En fin de vie, hydrater ou ne pas hydrater? un soluté ou une tasse de thé? Justine Farley



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Transcription:

Les soins palliatifs tout simplement En fin de vie, hydrater ou ne pas hydrater? un soluté ou une tasse de thé? Justine Farley 6 Aujourd hui, vous admettez Joséphine, 69 ans, à l unité de soins palliatifs. En paix avec elle-même et ses proches, elle aspire à une fin qui permettra à la vie de se retirer doucement, sans que l on interfère indûment avec ce processus naturel. Atteinte d une néoplasie de l ovaire avec carcinomatose abdominale, elle est en phase terminale. Elle vous confie son principal problème, la fatigue, qui la confine au lit ou au fauteuil. Sa famille, inquiète et attentionnée, souhaite qu elle reçoive les meilleurs soins possible. Son médecin de famille, le D r Tremblay, manifeste son intérêt envers sa patiente de longue date. PREMIER SUJET D OBSERVATION, Joséphine s hydrate peu Tableau I et ne mange plus. Première question : «Pensezvous lui installer un soluté, docteur?». L anamnèse portant sur la déshydratation 9,11,12 O Apport quotidien (solides et liquides) Un manque d apport? Il est de pratique courante d installer un soluté à toute personne admise dans un centre hospitalier. Ce geste fait partie des habitudes cliniques et est souvent associé à une bonne pratique médicale. On ne le remet en question, cependant, que très peu. Qu en est-il en fin de vie? Le D r Tremblay s inquiète de la déshydratation de Joséphine. Il est informé de son faible apport liquidien : quelques gorgées d eau toutes les heures d éveil, une ou deux sucettes glacées (Popsicle), une ou deux canettes de substitut de repas prises à petites gorgées au cours d une journée. Il observe une langue sèche et rouge, un pouls rapide, une diminution de la turgescence cutanée et La D re Justine Farley, omnipraticienne, est chef du Service de soins palliatifs du Centre hospitalier de St. Mary. Elle est également professeure adjointe à l Université McGill aux services d oncologie et de médecine familiale. O État général : fatigue, léthargie, apathie O Signes neurologiques d irritabilité neuromusculaire : myoclonies O Soif, douleur buccale, goût désagréable O Nausées, vomissements O Diarrhée O Débit urinaire des urines foncées. Interrogée, Joséphine affirme être bien. Cependant, depuis que vous lui avez prescrit de la morphine, sa bouche est plus sèche. Quelques glaçons suffisent à la rafraîchir. Votre œil averti reconnaît : O une perte de poids accélérée attribuée au syndrome d anorexie-cachexie, caractérisée par une perte de masse musculaire et de tissu adipeux. La peau déjà amincie de Joséphine devient alors moins élastique ; O un ictère évident ; O une respiration buccale ainsi qu une candidose ; En fin de vie, les symptômes et les signes habituellement attribués à la déshydratation ne sont pas spécifiques. Repère Le Médecin du Québec, volume 41, numéro 11, novembre 2006 81

Tableau II Les signes de déshydratation 9,11,12 Signes physiques liés Signes physiques liés Éléments à vérifier au manque d apport à d autres causes Signes vitaux O Prendre le pouls et la pression O Accélération du pouls O Atteinte du système nerveux autonome, artérielle, en position couchée O Diminution de fréquente en fin de vie (Ex. : hypotension) et debout, ainsi que la température la pression artérielle Poids O Vérifier s il y a perte de poids O Perte de poids O Fonte musculaire et disparition du tissu adipeux O Vérifier s il y a augmentation de poids O Œdème, ascite et épanchements Bouche O Vérifier la salivation et O Bouche sèche, O Candidose la sécheresse des muqueuses langue craquelée O Effets indésirables des médicaments anticholinergiques Peau O Vérifier la turgescence cutanée O Persistance du pli cutané O Perte de masse musculaire et la sudation (difficile à évaluer) et de tissu adipeux sous-cutané Fonction rénale O Vérifier la quantité et O Urine concentrée, O Rétention urinaire à éliminer la concentration de l urine oligurie O Urine foncée en cas d ictère Système nerveux O Vérifier la présence de myoclonies O Irritabilité O Irritabilité neuromusculaire neuromusculaire par neurotoxicité des opiacés 82 O un œdème bilatéral des membres inférieurs. Vous vous rappelez les éléments suivants : O En fin de vie, les symptômes (tableau I) mis en évidence par l anamnèse et les signes (tableau II) habituellement attribués à la déshydratation ne sont pas spécifiques. O Les résultats des analyses de laboratoire sont difficiles à interpréter, dans un tel contexte (tableau III). O Les besoins liquidiens journaliers en fin de vie sont mal connus. Dalal et Bruera 1 les évaluent entre 800 ml et 1000 ml par jour. O Le processus naturel de la mort s accompagne d une diminution graduelle et de la disparition de l appétit et de la soif. Même si elle présente peu de symptômes, Joséphine s hydrate moins qu une personne en santé. Nous savons que l hydratation par voie parentérale n apaise En fin de vie, hydrater ou ne pas hydrater? Un soluté ou une tasse de thé? ni la soif ni la sécheresse buccale 2. Les conditions locales (infections à Candida, respiration buccale), l utilisation d opiacés et d autres médicaments anticholinergiques expliquent souvent ces désagréments. Le traitement de la candidose et une hygiène buccale scrupuleuse soulageront plus efficacement les patients. La présence d un ictère colore les urines, tout autant que leur concentration élevée. Vous répondez à la demande de votre collègue d instaurer une hydratation parentérale, en lui soulignant le confort actuel de votre patiente. En effet, plusieurs autres causes expliquent les résultats des examens cliniques. L apport liquidien actuel de votre patiente serait de 700 ml à 800 ml par jour, ce qui semble satisfaisant pour l instant. Advenant une diminution de cet apport, vous demanderez au personnel soignant et aux membres de la famille d offrir réguliè-

Tableau III Le bilan biochimique et hématologique en fin de vie 1 Modifications, toutes causes confondues Modifications causées par la déshydratation Créatinine O Diminution par perte de la masse musculaire O Augmentation par déshydratation O Augmentation par insuffisance rénale Urée O Augmentation par insuffisance hépatique O Augmentation par déshydratation et hémorragie digestive Formation continue Sodium O Diminution par sécrétion inappropriée d hormones O Augmentation par déshydratation antidiurétiques (SIADH), vomissements chroniques, intracellulaire diarrhées, prise de morphine O Variable, si l apport liquidien est insuffisant O Augmentation par la fièvre, une tumeur cérébrale, une hyperkaliémie Calcium O Augmentation par les métastases osseuses multiples (Attention, le calcium est lié à l albumine, dont la concentration est souvent diminuée en phase terminale) Hématocrite O Diminution par anémie chronique O Augmentation par manque d apport liquidien rement des liquides à Joséphine. Depuis ses débuts, l approche palliative vise le confort de la personne. Les décisions thérapeutiques reposent sur l anamnèse et l examen clinique. Le recours aux analyses de laboratoire et aux examens radiologiques n est que sporadique. Le souci d épargner des interventions superflues aux patients a limité les études cliniques et la recherche en ce domaine. Cependant, un certain nombre de médecins remettent cette approche en question et optent pour une attitude plus conforme à la médecine traditionnelle. Récemment, Morita 3 montrait, dans une étude prospective multicentrique, que les patients hydratés artificiellement et ceux qui s hydrataient par voie orale spontanément ne présentaient pas de différences significatives quant à leurs taux sériques de sodium et de potassium et à leur ratio urée/créatinine. Par contre, les patients sous perfusion intraveineuse présentaient une hypoalbuminémie significative 3. Malgré les efforts accomplis, plusieurs questions demeurent sans réponse, dont celle portant sur la nécessité d hydrater ou non un patient en fin de vie. Bien qu il y ait encore matière à controverse, plusieurs auteurs concluent que l hydratation par voie parentérale ne contribue pas au confort de la personne moribonde 4,5. L éthique et la bonne pratique palliative commandent la participation du malade et, avec son accord, de sa famille dans les décisions thérapeutiques en fin de vie. Une décision éclairée exige une information pertinente fondée sur des connaissances médicales, portant sur les avantages et les inconvénients des traitements existants ainsi que sur les conséquences d une non-intervention. En ce qui concerne l hydratation en fin de vie, les données médicales actuelles sont peu nombreuses et souvent peu concluantes, voire contradictoires, quant aux bienfaits pour les personnes touchées. La fille de Joséphine ainsi que le D r Tremblay s inquiètent de laisser Joséphine mourir de soif. Hydrater n est-il pas un soin de base que nous devons prodiguer à toutes les personnes en ayant besoin? Et Même si elle est considérée par certains comme un soin de base usuel, l hydratation parentérale n en demeure pas moins une technique effractive, nécessitant une prescription et un suivi médical et constituant une source de complications. Repère Le Médecin du Québec, volume 41, numéro 11, novembre 2006 83

84 Tableau IV L hydratation parentérale 1,9 Les avantages O Peut réduire l agitation en phase terminale, le delirium causé par l hypercalcémie ou les médicaments O Peut diminuer les risques d escarres de décubitus* en améliorant la turgescence cutanée O Peut prolonger la survie en présence d hypercalcémie et de neurotoxicité grave O Peut contribuer à réduire la constipation* Les inconvénients O Les mesures de contention, lorsqu elles sont nécessaires pour maintenir la tubulure en place, augmentent l agitation. O L hydratation parentérale pourrait contribuer à maintenir ou à augmenter l ascite, l œdème cérébral ou périphérique, la congestion respiratoire, les nausées et les vomissements. O L hydratation par une solution glucosée peut empêcher l analgésie attribuable à l acidocétose observée en fin de vie. O La surveillance des électrolytes nécessite des ponctions veineuses régulières. * D autres méthodes permettent de maîtriser ces problèmes de façon satisfaisante. En fin de vie, hydrater ou ne pas hydrater? Un soluté ou une tasse de thé? si laisser le processus de mort naturelle suivre son cours était plus conforme aux volontés de Joséphine? Ne devrait-on pas plutôt retenir que même si elle est considérée par certains comme un soin de base usuel, l hydratation par voie parentérale n en demeure pas moins une technique effractive et douloureuse, nécessitant une prescription et un suivi médical, et constituant une source de complications (troubles électrolytiques, œdème pulmonaire aigu par surcharge, infection au point de perfusion, thrombophlébite superficielle, etc.). Le D r Tremblay vous demande de prendre en considération la détresse des membres de la famille pour qui prendre soin d une personne, c est avant tout la nourrir et l hydrater. Il vous mentionne également que l hydratation par voie parentérale est somme toute très usuelle dans les milieux hospitaliers. Advenant une demande insistante et considérant que les aspects médicaux des soins de fin de vie ne doivent pas seuls dicter une conduite, l hydratation sera évaluée dans certaines circonstances, au cours d un essai qui sera parfois poursuivi. Les indications de nature psychosociale, culturelle ou religieuse doivent être considérées avec autant d attention. Selon les principes d éthique et de déontologie, il ne faut surtout pas nuire ou Primum non nocere. La neurotoxicité Depuis quelques jours, Joséphine présente des myoclonies multifocales et de l agitation. Un delirium s installe. Vous avez dû augmenter sensiblement la posologie de la morphine à la suite d une crise de douleur aiguë. Une fonction rénale limite aurait empêché l élimination des métabolites morphiniques, ce qui occasionnerait les symptômes de neurotoxicité que vous observez. Vous décidez de rencontrer Joséphine en présence de sa famille. Vous leur expliquez la situation et vous leur indiquez qu il existe deux solutions : un changement d opiacés ou un changement d opiacés et une hydratation par voie parentérale afin d accélérer l élimination des métabolites. La famille, en grande détresse, vous demande de faire pour le mieux, dans les meilleurs délais. Joséphine, pour sa part, manifeste un inconfort évident. Elle ne peut, à ce moment-ci, exprimer sa volonté. Depuis votre dernière rencontre, le D r Tremblay s est informé des avantages de l hydratation parentérale en fin de vie (tableau IV). Ensemble, vous révisez les bienfaits et les inconvénients d un soluté pour votre patiente. Afin d atténuer rapidement les symptômes de Joséphine, vous convenez, après en avoir discuté avec sa fille et obtenu son accord, de changer d opiacés et d installer un soluté pendant 24 heures. Vous réévaluerez la situation par la suite. L hydratation par hypodermoclyse est retenue (tableau V) en raison des difficultés d accès veineux dans le passé. Dans un contexte de soins à domicile ou dans les centres d hébergement, cette voie sera souvent retenue en raison de sa facilité d utilisation et du moindre degré de surveillance qu elle exige. Un neuroleptique (halopéridol Haldol, par exemple) sera offert au besoin afin de maîtriser les symptômes associés au delirium. Joséphine présente-t-elle toujours des symptômes? Le recours à la sédation et à des moyens de contention pour maintenir le soluté en place dans ce

contexte d agitation était-il nécessaire? L état de la patiente s est-il amélioré? De nouveau, Joséphine est éveillée, le problème de neurotoxicité est bien maîtrisé et la douleur, bien soulagée par le traitement médicamenteux choisi. Les jours passent, et l état de Joséphine se détériore doucement. Le delirium Les périodes d éveil de Joséphine se font de plus en plus rares. Lorsqu elle peut communiquer avec les siens, elle manifeste un manque d attention évident. Lorsqu on l interroge, ses réponses traduisent une désorientation dans le temps et dans l espace. Elle reconnaît cependant ses proches. Sa fille remarque qu à certains moments de la journée, sa mère va un peu mieux. Vous reconnaissez un delirium que certains qualifieraient de «terminal». Tout comme dans les situations de neurotoxicité, l hydratation est une solution préconisée par certains auteurs 6,7 afin d éliminer les métabolites neurotoxiques de certains opiacés et de suppléer au manque d apport liquidien. Cependant, le delirium terminal étant multifactoriel, la correction de certains facteurs contributifs ne semble pas améliorer la situation clinique. Ce type de delirium est rarement réversible 8. Une étude publiée en 2004 par Morita 5 indique que 5 % des professionnels de la santé travaillant en soins palliatifs ont remarqué une amélioration de l état de conscience des personnes atteintes d un cancer du poumon à la suite d une hydratation parentérale de 0,5 litre à 1 litre par jour. Cependant, les médecins œuvrant en soins palliatifs observaient dans cette même population une augmentation des symptômes associés à l œdème (chez 41 % des patients) et aux sécrétions bronchiques (chez 29 % des patients). Tableau V L hypodermoclyse : une solution novatrice 9,10,11 O Administration par voie sous-cutanée d une solution appropriée afin d hydrater une personne O Administration intermittente (la nuit, par exemple) ou continue O Solutions disponibles : L Dextrose à 0,45 % + NaCl à 0,9 % L Dextrose à 0,45 % + NaCl à 0,5 % L NaCl à 0,9 % L NaCl à 0,5 % L Lactate de Ringer O Avec ou sans chlorure de potassium O Un médicament peut être ajouté à la solution, au besoin, pour autant qu il soit compatible avec la solution et toléré par voie sous-cutanée. O Contre-indications : L Troubles de la coagulation L Anasarque L État aigu nécessitant une correction rapide de la situation : choc, déshydratation importante, etc. O Technique : L Désinfecter la peau L Insérer une aiguille de type «papillon» de calibre 23 ou 25, par voie sous-cutanée, au point choisi L Fixer à l aide d une pellicule de Tegaderm ou Opsite L Abouter le papillon à la tubulure, qui est elle-même liée à l extrémité du soluté L Amorcer la perfusion, par gravité (une pompe n est pas nécessaire) L Prévoir environ 800 ml à 1000 ml par jour O Points de perfusion : L Région sous-claviculaire L Région supérolatérale des épaules L Région thoracique antérieure L Région abdominale L Face antéro-externe des cuisses O Emplacements à éviter : L Zones œdémateuses ou infectées L Zones exposées au risque de lymphœdème O Complications possibles : L Rougeur, irritation au point de perfusion : changer d endroit L Agitation du patient : donner un sédatif, utiliser une méthode de contention, réévaluer le recours à l hydratation L Œdème au point de perfusion : changer de point, en ajouter un deuxième, diminuer le débit L Infection du tissu cutané : prescrire des antibiotiques, changer de point (rare) L Surcharge pulmonaire : diminuer le débit, réévaluer le recours à l hydratation Le Médecin du Québec, volume 41, numéro 11, novembre 2006 Formation continue 85

Dans une situation de décès imminent, il est raisonnable de s abstenir de toute intervention non essentielle au confort immédiat du malade. Si le patient devient agité, un traitement médicamenteux (benzodiazépines, neuroleptiques) est le plus souvent retenu, en raison de sa rapidité d action et de son efficacité. Retour au cas de Joséphine Faisant appel tant à la science qu à l art de la médecine, les soins de fin de vie visent à assurer tout d abord le confort et la qualité de vie d une personne dans ses derniers jours. La décision d hydrater ou non un patient soulève autant de questions que d émotions chez les patients, les familles et les professionnels de la santé. La réponse émerge d une évaluation complète de la situation médicale ainsi que des valeurs propres à chaque patient. Il faut se rappeler que les données de la science actuelle en ce domaine demeurent controversées. SI JOSÉPHINE A PU BÉNÉFICIER d une hydratation par hypodermoclyse à la suite d une neurotoxicité due aux opiacés, le manque d apport liquidien et le delirium terminal observés ont été traités de façon toute simple, en lui offrant plus souvent les liquides qu elle préférait, soit de l eau et une bonne tasse de thé. 9 Date de réception : 4 juillet 2006 Date d acceptation : 9 août 2006 Mots-clés : hydratation, fin de vie, delirium terminal, neurotoxicité La D re Justine Farley a bénéficié du soutien financier de Janssen- Ortho et de Purdue à titre de conférencière, mais n a reçu aucune rémunération fixe. Bibliographie 1. Dalal S, Bruera E. Dehydration in cancer patients: to treat or not to treat. J Support Oncol 2004 nov-dec ; 2 (6) : 467-79, 483. 2. Ellershaw JE, Sutcliffe JM, Saunders CM. Dehydration and the dying patient. J Pain Symptom Manage 1995 ; 10 (3) : 192-7. Summary Hydration and Dying Patients. Hydrating patients at the end of their life is still a very controversial topic. Indications for artificial hydration are reviewed based on three factors. A reduced oral intake is common in most dying patients, terminal deliriums are frequently observed during the last days and neurotoxicity is a well-known side effect of opiate analgesics. The decision-making process about artificial hydration which has positive and negative aspects should be facilitated by taking into account the complete medical situation as well as the patient and the family s personal values. Keywords: hydration, terminal care, terminal delirium, neurotoxicity 3. Morita T, Hyodo I, Yoshimi T et coll. Artificial hydration therapy, laboratory findings, and fluid balance in terminally ill patients with abdominal malignancies. J Pain Symptom Manage 2006 ; 31 (2) : 130-9. 4. Plonk WM, Arnold MA. Terminal care: the last week of life. J Palliat Med 2005 ; 8 (5) : 1042-54. 5. Morita T, Shima Y, Miyashita M, Kimura R, Adachi A. Physician and nurse reported effects of intravenous hydration therapy on symptoms of terminally ill patients with cancer. J Palliat Med 2004 ; 7 (5) : 683-93. 6. Bruera E, MacDonald N. To hydrate or not to hydrate: how should it be. J Clin Oncol mai 2003 ; 21 (9 suppl.) ; 84-6. 7. Lawlor PG. Delirium and dehydration: some fluid for thought? Support Care Cancer 2002 ; 10 (6) : 445-54. 8. Morita T, Tei Y, Tsunoda J, Inoue S, Chihara S. Underlying pathologies and their associations with clinical features in terminal delirium of cancer patients. J Pain Symptom Manage 2001 ; 22 : 997-1006. 9. Downing GM, Wainwrigh W, rédacteurs. Medical Care of the Dying. 4 e éd. Victoria Hospice Society Learning Center for Palliative Care ; 2006. 686 p. 10. Archambault N, Néron A. Guide pratique des soins palliatifs : gestion de la douleur et autres symptômes. 3 e éd. Montréal : Regroupement des pharmaciens en établissement de santé ; 2002. 336 p. 11. Neil MacDonald, rédacteur. Palliative Medicine, a case-based manual. 2 e éd. New York : Oxford University Press ; 2005. 421 p. 12. Sarhill N, Walsh D, Nelson K, Davis M. Evaluation and treatment of cancer-related fluid deficits: volume depletion and dehydration. Support Care Cancer 2001 ; 9 (6) : 408-19. 86 Dans une situation de décès imminent, il est raisonnable de s abstenir de toute intervention non essentielle au confort immédiat du malade. En fin de vie, hydrater ou ne pas hydrater? Un soluté ou une tasse de thé? Repère