L effet filtre de la végétation

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Transcription:

L effet filtre de la végétation Les matériaux grossiers déposés par les crues ont pour effet de «casser» l énergie hydraulique. Si l obstacle est ajouré, comme dans le cas d un tas de branches, l énergie est filtrée à travers les trous et l eau est ralentie par les frottements des surfaces de contact. Une retenue d eau apparaît à l amont de l obstacle, provoquant, selon la vitesse restante, le dépôt de particules fines, sableuses ou limoneuses (fig. 1). Si l obstacle est massif, sans possibilité pour l énergie de le «traverser», le courant d eau sera dévié de part et d autre, laissant à l aval immédiat du barrage une zone tranquille, dans laquelle on observe même parfois des courants remontants. La figure 2 illustre un cas mixte, dans lequel des feuilles mortes se sont accumulées à l amont contre l obstacle (à droite), alors que d autres se sont déposées de manière tranquille à l aval, dans la zone calme (à gauche). Les gros troncs emportés lors des crues majeures (cf. aussi complément No 3) provoquent les mêmes effets (fig. 3). Les sédiments fins déposés retiennent l eau durant les périodes sèches, permettent aux microorganismes de se développer et sont autant de possibilités de réservoirs d éléments nutritifs, qui ne seraient sinon pas fixés par le matériel grossier. Les conditions deviennent alors favorables à la germination de toutes sortes de graines, de plantes, herbacées comme ligneuses (fig. 4). Quelques années plus tard, on pourra observer, dans ces zones d accumulation fine, les premiers stades d une nouvelle succession végétale. Ces plantes pionnières vont peu à peu se développer. Elles seront alors elles-mêmes des filtres actifs lors de crues ultérieures, permettant l accumulation de nouveau matériel, minéral, organique ou organo-minéral (cf. complément No 2), à leur aval (fig. 5) ou directement dans leurs touffes et tapis (fig. 6). Cette capacité de filtration et de retenue de matériel fin n est pas l apanage des plantes vasculaires. Un processus semblable a été mis en évidence à l échelle des bryophytes, sur des terrasses alluviales anciennes, stables, et souvent formées de matériel grossier (Arnold & Gobat, 1998). Avec le temps, des tapis de mousses se développent, dans lesquels sont bloqués des débris organiques très fins, ainsi que des sables et des limons (fig. 7 et 8). La quantité de matériel déposé dépend prioritairement de la hauteur des bryophytes, mais aussi de leur morphologie: taille et espacement des feuilles, ramification des tiges, etc. (fig. 9 et 10). Les minisols ainsi formés présentent des textures pouvant varier fortement d un horizon à l autre. Deux situations existent: soit le matériel est grossier en profondeur et devient plus fin en surface, soit il est plus ou moins fin de bas en haut du profil (fig. 11). Ces observations permettent d établir un modèle général de la formation de ces mini-sols, sur la base de deux processus de rétroaction (feedbacks), l un, positif, l autre, négatif (fig. 12). Dans les deux cas, et peu importe la situation de départ, les bryophytes provoquent la formation de sols dominés par les particules fines en surface, ce qui fournit d excellentes conditions pour la suite de l évolution du sol et de la végétation. Référence: Arnold, C. & Gobat, J.-M. - 1998. Modifications texturales des sols alluviaux de la Sarine (Suisse) par les Bryophytes. Ecologie, 29, 3: 483-492.

Fig. 1. Effet barrage suite à une accumulation de branches pendant une crue. Du matériel sédimentaire plus ou moins fin s accumule à l amont de l obstacle. Gasterntal, Berne, Suisse.

Fig. 2. Double effet de retenue de matériel organique à proximité d un obstacle. A droite, à l amont, accumulation par tassement contre le galet. A l aval, dépôt de quelques feuilles dans la zone tranquille. Gasterntal, Berne, Suisse.

Fig. 3. Rétention de matériel fin (branchettes, sables, limons) consécutif à l accumulation de gros bois déposés à la décrue. Gasterntal, Berne, Suisse.

Fig. 4. Les sédiments fins retenus par l effet filtre du gros tronc, désormais à demi enterré, facilitent la germination des herbacées et des buissons qui initient la succession végétale.

Fig. 5. Le buisson qui a profité d un obstacle pour germer et se développer devient à son tour agent de filtration lors d une nouvelle crue. On observe ces nouveaux dépôts à son aval, vers la droite.

Fig. 6. Accumulation de matériel fin organo-minéral à l intérieur et entre les touffes de l épilobe de Fleischer Epilobium fleischeri. Gasterntal, Berne, Suisse.

Fig. 7. Un tapis de mousses s est développé à la surface d une terrasse alluviale ancienne, constituée majoritairement de galets et de sable. Le matériel fin accumulé entre les tiges des bryophytes sert de base à la formation d un horizon organo-minéral peu développé, mais dans lequel la matière organique humifiée commence à s accumuler. Rossens, Fribourg, Suisse.

Fig. 8. Le matériel fin retenu par les mousses est bien visible dans cette touffe arrachée au sol et déposée à sa surface. Suisse.

Fig. 9. Exemples de formation de mini-sols par accumulation de matériel fin suite au rôle de filtre joué par quatre espèces de bryophytes. Noter la colonisation possible de matériel grossier (Tortella inclinata) ou de fin (les trois autres), les différences de taille et de morphologie, les types de débris retenus. D après Arnold et Gobat, 1998. Tortella inclinata Homalothecium lutescens Rhytidiadelphus triquetrus Barbula reflexa Légende Schéma : Claire ARNOLD et Jean-Michel GOBAT

Fig. 10. Relation entre la hauteur des mousses au-dessus du sol et le pourcentage de particules fines (< 50 µm) retenues dans la couche de surface du mini-sol. D après Arnold et Gobat, 1998. Schéma : Claire ARNOLD et Jean-Michel GOBAT

Fig. 11. «Trajectoire» des horizons des mini-sols formés par l accumulation de matériel fin dans les touffes de bryophytes. Barbula reflexa et Tortella inclinata s installent sur un substrat graveleux ou caillouteux mais, par effet filtre, elles retiennent du matériel fin et moyen qui forme ensuite la couche de surface. Homalothecium lutescens représente un cas d installation sur un substrat de texture moyenne, qui devient fin en surface par effet filtre. Enfin, Rhytidiadelphus triquetrus pousse sur un substrat relativement fin dès le départ, et le rend encore plus fin par effet filtre. D après Arnold et Gobat, 1998. Schéma : Claire ARNOLD et Jean-Michel GOBAT

Fig. 12. L évolution convergente des sols alluviaux suite à l action de filtration des bryophytes. Dans le cas A, la mousse qui s installe sur substrat grossier change totalement la texture en surface, rendant le sol beaucoup plus fin. Dans le cas B, la mousse croît sur un substrat fin, qu elle ne fait que renforcer. Au bout du compte, les deux mini-sols sont fins en surface, facilitant l installation de la végétation supérieure et de la faune. D après Arnold et Gobat, 1998. Schéma : Claire ARNOLD et Jean-Michel GOBAT