Chapitre premier Le niveau moyen planétaire de la mer : son élévation pendant le XX e siècle et les prévisions pour le XXI e siècle La surface des océans et des mers connaît des modifications périodiques ou aléatoires, dans le temps et dans l espace, qui la font monter ou descendre au gré des mouvements des marées, des vagues et des courants ; des changements de la pression atmosphérique ; des variations de la température et de la salinité des eaux superficielles. En éliminant ces déformations de courte durée, on peut repérer un niveau moyen de la mer qui s identifie à l interface entre l hydrosphère marine et l atmosphère. En France, ce niveau moyen, qui correspond au 0 NGF (nivellement général de la France), fut déterminé dans l anse Calvo, près de Marseille, en calculant la moyenne altimétrique des hauteurs de la marée pendant la période allant du 3 février 1885 au 1 er janvier 1897 (fig. 1.1, p. 12). Il est matérialisé par un repère fixe scellé sur une paroi rocheuse. Mais les enregistrements marégraphiques ont montré depuis que ce niveau moyen a varié puisqu il s est élevé d une douzaine de centimètres en un siècle (fig. 1.2, p. 13). Il n est donc pas stable (Douglas et al., 2000).
12 Chap. I Le niveau moyen planétaire de la mer Figure 1.1 Le marégraphe de Marseille. 1. Les variations du niveau moyen de la mer 1.1. Le niveau planétaire de la mer Il existe un niveau général des océans et des mers. Il coïncide avec le géoïde* dont la surface est caractérisée par des bosses et des creux de plusieurs dizaines de mètres de dénivellation (Pirazzoli, 1996a). Ces déformations s expliquent par les différences de densité de la matière à l intérieur de la terre. Les variations du niveau marin à l échelle planétaire sont dites eustatiques. Elles dépendent essentiellement de modifications dans le volume des cuvettes océaniques ou/et dans le volume des eaux océaniques. Le premier cas relève de l eustatisme* diastrophique ou tectonoeustatisme, expliqué par la tectonique des plaques, dont les mouvements à partir des dorsales océaniques* contribuent à changer la contenance de l océan mondial. Mais les variations du niveau marin ainsi induites sont très lentes puisqu elles doivent être de l ordre de un centimètre tous les mille ans. En revanche, celles qui sont dues à des modifications dans le volume des eaux marines peuvent être rapides, en particulier dans le cas du glacio-eustatisme. Ainsi, il y a environ 18 000 mille ans, au moment
élévation et prévisions 13 4675 325 4650 300 4625 275 4600 250 4575 225 4550 200 4525 175 4500 150 4475 125 4450 100 4425 75 4400 50 4375 25 4350 0 4325 25 4300 50 1860 1870 1880 1890 1900 1910 1920 1930 1940 1950 1960 1970 1980 1990 années hauteur locale à Brest (mm) hauteur NGF à Marseille (mm) Brest : valeurs annuelles Marseille : valeurs annuelles Brest : moyenne sur 19 ans Marseille : moyenne sur 19 ans Brest : + 1,24 ± 0,03 mm/an Marseille : + 1,20 ± 0,07 mm/an Figure 1.2 Variations du niveau moyen de la mer à Brest (en haut) et à Marseille (en bas), d après Pirazzoli (2001).
14 Chap. I Le niveau moyen planétaire de la mer du maximum de la dernière époque glaciaire, lorsque quelque 70 millions de kilomètres cubes d eau étaient stockés sous forme de glace sur les continents, le niveau de la mer devait se situer à environ 120 m au-dessous de sa position actuelle. Douze mille ans plus tard, conséquence du réchauffement du climat qui avait réduit le volume des glaces continentales à environ 33 millions de kilomètres cubes, soit 30 millions de kilomètres cubes d eau, il était à peu de chose près voisin du niveau actuel, ce qui implique une vitesse moyenne de remontée du niveau de la mer de l ordre de 1 cm/an. Mais cette transgression postglaciaire a connu des accélérations temporaires. Ainsi, vers 14 000 ans BP*, pendant quatre siècles, la hausse du niveau marin s est faite à une vitesse moyenne de 4 à 5 cm/an (Bard et al., 1996). Les effets de la température (thermo-eustatisme) et de la salinité (halo-eustatisme) sur la densité de l eau, appelés effets stériques, contribuent aussi à faire varier le volume des eaux océaniques, donc le niveau marin. Par exemple, on estime qu un réchauffement de 1 C d une tranche d eau superficielle de 200 m d épaisseur provoquerait, par expansion thermique, un relèvement du niveau marin de l ordre de 20 cm. 1.2. L instabilité des continents Cette instabilité a plusieurs causes. Les plus importantes, parce qu elles agissent à peu près partout dans le monde, sont liées à l isostasie*. Il y a d abord la glacio-isostasie. Dans l hémisphère nord, elle affecte les côtes des continents qui, dans les hautes latitudes, furent alternativement couverts et découverts par d épaisses calottes de glaces du type inlandsis*, se formant et disparaissant au gré des variations climatiques du Quaternaire. Mais, par contre-coup, les rivages des régions voisines sont aussi touchés. Ainsi, le développement d un inlandsis provoque, par son poids, un affaissement de la croûte terrestre, tandis que, à sa périphérie, celleci se soulève par compensation. Sa disparition aura des effets inverses. Cependant, du fait de la viscosité du manteau, les mouvements isostatiques se poursuivent, longtemps après les événements qui les ont déclenchés, avec une vitesse qui va en s amortissant. C est pourquoi, bien que l inlandsis qui couvrait le Canada ait disparu depuis 8 000 ans, ses côtes continuent à se soulever, à une vitesse de l ordre de 1 cm/an sur la côte est de la baie d Hudson, par exemple. Concomitamment, celles de la façade orientale des États-Unis s affaissent de 1 à 2 mm/an en moyenne. La fusion des inlandsis provoque, on l a dit, une élévation du niveau marin, accroissant ainsi le poids de la colonne d eau sur le fond des océans,
élévation et prévisions 15 50 46 1 0,8 0,6 0,4 0,6 0,8 1 42 4 0 4 8 Figure 1.3 Vitesses de subsidence, en millimètres par an, des côtes de la France continentale, selon le modèle de Lambeck & Johnston (1995) (d après Pirazzoli, 1998b). qui s enfonce. Ainsi, une colonne d eau de 100 m exerce une pression de l ordre de 100 t/m 2. En conséquence, de la matière profonde reflue vers les continents qui s exhaussent. Les côtes se situant à la charnière des uns et des autres, elles sont particulièrement sensibles à ces phénomènes d hydro-isostasie. Des modèles (Peltier & Tushingham, 1989 ; Lambeck & Johnston, 1995) sont proposés pour essayer de prévoir et de quantifier les mouvements d origine isostatique qui affectent les côtes à une échelle régionale (fig. 1.3).