R.G.N 2011/AB/830 1e feuillet. Rep.N. COUR DU TRAVAIL DE BRUXELLES ARRET AUDIENCE PUBLIQUE DU 18 avril 2013 8ème Chambre CPAS - octroi de l'aide sociale Not. Art. 580, 8 e du C.J. Arrêt contradictoire Définitif En cause de: Contre : CPAS DE BRUXELLES, dont le siège social est établi à 1000 BRUXELLES, rue Haute, 298A, partie appelante, représentée par Maître LAHEYNE Fr. loco Maître DERRIKS Elisabeth, avocat à 1050 BRUXELLES, Avenue Louise 522/14 E., domiciliée à ***, partie intimée, représentée par Maître BANGAGATARE Marcel, avocat à 1210 BRUXELLES, rue Royale 243 ó ó ó La Cour du travail, après en avoir délibéré, rend l arrêt suivant: I. LES FAITS ET LA PROCEDURE. 1. Madame E., née le 18 janvier 1986, est arrivée en Belgique à l'âge de 9 ans avec sa maman, son frère et ses sœurs. Après avoir séjourné dans un centre d'accueil, la famille s'est installée dans la ville de Courtrai. Madame E. n'a pas terminé ses
2 ème feuillet études secondaires, mais est parvenue à obtenir son diplôme de secondaires par le jury central d examen en 2010. Pendant l'année scolaire 2010-2011 elle s'est inscrite pour la première année d'un baccalauréat en marketing dans une école à Bruxelles. Au moment de son inscription elle habitait toujours Courtrai où elle travaillait dans un magasin de vêtements comme vendeuse le weekend. 2. À partir du mois de janvier 2011 Madame E. a quitté le domicile familial et s'est installée à Bruxelles où elle a introduit le 27 janvier 2011 une demande auprès du cpas afin d'obtenir un revenu d'intégration sociale au taux isolé. Le 3 mars 2011 elle a informé le cpas de Bruxelles qu'elle avait mis fin à son travail à Courtrai vu les distances. Par décision du 14 mars 2011 le cpas de Bruxelles a refusé à Madame E. le revenu d'intégration sociale aux motifs suivants : - «Vous avez quitté volontairement un débiteur alimentaire pour vous installer en autonomie; - il n'y a pas de conflit majeur avec votre mère, débitrice alimentaire ; - vous avez arrêté volontairement votre job d étudiant.» 4. Par requête du 28 mars 2011, Madame E. à introduit un recours devant le tribunal du travail de Bruxelles contre cette décision. Par jugement du 28 juillet 2011, notifié le 4 août 2011, le tribunal du travail de Bruxelles a déclaré le recours de Madame E. fondé et a condamné le cpas de Bruxelles a accorder à Madame E. le droit à l'intégration sociale depuis le 27 janvier 2011, au taux isolé, sous la déduction d'une somme mensuelle de 100, représentant la part contributive qu elle aurait pu réclamer à sa mère et sous déduction de la rémunération méritée depuis le 27 janvier 2011. Le tribunal décidait en plus que les parties devaient conclure un projet individualisé d'intégration sociale, tenant compte des études en cours et que ce contrat devrait prévoir que Madame E. devrait chercher, au besoin avec l'aide du cpas, un travail d étudiant, compatible avec les études entreprises. Le tribunal autorisait l'exécution provisoire du jugement. 5. Par requête du 5 septembre 2011, le cpas de Bruxelles a interjeté appel de ce jugement. 6. Il résulte des éléments apportés par les deux parties devant la cour que : - Madame E. a réussi en bonne partie sa première année : elle pouvait passer à la deuxième année mais devait refaire deux cours ; - Madame E. est tombée enceinte et a accouché d'un enfant début janvier 2012 ; - le cpas de Bruxelles a accordé par décision du 13 février 2012 à Madame E. un revenu d'intégration aux conditions suivantes : fournir une
3 ème feuillet attestation de fréquentation scolaire, mettre tout en œuvre pour réussir des études, signaler immédiatement tout changement dans sa situation ; - Le cpas de Bruxelles a continué à accorder à Madame E. un revenu d'intégration, malgré le fait que Madame E. avait échoué dans sa deuxième année, en prenant en considération sa situation de jeune mère ; - le cpas de Bruxelles a exécuté le jugement du 28 juillet 2011. II. LA RECEVABILITE. La requête d'appel est régulière quant à la forme. Elle a été introduite dans le mois de la notification du jugement dont appel en tenant compte du fait que le jour de l'échéance du délai d'appel a été reporté du dimanche 4 septembre au lundi 5 septembre 2011. L'appel est recevable. III. LE FOND. 1. Le cpas de Bruxelles considère que Madame E. s'est placée volontairement en état de besoin, se privant ainsi volontairement des aliments auxquels elle avait droit et en ne démontrant pas qu'elle n'était pas en mesure de se procurer des ressources par des efforts personnels. Le cpas de Bruxelles reproche à cet égard au premier juge d avoir considéré de manière générale que le jeune adulte, qui quitte le toit familial, ne doit pas justifier d'une rupture ou d'une mésentente avec sa famille pour pouvoir bénéficier du droit au revenu d'intégration sociale. Le cpas de Bruxelles souligne que Madame E. n'a pas seulement quitté la cellule familiale, sans y être contrainte par des motifs impératifs, mais qu'elle a en plus choisi de suivre ses études dans une autre ville, optant ainsi pour la voie la plus coûteuse. Finalement Madame E. s'est privée volontairement de ressources, en mettant fin à son contrat d'étudiant. Le cpas de Bruxelles estime que c'est également à tort que le premier juge a accepté les études de Madame E. comme un motif d'équité la dispensant de justifier sa disposition au travail, alors qu'il constatait lui-même que les résultats scolaires de Madame E. n'étaient que médiocres. Madame E. demande la confirmation du jugement dont appel. 2. En vertu de l'article 3, 5 de la loi du 26 mai 2002 concernant le droit à l'intégration sociale, la personne qui fait appel au revenu d'intégration sociale doit notamment être disposée à travailler, à moins que des raisons de santé ou d'équité l'en empêchent. En vertu de l'article 11 2 de la même loi le CPAS peut accepter, sur base de motifs d'équité, qu'en vue de l'augmentation de ses possibilités d'insertion professionnelle, le demandeur du revenu reprenne ou continue des études de plein exercice dans un établissement d'enseignement affilié, organisé ou subventionné par les communautés. La possibilité de reprendre des études, tout en percevant le revenu d'intégration sociale, n est possible qu à la condition que l'étudiant établisse son aptitude aux études. Il faut en plus que l'étudiant respecte les engagements qu'il a pris à l'égard du CPAS dans le cadre du projet individualisé de l'intégration sociale et que le choix des études soit discuté avec le cpas. 3. Le seul fait que la loi du 26 mai 2002 accorde le droit au revenu d'intégration sociale à partir de l'âge de 18 ans n'implique pas pour autant que chaque jeune a
4 ème feuillet le droit de «revendiquer» à partir de cet âge son autonomie et s'adresser au cpas afin d'obtenir le revenu d'intégration. Le droit au revenu d'intégration est en effet limité par l'article 4 de la même loi qui prévoit qu'il peut être imposé à l'intéressé de faire valoir ses droits à l'égard de personnes qui lui doivent des aliments. Cette disposition permet donc en principe à un centre public d'aide sociale de refuser le droit au revenu d'intégration sociale en invitant le jeune de s'adresser au préalable à ses parents afin d obtenir les aliments auxquels auquel il peut prétendre en vertu des obligations résultant des dispositions du Code civil. L'article 211 du Code civil prévoit à cet égard que le tribunal peut, si le père ou la mère offrent de recevoir, nourrir et entretenir dans sa demeure l'enfant à qui ils devront des aliments, les dispenser de payer une pension alimentaire. Cette possibilité vient de trouver confirmation dans la jurisprudence récente, comme en témoignent un jugement du tribunal de première instance de Bruxelles du 1er février 2011 (JLMB 2012, p.1704) est un arrêt de la cour d'appel de Bruxelles du 14 septembre 2006 (J.T. 2007, p.190). Il s'agissait dans les deux cas de la situation des jeunes étudiants. Dans son arrêt du 14 septembre 2006 la cour d'appel de Bruxelles a refusé à un centre public d'aide sociale la possibilité de récupérer le revenu d'intégration sociale en considérant que les parents peuvent opposer au cpas les moyens et exceptions qu'ils auraient pu opposer à l'action alimentaire de l'enfant et que l'obligation alimentaire peut être convertie en une obligation en nature consistant en l hébergement de l'enfant. 4. Le renvoi au débiteur d'aliments n'est toutefois qu'une faculté dont le cpas doit faire application avec discernement. Le renvoi au débiteur d'aliments, (avec la possibilité pour ces derniers de s'exécuter de leur devoir en offrant de recevoir, nourrir et entretenir dans leur demeure l enfant) doit être examiné cas par cas en tenant compte et de la situation du jeune et de la situation du débiteur d aliments. A cet égard il n'y a aucun élément décisif qui permet de considérer que seule la perturbation sérieuse des relations entre l'enfant et ses parents serait de nature à écarter le renvoi. Ainsi on peut penser à la situation du jeune étudiant qui ne retrouve pas dans le domicile familial l espace et le calme nécessaire pour étudier. En l'occurrence il y a lieu de tenir compte du fait que (sans doute suite aux difficultés qu'elle a connues dans sa jeunesse et l'arrivée en Belgique à l'âge de neuf ans), Madame E. n'a pu obtenir son diplôme d études secondaires qu à l âge de 23 ou 24 ans (jury central) et n'a pu entamer ses études supérieures qu à ce même âge. Madame E. était âgée de 25 ans au moment où elle a fait appel au cpas, c'est-à-dire à un âge où la plupart des jeunes ont terminé déjà leurs études et sont en mesure de gagner l'argent qui leur permet de vivre en autonomie. En plus Madame E. a choisi de faire ses études supérieures dans une école francophone (et donc nécessairement en dehors de Courtrai) sans doute au motif que, malgré le fait qu'elle avait en Belgique toujours vécue à Courtrai, elle maîtrisait mieux cette langue. Quant au débiteur d'aliments Madame E. avait déjà perdu son père de sorte que seule sa mère pouvait intervenir dans son entre entretien. Celle-ci avait, avec un salaire de +/- 1.450, deux autres enfants à sa charge.
5 ème feuillet C'est donc à tort que le cpas de Bruxelles a refusé à Madame E. le droit au revenu d'intégration au motif que celle-ci s'était volontairement mis dans un état d'indigence en renonçant à vivre dans le domicile familial. 5. Le cpas de Bruxelles ne peut être suivi quand il considère que Madame E. n'établissait pas son aptitude aux études. Non seulement le cpas de Bruxelles n'a fait dans le cadre de son enquête aucun examen à ce sujet, en plus il résulte des résultats que Madame E. a pu obtenir pendant la session de septembre 2011 qu'elle était bien capable de suivre les études qu'elle avait entamées. Dans sa décision du 13 février 2012, par laquelle le revenu d'intégration a été accordée à Madame E., le cpas de Bruxelles a d'ailleurs, sur base de l'avis favorable de l'assistant social, dispensé Madame E. de l'obligation d'être disponible pour le marché du travail et lui a autorisé à poursuivre ses études. Le cpas de Bruxelles ne peut pas être suivi non plus quand il reproche à Madame E. d'avoir abandonné son travail d étudiant. Dès le moment où elle vivait à Bruxelles, il n'était pas réaliste de demander à Madame E. de retourner le weekend à Courtrai pour effectuer un job d étudiant, ceci d'autant plus que les relations familiales étaient difficiles, de sorte que Madame E. ne revenait sans doute pas chaque weekend à Courtrai pour rejoindre sa famille. 6. Le jugement dont appel doit donc être confirmé. PAR CES MOTIFS, LA COUR DU TRAVAIL, Statuant contradictoirement, Vu la loi du 15 juin 1935 sur l emploi des langues en matière judiciaire, notamment l article 24, Entendu Monsieur M. PALUMBO, Avocat général, en son avis oral conforme auquel il n a pas été répliqué, Déclare l'appel recevable mais non fondé et confirme le jugement dont appel. Condamne, conformément à l'article 1017 du Code judiciaire le cpas de Bruxelles aux dépens, évalués dans le chef de Madame E. à 160,36.
6 ème feuillet Ainsi arrêté par :. F. KENIS Conseiller. S. KOHNENMERGEN Conseiller social au titre d employeur. R. PARDON Conseiller social au titre de travailleur employé et assisté de B. CRASSET Greffier B. CRASSET S. KOHNENMERGEN R. PARDON F. KENIS et prononcé à l audience publique de la 8e chambre de la Cour du travail de Bruxelles, le dix-huit avril deux mille treize, par : F. KENIS Conseiller et assisté de B. CRASSET Greffier B. CRASSET F. KENIS