Note du Réseau Action Climat - Mars 2013 Analyse de la position allemande Super crédits : le diable se cache dans les détails Contexte En juillet 2012, la Commission publie sa proposition de révision du règlement 443/2009 destiné à fixer le seuils d émission de CO2 des véhicules particuliers neufs à 95g CO2/km en 2020. Parmi les nombreuses dispositions de cette proposition, les super- crédits (ou bonifications), sorte de récompense pour les ventes de véhicules à très faibles émissions de CO2, sont réintroduis dans la proposition. L Allemagne suggère des modifications fortes du dispositif proposé par la Commission que cette note a pour ambition de comparer aux autres options disponibles. 1 à Au delà de leur impact environnemental, les super- crédits à l allemande portent atteinte au leadership européen, à la saine compétitivité entre constructeurs automobiles et au principe de neutralité technologique. I) Les super- crédits Le dispositif de super- crédits a été conçu dans un but louable, celui d encourager les constructeurs automobiles à produire des véhicules très sobres en carbone ; mais en accordant des crédits supplémentaires aux constructeurs de ces véhicules, il a pour conséquence de gonfler artificiellement les ventes de ces véhicules. Le nombre de ventes imaginaires dépend du coefficient multiplicateur. Le schéma ci- contre illustre le mécanisme de super crédit. Sans facteur multiplicateur, la vente d un véhicule à batterie électrique zéro émissions permet en théorie au constructeur de vendre un véhicule très émetteur (190gCO2/km) tout en respectant son objectif moyen de 95g. Avec un facteur multiplicateur de 2, comme sur le dessin, une vente de véhicule électrique permet la vente de deux véhicules très polluants, sans porter atteinte pour autant à l objectif 95g, du moins sur le papier 1 Pour retrouver l analyse de Transport & Environment à l origine de cette note, voir http://www.transportenvironment.org/sites/te/files/publications/german%20super%2 0credit%20proposal%20final_0.pdf
En réalité, le dispositif de super- crédits permet aux constructeurs de vendre davantage de véhicules énergivores et très émetteurs. Cet air chaud a pour effet pervers d affaiblir l objectif de 95g CO2km et de diminuer les progrès technologiques nécessaires sur les véhicules conventionnels. II) La proposition de la Commission européenne L étude d impact de la commission européenne reconnaît que le dispositif de super crédits est inefficace au regard des coûts 2 mais, sous la pression de l industrie automobile - en particulier allemande 3, un dispositif d ampleur modérée fut réintégré dans les dispositions du projet de règlementation. Le système de super- crédit tel qu il est proposé par la commission est valable pour les années 2020-2023 avec un facteur multiplicateur de 1,3, dans la limite de 20 000 véhicules éligibles par constructeur sur la période. Le seuil d éligibilité est fixé à 35g, au lieu du seuil de 50g qui figure dans le règlement de 2009 4 qui a fixé l objectif de 130gCO2/km pour 2015. L impact de cette proposition sur l objectif 95g se limiterait à un gramme. III) La proposition allemande 1- Des coefficients multiplicateurs très élevés L introduction de facteurs élevés allant de 3,5 en 2016 à 1,5 en 2020 est un élément clé de la contre- proposition allemande. L impact des super crédits sur la valeur réelle de l objectif est d autant plus fort que les facteurs sont élevés, mais il dépend aussi fortement de la part du marché que représenteront alors les véhicules sobres en carbone, comme l illustre le graphique ci- dessous : 2 Commission Impact Assessment, 2012, p88 3 http://www.euractiv.com/climate- environment/oettinger- tells- carmakers- fear- p- news- 515359 4 Proposal for a Regulation amending Regulation (EC) No 443/2009, 2012, p9.
à Le résultat est clair, l efficacité des super crédits pour stimuler la vente de véhicules sobres en carbone a un prix : des progrès technologiques moindres sur le reste de la flotte. 2- Une bancarisation des crédits (banking) La proposition allemande prévoit l introduction des super crédits entre 2015 et 2020, ouvrant la porte à l accumulation de super- crédits, réutilisables entre 2020 et 2023. Le graphique ci- dessous révèle l impact annuel du dispositif allemand sur l objectif global de 95g si l objectif allemand d un million de véhicules vendus était étendu à toute l Union européenne. Le banking aurait pour conséquence d affaiblir de plus de 10 grammes l objectif de 95g en 2020, et reporte de fait l atteinte de l objectif 95g CO2/km à 2024. Le risque de voir l Union européenne et les constructeurs européens perdre leur leadership en la matière, notamment face aux Etats Unis dont l objectif 2025 est fixé à 93g pour les véhicules particuliers, est réel 5. La ligne rouge sur le graphique suivant illustre l effet de phase- in appliqué aux super crédits. Si la bancarisation des super- crédits existe dans la législation américaine relative aux émissions de CO2 des véhicules, elle s inscrit dans le cadre d objectifs annuels. Sans ces objectifs annuels, les constructeurs peuvent cumuler les super- crédits avant 2020 (zone 5 ICCT 2012, European CO2 Emission Performance Standards for Passenger Cars and Light Commercial Vehicles, p 5. http://www.theicct.org/sites/default/files/publications/icct%20policy%20update%20eu%20pv_lcv%2 0CO2%20July2012final.pdf
jaune) et les utiliser pour réaliser l objectif 95g après 2020 (zone rouge), comme l illustre le graphique ci- dessous. La bancarisation des crédits a un impact deux fois plus néfaste que les super crédits classiques. En repoussant de fait l objectif 95g à 2024, elle diminue les chances d avoir un objectif post- 2020. 3- Des critères d éligibilité plus souples Dans le dispositif allemand, pour qu un véhicule soit éligible aux super- crédits, celui- ci doit émettre moins de 50% de la valeur de l objectif unitaire du véhicule, tout en maintenant ses émissions en dessous de 65g CO2/km. Avec un seuil de 65g, même les véhicules hybrides rechargeables ainsi que les hybrides classiques 6 pourraient être concernés. Le champ d application est donc très large comparé aux propositions de la commission (35g) et de la situation actuelle (50g). De plus, - la règle des 50% favorise les véhicules puissants en leur accordant un seuil d éligibilité plus élevé, alors que les petits véhicules devront respecter des seuils encore plus stricts. Renault et Toyota étant les premiers concernés. En vertu du choix de la masse comme paramètre d utilité dans le calcul des objectifs, l octroi des super crédits dépend aussi de ce critère particulièrement injuste pour les constructeurs et contre- productif du point de vue environnemental. - La proposition allemande exclue les technologies autres que les véhicules à batterie électrique, les hybrides rechargeables, et les véhicules à pile à combustible. A titre d exemple, les hybrides très performants ne pourront en bénéficier. D où les interrogations de la Commission européenne sur la neutralité technologique de ce dispositif et ses implications en termes de compétitivité. à La proposition allemande n est pas neutre du point de vue technologique, ni de la compétitivité. 6http://www.motortrend.com/future/future_vehicles/1211_radical_new_toyota_prius_in_pipeline/styling.ht ml
IV) Une alternative efficace aux super crédits : la quota souple Les super crédits encouragent l offre de véhicules très sobres en carbone au détriment de l efficacité technologique des autres véhicules conventionnels. Ils sont en effet contreproductifs : s ils parviennent à stimuler d importantes ventes de véhicules sobres en carbone, le reste de la flotte sera elle bien moins verte. A l inverse, le système de quota souple (flexible mandate) proposé par la députée Fiona Hall, rapporteur pour le comité ITRE, garantit le développement des véhicules à très faibles émissions de carbone sans nuire à l objectif global de 95g CO2/km. Sous ce dispositif, les constructeurs qui fournissent plus de 3% de véhicules très sobres en carbone dans leurs ventes seront récompensés tandis que ceux qui atteignent moins de 2% des ventes seront pénalisés et devront fournir des progrès technologiques supplémentaires pour améliorer l efficacité énergétique de leurs véhicules conventionnels. Le système encourage donc tous les constructeurs à fournir un nombre minimum de véhicules très sobres en carbone et récompense ceux qui dépassent ces objectifs. Par ailleurs, l impact sur l objectif global est très limité. Conclusion Ce document souligne pourquoi et comment le marché des voitures à très faibles émissions de carbone devrait être soutenu sans qu'il faille pour autant sacrifier la recherche sur l'amélioration des voitures conventionnelles. Le régime de super crédits à l allemande peut nuire à l objectif de 95g de façon très importante. Cette proposition s éloigne du principe clé de neutralité technologique et favorisera certains constructeurs. La proposition de la commission européenne est moins préjudiciable mais aussi moins efficace pour stimuler les ventes de véhicules très sobres en carbone. La proposition de Fiona Hall semble être l option la plus satisfaisante. C est une solution technologiquement neutre, efficace grâce à l intégration d un bonus- malus, et transparente quant à l impact des super crédits sur l ambition du règlement.