LES CONDUCTEURS DE POIDS LOURDS ÉTRANGERS EN FRANCE : DES CONDITIONS DE TRAVAIL CONTRASTÉES ENTRE L EUROPE DU NORD ET L EUROPE DU SUD

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Transcription:

LES CONDUCTEURS DE POIDS LOURDS ÉTRANGERS EN FRANCE : DES CONDITIONS DE TRAVAIL CONTRASTÉES ENTRE L EUROPE DU NORD ET L EUROPE DU SUD Agnès d AUTUME Plus du quart du transport de marchandises sur le territoire national français est réalisé par des conducteurs de poids lourds immatriculés sous pavillon étranger. Ils y effectuent du transit, du transport international avec les partenaires commerciaux de la France, et plus rarement du cabotage (transport intérieur). En 2004, ces conducteurs sont généralement de même nationalité que celle de leur entreprise. Ancien dans le métier, le conducteur type travaille le plus souvent dans une entreprise de plus de 10 salariés. En transit près d une fois sur deux et en cabotage une fois sur dix, il parcourt 670 kilomètres par jour et passe deux nuits sur trois hors de son domicile. Il déclare travailler 58 heures par semaine et consacre 83 % de son temps à la conduite. En plus de son salaire net, il touche des compléments de rémunération (primes, bonus et surtout frais de route) et perçoit au total 2 500 euros par mois. Les conducteurs des pays d Europe du sud déclarent travailler un nombre d heures moins élevé et touchent généralement des rétributions plus faibles que ceux d Europe du nord. Quelles sont les conditions de travail des conducteurs de poids lourds étrangers circulant en France à l aube de l élargissement de l Union européenne à dix nouveaux membres? Ces premiers résultats, issus d une enquête réalisée «au bord des routes», en juin et juillet 2004, auprès de conducteurs de poids lourds de sept pays de l Union européenne (Royaume-Uni, Allemagne, Pays-Bas, Belgique, Italie, Espagne, Portugal), permettent d éclairer les conditions de la concurrence, en France, dans le transport routier. Un marché du travail ouvert à de nombreuses nationalités Ces conducteurs, désignés conducteurs «étrangers», peuvent être de nationalité française. Ils n ont, en effet, pas toujours la nationalité de la plaque d immatriculation de leur véhicule ; c est le cas de 17 % d entre eux. Ces derniers se répartissent entre trois groupes : 7 % de Français, 5 % de ressortissants des pays de l enquête et 5 % des ressortissants des pays non concernés par l enquête, dits conducteurs d «autres nationalités». Parmi ceux-ci, la moitié est native des pays de l Europe de l est (50 % sont Roumains et 50 % sont Polonais, Bulgares ou Russes), l autre moitié se répartit entre d autres pays de l Union européenne (Grèce, Irlande), les pays du Maghreb et d Amérique du sud (figure 1). Ce type d embauche transnationale concerne davantage les entreprises italiennes et espagnoles. En effet, parmi les conducteurs d «autres nationalités», les entreprises italiennes recrutent surtout des chauffeurs roumains, les entreprises espagnoles font appel à des conducteurs originaires des pays d Europe de l est et du Maghreb. Notes de synthèse du SES N 159 3 Mai-Juin-Juillet 2005

Figure 1 : Répartition des conducteurs «étrangers» selon la nationalité de leur entreprise Nationalité d'un des sept pays européens et différente de celle de leur entreprise 4,5% 5% 7% Nationalité française 83,5% "Autres nationalités" (dont la moitié des pays de l'est) Même nationalité que celle de l'entreprise Les conducteurs «étrangers» sont plus âgés, plus expérimentés et plus diplômés dans les pays d Europe du nord que dans ceux d Europe du sud Les caractéristiques des conducteurs «étrangers» mettent en évidence des profils différents entre les conducteurs d Europe du nord et ceux d Europe du sud. Les premiers sont plus âgés, plus expérimentés, plus diplômés. En effet, âgés de 42 ans en moyenne, les conducteurs «étrangers» provenant d Europe du nord ont deux ans de plus que ceux provenant d Europe du sud. Mais, ce qui les différencie le plus, c est la proportion des conducteurs âgés de 50 ans ou plus qui est moitié plus élevée. Par ailleurs, s agissant des conducteurs routiers français, circulant en France, leur profil se rapproche davantage de celui des conducteurs «étrangers» en provenance des pays d Europe du sud. Ces différences se retrouvent aussi au niveau de l ancienneté des chauffeurs routiers, mais à un degré moindre. Les conducteurs «étrangers» exercent leur métier depuis seize ans en moyenne, ceux d Europe du nord le font depuis deux ans de plus et ceux d Europe du sud depuis deux ans de moins. Cependant, l ancienneté dans l entreprise est de sept ans, en moyenne, avec de faibles variations selon les nationalités. D ailleurs, cette situation est proche de celle des routiers français. Près de la moitié des conducteurs «étrangers» a un diplôme professionnel de conducteur routier, autre que le permis de conduire. Trois quarts des conducteurs hollandais sont diplômés, alors qu à peine un tiers le sont en Espagne, Italie, Portugal et Belgique. Quant aux conducteurs routiers français, ils sont tenus de suivre une formation initiale mais aussi continue, qu ils soient salariés ou non. La directive européenne en matière de formation se limite essentiellement à celle délivrée pour l obtention du permis de conduire. En effet, peu de pays ont une formation initiale obligatoire à l exception des Pays-Bas. La plupart des conducteurs «étrangers» sont salariés, soit 92 %. Les artisans indépendants sont le plus souvent sous-traitants d un seul transporteur. Cette situation se rencontre surtout dans les entreprises portugaises mais rarement dans les entreprises belges ou hollandaises. Les conducteurs «étrangers» travaillent le plus souvent dans des grosses entreprises. Une fois sur deux, ils appartiennent à des entreprises de taille moyenne (entre 10 et 49 salariés) et une fois sur trois à des entreprises de plus de 49 salariés. Cette répartition est relativement homogène dans tous les pays concernés par l enquête. Toutefois, reflétant les différences de développement des pays et d intégration dans l Union, deux pays se singularisent : les Pays-Bas où les conducteurs travaillent plus souvent dans de grosses unités et le Portugal dans de petites unités. Notes de synthèse du SES N 159 4 Mai-Juin-Juillet 2005

Davantage de trafic international pour les Belges et les Néerlandais, plus de transit pour les Allemands et les Portugais et davantage de cabotage pour les Belges et les Italiens SOCIAL Transiter à travers la France, effectuer du transport international ou caboter sont les trois activités pratiquées par les conducteurs «étrangers» circulant sur le territoire français (voir définition). Les deux activités principales, transit et transport international, sont quasiment de même importance, respectivement 42 % et 45 % de l activité déclarée par les conducteurs. Le cabotage ne représente encore qu une activité marginale, soit 13 %. Mais, les entreprises, suivant leur situation géographique, sont plus orientées vers l une ou l autre activité. Ainsi, le transport international est l activité la plus répandue chez les Belges et les Néerlandais et représente la moitié de leurs déplacements (figure 2). Les entreprises allemandes, portugaises et espagnoles transitent davantage à travers la France que les entreprises des autres pays. Elles y consacrent, en effet, près d un trajet sur deux contre un trajet sur trois pour les entreprises belges et italiennes. Figure 2 : Répartition des activités des conducteurs «étrangers» selon la nationalité de l entreprise 60% 40% 20% 0% Allemagne Portugal Espagne Royaume- Uni ENSEMBLE Pays-Bas Italie Belgique transit international cabotage seul international+cabotage Le cabotage demeure faible sur le territoire français au regard de l ensemble du transport routier, bien qu il soit plus développé que dans les autres pays de l Union européenne. En 2004, 13 % des conducteurs déclarent faire du cabotage dont 3 % en association avec un transport international, le cabotage permet dans ce cas de rentabiliser les déplacements internationaux en minimisant leurs parcours à vide. La part du cabotage, liée à la proximité géographique, est plus développée pour les pavillons limitrophes de la France. Elle représente 16 % de l activité des conducteurs italiens et belges mais 11 % de celle des conducteurs portugais. Enfin, c est sous pavillon anglais que le cabotage est le plus souvent associé au transport international. Des conditions de travail contraignantes : un fort kilométrage et deux nuits sur trois en dehors de leur domicile Passer deux nuits sur trois hors de son domicile et conduire 670 kilomètres par jour sont les caractéristiques majeures des conditions de travail déclarées par les conducteurs «étrangers» qui circulent sur le territoire français. Elles varient peu selon la nationalité des entreprises avec, toutefois, des absences plus longues pour les conducteurs espagnols et portugais. En effet, les conducteurs «étrangers» s absentent de leur domicile, en moyenne, 19 nuits par mois qu ils passent pratiquement toujours dans leur cabine. 7 % d entre eux dépassent les 25 nuits. On ne dispose pas de cette information pour les conducteurs français à l international. Toutefois, à titre de comparaison, une Notes de synthèse du SES N 159 5 Mai-Juin-Juillet 2005

enquête de l Institut national de recherche sur les transports et leur sécurité, réalisée en 1999 sur un champ plus large à partir de carnets de temps remplis par les conducteurs, estimait à 15 par mois le nombre de nuits passés hors du domicile pour les grands routiers français effectuant à la fois du transport national et international. Au cours d une journée, les conducteurs «étrangers» déclarent parcourir, en moyenne, 670 kilomètres. En raison d une activité de transit plus développée que celle des autres conducteurs interrogés, les conducteurs des entreprises espagnoles ou portugaises parcourent davantage de kilomètres (700 kilomètres). Les conducteurs des entreprises anglaises, avec autant de transport international que de transit, conduisent moins de kilomètres par jour, soit 620 en moyenne. Au cours d une semaine, les conducteurs «étrangers» déclarent rouler 3 550 kilomètres. A titre de comparaison, les grands routiers français interrogés au «bord des routes» en 2002 en France, effectuant principalement du transport international, déclaraient parcourir en moyenne 2 930 kilomètres par semaine (voir méthodologie). Pour effectuer ces trajets, le double équipage est l exception et concerne seulement un déplacement sur dix. Les conducteurs portugais pratiquent ce mode de fonctionnement deux fois plus souvent que les autres. Ils parcourent alors davantage de kilomètres, soit 720 kilomètres par jour. Des durées de travail plus faibles pour les conducteurs d Europe du sud que pour les conducteurs d Europe du nord En 2004, la durée moyenne hebdomadaire de travail déclarée par les conducteurs routiers «étrangers» est de 58 heures, qu ils soient indépendants ou salariés. Cette durée, certes très élevée, dépasse 65 heures pour un conducteur sur quatre. Elle présente un éventail important : 50 heures en Italie et 63 heures aux Pays-Bas. En 2002, selon les relevés des chronotachygraphes, la durée de travail des conducteurs routiers français qui exercent une activité internationale à titre principal était de 55 heures. La réglementation commune du temps de travail en Europe, mise en place en 2005, n existait pas encore au moment de l enquête. Le temps de travail retenu dans l enquête est le temps déclaré par les conducteurs, indépendamment des législations en vigueur dans les différents pays (voir méthodologie). Ce temps de travail comprend les temps de conduite, les temps d attente lors des opérations de chargement ou de déchargement et les temps associés aux autres travaux (formalités administratives, entretien du véhicule ). La durée moyenne de travail met en évidence deux groupes de pays : ceux d Europe du nord avec des durées de travail plus longues et ceux d Europe du sud avec des durées plus faibles (figure 3). Figure 3 : Durée hebdomadaire moyenne de travail des conducteurs «étrangers» en France selon les pavillons en heures Italie 50 Espagne Portugal 52 54 ENSEMBLE Allemagne Royaume-Uni 58 59 60 Belgique 62 Pays-Bas 63 Notes de synthèse du SES N 159 6 Mai-Juin-Juillet 2005

9 heures de conduite en moyenne par jour SOCIAL La moitié des conducteurs «étrangers» déclare conduire 9 heures par jour. Les réponses sont très regroupées : un conducteur sur cinq conduit entre 9 et 10 heures et autant entre 8 et 9 heures. Le temps de conduite moyen égale le maximum prévu par la législation européenne, et ce résultat semble sous-estimé au regard des kilomètres parcourus. De faibles variations sont observées selon la nationalité des conducteurs : 8,4 heures de conduite journalière pour le conducteur anglais et 9,2 heures pour le conducteur hollandais (voir méthodologie). En revanche, la répartition des composantes des différents temps de service (voir définition) met en évidence les disparités entre les pays d Europe du nord et ceux d Europe du sud. Les conducteurs «étrangers» en France déclarent consacrer 83 % de leur temps à la conduite. Cette proportion est moins forte dans les pays d Europe du nord (81 %) que dans les pays d Europe du sud (86 %). A titre de comparaison, selon les relevés des chronotachygraphes, les conducteurs français circulant sur le territoire français passent trois quarts de leur temps au volant. Les disparités selon les nationalités se portent également sur la part du temps consacré aux «autres travaux», surveillance ou entretien du véhicule, formalités administratives, qui occupent en moyenne 7 % du temps de service, mais deux fois moins de temps dans les pays d Europe du sud que dans les pays d Europe du nord. Enfin, les conducteurs «étrangers» passent 10 % de leur temps en moyenne aux points d attente de chargement ou de déchargement, contre 13 % pour les conducteurs français roulant en France. La part de l attente, réduite pour les conducteurs espagnols et portugais, est liée en partie à une plus grande activité de transit (figure 4). Figure 4 : Répartition des composantes du temps de service des conducteurs «étrangers» Belgique Pays-Bas Royaume-Uni Allemagne Italie ENSEMBLE Espagne Portugal 0% 10% 20% 30% 40% 50% 60% 70% 80% 90% conduite autres travaux attente Les conducteurs «étrangers» touchent en moyenne 2 500 euros nets par mois dont un tiers sous forme de primes et de frais de route Les sommes perçues par les conducteurs «étrangers» se composent de salaire et de compléments de rétribution (primes et frais de route). Le salaire en constitue la part fixe et en représente les deux tiers. En 2004, le salaire net moyen des conducteurs de poids lourds étrangers s élève à 1 664 euros par mois avec un écart du simple au double selon les nationalités. Quant aux conducteurs français exerçant du transport international à titre principal, ils déclaraient, en moyenne, 1 700 euros nets par mois d après l enquête de 2002. Les compléments de rémunération sont versés sous forme de primes (primes au kilomètre, à l ancienneté, au respect du code de la route ), de bonus correspondant à des situations particulières (travail le dimanche ou les jours fériés, travail de nuit, heures supplémentaires ) et surtout de frais de route. Notes de synthèse du SES N 159 7 Mai-Juin-Juillet 2005

Parmi les primes, les plus fréquentes sont les primes au kilomètre et les primes de découcher. La prime au kilomètre, souvent interdite, parce qu elle inciterait au non-respect des règles de sécurité, concerne un conducteur «étranger» sur cinq en moyenne, mais un conducteur sur deux en Espagne et au Portugal. Les primes ne donnent pas lieu à des réglementations mais reflètent des pratiques différentes suivant les pays. Contrairement aux primes au kilomètre, les primes de découcher, perçues en plus des frais de route, concernent presque uniquement les conducteurs des pays d Europe du nord, soit un conducteur sur trois. Les majorations dues à des situations de travail particulières indemnisent plus souvent le travail des dimanches et des jours fériés que le travail de nuit ou les heures supplémentaires. Elles touchent davantage les conducteurs d Europe du nord que ceux d Europe du sud. Les frais de route, liés aux repas et à l hébergement, constituent le complément le plus important des rétributions des conducteurs «étrangers» bien que, de par leur nature, ils ne soient pas assimilés à une rémunération. En moyenne, ils représentent plus du quart des rétributions des conducteurs «étrangers» en France, et même un tiers pour les conducteurs des pays d Europe du sud. Cette proportion moyenne est proche de celle des conducteurs français exerçant principalement une activité internationale, qui s élevait à 25 % d après l enquête de 2002. Au total, d après l enquête, les rétributions nettes moyennes des conducteurs «étrangers» s élèvent à près de 2 500 euros par mois (figure 5). Figure 5 : Rétributions nettes mensuelles moyennes des conducteurs «étrangers» en France Portugal Espagne Italie ENSEMBLE Belgique Allemagne Royaume-Uni Pays-Bas en euros 0 500 1 000 1 500 2 000 2 500 3 000 salaire primes et frais de route L opposition entre les conditions de travail des conducteurs «étrangers» en provenance des pays d Europe du nord et ceux en provenance d Europe du sud se retrouve au niveau de l ensemble de leurs rétributions : plus élevées dans les pays d Europe du nord et plus faibles dans les pays d Europe du sud. Elle correspond à des différences de durée de travail mais également aux différentiels de standard de niveau de vie entre les pays (Portugal et les autres pays). Toutefois, l écart relatif de l ensemble des rétributions est plus resserré que celui des salaires qui était du simple au double. Partie flexible de la rétribution, les primes et les frais de route réduisent les écarts entre les sommes perçues par les conducteurs «étrangers». Les modalités différentes de rétribution entre les pays traduisent en partie des choix en matière de flexibilité mais aussi des différences de protection sociale. Notes de synthèse du SES N 159 8 Mai-Juin-Juillet 2005

Définitions Cabotage : chargement ou déchargement d une même marchandise, en France, effectué par un véhicule immatriculé dans un autre pays. Légal depuis 1998, il est réglementé et doit être temporaire. Temps de travail : en 2004, il n existait pas de réglementation commune européenne, pour le temps de travail des conducteurs routiers en Europe. Temps de service : temps durant lequel le conducteur est à la disposition de l entreprise, y compris les temps d attente, mais non compris les temps de pause. Temps de conduite : lors de l enquête, la conduite journalière maximale légale européenne était de 9 heures avec dérogation à 10 heures, deux fois par semaine. La conduite maximale sur deux semaines consécutives était de 90 heures. Législation européenne sur les conditions de travail des conducteurs routiers En 2004, année de l enquête, aucune législation européenne sur le temps de travail n était applicable pour les conducteurs de véhicules de plus de 3,5 tonnes. Les Etats de l Union européenne avaient en effet jusqu au 23 mars 2005 pour transposer la directive 2002/15 du 11 juin 2002 relative à l aménagement du temps de travail des conducteurs de transport routier de véhicules de plus de 3,5 tonnes. Jusqu à cette transposition, il n existait ni durée harmonisée du temps de travail, ni définition commune de ce temps, au niveau européen. Il y avait donc en 2004 une grande disparité tenant à l absence de durée maximum du temps de travail et à la prise en compte dans la durée du travail, ou non, de temps autres que la conduite. La transposition en France de la Directive européenne sur le temps de travail est définie par le décret du 31 mars 2005 (décret n 2005-306 du 31 mars 2005, JO du 1 er avril). Pour les grands routiers, le temps de service hebdomadaire est inchangé, en revanche la durée moyenne hebdomadaire maximale est passée de 50 à 53 heures, sur une période de référence portée de un à trois ou quatre mois. Les normes en matière de temps de conduite et de repos n ont pas été modifiées par cette directive et sont définies par la Réglementation Sociale Européenne (règlement 3820/85/Ce). Cette réglementation s applique à tous les conducteurs de véhicules de plus de 3,5 tonnes, effectuant un transport à l intérieur de l Union européenne, qu ils travaillent pour le compte d autrui ou en compte propre, comme salariés ou indépendants. Elle a pour objectif l harmonisation des conditions de concurrence et l amélioration des conditions de travail et de la sécurité routière. La conduite continue est de 4 heures 30 maximum, suivie d une interruption d au moins 45 minutes qui peut être fractionnée en deux ou trois périodes d une durée minimale de 15 minutes chacune. La conduite journalière est de 9 heures maximum, avec dérogation à 10 heures deux fois par semaine. De plus, sur 2 semaines consécutives, le temps de conduite ne peut pas dépasser 90 heures. Le repos journalier doit être de 11 heures consécutives minimum (par périodes de 24 heures). Il est possible de le réduire à 9 heures (au plus trois fois par semaine) ou de le porter à 12 heures (si repos fractionné), sous réserve de la prise d un repos compensateur avant la fin de la semaine suivante. Le repos hebdomadaire doit être de 45 heures consécutives (repos journalier compris). Cette période peut être réduite à 36 heures lorsque ce repos est pris au point d attache du véhicule ou au lieu de résidence du conducteur, ou à 24 heures s il est pris en dehors de ces lieux. Dans ces deux cas, une compensation doit être prise en bloc avant la fin de la troisième semaine. Notes de synthèse du SES N 159 9 Mai-Juin-Juillet 2005

Méthodologie L enquête a été réalisée par la direction des transports terrestres, en juin et en juillet 2004, auprès d un échantillon de 2 900 conducteurs employés par les entreprises européennes de transport routier de marchandises et circulant en France. Chaque conducteur est repéré à partir de la plaque d immatriculation de son véhicule. Sept pays de l Union européenne sont concernés par l enquête : Royaume-Uni, Allemagne, Pays-Bas, Belgique, Italie, Espagne et Portugal. L échantillon des conducteurs se compose de 400 conducteurs par pavillon. Les résultats d ensemble présentés dans cette enquête ont été redressés, sur la base d informations issues des enquêtes sur le transport routier de marchandises en Europe en 2003, afin de tenir compte de la part de marché des pavillons sur le territoire français des sept pays étudiés. Ainsi, des coefficients de pondération ont été affectés à tous les conducteurs d un même pavillon, quelle que soit leur activité déclarée à l enquête : Royaume-Uni (0,43), Allemagne (1,99), Pays-Bas (1,0), Belgique (1,86), Italie (0,78), Espagne (1,76) et Portugal (0,2). L enquête concerne les conducteurs d entreprises qui transportent des marchandises pour le compte d un client qui leur a confié la réalisation du transport (compte d autrui). Elle exclut les entreprises de déménagement et les entreprises qui font du transport pour compte propre ainsi que celles qui exercent une activité principale autre que celle de transport routier de marchandises. Il n existe pas, pour l instant, d enquête symétrique permettant d analyser la situation des conducteurs français à l étranger. L enquête auprès des conducteurs français interrogés au «bord des routes» en 2002 apporte quelques éléments de cadrage, à prendre avec prudence. Il s agit de grands routiers, passant au moins six nuits à l extérieur de leur domicile, interrogés dans leur propre pays (contrairement aux conducteurs «étrangers» interrogés en France). On a retenu ceux qui déclarent exercer du transport à l international à titre principal, durant la semaine précédant l interrogation. Pour en savoir plus - Les conditions de travail des conducteurs routiers étrangers : une enquête exploratoire. Notes de synthèse du SES N 122, mars-avril 1999, Franck Piot - Le transport routier de marchandises en Europe en 2002. Notes de synthèse du SES N 152, Mars-Avril 2004, Jean-Pierre Decure, Michel de Saboulin - Enquête auprès des conducteurs de poids lourds (automne 1999) : INRETS. Rapport final mars 2002. P.Hamelin, M. Lebaudy - 42 e rapport de la CCTN : Les transports en 2004 (juillet 2005) - Les cahiers de l observatoire du CNR : Analyse comparative du coût de personnel de conduite en Europe. Décembre 2003 www.cnr.fr/services/cahiers_observatoires - Projet ASTRE, «Analyse des Stratégies des Transporteurs Routiers en longue distance et en transit» Octobre 2005 - Journal officiel : décret sur le temps de travail des conducteurs dans les entreprises de marchandises (décret n 2005-306 du 31 mars 2005, JO du 1 er avril) Notes de synthèse du SES N 159 10 Mai-Juin-Juillet 2005