet entrepreneur. Les créanciers peuvent ainsi briser la séparation des patrimoines à titre de sanction du comportement frauduleux de l'entrepreneur. 2. Les sanctions du non-respect de la séparation des patrimoines Les sanctions de la procédure collective peuvent s'appliquer malgré l'absence de personnalité distincte au débiteur entrepreneur individuel à responsabilité limitée. L'ordonnance du 9 décembre 2010 les adapte afin de le punir lorsqu'il a détourné des biens de la procédure ou a cherché à organiser son insolvabilité. 16

a) Les sanctions des détournements au préjudice du patrimoine affecté Il s'agit de nouveaux cas de faillite personnelle, d'interdiction de gérer et de nullité. L'article L. 653-3 du Code de commerce, qui énonce les cas de faillite personnelle (reprenant les cas de l'ancienne obligation aux dettes), est complété de façon à retenir à l'encontre d'un entrepreneur individuel à responsabilité limitée trois séries de faits : «avoir disposé des biens du patrimoine visé par la procédure comme s'ils étaient compris dans un autre de ses patrimoines ; sous le couvert de l'activité visée par la procédure masquant ses agissements ; avoir fait des actes de commerce dans un intérêt autre que celui de cette activité ; avoir fait des biens ou du crédit de l'entreprise visée par la procédure un usage contraire à l'intérêt de celle-ci à des fins personnelles ou pour favoriser une autre personne morale ou entreprise dans laquelle il était intéressé directement ou indirectement». L'ordonnance traite, à nouveau, l'entrepreneur individuel à responsabilité limitée comme un dirigeant de personne morale et punit par la faillite personnelle les détournements de biens du patrimoine affecté. Cette transposition est tout de même étonnante car, à défaut d'écran d'une personne morale, l'eirl est sanctionné pour avoir utilisé les biens du patrimoine soumis à la procédure comme s'ils étaient compris dans un autre patrimoine alors qu'il en est propriétaire. Mieux encore, il est sanctionné pour faire des biens et du crédit de l'«entreprise» (qui est son entreprise) un usage contraire à l'intérêt de celle-ci. Dans cette troisième hypothèse, le législateur se trahit et ne fait plus référence à l'«activité», mais à l'«entreprise» pour exiger le respect de son intérêt. Ce faisant, il personnifie l'«entreprise» et la substitue à la personne morale... Il est bien difficile de concevoir un patrimoine d'affectation sans raisonner comme s'il s'était produit une création de personne morale. Ce cas de faillite personnelle ressemble à s'y méprendre à l'abus de biens sociaux! L'interdiction de gérer voit aussi son domaine étendu, car elle «peut encore être prononcée à l'encontre de l'entrepreneur individuel à responsabilité limitée qui, de mauvaise foi, n'aura pas donné suite à la demande du juge-commissaire de produire les justificatifs mentionnés à l'article L. 641-11». 17

L'ordonnance crée, enfin, un nouveau cas de nullité de droit lorsque le débiteur est un entrepreneur individuel à responsabilité limitée. Selon l'article L. 632-1, I, est nulle de droit «toute affectation ou modification dans l'affectation d'un bien, sous réserve du versement des revenus mentionnés à l'article L. 526-18, dont il est résulté un appauvrissement du patrimoine visé par la procédure au bénéfice d'un autre patrimoine de cet entrepreneur». Est ainsi sanctionné l'appauvrissement au cours de la période suspecte dans le but de soustraire un bien au patrimoine affecté en le faisant entrer dans un autre patrimoine que celui qui est visé par la procédure. L'effet de l'annulation sera de réintégrer dans le patrimoine affecté le bien qui en avait été frauduleusement soustrait. Cette nullité n'est évidemment pas envisageable lorsque l'entrepreneur fait des versements de revenus sur son patrimoine personnel puisque la loi lui en donne l'autorisation, voire lui en fait l'obligation. Si les versements sont très élevés, ils ne seront pas susceptibles d'annulation. b) La sanction de l'organisation d'insolvabilité au préjudice des différents patrimoines Le délit de banqueroute est peu modifié par l'ordonnance du 9 décembre 2010. Néanmoins, l'article L. 654-9, 1, qui punit des peines de la banqueroute le fait, dans l'intérêt des personnes mentionnées à l'article L. 654-1, de soustraire, receler ou dissimuler tout ou partie des biens meubles ou immeubles de celles-ci, est complété par la précision suivante : «ces biens étant, si la personne est un entrepreneur individuel à responsabilité limitée, ceux du patrimoine visé par la procédure». Le texte sanctionne des détournements au préjudice du patrimoine affecté. En outre, l'article L. 654-14 relatif à l'organisation de leur insolvabilité par les dirigeants est complété par l'alinéa suivant : «Est puni des mêmes peines le fait, pour l'entrepreneur individuel à responsabilité limitée, qui a fait l'objet d'un jugement d'ouverture d'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire à raison d'une activité à laquelle un patrimoine est affecté, de mauvaise foi, en vue de se soustraire au paiement d'une condamnation susceptible d'être prononcée ou déjà prononcée en application du deuxième alinéa de l'article L. 651-2, de détourner ou de dissimuler, ou de tenter de détourner ou de dissimuler, tout ou partie de ses biens de son patrimoine non affecté, ou de se faire frauduleusement reconnaître sur ce dernier débiteur de sommes qu'il ne devait pas». 18

C'est un détournement ou un appauvrissement au préjudice du patrimoine non affecté qui est ici sanctionné. L'entrepreneur individuel à responsabilité limitée tente d'échapper aux effets d'une condamnation à répondre sur le patrimoine non affecté des dettes du patrimoine affecté en application de l'article L. 651-2, alinéa 2. B. Les faiblesses de l'eirl, les lacunes de la déclaration notariée d'insaisissabilité, vers un statut unique de l'entrepreneur individuel? Si la séparation des patrimoines n'a pas de succès, ce qui serait regrettable, car cette technique favorise la libre entreprise, le reproche ne devrait pas pouvoir en être fait au droit des entreprises en difficulté. Son cantonnement de principe au patrimoine affecté semble relativement aisé. En réalité, toute l'efficacité du dispositif d'affectation patrimoniale est subordonnée à la rigueur et à la discipline de l'entrepreneur. Il doit respecter l'engagement pris, tenir une comptabilité sérieuse et ponctuelle et s'abstenir de toute fraude à l'égard de ses créanciers. Là où est l'avantage la limitation du risque pris, là est la charge : respecter le périmètre du patrimoine d'affectation! L'EIRL est exposée aux mêmes dangers que l'eurl, mais la technique d'organisation de l'entreprise n'exige pas la constitution d'une personne morale. Il s'agit, à n'en point douter, d'un progrès sensible du droit de l'entreprise. D'un autre côté, le dispositif de la déclaration notariée d'insaisissabilité mérite d'être complété afin qu'elle soit correctement prise en compte dans le cadre des procédures collectives. Dans la mesure où le bien insaisissable sera généralement saisi, il serait préférable de l'inclure dans la procédure au bénéfice de tous les créanciers. Par ailleurs, comme l'a relevé le professeur Françoise Pérochon, il est regrettable que la déclaration notariée d'insaisissabilité ne puisse pas être rendue opposable aux créanciers professionnels antérieurs à sa publication, alors que le régime de l'eirl le permet, à condition bien sûr de ménager un droit d'opposition dans un délai suffisant. Cette critique rend davantage nécessaire la souscription d'une déclaration d'insaisissabilité dès la création de l'entreprise. La simplification du régime de l'eirl par la loi du 18 juin 2014 et la réduction de l'efficacité de la déclaration notariée d'insaisissabilité ne constituent-elles pas le prélude à un statut unique de l'entreprise individuelle? 19

(1) Cass. com., 28 juin 2011, n o 10-15482 : Bull. civ. IV, n o 109 (2) Cass. com., 13 mars 2012, n o 11-15438 : Bull. civ. IV, n o 53 (3) Cass. com., 23 avr. 2013, n o 12-16035 (4) Cass. com., 18 juin 2013, n o 11-23716 (5) C. com., art. L. 643-11. 20