DOSSIER THEMATIQUE LES INFLUENCES SUR LES GROUPES Xavier BEILLAS En psychologie lorsque l'on étudie des groupes on parle de psychologie sociale. Mais qu'est ce que la psychologie sociale? «La psychologie sociale s intéresse à un certain nombre d évènements psychologiques qui sont les comportements, les jugements, les affects et les performances des êtres humains en tant qu ils sont membres de collectifs sociaux ou en tant qu ils occupent des positions sociales.» Jean-Léon Beauvois On peut définir plusieurs types de collectifs sociaux : 1. LA FOULE On peut parler de foule quand des individus se trouvent réunis en grand nombre au même endroit, sans avoir cherché explicitement à se réunir. La situation de foule développe un état psychologique propre : - Passivité des gens réunis envers tout ce qui n est pas la satisfaction immédiate de leur motivation individuelle. - Absence ou faible niveau des contacts sociaux et des relations inter-humaines. - Contagion des émotions et propagation rapide à l ensemble d une agitation née en un point. - Stimulation latente produite par la présence massive des autres, qui peut éclater sous forme d actions collectives passagères et paroxystiques (violente ou enthousiaste), ou apathie collective imperméable à presque toutes les interventions. 2. LA BANDE Ce sont des individus réunis volontairement, pour le plaisir d être ensemble, par recherche du semblable. «La foule a la solitude en commun, une bande a la similitude.» - Chez l animal isolé qui s agglutine à une bande, on note un changement de taille, de couleur, de forme de certains organes pour ressembler aux autres animaux. - Même phénomène chez les humains : membres d une bande tendent à multiplier les signes extérieurs de ressemblance : posture, habillement, toilette (coiffure), le langage, objets exhibés 3. LE GROUPEMENT On parle de groupement à partir du moment ou des personnes se réunissent, que ce soit en nombre petit, moyen ou élevé, avec une fréquence de réunions plus ou moins grande, avec une permanence relative des objectifs dans l intervalle des réunions. Exemples : associations loi 1901 : club, école, amicale, classe, coopérative, corporation, fédération, parti, syndicat On distingue deux types de groupement : 3.1. Groupe primaire - Nombre restreint de membres, tel que chacun puisse avoir une perception individualisée de chacun des autres, être perçu réciproquement par lui et que de nombreux échanges inter-individuels puissent avoir lieu. - Poursuite en commun et de façon active des mêmes buts, dotés d une certaine permanence, assumés comme buts du groupe, répondant à divers intérêts des membres et valorisés.
- Relations affectives pouvant devenir intenses entre les membres (sympathies, antipathies ) et constituer des sous groupes d affinités. - Forte interdépendance des membres et sentiments de solidarité ; union morale des membres du groupe en dehors des réunions et des actions en commun. - Différenciation des rôles entre les membres. - Constitution de normes, de croyances, de signaux et de rites propres au groupe (langage et code du groupe). Exemple : brigade, clan, comité, commando, commission, communauté, jury, patrouille, noyau, secte, tribu, famille et équipe. Par les échanges affectifs intenses qui se nouent entre ses membres, la famille est l exemple même du groupe primaire. Mais à cause des institutions sociales qui la régissent, elle est aussi un groupe secondaire. 3.2. Le groupe secondaire C est un système social qui fonctionne selon des institutions (juridiques, économiques, politiques, ) à l intérieur d un segment particulier de la réalité sociale (marché, administration, sport, recherche scientifique ). Exemple : Une entreprise industrielle, un hôpital, une école, un parti politique, famille élargie La distinction de ces cinq catégories ne doit pas masquer l existence de phénomènes groupaux communs : - l émergence de leaders - l identification des membres les uns aux autres à des degrés divers - l adhésion inconsciente à des représentations sociales imaginaires, des clichés, des stéréotypes. 4. LES GROUPES ET LEURS INFLUENCES Un groupe résiste au changement parce que tout changement déséquilibre ses fonctions habituelles, le contraignant à les réorganiser. Deux types d'influence : 4.1. L influence majoritaire (ou conformisme) C'est lorsqu'un individu change son comportement pour le mettre en adéquation avec le comportement d'un groupe majoritaire. Il existe trois aspects importants du conformisme qui permettent de le dissocier des autres formes d'influences sociales : - Le conformisme est un phénomène intra-groupe. - Le conformisme renvoie à une pression implicite (le groupe n'a pas une volonté explicite d'influencer un de ses membres, l'individu n'a pas toujours conscience d'être influencé). - Il n'y a pas de rapport hiérarchique entre la source et la cible d'influence. Les membres du groupe ont le même statut. La normalisation : - Évaluation du déplacement d un point lumineux dans le noir ; en groupe puis seul ou l inverse. - Les évaluations des sujets en groupe ont tendance à se rapprocher pour constituer une norme commune. La soumission à l autorité : MILGRAM Pour cette expérience, 600 sujets étaient recrutés par annonce de presse; L expérimentation se déroulait
dans un luxueux laboratoire de l université de Yales. La procédure est simple : On déclare aux participants que l on réalise une expérience sur la mémoire et que l on cherche à tester les effets de la punition sur le processus d apprentissage. On demande au sujet qui sera dans le rôle du professeur, de faire apprendre des paires de mots comme «chapeau ballon» à son élève. La consigne est simple : Si l élève donne une mauvaise réponse, le professeur doit lui administrer un choc électrique croissant de 15 volts à chaque erreur et cela de 15 jusqu à 450 Volts où il est d ailleurs indiqué «danger». L expérimentateur habillé de sa blouse blanche n a le droit de dire que quelques phrases telles que : «vous devez continuer» ou «il faut continuer» ou «continuez» ou «l expérience veut que vous poursuiviez» ; pour mettre quelques variantes.
Le conformisme : Expérience de Asch en 1951
But : montrer jusqu'à quel point l'individu peut changer son avis pour adhérer à celui défendu par la majorité. Des sujets entre dans une salle où 6 personnes sont déjà installées, se place sur l avant dernière chaise Tâche facile d évaluations de segments par rapport à un étalon Un par un les sujets répondent oralement à l expérimentateur Deux tours se passent normalement puis toutes les personnes répondent de façon erronée Que va faire le sujet??? Le sujet est en fait le naïf et les autres personnes des compères de l expérimentateur. 40% des cas les sujets naïfs ont suivi systématiquement l avis de la majorité. 25% des sujets ne se sont jamais ralliés aux fausses réponses 75% l ont fait systématiquement, une fois sur deux ou de temps en temps. 4.1.1. Comment expliquer le conformisme? Asch demande ensuite aux participants pourquoi ils ont abandonné leur avis personnel. Il obtient deux types de réponses : - La peur du ridicule, d'avoir l'air idiot, d'être rejeté (PEUR DE LA DESAPROBATION SOCIALE), - Le doute quant à la validité de sa propre réponse. Deux formes d'influences sociales expliquent le conformisme : - L'influence informationnelle : utilisation des réponses des autres pour avoir des informations sur l'exactitude de sa propre réponse. C'est un conflit cognitif. - L'influence normative : l'individu suit le groupe parce qu'il cherche à respecter les normes établies par celui-ci. C'est un conflit motivationnel. L'influence informationnelle est particulièrement importante quand on est confronté à une tâche que l'on ne maîtrise pas. L'influence normative est importante quand le groupe est important pour nous (des gens que l'on sera amené à revoir). 4.1.2 Les facteurs qui influencent le conformisme - caractéristiques de la tâche : difficulté, ambigüité - caractéristiques de la personne (cible d'influence) : - caractéristiques personnelles, confiance en soi (confiance en ses propres compétences, estime de soi) - caractéristiques sociales : culture, sexe... (ex : le comportement conformiste ne se manifeste pas avec la même force dans une culture collectiviste ou dans une culture individualiste) - caractéristiques du groupe (source d'influence) : taille, unanimité - relations personne-groupe (attrait au groupe, statut de l'individu au sein du groupe, interdépendance individu-groupe). 4.2. L'influence minoritaire (ou l'innovation) La majorité l'emporte souvent dans une situation de groupe, mais il n'y aurait jamais de changements
sans l'innovation. On définit l'innovation comme ceci : influence sociale minoritaire visant à créer des comportements nouveaux ou à modifier les comportements existants. Elle est d autant plus importante si le groupe minoritaire a les caractéristiques suivantes : - il est en conflit avec la majorité ; - il est vécu par la majorité comme appartenant pleinement au groupe ; - il est vécu par la majorité comme indépendant, c est à dire ni manipulé ; - ni soumis à des intérêts particuliers ; - il est consistant, c est à dire qu il fait preuve de fermeté dans l énoncé répété de ses arguments et opinions ; - il est flexible, c est à dire qu il fait de légères concessions; - il expose un point de vue cohérent avec les normes latentes de la majorité. Là où la majorité impose immédiatement l évidence de son point de vue, la minorité sape lentement les certitudes majoritaires en comptant sur la répétition et le temps. 4.2.1. L'expérience de Moscovici, Lage et Naffrechoux (1969) Expérience construite à l'image de l'expérience de Asch sur le conformisme : - Constitution de groupes de six personnes confrontées à une tâche perceptive relativement évidente (évaluer successivement la couleur et l'intensité lumineuse de six diapositives bleues). Quatre participants "naïfs", deux compères (qui joueront les innovateurs). Les participants et compères donnent à tour de rôle et à haute voix leur réponse, les compères sont en position 1 et 2. - Les deux compères donnent une réponse erronée quant à la couleur (vert) - Mise en place de groupe "contrôles" composés de 6 sujets naïfs qui donnent leur réponse par écrit (on connaît ainsi le pourcentage d'erreur). Dans la situation expérimentale, les participants se rallient à la mauvaise réponse donnée par les compères dans 8,25% des cas, contre 0,25% d'erreurs dans les groupes contrôles. Une majorité peut être cible d'influence, mais une minorité semble avoir plus de difficultés à influencer qu'une majorité. Deuxième étude, effectuée sur les mêmes participants que ceux de la première étude : But : analyser l'impact dû à l'influence minoritaire sur les plans psychologique et perceptif (pas sur le plan comportemental). Un expérimentateur présente aux participants une série de pastilles allant du bleu au vert. Leur tâche est de classer les pastilles en deux groupes bleu/vert. Suite à une influence minoritaire, les participants voient les couleurs plus vertes, ils ont abaissé leur seuil de détection du vert. Les participants classent plus de pastilles dans le vert que ceux du groupe contrôle. Il y a une modification plus ou moins inconsciente de la perception visuelle. L'influence minoritaire influence + les structures psychologiques que les structures comportementales. 4.2.2. Comment expliquer l'influence minoritaire? La minorité a une influence sur la majorité mais doit faire preuve de consistance (être catégorique, avoir et maintenir une position cohérente). Cette consistance se situe sur deux plans :
Expérience : Les compères ne sont pas toujours d'accord entre eux (pas de consistance sociale) et changent d'avis d'une fois sur l'autre (pas de consistance interne). Les résultats confirment l'absence d'influence (quasi égalité avec les groupes contrôle). Expérience : Les compères adoptent un comportement plus flexible mais toujours consistant. L'influence est encore plus importante (21% des participants suivent la réponse erronée). Face à une minorité consistante (interne + sociale), les individus se voient confrontés à des personnes qui semblent convaincues de leur position et qui semblent avoir raison d'être convaincues puisque cette position acquiert une certaine validité, étant partagée. L'individu se laisse donc influencer. 4.2.3. Comparaison conformisme/innovation