ECHERCHE. Cadre de santé Réanimation polyvalente Centre Hospitalier intercommunal Le Raincy-Monfermeil



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R Evelyne ECHERCHE RISPAL Cadre de santé Réanimation polyvalente Centre Hospitalier intercommunal Le Raincy-Monfermeil CANCERS LARYNGÉS ET PHARYNGO-LARYNGÉS : ÉVALUATION DE LA QUALITÉ DE VIE DES LARYNGECTOMISÉS* RÉSUMÉ Le concept de qualité de vie occupe une place de plus en plus importante dans la prise en charge des patients en cancérologie, car la maladie et les thérapeutiques utilisées ont un retentissement important sur le plan physique, psychologique et relationnel. Les cancers laryngés et pharyngo-laryngés ont deux particularités : ils mettent en jeu le pronostic vital en touchant trois fonctions essentielles : la respiration, la phonation et l alimentation, et ils bouleversent la vie de relation. Les traitements loco-régionaux reposent essentiellement sur la chirurgie et la radiothérapie. En chirurgie, deux tendances se côtoient : la réalisation de techniques conservatrices, et la nécessité de pratiquer des gestes particulièrement mutilants, comme la laryngectomie ou la pharyngolaryngectomie totale. Pour s adapter à la maladie et aux séquelles de la prise en charge thérapeutique, le patient doit faire face à de multiples difficultés. Mesurer la qualité de vie va permettre aux soignants d évaluer les besoins perçus par le patient, dans la perspective de favoriser sa réinsertion familiale, sociale et professionnelle. C est une démarche qui doit montrer son utilité tant auprès des patients et de leur entourage, qu auprès des équipes soignantes. Mots clés : Cancer, laryngectomie totale, adaptation, qualité de vie ABSTRACT The concept of life quality plays a more and more significant role in the caring of cancer patients, because the illness and the therapies used have a strong influence at the physical, psychological and relational level. The laryngeal and pharyngolaryngeal cancers have two characteristics : they challenge the life prognosis by affecting three essential functions : breathing, phonation and feeding and they disrupt the relation life. The locoregional treatments are mainly based on surgery and radiotherapy. In surgery, there are two tendancies : the saving techniques and the necessity of carrying out strong mutilations, such as laryngectomy or total pharyngolaryngectomy. To adapt to the illness and the after-effects of therapeutic caring, the patient must cope with multiple difficulties. Measuring life quality will allow the caretakers to evaluate the needs of the patient in the prospect of contributing to his reintegration in his family, society and professionnal life. This procedure must prove useful in the eyes of the patients, their environment and the caring teams. Keywords : cancer, total laryngectomy, adaptation, life quality. * Cette recherche a été réalisee pour l obtention du diplôme de cadre de santé. 67

R CANCERS ECHERCHE LARYNGÉS ET PHARYNGO-LARYNGÉS : ÉVALUATION DE LA QUALITÉ DE VIE DES LARYNGECTOMISÉS INTRODUCTION Le cancer est aujourd hui la deuxième cause de mortalité en France, après les maladies cardio-vasculaires, et représente la première cause de mortalité avant 65 ans. Chaque année 239 000 nouveaux cas sont découverts. En terme d incidence, les cancers des voies aéro-digestives supérieures occupent le 5 ème rang avec près de 22 000 cas. Ils doivent le plus souvent leur étiologie à une intoxication alcoolo-tabagique. La chirurgie des cancers laryngés et pharyngo-laryngés s est orientée ces dernières années vers une chirurgie partielle. Mais les nouvelles techniques chirurgicales qui sont nombreuses et variées, obéissent toutes à des contraintes impératives en fonction du siège et de l étendue de la tumeur : l exérèse doit être suffisamment large pour ne pas compromettre la guérison. La laryngectomie totale ou la pharyngolaryngectomie totale, particulièrement mutilantes ont un fort impact psychologique et social car elles viennent perturber de façon considérable la vie de relation de l opéré. Après l intervention et les traitements associés, les séquelles sont nombreuses et maximales : le laryngectomisé se trouve notamment confronté à la perte de la voix et à l altération de son image corporelle, qui rendent difficile sa réinsertion familiale, sociale et professionnelle. C est en cancérologie qu ont été réalisées en Europe et aux États-Unis, les premières études de qualité de vie il y a une dizaine d années. Il devenait incontournable de réfléchir sur la qualité de vie des patients pour répondre à la question : quel traitement administrer en regard du bénéfice escompté? À partir de là, l efficacité des traitements n a plus été le seul critère d évaluation de la prise en charge thérapeutique, et le ressenti du patient a été pris en compte. Notre travail de recherche repose sur le questionnement suivant : quelle perception a le patient laryngectomisé de sa qualité de vie, évaluée 6 mois au moins après la phase active du traitement? Dans la première partie de notre mémoire, nous nous intéressons aux cancers laryngés et pharyngo-laryngés, à leur prise en charge thérapeutique et aux mécanismes d adaptation à la maladie. Cette première approche nous permet ensuite de mieux comprendre les difficultés rencontrées par les laryngectomisés sur le plan physique, psychologique et relationnel. À partir de là, nous abordons le concept de qualité de vie et son évaluation dans la recherche clinique en cancérologie, d un point de vue méthodologique et pratique. La deuxième partie de notre travail nous permet d expliciter la phase d enquête et la méthodologie employée. Puis nous présentons les résultats obtenus auprès des opérés pour ensuite les analyser et les discuter en regard du cadre théorique construit. PREMIERE PARTIE : CADRE THEORIQUE 1-LES CANCERS LARYNGÉS ET PHARYNGO-LARYNGÉS Notre travail de recherche concerne les patients ayant subi une laryngectomie ou une pharyngolaryngectomie totale. Lorsque nous parlons de laryngectomie totale, il est sous-entendu qu il s agit d une laryngectomie ou d une pharyngolaryngectomie totale. L indication de laryngectomie totale est posée chez des patients atteints d un cancer étendu du larynx. L exérèse d une partie du pharynx adjacent peut s avérer nécessaire pour le traitement des cancers du sinus piriforme; il s agit alors d une pharyngolaryngectomie totale. 1-1 Épidémiologie Le Haut Comité de la Santé Publique (1998), nous indique que les cancers des voies aéro-digestives supérieures représentent 12 000 décès par an, dont 87% chez l homme. Ils occupent la 3 ème place dans la mor- 68

CANCERS LARYNGÉS ET PHARYNGO-LARYNGÉS : ÉVALUATION DE LA QUALITÉ DE VIE DES LARYNGECTOMISÉS talité par cancer après les cancers du poumon et les cancers colo-rectaux. Les cancers de l hypopharynx sont très fréquents en France et représentent 10 % à 15 % des cancers des voies aéro-digestives supérieures. Plus des deux tiers d entre eux se situent au niveau du sinus piriforme. Dans plus de 95% des cas, ces cancers se rencontrent chez l homme entre 50 et 70 ans. Leur diagnostic est souvent tardif et les métastases sont fréquentes. La gravité de leur pronostic les distingue des cancers du larynx. La survie est en moyenne de 20 % à 5 ans pour les localisations pharyngées et de 56% pour les localisations laryngées. «La France a le taux de mortalité le plus élevé au monde par cancer du larynx.» (Brasnu, 1996). Ils représentent 25 % des cancers des voies aéro-digestives supérieures, soit 4 à 5% de l ensemble des cancers. Les cancers du larynx surviennent chez l homme entre 55 et 60 ans. (environ 1% de ces cancers concerne l homme âgé de moins de 30 ans). Le Haut Comité de la Santé Publique (1998), attribue les deux tiers des cancers des voies aéro-digestives supérieures au tabac et 8 sur 10 à l alcool, ces deux facteurs agissant en synergie. Il précise que l incidence de ces cancers entre 1990 et 1995, a diminué chez l homme de 15% et a augmenté chez la femme de 8 %. Cette évolution peut s expliquer par un recul généralisé de la consommation d alcool en France et par une stabilité de la consommation de tabac, en diminution chez l homme et en augmentation chez la femme. 1-2 Rappel anatomique et physiologique Le pharynx est un conduit musculo-membraneux, qui s invagine de chaque côté du larynx en formant une gouttière pharyngo-laryngée ou sinus piriforme. Il joue avec la base de la langue, un rôle fondamental dans la déglutition en propulsant le bol alimentaire dans l œsophage. C est dans ce large vestibule que se croisent la voie respiratoire, allant des fosses nasales au larynx, et la voie digestive, étendue de la bouche à l œsophage. Intercalé entre le pharynx et la trachée, le larynx est un tube coudé et rétréci formant un triangle dont la base serait située vers le haut. Ce carrefour aéro-digestif assure la régulation de 3 fonctions essentielles : la déglutition, la respiration et la phonation. 1-3 La prise en charge thérapeutique Les cancers de l hypopharynx, (et surtout ceux du sinus piriforme), sont le plus souvent révélés par des signes digestifs : dysphagie, odynophagie (douleur à la déglutition), souvent accompagnés de signes respiratoires : dysphonie, dyspnée, ou encore par des otalgies et des adénopathies cervicales. Les cancers du larynx ont pour principal symptôme l enrouement, qui plus tardivement peut être associé à une dysphonie puis à une dyspnée laryngée. La discrétion des symptômes, soulignée par Marandas (1996), rend dans l ensemble le diagnostic tardif, à un stade avancé de la tumeur. Après l étude des symptômes, le bilan clinique local et l examen des aires ganglionnaires, des examens complémentaires vont être entrepris, dont la panendoscopie. Cet examen laryngé, hypopharyngé, oesophagien et trachéo-bronchique, pratiqué sous anesthésie générale, est systématique. Il permet de préciser les extensions tumorales et de rechercher une autre localisation néoplasique associée. C est toutefois la biopsie qui va permettre d affirmer le diagnostic. Legent, Fleury (1996), nous indiquent que la décision thérapeutique est collégiale et demande une étroite collaboration entre les acteurs des différentes spécialités (chirurgie, radiothérapie, chimiothérapie). Elle va dépendre de l expérience de chacun et des possibilités thérapeutiques en prenant en compte l état général du patient. La chirurgie est avec la radiothérapie la base du traitement des cancers ORL. Ce traitement loco-régional doit répondre à 2 objectifs : Il doit être radical en permettant l exérèse de la tumeur primitive, associée à une chirurgie cervicale à type d évidement ganglionnaire. Il doit être conservateur et préserver au maximum l organe et tout ou partie de ses fonctions. Le geste chirurgical, adapté au siège de la tumeur primitive et à l état général du patient, consiste en des laryngectomies partielles reconstructrices ou en des laryngectomies totales. Les laryngectomies partielles où l exérèse de tout le larynx a pu être évitée, s efforcent de conserver les fonctions phonatoires, respiratoires et de déglutition. Les laryngectomies totales correspondent à l ablation totale du larynx avec trachéostome. La première laryngectomie totale a été réalisée par Théodore Billroth le 31 décembre 1873 à Vienne. 69

L axe digestif est alors reconstitué en suturant l hypopharynx de façon à réaliser un conduit digestif pharyngé entre l oropharynx et le sphincter oesophagien supérieur. Après l intervention chirurgicale, l alimentation est provisoirement assurée par sonde naso-gastrique pour protéger les sutures. La disparition des cordes vocales qui font vibrer l air nécessaire pour émettre les sons, entraîne la perte de la voix laryngée. La trachée, suturée à la peau réalise un trachéostome qui. supprime le réchauffement, l humidification et la filtration de l air inspiré, assurés normalement par le nez et la bouche. Les voies aériennes et digestives sont alors définitivement séparées. Le traitement chirurgical concerne aussi les aires ganglionnaires. Le curage des aires ganglionnaires cervicales uni - ou bilatéral, est de deux types : fonctionnel ou radical. Ce dernier comporte alors l ablation du muscle sternocléido-mastoïdien, de la jugulaire interne et du nerf spinal. La chirurgie assure par ailleurs la réparation des déficits fonctionnels. La radiothérapie est dite exclusive lorsqu elle intervient seule dans le traitement de la tumeur et alors dans ce cas, l organe est préservé. Lorsque qu elle est associée au traitement chirurgical, elle intervient en post-opératoire, en présence d adénopathies cervicales métastatiques ou en rupture capsulaire. L irradiation porte soit sur le lit tumoral, soit sur les aires ganglionnaires ou sur les deux. La chimiothérapie est surtout proposée en tant que chimiothérapie d induction ou néoadjuvante. Utilisée avant tout traitement, elle permet parfois la préservation d organes et notamment celle du larynx. Le geste mutilant étant évité, la radiothérapie intervient seule pour une survie équivalente. Dans les cas de récidive, la chimiothérapie vient s ajouter aux autres traitements mais n a pas prouvé son efficacité dans les études randomisées. Les possibilités thérapeutiques sont donc nombreuses et le bilan initial est fondamental pour offrir au patient la meilleure prise en charge. Mais chaque opéré va parvenir avec plus ou moins de succès à surmonter l ensemble de ces épreuves. faire face à la maladie, aux contraintes et aux effets des traitements, construire une relation efficace avec l équipe soignante; assumer les changements apportés par la maladie dans la vie de tous les jours. «Le cancer ORL a la particularité de bouleverser immédiatement la cohérence de «l actuel» en ce sens qu il s attaque d emblée à la vie de relation et au vital : l esthétique, le parler, le respirer, le manger, le boire.» (Laccourreye, Bassot, 1996) Dès les premiers symptômes de la maladie, une longue période d incertitude commence, où va dominer un fort sentiment d anxiété. L annonce du diagnostic de cancer bouleverse la vie de l individu, fait naître une menace vitale et entraîne une rupture avec le quotidien. À partir de là, la personne va devoir faire face à plusieurs pertes : perte de sa «bonne» santé, perte des rôles : familiaux, sociaux et professionnels. La phase de traitement s accompagne d une majoration de l anxiété liée à la méconnaissance des thérapeutiques, à leur caractère parfois agressifs et à leurs effets indésirables. La fin des traitements et le retour à domicile constituent un stress particulier car cette phase est vécue comme un abandon. Le patient perd les repères que lui procurait l administration des thérapeutiques, et se sent en insécurité. De plus, la peur de la récidive est présente et la personne se sent particulièrement vulnérable. En cancérologie cervico-faciale et ORL, nous avons vu que les traitements sont lourds; les récidives sont fréquentes. C est par conséquent une longue période de surveillance post-thérapeutique qui va faire suite à l hospitalisation, pendant laquelle le patient va devoir s adapter à un certain nombre de séquelles. 2-VIVRE AVEC UNE LARYNGECTOMIE 2-1 Les différentes séquelles La perte de la voix 1-4 L adaptation à la maladie Selon Razavi, Delvaux (1994), l adaptation à la maladie correspond à deux fonctions principales : Parler malgré tout car la réadaptation n est possible que par la communication. La voix laryngée est perdue mais le patient laryngectomisé garde la possibilité d acquérir une nouvelle voix. De nombreuses tentatives de restauration vocale sont 70

CANCERS LARYNGÉS ET PHARYNGO-LARYNGÉS : ÉVALUATION DE LA QUALITÉ DE VIE DES LARYNGECTOMISÉS proposées et de l acte chirurgical effectué vont dépendre les techniques de rééducation. Après l intervention, de nouveaux moyens de communication s offrent au patient : les gestes, les mimiques, l ardoise magique, la voix chuchotée. Mais le réflexe phonatoire ancien est toujours là en porte à faux, et lorsque le laryngectomisé veut s exprimer, il doit faire des efforts intempestifs, qui se traduisent par l émission d un souffle pulmonaire par le trachéostome. Ce souffle bruyant vient masquer la voix chuchotée de faible intensité et rend la parole fatigante pour la personne. La glotte n opposant plus la résistance habituelle, Le Huche (1993), explique que le laryngectomisé est constamment dans la situation de quelqu un qui s épuiserait à enfoncer sans cesse une porte ouverte. C est l apprentissage de la voix œsophagienne qui est souhaitable dès que possible, c est la plus habituelle. La qualité de cette rééducation vocale est très variable, dépendant de facteurs anatomiques mais aussi psychologiques. Le Huche (1980), met en évidence trois obstacles : la réticence du patient à introduire dans l œsophage des petites quantités d air car c est un acte inhabituel. sa difficulté à éructer. Et il va pourtant devoir «apprivoiser» son éructation pour prononcer des mots et acquérir par ce biais une parole. les difficultés à accepter les modifications anatomiques et physiologiques dues à l intervention chirurgicale. Cette technique est difficile et demande beaucoup d efforts et de motivation de la part de l opéré. Elle doit intervenir le plus rapidement possible après la cicatrisation ou la fin de la radiothérapie. Luboinski, Saravane (1987), nous donnent comme principales causes d échec : le repli sur soi, le renoncement devant les difficultés de l apprentissage et le syndrome dépressif réactionnel. C est pendant la phase d apprentissage d une voix nouvelle, que l opéré va devoir apprendre à contrôler son souffle en faisant des exercices respiratoires. Il pourra alors surmonter les difficultés respiratoires qu il rencontre, notamment pour s adapter à l effort. Le patient peut aussi être porteur d une prothèse ou implant phonatoire (type Provox), qui va permettre d obtenir la voix trachéo-oesophagienne, c est la plus moderne. Brasnu (1996), rapporte que le shunt trachéo-oesophagien par implant phonatoire, est la meilleure technique. Une communication entre la trachée et l œsophage permet d assurer le passage de l air de la trachée vers le pharynx lors de la phonation, tout en évitant par un système anti-reflux l inondation trachéale lors de la déglutition. Comme tout corps étranger, l implant phonatoire demande une surveillance et un nettoyage régulier. La voix trachéo-oesophagienne réclame, selon Schmerber, Cuisnier (1999), «le consentement très éclairé du patient, qui doit être informé des complications et inconvénients liés à la prothèse, difficilement prévisibles, une rééducation orthophonique précoce et active, la disponibilité complète de l équipe responsable, une approche multidisciplinaire médicale, psychologique et sociale». La qualité de la voix obtenue est supérieure à celle de la voix œsophagienne. Elle est plus audible, son apprentissage est plus facile et son acquisition plus rapide. Cependant, il est tout à fait souhaitable d initier dans le même temps le laryngectomisé à la voix œsophagienne, car ces deux voix sont complémentaires Et lorsque ces techniques de restauration vocale se soldent par des échecs, des prothèses phonatoires externes peuvent donner au patient la voix «électrique», caractérisée par un son métallique. Les problèmes liés à l alimentation Laccourreye (1996), explique qu ils sont dus à plusieurs types d atteinte : salivaire, masticatoire, troubles de la déglutition, sensorielle. Les laryngectomies totales et les pharyngolaryngectomies totales n entraînent pas de troubles de la déglutition car les voies digestives sont à peu près intègres. Mais la radiothérapie est responsable de deux types de séquelles sur la cavité buccale : les caries et l hyposialie (insuffisance de la sécrétion salivaire). Bien qu un bilan dentaire complet soit effectué avant le traitement, le mauvais état dentaire des patients oblige souvent à l avulsion de nombreuses dents et les possibilités d appareillage sont souvent difficiles. L alimentation mixée, voire liquide, crée une inappétence causant des troubles trophiques, associés à une perte de poids. Le patient laryngectomisé va par ailleurs être confronté à la perte partielle du goût et à la perte de l odorat. Les séquelles neuromusculaires et trophiques Ce sont les évidements ganglionnaires qui sont les principaux responsables. Une kinésithérapie active et prolongée permet d éviter le blocage complet de l épaule et une impotence fonctionnelle majeure. Dans le cadre d une association chirurgie-radiothérapie, les séquelles trophiques correspondent à des sclé- 71

roses cervicales (cou de bois), à des pharyngostomes (fuite qui fait communiquer la trachée avec l œsophage lorsque les sutures pharyngées ne sont pas fermées), ou encore à des sténoses oesophagiennes qui peuvent nécessiter des dilatations, voire même des reconstructions chirurgicales. L altération de l image corporelle L orifice de trachéostomie, à la base du cou, est définitif. «Ce trou, qu aucun sphincter ne cache, révèle son intérieur et permet la pénétration de son intimité. Ce trou par lequel il tousse, se mouche, respire et vit, n est occlus que par une compresse». (Luquet, 1995). La protection du trachéostome est indispensable pour des raisons d hygiène, de sécurité et de respect de soi. Des filtres respiratoires assurent la filtration, le réchauffement et l humidification de l air ambiant, tout en dissimulant l orifice trachéal. Mais le trachéostome n est pas la seule séquelle et la chirurgie obéissant à un impératif carcinologique, laisse des cicatrices sur la partie la plus visible du corps. L importance et la diversité des séquelles laissées par les traitements chirurgicaux mutilants et par la radiothérapie ne sont plus à démontrer et l opéré doit surmonter bien des obstacles pour réussir sa réinsertion familiale, sociale et professionnelle. 2-2 Le handicap du laryngectomisé La mutilation a un caractère dévalorisant, toujours souligné dans les écrits. Et Erlich (1990), précise qu une place insignifiante lui est accordée dans les dictionnaires médicaux, alors qu elle occupe une place importante dans le domaine médical. «L intervention chirurgicale, l ablation d organes, la médecine, même lorsqu elle guérit, blesse d une autre façon, elle compromet la perception de l intégrité corporelle». (Herzlich, Pierret, 1984). Pour cela, le déni de la perte de l organe, comme le déni de la maladie cancéreuse, constituent l un des mécanismes de défense les plus courants. Cornut (1998), fait le lien entre la voix et la personnalité, en la définissant d abord comme un outil d expression de soi privilégié. Elle nous permet d exprimer un certain nombre d émotions comme le rire, les pleurs, les cris L intonation de la voix, sa tonalité, son intensité font apparaître des sentiments sous-jacents. Pour lui, la voix est aussi un outil d affirmation de soi. Elle permet de convaincre, d être obéi, de séduire en jouant avec l intensité, le timbre, la tonalité, l articulation, le débit de l émission vocale. C est autant de plaisirs à jamais interdits au laryngectomisé comme l indique Cros (1985). Devant avant tout apprivoiser son handicap, le laryngectomisé doit aussi savoir le faire accepter, or il se trouve confronté à un public très peu informé. Et il est indéniable que «par ses procédures stigmatisantes, la maladie continue de représenter chez nous un puissant facteur de mutilation sociale». (Erlich, 1990) 2-3 Les représentations sociales du cancer Le cancer est une maladie mythique et c est souvent après une «longue et pénible maladie», que la victime devient aux yeux de la société, un héros, un rescapé. Pendant longtemps, le mot «cancer» a fait peur et on évite encore parfois de le prononcer. Et que dire de la phonétique du mot «tu-meur»? Saillant (1990), nous donne du cancer l image d une maladie envahissante, incontrôlable, se rapprochant de l image de la mort. Elle l oppose à la maladie cardiaque vue comme une maladie propre, localisée et contrôlable. En parlant du cancer, nous lui donnons une place centrale, alors que les localisations tumorales sont multiples. Sa première définition a été retrouvé dans l Oxford English Dictionnary : «Tout ce qui ronge, corrode, corrompt ou consume lentement et secrètement». Herzlich, Pierret (1984), soulignent que «le cancer est la maladie de l individu dans son rapport au social» : Certains rendent la fatalité responsable de la maladie. Pour d autres, le cancer est produit par la société (stress, pollution, habitudes de vie comme le tabagisme, l alcoolisme ). Cette deuxième hypothèse met en évidence les failles de l individu et ses faiblesses. À la question : le cancer est-il une maladie de l individu ou de la société?, les deux auteurs répondent que ces deux interprétations ne se contredisent pas mais au contraire se rejoignent. Les notions de culpabilité et de responsabilité individuelle au sein de la société sont donc bien présentes. Dans le même registre, Erlich (1990), nous dit que la perte d un organe, ressentie comme un deuil, peut aussi être perçue comme un châtiment. Au verdict de cancer vient s ajouter la sanction thérapeutique. La phase de rémission revêt aussi tout un symbole. Si l on s attarde sur son champ sémantique, il nous renvoie aux notions d acquittement, de pardon, d indulgence : la rémission des péchés. Dans sa relation au monde d aujourd hui, la fragilité de l individu est mise en avant. 72

CANCERS LARYNGÉS ET PHARYNGO-LARYNGÉS : ÉVALUATION DE LA QUALITÉ DE VIE DES LARYNGECTOMISÉS 2-3 Une réinsertion difficile La réinsertion peut se définir comme étant la reprise d une vie aussi normale que possible en société, en y faisant admettre son handicap. Luboinski, Saravane (1987), nous disent qu elle se heurte à de nombreux obstacles comme l âge, l importance de la mutilation et le degré de qualification professionnelle. Il est important de se rappeler que la majorité de la population concernée présente une intoxication alcoolo-tabagique majeure. Zolotareff, Cerclé (1994), en schématisant les diverses représentations de l alcoolisme dans notre société, montrent que l alcoolique est vu tour à tour comme un coupable, une victime, un déviant ou bien encore comme un malade. La personnalité du patient est bien souvent elle-même un obstacle important : «Les traits psychologiques communs à la plupart de ces cancéreux sont la fragilité, l avidité, la dépendance et le manque de combativité». (Brugère, Schwaab, 1987) L alcoolique chronique s est déjà isolé, plus ou moins méprisé par son entourage. Parfois culpabilisé, rejeté, abandonné, il a peu de relations avec le monde extérieur. Cependant, comme nous l avons vu précédemment, chaque opéré va avoir sa propre réaction face à la maladie et au handicap. Chaque individu est unique et il n y a pas une personnalité type du laryngectomisé. Au repli sur soi, à l isolement psychoaffectif, au statut d handicapé vont s opposer la capacité à faire face, la volonté de retrouver l estime de soi, la volonté de se reconstruire et de se façonner une nouvelle identité. Selon Cros (1985), le handicap subi est trop important pour vivre comme avant mais il est possible de vivre pleinement. Il insiste sur le fait que le laryngectomisé ne peut pas «jouer sur les deux tableaux» : c est-à-dire profiter de l état d handicapé en réclamant d être assisté et vouloir en même temps, être traité comme un bien portant. La famille doit être associée à l information dès l annonce du diagnostic car elle a un rôle de soutien particulièrement important à jouer. Elle doit être tenue au courant des suites opératoires, de l état physique du patient pour qu elle n éprouve pas une réaction de répulsion, de fuite ou de pitié. Le maternage n est pas plus souhaitable que le rejet, car cette attitude ne va pas aider l opéré à retrouver son autonomie. La réinsertion professionnelle correspond à l étape ultime et les difficultés rencontrées sont nombreuses, aussi bien du côté du laryngectomisé que du côté de l employeur. Luboinski, Saravane (1987), mettent deux points en évidence : l absence de motivation de l opéré ou la mise en pré-retraite. Ils rapportent les résultats d une étude comparative réalisée auprès de patients laryngectomisés et de patients traités par radiothérapie, donc sans mutilation. Les chiffres montrent que la population active des laryngectomisés qui était avant la maladie de 96,4% était de 39% après la maladie. Pour les patients traités sans mutilation, la population active est passée de 87% à 60 % après la maladie. Toutefois ces résultats sont variables en fonction de l emploi occupé et de sa stabilité. De la décision du médecin du travail, va dépendre la reprise du travail. Dans tous ces moments difficiles, les associations sont là pour soutenir et accompagner chaque opéré. La plus ancienne d entre elles a été créée en 1958 par quelques patients. Actuellement, 22 associations sont présentes sur l ensemble de la France et se regroupent au sein de l Union des Associations Françaises de Laryngectomisés et Mutilés de la Voix, reconnue d utilité publique par décret du 10 janvier 1969. Elles comptent environ 10 000 adhérents. Et c est en gardant présentes à l esprit ces multiples épreuves et contraintes, que nous allons nous intéresser au concept de qualité de vie et aborder son évaluation dans le domaine de la cancérologie. 3-1 Une définition 3-LA QUALITÉ DE VIE L évaluation de la qualité de vie a pris une place importante dans le domaine de la santé, notamment auprès des personnes atteintes de maladies chroniques, invalidantes et mettant en jeu le pronostic vital, comme le cancer. Mais tout le monde se heurte à la complexité des mesures de qualité de vie. Tout d abord, comment définir ce concept? Selon Schraub, Mercier (1993), «le concept de qualité de vie ne regroupe pas uniquement la condition physique et/ou les effets secondaires toxiques des différents traitements. C est une notion plus globale, subjective et multidimensionnelle.» La qualité de vie, comme le bonheur, est un concept difficile à cerner car chacun en possède sa propre définition. C est pourquoi, Hirsch (1998), préfère parler de la qualité d UNE VIE. D après lui, «la vie en tant que 73

telle n est respectable que dans l humanité de la personne qui lui confère valeur et signification». L individu est en effet le mieux placé pour exprimer ses souhaits et les difficultés qu il rencontre. Au cours de sa vie, il va éprouver un certain nombre de besoins, qu il sera ou non en mesure de satisfaire. Leplège (1999), aborde la notion de besoins telle qu elle a été étudiée par Maslow. La non-satisfaction des besoins physiologiques, comme boire, manger etc., sont les premiers à perturber le comportement de l individu. Le besoin de sécurité, le besoin d être aimé et d aimer, celui d être estimé et d estimer interviennent ensuite. Et le besoin de parvenir à un état d accomplissement de soi, permettant de faire face aux aléas de la vie, arrive en dernier, au sommet de la pyramide. Il rapporte ensuite la conception soutenue par Sonja Hunt selon laquelle «chaque situation pathologique interfère de façon particulière avec la capacité des individus à satisfaire leurs besoins.» Si l individu parvient à satisfaire pleinement les besoins qu il perçoit, sa qualité de vie sera augmentée. Dans le cas contraire, sa qualité de vie sera diminuée. De là, Leplège (1999), dégage un point clé : Aux besoins identifiés par le médecin, il est absolument nécessaire d y rajouter ceux qui ont été perçus par le patient. La notion de perception centre la notion de qualité de vie sur l individu : «Mesurer la qualité de vie signifie que c est le patient lui-même qui évalue le retentissement de sa maladie et des traitements.» (Livartowski, 1996). 3-2 La qualité de vie en cancérologie Comme nous l avons vu, les stratégies thérapeutiques en cancérologie font appel à la chirurgie, à la radiothérapie et à la chimiothérapie. Ces disciplines ont évolué individuellement, en ayant pour objectif d optimiser l efficacité des traitements, évaluée alors en terme de survie ou de survie sans récidive. Il s agissait avant tout de lutter contre la maladie. Puis la mesure de la qualité de vie est devenue nécessaire d un point de vue éthique et Macquart-Moulin G., Auquier P. (1996) en donnent trois raisons essentielles : la toxicité et le retentissement psychologique de certains traitements, l interrogation sur la valeur réelle du bénéfice d un traitement si l allongement de sa vie s accompagne d une diminution de sa qualité de vie, la difficulté de démontrer la supériorité d un nouveau médicament en terme d efficacité stricte sur la maladie. Livartowsky (1996), nous indique que «le but du traitement n est pas toujours la guérison mais l amélioration d un état fonctionnel, parfois plus modestement de l état de santé subjectif.» Mais pour évaluer cet «état de santé subjectif», la qualité d une vie, Rodary, Leplège (1998), mettent en évidence la nécessité d en donner une définition opérationnelle, explicite, standardisée pour qu une mesure quantitative soit possible. S intéresser à la qualité de vie, c est avant tout considérer l individu dans sa globalité et la majorité des auteurs sont d accord pour l inscrire dans les quatre domaines présentés par Schraub, Mercier (1993) : le bien-être physique (autonomie et capacités physiques), l inconfort somatique (symptômes, conséquences de la maladie et des traitements), l état psychologique (émotion, anxiété, dépression), les problèmes relationnels (socio-familiaux et professionnels). Le retentissement de la maladie et de ses traitements va donc être pris en compte à partir de données physiques, psychologiques et relationnelles. 3-3 L évaluation de la qualité de vie Schraub, Mercier (1993), nous rapportent que déjà en 1949, un indice destiné à tester l état physique général et l autonomie des patients, a été mis au point : le code de Karnofsky., utilisé aujourd hui sous une forme plus concise. De la même façon, des codes de toxicité de chimiothérapie ou de radiothérapie ont permis de mettre en évidence les effets secondaires des traitements dispensés et leur apparition à plus ou moins long terme. Mais Schraub, Mercier (1993), précisent que ces codes n évaluent «objectivement» qu une seule dimension de la qualité de vie, la dimension physique ou bien l inconfort somatique. Il est cependant possible d avoir une notion globale du ressenti du patient, face à la maladie et à sa prise en charge thérapeutique, grâce à de nombreuses méthodes, intégrant l ensemble des dimensions de la qualité de vie. Les entretiens psychologiques, très utilisés en France, permettent d obtenir une appréciation globale du ressenti du patient. Les méthodes psychométriques, correspondant à des questionnaires ou à des échelles visuelles analogiques peuvent être remplis par le patient ou par un tiers. Le concept qui intègre la qualité de vie dans l expression de la survie, correspond à la notion de TWIST (time without symptoms of disease and toxi- 74

CANCERS LARYNGÉS ET PHARYNGO-LARYNGÉS : ÉVALUATION DE LA QUALITÉ DE VIE DES LARYNGECTOMISÉS city), signifiant temps de survie sans symptômes de rechute et complication. C est à partir des années 80, que les premiers questionnaires spécifiques à la cancérologie ont été utilisés. Le développement de ces outils s est fait en même temps aux Pays-Bas, en Grande-Bretagne, en Italie et en France. Quarante questionnaires différents sont aujourd hui utilisés en cancérologie. Le tableau I est un descriptif des principaux auto-questionnaires qui précise les différentes dimensions explorées. une étape qualitative qui consiste à réaliser des entretiens auprès d un échantillon représentatif de la population à étudier, d analyser leur contenu et de rédiger une première version du questionnaire à partir des résultats obtenus; et une étape quantitative pendant laquelle la sensibilité de l échelle et sa fiabilité vont être testées auprès d un nombre de plus en plus important de sujets. La mise au point de l outil peut demander plusieurs années. Tableau I Répartition des différents items dans les principaux auto-questionnaires mis au point pour les patients cancéreux. Domaines explorés (en % du nombre de questions) Nombre Physique Psychologique Social global d items (+ toxicité thérapeutique) FLIC 22 50 34 16 0 EORTC QLQ-C30 30 60 27 10 3 BESANCON 23 35 39 26 0 (2 questions ouvertes) PADILLA 14 50 34 16 0 COATES 7 58 14 0 28 BCQ Breast Cancer Chemotherapy 30 47 43 10 0 Rotterdam 39 64 32 0 4 Check List FACT 28+5 50 21 29 (5) MSAS 35 74 17 3 6 Source : Schraub, Mercier, Point de vue pour l évaluation de la qualité de vie en cancérologie, (1996). Leplège (1999), explique que la validation d une échelle de qualité de vie correspond à l ensemble du processus permettant de démontrer que l outil est fiable, valide et sensible au changement, et qu il atteint un niveau de mesure élevé. Sa validation porte sur sa construction et sur son contenu et se fait en deux temps : Une échelle est validée dans sa langue d origine. Lors d une traduction, les mêmes tests de validité et de fiabilité sont utilisés pour confirmer ou infirmer la qualité de la traduction et sa validité dans la nouvelle langue. Le choix de l outil est délicat et dépend de l objectif de l étude. La tendance actuelle est d utiliser certains questionnaires spécifiques, comportant un module central commun à l ensemble des cancers, et un module spécifique d une localisation. 75

C est le cas du Quality of Life Questionnaire Core 30 ou Q.L.Q-C.30 de l Organisation Européenne pour la Recherche et le Traitement du Cancer (E.O.R.T.C.), présenté dans le tableau I. Cette approche modulaire permet d éviter une multiplication des questionnaires, tout en préservant la sensibilité de l outil. Les outils ont donc évolué, les comportements aussi et aujourd hui, le concept de qualité de vie s inscrit dans un contexte où les droits des patients sont réaffirmés. Comme le soulignent Rodary, Leplège (1998), «la remise d un questionnaire de qualité de vie au patient n est pas une démarche anodine, car les questions interrogent le patient sur sa vie personnelle et certaines d entre elles peuvent être perçues comme indiscrètes». Mais au-delà des problèmes éthiques qu elle soulève, cette démarche permet d avoir une approche globale de la personne soignée, et ceci dans le but d améliorer sa prise en charge. Dans le cadre de notre recherche, nous avons ajouté à ce module central commun à l ensemble des localisations cancéreuses, le module spécifique tête et cou : le QLQ H & N35 de l E.O.R.T.C. Bjordal, Hammerlid (1999), nous indiquent que la validation de ce module s est faite à partir de deux études prospectives, qui ont concerné 500 patients atteints d un cancer de la tête et du cou, en Norvège, en Suède et aux Pays-Bas. Les résultats ont montré la validité du QLQ H & N35, utilisé simultanément avec le QLQ- C30. C est un instrument de mesure de la qualité de vie des patients atteints d un cancer tête et cou, qui peut être utilisé avant, pendant et après la prise en charge thérapeutique (chirurgie, radiothérapie, chimiothérapie). Pour optimiser notre recueil de données, nous avons souhaité que notre étude se déroule en deux étapes : une étape quantitative avec l administration des questionnaires de qualité de vie, et une étape qualitative avec la réalisation d entretiens semi-directifs. DEUXIÈME PARTIE : ÉTUDE DE TERRAIN 2-L ETAPE QUANTITATIVE 1-LA PRÉSENTATION DE L ÉTUDE 2-1 Objectifs Selon Razavi, Delvaux (1994), «La phase de rémission est dans l esprit de beaucoup muette cliniquement et a peu fait l objet d études de qualité de vie». Pour cela, nous avons choisi de situer notre étude pendant cette période, à distance des traitements. Nous avons utilisé le Quality of Life Questionnaire Core 30 ou QLQ-C30 de l Organisation Européenne pour la Recherche et le Traitement du Cancer (E.O.R.T.C.). Mis au point en 1986; il s agit de la troisième version. L étude de validation de ce questionnaire de qualité de vie est rapportée par Aaronson, Ahmedzai (1993). Au sein de 13 pays européens, un questionnaire a été administré à 305 patients, atteints d un cancer du poumon non opérable, avant le traitement et une fois pendant son administration. La plupart d entre eux n ont pas eu besoin d aide pour le remplir, dans un temps moyen de 11 minutes. Les résultats obtenus ont démontré la validité et la fiabilité du QLQ-C30 pour mesurer la qualité de vie des patients atteints de cancer, dans des études multicentriques et multiculturelles. Étudier l impact d une laryngectomie totale ou d une pharyngolaryngectomie totale sur la qualité de vie des patients, 6 mois à 5 ans après la phase active du traitement, à travers une auto-évaluation, Identifier les besoins perçus. 2-2 Description des questionnaires de qualité de vie Le QLQ-C30 : le module central (annexe I) Regroupant 30 items, il explore : 6 dimensions fonctionnelles - le fonctionnement physique : 5 items - les limitations au travail : 2 items - les fonctions cognitives : 2 items - le fonctionnement psychologique : 4 items - le fonctionnement social : 2 items - la santé globale : 2 items 76

CANCERS LARYNGÉS ET PHARYNGO-LARYNGÉS : ÉVALUATION DE LA QUALITÉ DE VIE DES LARYNGECTOMISÉS 8 symptômes : - la fatigue : 3 items - les nausées et vomissements : 2 items - la douleur : 2 items - la dyspnée : 1 item - les troubles du sommeil : 1 item - la perte d appétit : 1 item - la constipation : 1 item - la diarrhée : 1 item et 1 item isolé : - les difficultés financières : 1 item 28 questions sont mesurées à l aide d une échelle d intensité allant de 1 (pas du tout), 2 (un peu), 3 (assez) à 4 (beaucoup) et les 2 questions portant sur l évaluation de l état de santé et de la qualité de vie sont mesurées à l aide d une échelle allant de 1 (très mauvais) à 7 (excellent). Le QLQ-H & N35 : le module spécifique tête et cou (annexe II) Regroupant 35 items, il explore : les symptômes et les effets secondaires des traitements par rapport à : - la douleur : 4 items - la déglutition : 4 items - l odorat le goût : 2 items - la voix : 3 items - l alimentation : 4 items - la dentition : 1 item - l ouverture buccale : 1 item - la sécheresse buccale : 1 item - la salive collante : 1 item - la toux : 1 item - le malaise : 1 item le fonctionnement social : - l apparence et le contact social : 5 items - la sexualité : 2 items En fin de questionnaire, 5 questions ont été posées concernant : - la prise d anti-douleurs - la prise de suppléments nutritionnels - l utilisation d une sonde d alimentation - la perte de poids - la prise de poids Les 30 premières questions sont mesurées à l aide d une échelle d intensité allant de 1 (pas du tout) à 4 (beaucoup). Les 5 dernières questions obtiennent une réponse par oui ou par non. Dans les deux modules, il est rappelé au patient que les questions posées concernent «la semaine passée», «la semaine qui vient de s écouler». Ces expressions sont reprises deux fois dans le QLQ-C30 et trois fois dans le QLQ-H & N35 pour cibler le cadre temporel de l enquête. 2-3 Méthodologie Le choix de la population Les critères d inclusion : - L échantillon comprend des sujets adultes ayant tous subi une laryngectomie totale ou une pharyngolaryngectomie totale, - La période d inclusion se situe du 6 ème mois après la phase active du traitement à la fin de la 5 ème année. Les critères d exclusion : Les personnes : - ayant subi un traitement par radiothérapie en première intention, car il expose à des complications : désunion, hémorragie, fistule salivaire, - ne possédant pas une connaissance suffisante du français, - présentant des troubles cognitifs. Le mode d administration - Lors d une consultation d orthophonie ou d une visite à l Association de Laryngectomisés et Mutilés de la Voix d Ile de France, un questionnaire a été remis directement au laryngectomisé par l orthophoniste ou par deux bénévoles participant à notre enquête. - Pour les patients n ayant pas de consultation d orthophonie prévue, le questionnaire a été adressé au domicile par l orthophoniste, accompagné d une enveloppe timbrée. L enquête concernant les patients suivis au Centre hospitalier, a fait l objet d une autorisation auprès de deux chirurgiens. 77

Nous avons joint au questionnaire une note d information expliquant le but de l enquête, demandant un consentement oral et assurant l anonymat, une fiche de renseignements comportant des données démographiques et médicales et un questionnaire d évaluation du QLQ-C30 (annexe 3). Nous avons souhaité que notre étude de faisabilité concerne un échantillon de 8 à 10 personnes. L analyse des résultats Elle comporte : - la description de la population, - le nombre de refus, de données manquantes, - le degré d acceptabilité et de compréhension des questions, - les résultats des questionnaires (module central et module spécifique). Les lieux d étude - Au Centre hospitalier reconnu pour la prise en charge des patients cancéreux, - Au sein d une Association de Laryngectomisés et Mutilés de la Voix d Ile de France. L organisation pratique Les patients nous ont remis ou adressé par courrier les questionnaires remplis par l intermédiaire du secrétariat du service des consultations ou par les responsables de l Association. La durée de l enquête : du 14 février au 31 mars 2000 3-1 Objectifs 3-L ETAPE QUALITATIVE Avoir véritablement une rencontre avec les laryngectomisés et les entendre s exprimer sur leur vécu. Identifier et mieux comprendre leurs besoins perçus après une laryngectomie totale ou une pharyngolaryngectomie totale, 6 mois à 5 ans après la phase active du traitement, lors d entretiens semi-directifs. Établir une comparaison entre les données recueillies par questionnaires et celles recueillies lors des interviews. 3-2 Méthodologie Le choix de la population Les critères d inclusion : - L échantillon comprend des sujets adultes ayant tous subi une laryngectomie totale ou une pharyngolaryngectomie totale, - La période d inclusion se situe du 6 ème mois après la phase active du traitement à la fin de la 5 ème année. - Les critères d exclusion : Les personnes : - ayant subi un traitement par radiothérapie en première intention, car il expose à des complications : désunion, hémorragie, fistule salivaire, - dont la qualité de l élocution n aurait pas permis de réaliser l entretien dans de bonnes conditions, - ne possédant pas une connaissance suffisante du français, - présentant des troubles cognitifs. Le recueil de données Nous avons souhaité réaliser un entretien formel, d une durée maximale d une heure, avec 3 laryngectomisés, en tenant compte que certains d entre eux gardent une communication verbale limitée. Pour cette raison, nous n avons pas procédé à l enregistrement des entretiens (gêne éventuelle pour l interviewé, faible intensité de la voix rendant aléatoire la qualité de l enregistrement pour l enquêteur). Les objectifs de l enquête ont été donnés à la personne laryngectomisée. Son consentement oral lui a été demandé, en l assurant de l anonymat des données recueillies. À partir du QLQ-C30, nous avions élaboré un guide d entretien en gardant pour objectif d explorer les dimensions physiques, psychologiques et sociales de la maladie. Nous avions retenu les 3 items suivants : - Comment vous sentez-vous physiquement? - Dans quel état d esprit êtes-vous? - Comment vivez-vous vos relations avec les autres? Ce guide a été utilisé comme cadre de référence. Et en nous reportant à la méthodologie de l entretien semidirectif explicitée par Quivy, Van Campenhoudt (1995), nous avons fait en sorte que les personnes s expriment librement à partir d une question ouverte, portant sur ce qui leur était arrivé et sur leur vécu quotidien. Dans la mesure du possible, les attitudes non verbales ont été prises en compte. 78

CANCERS LARYNGÉS ET PHARYNGO-LARYNGÉS : ÉVALUATION DE LA QUALITÉ DE VIE DES LARYNGECTOMISÉS L analyse des résultats L analyse des entretiens a été faite de la manière suivante : - les notes prises au cours de l entretien ont été retranscrites. - les éléments ont été catégorisés selon la même grille de lecture. Le lieu d étude Les entretiens ont eu lieu lors des permanences de l Association de Laryngectomisés et Mutilés de la Voix. La durée de l enquête : du 27 mars au 31 mars 2000 Dans le respect absolu du cadre réglementaire, nos deux protocoles de recherche auraient dû être soumis à l accord préalable de la Commission Nationale de l Informatique et des Libertés (CNIL), à l aide du formulaire relatif à la déclaration d un traitement automatisé d informations nominatives. 4-2 Degré d acceptabilité des questionnaires et validité des résultats Tous les laryngectomisés sollicités ont rempli le module central du QLQ-C30 et le module spécifique tête et cou. Et ils ont tous répondu par la négative aux questions posées dans le questionnaire d évaluation du QLQ-C30 (annexe 3), à savoir : - Certaines questions vous ont-elles semblé mal formulées, difficiles à comprendre? - Avez-vous trouvé certaines questions dérangeantes ou indiscrètes? En proposant à chaque laryngectomisé ces deux questionnaires, nous avons posé à chacun 65 questions. Notre échantillon se composant de 8 personnes, nous avons posé 520 questions parmi lesquelles nous avons seulement relevé 10 données manquantes. Ce qui nous donne un taux de non réponses de 1,9%. Mais nous ne pouvons tirer aucune conclusion car nous nous ne savons pas à quel phénomène attribuer les non réponses que nous avons pu constater (compréhension insuffisante, hésitation, lassitude...). 4-3 Le module central 4-LES RÉSULTATS DES QUESTIONNAIRES 4-1 Caractéristiques de la population La composition de notre population : 7 hommes pour 1 femme et son âge moyen : 62 ans, corroborent les données épidémiologiques. 5 laryngectomisés sur 8 vivent en couple. Le degré de qualification professionnelle est variable, allant de l ouvrier (3 personnes sur 8) au cadre supérieur (2 personnes sur 8), avec en intermédiaire 2 employés et 1 cadre moyen. 5 d entre eux sont aujourd hui retraités. Pour 4 personnes sur 8, la laryngectomie est un événement récent : le temps écoulé depuis l intervention chirurgicale se situe entre 8 mois et un an. Parmi eux, 1 est retraité et 3 n ont pas repris leur activité professionnelle. 3 sur 8 possèdent la voix trachéo-oesophagienne. 1sur 8a recours à une prothèse phonatoire externe. Les laryngectomisés ayant participé à notre enquête sont tous membres d une Association de Laryngectomisés et Mutilés de la Voix. 17 items du QLQ-C30 permettent de calculer 6 scores correspondant aux dimensions fonctionnelles. Un score plus élevé sur une échelle de 0 à 100, indique une meilleure qualité de vie. Sur le plan physique, les questions posées portent sur la capacité à porter du poids, ou encore à se déplacer sur une distance plus ou moins longue. Des scores élevés pour tous témoignent de leur autonomie. Par ailleurs, les laryngectomisés ont une perception positive de leur santé globale et donc de leur qualité de vie. Pour les 13 items correspondant aux symptômes et à l item isolé, nous avons choisi de donner les scores bruts. Un score plus faible indique une meilleure qualité de vie. Ici, trois symptômes prédominent au quotidien : la fatigue, la douleur et la dyspnée. 4-4 Le module spécifique Pour les 30 items correspondant aux symptômes, aux effets secondaires des traitements et au fonctionnement social, nous avons choisi de donner les scores 79

bruts. Un score plus faible indique une meilleure qualité de vie. Les réponses obtenues mettent en évidence les problèmes rencontrés au niveau de l odorat, du goût et de la voix. Les laryngectomisés se plaignent aussi de la sécheresse buccale, de la salive collante et de la toux. 5- LES RÉSULTATS DES ENTRETIENS Nous avons réalisés auprès de Messieurs X, Y et Z, opérés respectivement depuis 1 an et demi, 2 ans et 3 ans. Les données recueillies lors de chaque interview sont catégorisées en huit thèmes : les données socio-démographiques, l environnement, les données médicales, les répercussions physiques, l entourage et le soutien, la vie sociale, l état psychologique et émotionnel, les stratégies d adaptation. 6-DISCUSSION 6-1 À partir de l EORTC QLQ-C30 et de l EORTC QLQ-H & N35 L évaluation de l état de santé et de la qualité de vie Les résultats obtenus nous permettent d emblée de faire le constat suivant : les laryngectomisés consultés ont une perception positive de leur santé globale. En se référant à Razavi, Delvaux (1994), juger sa qualité de vie satisfaisante, c est être parvenu à faire face et à assumer les changements apportés par la maladie. Cette évaluation de la qualité de vie nous fait dire que les laryngectomisés considèrent que leurs besoins physiques, psychologiques et relationnels sont satisfaits. C est un point de vue, qui est ici partagé par l ensemble de notre échantillon mais à des degrés divers. Ils sont illustrés par ces deux réponses : une perception moyenne de la qualité de vie pour un laryngectomisé et une perception excellente pour un autre. L évaluation de la qualité de vie à un moment donné, reste une perception individuelle qui va être influencée par de nombreux facteurs, émanant de l expérience et de l histoire personnelle de chacun. Il nous semble plus juste de parler de la qualité d UNE VIE que de la qualité de vie, comme le préconise Hirsch (1998). En regard de la mutilation et des diverses épreuves à surmonter, l état de santé et la qualité de vie ainsi perçus pourraient nous surprendre. Or ce ressenti ne fait que mettre en évidence les capacités d adaptation propres à chaque individu. Razavi, Delvaux (1994), rapportent que l utilisation simultanée d une auto-évaluation et d une hétéroévaluation (par un observateur externe) met en évidence la différence de points de vue entre les patients et les médecins, ces derniers jugeant souvent de façon moins favorable la qualité de vie de leurs patients. Confronté à la maladie cancéreuse, la personne a une perception différente des évènements de la vie quotidienne et voit son système de valeurs changer. Pour certains patients, les problèmes occasionnés par la maladie font émerger des aspects nouveaux, qui interviennent de manière positive dans leur vie quotidienne, en modifiant leurs relations avec l entourage. Le traumatisme causé par la maladie n est plus seulement une expérience douloureuse car il éveille chez la personne des ressources jusque-là ignorées. «La maladie peut être une chance de se rencontrer soimême et se constituer un patrimoine créateur». (Laccourreye, Bassot, 1996) Ces propos sont à mettre en lien avec les spécificités des tumeurs cervico-faciales et ORL qui remettent immédiatement en cause la vie de relation et demandent nécessairement de considérer le terrain sur lequel elles se développent : la double intoxication alcoolo-tabagique. Face aux différentes séquelles, le laryngectomisé doit faire de gros efforts d adaptation. À partir de là, nous pouvons nous demander s ils ne jugent pas leur qualité de vie de façon plus positive que les patients atteints d un autre type de cancer. Dans ce processus d adaptation, il ressort que ces notions sont indissociables : le cancer et sa prise en charge thérapeutique et le contexte familial et social, dans lequel le laryngectomisé vit le moment présent. À côté de cette perception globale et positive de l état de santé et de la qualité de vie, nous allons nous intéresser plus précisément aux répercussions physiques de la maladie et de ses traitements. 80

CANCERS LARYNGÉS ET PHARYNGO-LARYNGÉS : ÉVALUATION DE LA QUALITÉ DE VIE DES LARYNGECTOMISÉS Les répercussions physiques D un point de vue général, les laryngectomisés se sentent autonomes sur le plan physique La réalisation des actes de la vie de tous les jours ne leur posent pas de problèmes particuliers. Mais il est à noter que deux d entre eux rencontrent des difficultés à l effort. Ces patients, opérés depuis moins d un an, sont âgés respectivement de 43 et de 58 ans. L impact de ce handicap est très marqué chez le premier car il effectue un travail manuel, qui va être remis en cause par l opération. Le fait de ne plus avoir de larynx ne lui permet plus de faire un travail de force. La dyspnée et la toux sont signalées par la quasi totalité des laryngectomisés, qui ne sont plus protégées sur le plan respiratoire, l air n étant plus filtré à cause du trachéostome. Ces résultats sont à rapprocher de ceux observés par Hilgers, Ackerstaff (1990), dans une étude de qualité de vie conduite auprès de 59 patients laryngectomisés aux Pays-Bas. Ce travail de recherche a permis de constater la fréquence des problèmes respiratoires liés à l abondance des sécrétions (98% des patients), à la toux (64%), au besoin d expectorer (57%) et à la nécessité de nettoyer le trachéostome plus de cinq fois par jour (37%). À partir de là, ils ont démontré que ces problèmes avaient des répercussions à plusieurs niveaux : - au niveau de la rééducation vocale - au niveau du sommeil - au niveau de la fatigue - et au niveau des relations sociales. Et ils en ont conclu que la mise en place de moyens permettant de diminuer et/ou de prévenir les troubles respiratoires contribuerait efficacement à l amélioration de la qualité de vie des laryngectomisés. Dans notre étude, la fatigue est un symptôme perçu par six patients. L un d entre eux, opéré depuis un an, le ressent fortement. Ce sentiment de lassitude qui s installe, met en exergue tout le poids du cancer et des traitements subis jusqu alors. Au début de la maladie, le patient a encore toute son énergie et bénéficie de celle de son entourage mais au fil du temps, il voit ses ressources physiques et psychologiques diminuer. La fatigue pour Razavi, Delvaux (1994), est un effet secondaire majeur que l on ne peut occulter, car il fait obstacle au retour à l autonomie du patient et nuit à sa qualité de vie. Les patients consultés ne sont pas concernés par les problèmes alimentaires et ne présentent pas de problèmes dentaires majeurs, qui pourraient être secondaires à la radiothérapie. Mais ils son gênés par l altération de l odorat et du goût et se plaignent d une sécheresse buccale, associée à une diminution de la sécrétion salivaire. Nos résultats mettent en évidence une douleur perçue par cinq laryngectomisés sur huit, modérément par la moitié d entre eux et fortement pour le 5ème. Certaines tumeurs, nous indiquent Razavi, Delvaux (1994), entraînent peu de manifestations douloureuses comme le lymphome ou la leucémie, mais les cancers ORL sont plus algiques. Dans le QLQ-C30, les résultats sont obtenus à partir de questions d ordre général : 9- Avez-vous eu mal? 19- Des douleurs ont-elles perturbées vos activités quotidiennes? Mais dans le module spécifique, seulement deux patients se plaignent d une douleur modérée, lorsque le siège de la douleur est précisé : 1- Avez-vous eu mal dans la bouche? 2- Avez-vous eu mal à la mâchoire? 3- Avez-vous eu des douleurs dans la bouche? 4- Avez-vous eu mal à la gorge? Les réponses obtenues permettent de dire que la douleur ne se manifeste pas au niveau de la bouche, de la mâchoire ou de la gorge. Par ailleurs, nous n avons trouvé aucune corrélation entre la prise d anti-douleurs et une manifestation douloureuse signalée dans le QLQ-C30, excepté pour un patient. Ces différents constats soulèvent des interrogations sur le siège de la douleur perçue par les laryngectomisés, et aussi sur la compréhension des questions posées dans le module spécifique. La traduction des questions 1 et 3 nous semble manquer de clarté et n optimise pas la qualité des réponses. Nous sommes confrontés ici aux difficultés de traduction des questionnaires, soulignées par Leplège (1999). Maintenant, c est de la gravité des symptômes mis en évidence, mais aussi du contexte dans lequel s inscrit la trajectoire de vie du patient, que va dépendre l état psychologique du laryngectomisé. 81

Les répercussions psychologiques Les réponses données par les laryngectomisés montrent qu ils «se sentent bien» sur le plan psychologique pour la majorité d entre eux. Deux patients n ont pourtant pas le même ressenti et se sentent à la fois tendus, irritables, soucieux et déprimés. Pour tous les deux, la laryngectomie est un évènement récent, qui se situe entre huit mois et un an. La fin du traitement selon Razavi, Delvaux (1994), engendre une situation difficile où domine un fort sentiment de malaise et d irritabilité. L interruption des relations établies avec l équipe soignante fait naître un sentiment d abandon. Le patient se sent vulnérable et impuissant face à une situation qu il ne maîtrise pas. Cette incertitude est avant tout génératrice d anxiété. «L anxiété survient souvent dans des situations de menace, constituant à la fois le signe d alarme qui les annoncent et la première étape de la réaction destinée à y faire face». (Razavi, Delvaux, 1994) Par ailleurs, ces auteurs nous expliquent que la phase de rémission entraîne un certain nombre de remises en question, pendant laquelle une angoisse diffuse, une appréhension de la rechute (le syndrome de Damoclès) et la perception d une vie écourtée sont fortement ressenties. À ces troubles de l humeur, peuvent venir s ajouter des troubles cognitifs tels qu un manque de concentration ou de mémorisation, signalés par la moitié des laryngectomisés que nous avons consultés. (Trois ont été opérés depuis moins d un an). Des troubles du sommeil apparaissent dans les mêmes proportions. Et dans certains cas, des difficultés financières viennent s ajouter, signalées par 3 patients sur 7. C est donc dans un contexte difficile, que le laryngectomisé va à son retour à domicile, établir de nouvelles relations avec son entourage, qu il soit familial, amical, social ou professionnel. Les répercussions sociales La voix est l élément de relation par excellence. Sa perte bien que compensée par l acquisition d une nouvelle voix, est LE handicap souligné par tous les laryngectomisés. Les difficultés rencontrées sont modérées pour six d entre eux et perçues comme assez importantes pour les deux autres. Pour l une de ces deux personnes, ce ressenti est lié à l utilisation d une prothèse phonatoire externe, qui indique un échec de la rééducation vocale. La chirurgie cervico-faciale est particulièrement mutilante mais les résultats nous montrent que plus de la moitié des patients ne sont pas du tout perturbés par leur image corporelle. Mais il faut noter qu une seule question, portant précisément sur l apparence physique, a été posée dans le module spécifique. À partir des résultats obtenus, il est possible de faire les liens entre le temps écoulé depuis l intervention chirurgicale, le soutien familial du patient et sa perception de sa qualité de vie. Lorsque le temps écoulé depuis l intervention chirurgicale est supérieur à 1 an, et que la personne vit en couple, on constate que celle-ci a une meilleure perception de sa vie familiale et sociale. Ce constat met en exergue le temps nécessaire à la réadaptation d une part, mais aussi le rôle essentiel de l entourage immédiat du patient dans le processus de réinsertion. Il est d usage de supposer que la richesse des relations sociales de l individu intervient dans sa réinsertion familiale, sociale et professionnelle. 6-2 À partir des entretiens semi-directifs Les répercussions physiques Dans les propos recueillis au cours de chaque entretien, le handicap de la perte de la voix et les difficultés liées à la rééducation vocale occupent la première place et sont même pour Monsieur X, au cœur de ses préoccupations. Très vite, ce dernier aborde le sujet qui retient toute son attention : son dossier de prise en charge pour un séjour dans un centre de rééducation vocale «intensive» selon ses propres termes. Obtenir la voix œsophagienne est pour Heuillet- Martin, Garson-Bavard (1995), une épreuve difficile, un défi à relever. Le Huche (1980), explique que le patient a parfois du mal à accepter sa mutilation, douloureusement ressentie aussi bien sur le plan physique que psychologique. Le laryngectomisé souhaiterait l oublier or la rééducation vocale l oblige à prendre pleinement conscience de son handicap; car il est nécessaire qu il visualise les problèmes mécaniques qu il rencontre, pour réapprendre à parler. Monsieur X rencontre l orthophoniste 2 fois par semaine à raison d une demi-heure par rendez-vous. Le matin même de notre entretien, elle lui a dit que la rééducation vocale demande du temps et de la 82

CANCERS LARYNGÉS ET PHARYNGO-LARYNGÉS : ÉVALUATION DE LA QUALITÉ DE VIE DES LARYNGECTOMISÉS patience; or Monsieur X est nerveux et impatient de retrouver «une voix», car il ne maîtrise pas encore la voix œsophagienne. Il se fatigue et supporte de plus en plus mal cette situation. Monsieur Z souligne les difficultés qu il a rencontrées lors de l apprentissage de la voix œsophagienne, qu il n a obtenue qu un an après l intervention chirurgicale. Faisant trop de mouvements de lèvres inutiles, ses efforts étaient épuisants et sans résultat. «Ne songeant qu à faire preuve de bonne volonté, ils ont tendance à faire «n importe quoi», et à se donner inutilement beaucoup de mal dans le désordre». (Le Huche, 1980) L acquisition de la voix œsophagienne demande à la personne de s imposer une discipline. Elle exige l exécution d exercices parfois très simples, même lorsque le laryngectomisé parvient à s exprimer à voix haute et s ennuie en réalisant des exercices pour débutants. Bien déterminé à reparler le plus vite possible, Monsieur Y a acquis la voix œsophagienne un mois après l intervention chirurgicale. Cet apprentissage s est poursuivi lors de séances d orthophonie, à raison de deux par semaine, associées à des exercices quotidiens au domicile, seul face à son miroir. Il précise qu aujourd hui encore, il «entretient» sa voix en faisant régulièrement ces mêmes exercices une demiheure tous les matins pour «reprendre du souffle». Nous avons remarqué dans le discours, que le laryngectomisé précise toujours qu il a retrouvé «une» voix et non «sa» voix. Très volontiers, Monsieur Z nous fait entendre qu il possède la voix trachéo-œsophagienne et la voix œsophagienne qu il pratique peu, mais qui lui donne la sécurité de pouvoir parler au cas où il aurait un problème avec l implant phonatoire. Grâce à la première, il a gardé la même intonation. «Mes amis me disent que j ai gardé la même voix qu avant». Ce témoignage fait apparaître tout l impact psychologique de la mutilation et de la perte de «sa» voix. Il nous ramène aux propos de Cornut (1998), qui décrit la voix comme un outil d affirmation et d expression de soi. La détérioration de l appareil respiratoire, qui a momentanément supprimé la communication orale, oblige le laryngectomisé à acquérir de nouveaux réflexes, dont les effets sont multiples sur la vie sociale. Différents handicaps et symptômes associés affectent les trois laryngectomisés dans les actes de la vie de tous les jours. Il s agit d une dyspnée («manque de souffle») et d un sentiment de fatigue. Messieurs Y et Z ajoutent à cela l altération de l odorat et la limitation dans les gestes, tandis que Monsieur X se plaint de troubles mnésiques. Monsieur Z nous dit qu il a appris à «parler à l économie» pour préserver son souffle et que tous les mouvements brusques sont à éviter. Bien que réaliste et conscient de ses limites, on perçoit un peu d amertume dans ses propos. Ces expériences de vie nous montrent, comme le dit Cros (1985), que le handicap subi est trop important pour vivre comme avant, mais ce dernier rajoute aussitôt qu il est possible de vivre pleinement. D ailleurs, les trois interviewés sont entièrement autonomes dans la réalisation des actes de la vie quotidienne et attachent une importance particulière à leur apparence physique. Ce constat est expliqué par Erlich (1990), de la façon suivante : inconsciemment vécue comme une castration, l amputation d un organe renvoie d abord à des préoccupations d ordre esthétique. Le trachéostome met la personne en face de la perte de l intégrité de son image corporelle. Monsieur Y nous dit qu il s est vite résigné car ce qui importait avant tout c était de reparler Après l intervention, Monsieur Z et sa femme ont été choqués par la présence du trachéostome. Après la laryngectomie partielle, le «trou» à la base du cou s était totalement refermé au bout d un mois alors qu il était maintenant définitif. «Cela fait peur» Il insiste sur l importance et l efficacité des exercices respiratoires et de la kinésithérapie après l intervention chirurgicale. Débailleul, Bonino-Ferrara (1993), décrivent le cou comme «une zone clef relationnelle». Dans le cadre de la relation à l autre et à soi-même, un investissement inconscient mais majeur régit «le port de tête». Le kinésithérapeute lutte contre une attitude figée, pour revaloriser l image corporelle, et apporter au laryngectomisé le bien-être et l aisance du mouvement. Subissant ainsi un certain nombre de pertes sur le plan physique mais aussi sur le plan social, ce dernier va adopter des attitudes différentes en fonction de sa personnalité. Les répercussions psychologiques Nous avons vu que l annonce du cancer crée une rupture dans le quotidien. La maladie fait irruption dans la vie en mettant en évidence la certitude d une mort prochaine, et l incertitude concernant le processus qui va se dérouler. Dans ce climat d insécurité, le laryngectomisé est dans un premier temps isolé par l hospitalisation, et privé de son autonomie. 83

Monsieur Y aborde brièvement la notion de culpabilité liée aux facteurs de risque de la maladie : «c est toujours un peu de notre faute». Quant à Monsieur Z, il a éprouvé un sentiment de révolte et d injustice à l annonce de son cancer car il n a jamais bu ni fumé. «Pourquoi lui?» Mais ils ont tous les deux décidé de vaincre la maladie. Razavi, Delvaux (1994), nous disent que la réorganisation faisant suite à la désorganisation provoquée par la maladie, se manifeste essentiellement par l esprit de lutte. La période avant l opération a été difficile à vivre, puis ils se sont battus pour réapprendre à parler le plus rapidement possible. Dès sa sortie de l hôpital, Monsieur Z s est rendu à l association puis dans un centre de rééducation vocale pendant un mois. De son côté, Monsieur Y a choisi de tout mettre en œuvre pour retrouver son autonomie, en réunissant les conditions les plus sécurisantes pour lui. Il est allé à la recherche de l information et de la vérité concernant son cancer. Et pour se sécuriser, Il a créé son propre réseau de soutien tout près de son domicile, en prenant contact avec tous les professionnels de santé dont il pourrait avoir besoin. Il a répondu ainsi au sentiment d impuissance et d inquiétude que fait naître le retour à domicile, en tissant d autres liens avec les soignants. Nous voyons qu ils se sont rapidement inscrits dans une recherche active de soutien social qui leur a permis d optimiser leur adaptation à la maladie et à ses séquelles. Cette adaptation à la nouvelle situation, précisent Razavi, Delvaux (1994), entraîne un rétablissement des défenses psychologiques et le malade a l impression de pouvoir contrôler sa vie et de l assumer de manière différente. Ils rajoutent que la certitude que la vie a une limite mais l impossibilité d en connaître la durée exacte sont des facteurs qui produisent un niveau d anxiété très élevé. Le besoin de vivre intensément le temps qui reste, est ressenti très fortement. Au cours de l entretien avec Monsieur Y, nous avons particulièrement perçu ce besoin d être actif et de vivre le maximum de choses le plus vite possible. À l inverse, Monsieur X n a pas adopter une prise de position active face au cancer. Peu expansif et discret, il a dans un premier temps refusé de se rendre dans un centre de rééducation vocale, qu il jugeait trop éloigné de son domicile et où il ne connaissait personne. Et il n a pas voulu adhérer à l association. Cette attitude a pu lui paraître protectrice, car elle ne provoque aucun changement apparent. Mais on peut penser qu elle l a emprisonné dans la crainte du moment présent et des multiples difficultés à surmonter. Conseillé et stimulé par une dame laryngectomisée depuis 9 ans et qui parle aujourd hui «normalement», il a aujourd hui accepté et mis tous ses espoirs de reparler dans ce séjour. Après la réaction de déni de la gravité, indiquent Razavi, Delvaux (1994), le patient prend conscience des limites imposées par la maladie. Après avoir évalué les difficultés qu il rencontre, l opéré va réagir selon le modèle de «coping» des anglo-saxons, c est-à-dire en adoptant différentes attitudes face à la maladie. Ces attitudes reprennent en partie celles déjà décrites par Kübler-Ross (1975). Laccourreye, Bassot (1996), les explicitent de la façon suivante : - Le patient peut s enfermer dans un déni protecteur, qui va l empêcher de participer activement à son traitement. Son anxiété sera alors majorée par les informations données. - À l inverse, le patient anxieux peut aller au-devant de l information pour se rassurer. Mais il s agit de l information d ordre pratique, qui va permettre de l apaiser. - L attitude dépressive domine parfois; elle accompagne tout processus de deuil. - Chez 30 % des patients cancéreux persiste un moi idéal. Ce trait de caractère, rencontré très fréquemment dans les cancers ORL, se caractérise par le sentiment d avoir été trahi, d être abandonné, de ne pas exister, de n être rien. «Certains patients ne se feront jamais à l idée d avoir un cancer, même s ils vivent une rémission de longue durée». (Razavi, Delvaux, 1994) Autrefois «bon parleur», Monsieur X n accepte pas son handicap. Il a besoin de parler. Tout seul, il ne fait que des petites phrases, d une demi-douzaine de mots et il juge insuffisant ses cours d orthophonie. On retrouve chez lui, un sentiment de dévalorisation dû au manque de communication provoqué par la maladie. Entouré de personnes plus âgées que lui, Monsieur X est incompris par eux, du fait de leur surdité, et il se heurte dans sa vie de tous les jours à l impatience ou à l indifférence de ceux qui pourraient l entendre. «Les gens qui me connaissent font attention, les autres sont réticents Je suis obligé de reprendre mon souffle». Les conversations qui s engagent sont brèves et se résument trop souvent à son goût à des formules de politesse ou à des banalités : «Vous faites des progrès! Ça va?». 84

CANCERS LARYNGÉS ET PHARYNGO-LARYNGÉS : ÉVALUATION DE LA QUALITÉ DE VIE DES LARYNGECTOMISÉS Aujourd hui, il est conscient qu il a besoin d aide et de soutien Il vient à l association seulement depuis quelques mois, sur les conseils de l orthophoniste qui l a mis en contact avec l un des bénévoles. Lors des permanences, il regrette de ne pas avoir plus d échanges avec d autres laryngectomisés. Razavi, Delvaux (1994), disent de la vie associative qu elle permet au patient de faire une comparaison sociale, nécessaire pour avoir une meilleure perception de la réalité de la maladie. Au cours de ces échanges, les situations sont dédramatisées et la restauration de l estime de soi est favorisée par des processus d identification. Par la suite, la personne est en mesure d évaluer sa capacité à gérer cette nouvelle réalité. Pour favoriser l adaptation au changement, l information est une donnée essentielle dont devrait bénéficier chaque patient. Or Messieurs Y et Z n ont pas reçu toutes les informations qui auraient pu les aider à vivre le moment présent et à anticiper leurs besoins. Razavi, Delvaux (1994), soulignent le rôle de l information dans la diminution de l incertitude, à laquelle est confronté le malade. M. Z a même eu la surprise d apprendre puis de voir que le chirurgien lui avait placé un implant phonatoire. «Peut-être me l avait-il dit mais en tout cas, je ne l avais pas assimilé!» Cet implant a dû être retiré sous anesthésie générale au bout de 3 mois et remplacé par un autre avec lequel il n a pas eu de problème depuis. Cette situation soulève des interrogations sur le consentement «très libre et éclairé du patient», auquel nous avons fait référence à travers les propos de Schmerber, Cuisnier (1999). La réinsertion familiale et sociale Après la vie associative, c est la réinsertion qui joue un rôle significatif car elle symbolise d une certaine façon l accord avec les autres malgré la différence. C est la condition pour que la personne s accepte avec son handicap grâce aux images positives reçues de l environnement. À partir de ce moment-là, la maladie va concerner le laryngectomisé mais aussi son entourage. Monsieur Y souligne le soutien psychologique que lui a apporté sa femme à ce moment-là et sans lequel il n aurait pas pu surmonter l ensemble des difficultés rencontrées. Pour cela, il a voulu retrouver très vite son autonomie. «Il n était pas question que je sois un fardeau pour celle qui avait tant supporté pendant l hospitalisation». Lorsque ce sentiment de culpabilité s observe, Razavi, Delvaux (1994), indiquent que c est alors le patient qui à son retour à domicile, soutient la personne en bonne santé. Ils mentionnent par ailleurs que c est au sein d une relation familiale stable et en bénéficiant du soutien affectif de leur entourage que les patients peuvent maintenir un haut niveau de qualité de vie. La présence ou non d un soutien psychologique semble être un facteur déterminant dans le processus d adaptation à la maladie. Nous pouvons alors nous demander si en ayant un soutien familial à proximité, Monsieur X se serait adapté plus facilement à sa nouvelle situation. Les visites régulières de ses amis ne suffisent pas à rompre l isolement dont il souffre. Le réconfort apporté par l orthophoniste et les bénévoles de l association est insuffisant. Il se sent vraiment seul et ces propos mettent en évidence son besoin de jouer un rôle dans la société. Monsieur X nous indique qu il avait beaucoup de plaisir à s occuper d une voisine, dépendante d un fauteuil roulant, avec qui il allait se promener tous les jours. Mais cette dame a quitté la résidence et il est très affecté de ne plus avoir de nouvelles. Aujourd hui, il se sent inutile et se plaint d un manque de reconnaissance. Il est bien déterminé à acquérir la voix œsophagienne car il est conscient que de cette acquisition dépend sa qualité de vie. Sa situation nous montre que les besoins sont hiérarchisés et illustre la pyramide des besoins de Maslow, à laquelle Leplège (1999), se réfère. Chaque laryngectomisé va d abord chercher à satisfaire ses besoins fondamentaux, dont celui de communiquer. C est lorsque ceux-ci seront comblés, qu il pourra rechercher la satisfaction de besoins supérieurs, garants de la meilleure qualité de vie possible. Une communication verbale non efficace qui perturbe le comportement du laryngectomisé, met en péril la satisfaction des besoins relationnels et d accomplissement de soi. Les difficultés relationnelles liées à l utilisation d une voix verbale palliative sont également ressenties par Messieurs Y et Z, mais à un degré moindre. Monsieur Y a toujours été très bavard mais il émet aujourd hui une réserve concernant les réunions ou les repas réunissant un grand nombre de personnes car subsiste toujours la difficulté d être compris par tout le monde, n importe où et en toutes circonstances. Pour Monsieur Z aussi, «c est plus facile avec les proches qu avec les autres». 6-3 Deux méthodes complémentaires L utilisation en parallèle de deux techniques d enquête, nous a permis d avoir une approche quantitative et qualitative de la perception qu a le laryngectomisé de 85

sa qualité de vie. Il convient ici de préciser les limites de notre étude, qui sont données essentiellement par : La population concernée - La taille de l échantillon L administration de 8 questionnaires et la réalisation de 3 entretiens ne permettent pas d accorder une valeur scientifique à notre enquête. Notre analyse nous donne seulement un éclairage ponctuel sur le sujet. Elle contribue à une réflexion sur les problèmes rencontrés par les laryngectomisés dans le processus de réadaptation. - Tous les laryngectomisés sollicités sont membres de l Association de Laryngectomisés et Mutilés de la Voix d Île de France. La durée de l enquête Les critères de sélection de la population ont été définis dans le souci d homogénéiser notre échantillon en regard de l importance des séquelles physiques postopératoires. La précision de ces critères ne nous a pas permis de prendre un échantillon de population plus important dans le temps qui nous était imparti. Le manque d expérience de l investigateur dans le domaine de la recherche clinique. Cependant, notre étude nous a permis de mettre en évidence un certain nombre de points. L acceptabilité de la mesure de la qualité de vie que nous avons pu constater aussi bien lors de l administration des questionnaires que des entretiens, témoigne de l importance que le laryngectomisé attache au retentissement de la maladie et de ses traitements au quotidien, et de son souhait de le faire connaître. Evaluer la qualité de vie revient à considérer la perception que la personne a de son état physique, émotionnel et social. «La caractéristique commune des mesures de qualité de vie est de prétendre refléter l impact des maladies et des interventions de santé sur la vie quotidienne du point de vue des intéressés eux-mêmes». (Leplège, 1999) Avant tout privé de la communication verbale, le laryngectomisé doit en même temps s adapter à divers symptômes (dyspnée, toux, limitation des gestes, fatigue, altération de l odorat, douleur ), avec des répercussions inévitables dans sa vie de tous les jours. C est l utilisation du QLQ-C30 et de son module spécifique qui nous a permis plus particulièrement d explorer l état physique du patient (autonomie, capacités physiques) et les sensations somatiques (symptômes, effets secondaires des traitements). Ces résultats étaient attendus car nous rappelons que 63% des questions du QLQ- C30 explorent le domaine physique, 27% le domaine psychologique et 10% le domaine social. Selon Livartowski (1996), il est absolument nécessaire d utiliser en parallèle un indicateur généraliste et un indicateur spécifique pour optimiser les résultats. En ayant ajouté le module spécifique tête et cou au module central commun à toutes les localisations cancéreuses, nous sommes dans ce cas de figure. Car «plus l indicateur est spécifique, plus il est sensible mais moins il explore en fait la qualité de vie. L utilisation des indicateurs généralistes posent d autres problèmes. Ils explorent mieux l univers dans son ensemble mais leur principal défaut est leur manque de sensibilité». Livartowski (1996) L approche qualitative, par le biais des entretiens semidirectifs, est venue enrichir les résultats obtenus par l administration des questionnaires de qualité de vie. «À la fin, il doit toujours y avoir du langage-humain, donc du sens». (Paillé, 1997) L état psychologique, les relations sociales, le rapport à l environnement familial et social ont été largement abordés au cours des échanges, permettant comme l indique Paillé (1997), une découverte de sens, de processus et de phénomènes. C est cette relation privilégiée, d après Rogers (1968), qui va nous permettre de comprendre pour ne pas juger. Nos trois entretiens ont à la fois révélé les difficultés d apprentissage de la voix œsophagienne, les stratégies d adaptation individuelles, et le rôle de l entourage dans ce processus. Razavi, Delvaux (1994), ont pu constater qu il est courant de s occuper le plus et le mieux des patients ayant le plus faible risque psychosocial. Nous savons qu une minorité de laryngectomisés est membre d une association et ils ne sont pas tous suivis en consultation d orthophonie. Il serait intéressant de savoir comment ces patients gèrent le quotidien. De la même façon, nous souhaiterions connaître l incidence du suivi thérapeutique dans la vie du laryngectomisé. Est-il respecté? Est-il anxiogène ou rassurant pour lui? Ce sont des questions auxquelles notre travail n a pas permis de répondre. Pour aider le patient à retrouver la meilleure qualité de vie possible, il faut donc tenir compte de sa personnalité, de son passé, de ses habitudes de vie, mais aussi de son environnement familial et social. Sa prise en charge est à la fois physique, psychologique et sociale. Apparaissant comme un facteur essentiel dans sa réinsertion, la famille est pourtant souvent exclue de la prise en charge. Affectée elle aussi par la survenue du cancer, il serait important de connaître ses besoins. Ceci pourrait faire l objet d une recherche dont les 86