ROYAUME DE BELGIQUE POUVOIR JUDICIAIRE COUR DU TRAVAIL DE MONS ARRET AUDIENCE PUBLIQUE DU 8 OCTOBRE 2013 N 3 ème Chambre R.G. 2012/AM/341 Contrat de travail Secteur public Ouvrier contractuel Licenciement abusif. Article 578 du Code judiciaire Arrêt contradictoire, définitif. EN CAUSE DE : S. Christine, domiciliée à Appelante, comparaissant en personne, assistée de son conseil Maître Regniers loco Maître Van Haesebroeck, avocate à Erquelinnes ; CONTRE : Le CENTRE PUBLIC D ACTION SOCIALE DE CHARLEROI, en abrégé C.P.A.S. de CHARLEROI, Intimé, comparaissant par son conseil Maître Marie Fadeur loco Maître Michel Fadeur, avocat à Charleroi ; ******* La cour du travail, après en avoir délibéré, rend ce jour l arrêt suivant : Vu les pièces de la procédure, et notamment :
2 ème feuillet - la requête d appel déposée au greffe de la cour le 11 septembre 2012, dirigée contre le jugement contradictoire prononcé le 18 juin 2012 par le tribunal du travail de Charleroi, section de Charleroi ; - l ordonnance de mise en état judiciaire prise le 5 novembre 2012 en application de l article 747, 2, du Code judiciaire ; - les conclusions des parties ; Vu les dossiers des parties ; Entendu les conseils des parties, en leurs explications et plaidoiries, à l audience publique du 10 septembre 2013 ; FAITS ET ANTECEDENTS DE LA PROCEDURE Mme Christine S. a été occupée depuis le 2 octobre 1989 au service du C.P.A.S. de CHARLEROI en qualité d aide familiale (ouvrière), dans le cadre de différents contrats de travail de remplacement ou à durée déterminée, et ce jusqu au 1 er janvier 1998, date à laquelle les parties ont signé un contrat de travail à durée indéterminée. Par lettre recommandée du 11 septembre 2003, le C.P.A.S. de CHARLEROI a notifié à Mme Christine S. la décision du Bureau permanent du 10 septembre 2003 de mettre fin au contrat de travail moyennant paiement d une indemnité compensatoire de préavis égale à 56 jours de rémunération. Cette notification est motivée comme suit : «Depuis un an, vous totalisez 32 jours de maladie. Depuis 5 ans, vous totalisez 170 jours de maladie. Depuis l entrée, vous en totalisez 259. Cet absentéisme important motive ce congé». Le certificat de chômage C4 mentionne comme motif précis du chômage : «absentéisme incompatible avec le bon fonctionnement du service». Par lettre du 8 avril 2004, le conseil de Mme Christine S. a fait savoir au C.P.A.S. de CHARLEROI qu elle contestait catégoriquement le motif invoqué et l a invité à verser la somme de 12.446,04 au titre d indemnité pour licenciement abusif en application de l article 63 de la loi du 3 juillet 1978. Le C.P.A.S. de CHARLEROI y a opposé une fin de non recevoir. Par citation du 20 août 2004, Mme Christine S. a poursuivi la condamnation du C.P.A.S. de CHARLEROI à lui payer la somme de 12.446,04 au titre d indemnité pour licenciement abusif, à augmenter des intérêts judiciaires à dater de la citation et des frais et dépens.
3 ème feuillet Par conclusions déposées le 27 février 2012, Mme Christine S. a introduit une demande incidente ayant pour objet la condamnation du C.P.A.S. de CHARLEROI à lui payer la somme de 2.500 au titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de la perte d une chance de conserver son emploi suite au non respect de la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs. Par ces mêmes conclusions Mme Christine S. sollicitait également condamnation du C.P.A.S. de CHARLEROI aux intérêts légaux à dater du 11 septembre 2003 et des intérêts judiciaires à dater de la citation. Par jugement prononcé le 18 juin 2012, le premier juge a débouté Mme Christine S. de sa demande relative à l indemnité pour licenciement abusif et a pour le surplus ordonné la réouverture des débats pour permettre aux parties de s expliquer sur : 1) l applicabilité dans le temps du Code de la démocratie locale et de la décentralisation (ou de toute autre disposition prévoyant des dispositions similaires antérieurement à l entrée en vigueur dudit Code) ; 2) sur le champ d application des dispositions invoquées, quant aux autorités publiques visées. OBJET DE L APPEL Mme Christine S. a interjeté appel du jugement du 18 juin 2012 par requête déposée au greffe de la cour le 11 septembre 2012. Elle sollicite la cour de condamner le C.P.A.S. de CHARLEROI à lui payer la somme brute de 12.446,04 au titre d indemnité pour licenciement abusif sur base de l article 63 de la loi du 3 juillet 1978 et la somme de 2.500 évaluée ex aequo et bono au titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de la perte d une chance de conserver son emploi suite au non respect de la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs, ces deux sommes étant à augmenter des intérêts légaux à dater du 11 septembre 2003 et des intérêts judiciaires à dater de la citation, ainsi que des frais et dépens des deux instances liquidés à la somme de 2.518,81. En ce qui concerne l indemnité pour licenciement abusif, Mme Christine S. fait valoir que : 1) la lettre de rupture du 11 septembre 2003 ne répond pas aux exigences de la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs 2) seul l absentéisme est visé dans la lettre de rupture et le C.P.A.S. de CHARLEROI, employeur public, n est pas en droit d invoquer d autres motifs, comme les nécessités du fonctionnement de l entreprise 3) le C.P.A.S. de CHARLEROI est en défaut de rapporter la preuve certaine et rigoureuse du motif justifiant le licenciement et le premier juge n a pas correctement apprécié les éléments concrets du dossier. En ce qui concerne la somme de 2.500 réclamée au titre de dommages et intérêts, Mme Christine S. soutient que la demande n est pas prescrite car le C.P.A.S. de CHARLEROI n a pas respecté l'article L 1561-2, 4, du Code wallon de la démocratie locale et de la décentralisation. La somme de
4 ème feuillet 2.500 représente l évaluation ex aequo et bono du préjudice résultant de la perte d une chance de conserver son emploi. Il s agit de la sanction du non respect du principe de droit administratif relatif à l audition préalable du travailleur. DECISION Recevabilité L appel, régulier en la forme et introduit dans le délai légal, est recevable. Fondement Indemnité pour licenciement abusif 1. L article 63 de la loi du 3 juillet 1978 dispose qu est considéré comme licenciement abusif, le licenciement d un ouvrier engagé pour une durée indéterminée effectué pour des motifs qui n ont aucun lien avec l aptitude ou la conduite de l ouvrier ou qui ne sont pas fondés sur les nécessités du fonctionnement de l entreprise, de l établissement ou du service. En cas de contestation, l employeur a la charge de renverser la présomption inscrite à l article 63 en apportant la preuve des motifs invoqués et du lien entre ces motifs et le licenciement. Cette disposition n exclut pas que le juge fonde la décision suivant laquelle le licenciement d un ouvrier n est pas abusif, non seulement sur les motifs allégués par l employeur au moment du licenciement, mais aussi sur d autres éléments régulièrement produits qui, bien que n étant pas présentés comme des motifs par l employeur, ont toutefois, selon le juge, contribué au licenciement et ont un lien avec l aptitude ou la conduite de l ouvrier ou sont fondés sur les nécessités de fonctionnement de l entreprise, de l établissement ou du service ( Cass. 15 juin 1988, Pas., 1988, 1230). Il y a donc lieu de tenir compte, non seulement des motifs invoqués au moment de la rupture, mais également des motifs réels, même si ceux-ci ne sont exprimés par l employeur qu au moment où, confronté à une demande d indemnité, il est appelé à justifier des motifs de l usage de son droit de licencier. S il est généralement considéré que l article 2 de la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs s applique en cas de licenciement d un agent contractuel du secteur public (il est à noter que la controverse s amplifie sur cette question), il reste que rien ne permet de déduire de cette disposition que le législateur ait voulu, en imposant l obligation de motivation, priver l employeur du secteur public du droit de justifier a posteriori sa décision de licencier un membre de son personnel, conformément à l article 63 de la loi du 3 juillet 1978.
5 ème feuillet L interprétation contraire n est pas défendable car elle conduirait à une inégalité de traitement entre employeurs publics et employeurs privés, et entre travailleurs selon la nature de leur employeur, travailleurs se trouvant dans des situations objectivement comparables. 2. En l espèce la lettre de rupture est motivée comme suit : «Depuis un an, vous totalisez 32 jours de maladie. Depuis 5 ans, vous totalisez 170 jours de maladie. Depuis l entrée, vous en totalisez 259. Cet absentéisme important motive ce congé». Le certificat de chômage C4 mentionne comme motif précis du chômage : «absentéisme incompatible avec le bon fonctionnement du service». Il apparaît ainsi qu au moment du licenciement, in tempore non suspecto, le motif invoqué est lié aux nécessités du fonctionnement du service. La décision de licencier Mme Christine S. a été prise par le Bureau Permanent en séance du 10 septembre 2003, après que celui-ci ait pris connaissance du rapport contenant l évaluation du suivi budgétaire après le 2 ème trimestre 2003 concernant les services d aide et de soins à domicile qui a fait l objet d une concertation syndicale. En ce qui concerne les aides familiales, l objectif était de ramener le déficit par aide familiale de 4.426 à 3.500. Diverses mesures ont été présentées en page 2 du rapport. En ce qui concerne l absentéisme, on peut lire : «Bien que certaines mesures aient été prises (entretiens, contrôle, avertissement), le nombre d heures de maladie au sein du service reste préoccupant. Une lutte contre l absentéisme vise à augmenter les heures prestées par aide familiale de 1.384 heures annuelles au lieu de 1.291 heures. Même si on se rapproche de cette norme régionale des services publics d aide aux familles, elle n est pas atteinte. Des propositions de licenciement d agents présentant soit un absentéisme important ou une fréquence d absentéisme répétée sont soumises au Bureau Permanent. Ces licenciements seront compensés par des recrutements permettant ainsi une plus grande productivité des heures prestées au sein du Service d Aide aux Familles». En conclusion, il est proposé au Bureau Permanent de licencier cinq aides soignantes, dont Mme Christine S., présentant un absentéisme important. Il est ainsi à suffisance établi que le licenciement de Mme Christine S. est lié aux nécessités du fonctionnement du service d aide aux familles. Lorsque l employeur établit l existence de nécessités liées au fonctionnement de l entreprise ou d un service et prouve que le licenciement de l ouvrier concerné est fondé sur ces nécessités, il n appartient pas aux juridictions de s immiscer dans la gestion ou l organisation de l entreprise et de vérifier l opportunité des mesures mises
6 ème feuillet en œuvre. Il n y a pas lieu par ailleurs d exiger du C.P.A.S. de CHARLEROI d établir l existence de difficultés financières. Ses préoccupations ne concernent pas la «rentabilité» au sens entendu dans le secteur privé, mais la gestion bien comprise de fonds publics en vue d atteindre des objectifs définis, ce qui implique une rigueur et des exigences similaires. Il résulte du relevé des absences des cinq aides familiales licenciées que le choix de Mme Christine S. ne comportait aucun motif illicite ou arbitraire. Son licenciement ayant un lien avec les nécessités du service, il ne peut être considéré comme étant abusif, et ce même si l intéressée n avait rien à se reprocher et subissait des événements indépendants de sa volonté. Toutes autres considérations sont sans incidence sur cette conclusion. Dommages et intérêts 1. L'article 15, alinéa 1 er, de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail dispose que les actions naissant du contrat sont prescrites un an après la cessation de celui-ci ou cinq ans après le fait qui a donné naissance à l'action, sans que ce dernier délai puisse excéder un an après la cessation du contrat. Aux termes de l'article L 1561-2, 4, du Code wallon de la démocratie locale et de la décentralisation, afin de fournir au public une information claire et objective sur l'action de l'intercommunale, tout document par lequel une décision ou un acte de portée individuelle émanant d'un de ses services est notifié à un requérant indique les voies éventuelles de recours, les instances compétentes pour en connaître ainsi que les formes et délais à respecter, faute de quoi le délai de prescription pour introduire le recours ne prend pas cours. 2. C est en vain que Mme Christine S. invoque cette disposition pour prétendre que le délai visé à l article 15, alinéa 1 er, de la loi du 3 juillet 1978 n a pas commencé à courir. D une part, l article 2 du décret du 7 mars 2001 relatif à la publicité de l'administration dans les intercommunales wallonnes n a été inséré à l'article L1561-2 du Code de la démocratie locale et de la décentralisation que par arrêté du gouvernement wallon du 22 avril 2004 et le C.P.A.S. de CHARLEROI n est pas une intercommunale. D autre part, l arrêt de la cour du travail de Mons du 24 février 2010 cité par Mme Christine S. à l appui de son argumentation a été cassé par arrêt du 28 mars 2011 (Cass., 28 mars 2011, J.L.M.B., 2012, 130). La demande incidente introduite par conclusions du 27 février 2012 est prescrite.
7 ème feuillet PAR CES MOTIFS La cour du travail, Statuant contradictoirement, Vu la loi du 15 juin 1935 sur l emploi des langues en matière judiciaire, notamment l article 24 ; Reçoit l appel ; Le dit non fondé ; Confirme le jugement entrepris ; Dit prescrite la demande incidente relative aux dommages et intérêts ; Condamne Mme Christine S. aux frais et dépens des deux instances liquidés par le C.P.A.S. de CHARLEROI à la somme de 1.897,50 (indemnités de procédure : première instance : montant de base : 1.210 - appel : montant minimal : 687,50 ) ; Ainsi jugé et prononcé, en langue française, à l audience publique du 8 octobre 2013 par le Président de la 3 ème Chambre de la cour du travail de Mons composée de : J. BAUDART, Mme, Président, J. DE MOORTEL, Conseiller social suppléant au titre d employeur, A. DI SANTO, Conseiller social au titre de travailleur ouvrier, S. BARME, Greffier. qui en ont préalablement signé la minute.