RAPPORT ANNUEL 2010 DE LA BR INF MONT 10 Vendredi 26 novembre 2010 Champéry, Palladium Allocution de M. Philippe Leuba Conseiller d Etat, chef du DINT Monsieur le Président de la commune de Champéry, Monsieur le Conseiller aux Etats, Madame la Conseillère nationale, Messieurs les Conseillers nationaux, Monsieur le Commandant de la Brigade d infanterie de montagne 10 Madame et Messieurs les Présidents des Grands Conseils des cantons de Fribourg, Vaud et Genève, Mesdames et Messieurs les Officiers généraux, Mesdames et Messieurs les Officiers et Sous-officiers Mesdames et Messieurs les membres des autorités civiles et militaires, Chers amis français, Chers invités, Je suis très sensible à l honneur que vous me faites en m invitant à prendre la parole devant les cadres de la Brigade d infanterie de montagne 10 à l occasion de son rapport annuel 2010. Une brigade dont j observe que l emblème est un chamois s élançant par-dessus les montagnes. Dans une certaine mesure, ce pourrait être une allégorie de notre armée, tant elle a d obstacles à surmonter et de vires délicates à emprunter. Je ne sais si les militaires eux-mêmes partagent, de l intérieur, cette appréciation. J observe néanmoins et il faut le dire franchement que l opinion publique entend chaque jour parler, à travers les médias, de manque de moyens, d absence de définition claire des objectifs et de désenchantement généralisé. S il est vrai que l actualité retient plus volontiers les mauvaises nouvelles, il n en faut pas moins constater qu après des années d errements politiques, de tâtonnements stratégiques, de missions floues ou alibi au service de causes qui n ont pas toujours à voir avec la défense, le temps presse de fixer à l armée un cap précis, des mandats cohérents et de lui octroyer les moyens lui permettant de les assumer. Tout signe de faiblesse, toute indécision, toute conduite défaillante de l institution ne feront qu ouvrir de 1/5
nouvelles brèches qui faciliteront encore, si besoin est, le travail de sape dont elle est l objet. Tant mieux, diront ceux qui ne veulent plus de ce modèle. Le fait est, cependant, qu une majorité de citoyens continuent de lui témoigner une solide confiance. C est à eux que nous devons proposer une philosophie d engagement convaincante, rafraîchie, des lignes de forces qui tranchent avec le passé, avec le folklore et avec tout repli idéologique. Au nombre des maximes que nous devons au général Sun Tzu, un stratège chinois bien connu du V e siècle avant notre ère, figure un aphorisme qui n est pas sans lien avec la situation actuelle de notre armée : «Celui qui n a pas d objectifs, écrit-il, ne risque pas de les atteindre.» Or, depuis la fin des années 80 et, avec elle, la disparition du principe de dissuasion, il est manifeste qu il existe un flottement dans la formulation de ces objectifs. Une lacune incompréhensible dans la mesure où la menace, en tant que telle, n a pas disparu, même si elle se fait moins nette qu à l époque de la guerre froide. Contester l existence de cette menace, même latente, reviendrait à dire qu un danger est inexistant dès lors qu il n est pas identifié, ce qui est une évidente aberration. Pour assurer son efficacité vis-à-vis des nouvelles formes de menaces que nous connaissons, de quelque ordre qu elles soient et d où qu elles proviennent, notre armée se doit de conserver une force de frappe adaptée et des compétences humaines de pointe. A cette fin, l accent doit être résolument mis sur la formation, en particulier sur celle des cadres, sur l organisation, la doctrine et l équipement. Cet effort, cependant, serait dépourvu de sens s il restait confiné aux frontières de notre pays. Il apparaît en effet indispensable de conjuguer nos forces et d échanger nos savoirs et nos savoir-faire avec ceux d autres Etats, dans le cadre d une stratégie globale de prévention et de stabilisation. Jusqu ici, notre coopération militaire avec certains de nos voisins européens se limitait à des tâches de basse intensité. Or, notre destin sécuritaire partagé doit intégrer des collaborations plus intensives à l échelle de notre continent, et cela dans des domaines plus sensibles encore. J observe à cet égard que le Royaume-Uni et la France, se reconnaissant une confiance mutuelle qui n a selon leurs dirigeants jamais été aussi forte, viennent de signer une déclaration sur la coopération de défense et de sécurité qui s étend, fait sans précédent dans l Histoire, aux technologies liées à la gestion des arsenaux nucléaires. Cela doit nous inciter, nous aussi, à une réflexion approfondie en matière de partenariat de défense. Des partenariats, certes plus conventionnels, qui n impliqueraient notre intégration à aucune alliance militaire, offriraient des possibilités 2/5
d entraînement et donc de perfectionnement accrues ; ils renforceraient l attrait de l armée et pourraient permettre la réalisation d économies d échelle substantielles. J en viens précisément à l aspect des ressources pour relever qu il arrivera inéluctablement un moment où il ne sera plus possible de réduire la voilure sans risquer de priver l armée de sa capacité opérationnelle et de sa disponibilité. Ainsi que j ai coutume de le répéter, l économie pour l économie ne saurait tenir lieu de politique, à moins d avoir pour ambition de créer les conditions politiques favorables à la disparition de l institution sur le dos laquelle elle se fait, comme y aspire désormais ouvertement le Parti socialiste suisse. Il y a, et je crois être rejoint sur ce point par M. le Brigadier Froidevaux, un seuil incompressible en deçà duquel il n est décemment pas possible de conduire notre armée sans danger. Je laisse aux spécialistes le soin d évaluer le volume des effectifs et le budget nécessaires au maintien d une armée crédible. Du côté politique, néanmoins, notre devoir est de réaffirmer que si l armée doit exercer les missions qui lui sont assignées par la Constitution et par la loi, le minimum est qu elle puisse le faire avec des moyens appropriés, c est-à-dire sans dilapidation des deniers publics, mais sans mesquinerie non plus. Toute autre approche relève du plus élémentaire manque de respect visà-vis du citoyen-soldat. Ainsi, ce n est pas le budget qui doit circonscrire les missions de l armée, mais bien ses propres missions qui, une fois mises au net, doivent déterminer l enveloppe et la planification lui permettant de les accomplir. Je pense qu il n est pas encore tout à fait sacrilège de concevoir ainsi le bon ordre des choses, et je pense qu il est grand temps, pour le Conseil fédéral, de s atteler à cette tâche. J aimerais dire encore un mot sur deux éléments qui me paraissent importants : le premier est l obligation de servir ; le second, l ancrage cantonal de l armée. Dans la tactique insidieuse consistant à baisser constamment le niveau d exigence, figure la tentation d introduire une armée de professionnels. Je passe sur l augmentation des coûts de 15 à 20% selon certaines estimations qu un tel modèle ne manquerait pas d entraîner ; je passe aussi sur les problèmes plus fondamentaux liés à un tel changement de philosophie, et je m interroge de façon plus générale sur la faisabilité d un modèle de ce type, comme je m interroge d ailleurs sur la viabilité d un système de pur volontariat. En revanche, le maintien de l obligation de servir, le statut de citoyen-soldat et, plus généralement le système de milice, si intimement ancré dans nos usages, demeure un des éléments-clefs du ciment national et l un des plus profitables à la collectivité. C est d ailleurs encore ainsi que continuent de le considérer une majorité de nos concitoyens. 3/5
Il importe toutefois que ce modèle soit adapté aux impératifs de la vie moderne, pour que le soldat puisse dorénavant mieux concilier activités civiles et militaires. Compte tenu des impératifs actuels, ce n est en effet plus au calendrier de l armée à s imposer sur le calendrier académique ou sur celui de l activité professionnelle, mais bien l inverse. Parallèlement, d autres aménagements méritent d être étudiés sans a priori, comme la redéfinition du concept des cours de répétition, ou partiellement généralisés, comme le service long. Mais ces pistes spécifiques ne pourront être explorées qu après qu on aura indiqué la direction générale à suivre. S agissant maintenant de l ancrage territorial, nous devons observer, avec regret pour ce qui me concerne, que l armée a peu à peu perdu le contact institutionnel avec les cantons. Il faut le relever : il y avait par le passé un lien beaucoup plus étroit et des échanges beaucoup plus réguliers entre les troupes, leurs cadres et les autorités cantonales. Du fait d une centralisation progressive, ce qu il était jadis convenu d appeler par plaisanterie le «Pentagone» est véritablement devenu une institution pilotée depuis la Ville fédérale et depuis la Coupole fédérale sans que les cantons aient véritablement leur mot à dire en matière d engagement. C est regrettable dans la mesure où l armée est censée assumer des missions constitutionnelles de soutien aux autorités civiles lorsque ces dernières doivent faire face à une grave menace. Malgré ce déplacement axial du centre de décision, il faut saluer le fait que les bonnes relations perdurent entre ces deux institutions grâce au fait qu un grand nombre d officiers supérieurs et d officiers généraux continuent de favoriser ces relations et d associer régulièrement les autorités civiles à leurs activités. C est aussi grâce à des engagements de cette nature, choisis par affinité et pas uniquement imposés par les circonstances ou les obligations, que ces liens s entretiennent et se renforcent. A ce propos, il n est pas inutile de saluer la qualité de la collaboration entre la troupe et les forces de sécurité cantonales dans la planification du XIII e Sommet de la Francophonie qui s est récemment tenu à Montreux. «Croire et oser», proclame la devise du 6 e Régiment français de parachutistes d infanterie de marine, qui fut jadis commandé par le célèbre Général Bigeard. Croire et oser, c est une devise de militaires. Une devise qui appelle à la conviction et à la bravoure. Il serait bon pourtant que ces valeurs soient également partagées par les civils et surtout par les élus : croire à l avenir d une armée, c est-à-dire non seulement croire au risque, le prendre en compte, mais aussi l intégrer dans ses réflexions. Et, enfin, oser prendre courageusement les mesures qui s imposent pour le contrer. Voilà décrits à grands traits, Monsieur le Brigadier, Mesdames et Messieurs, quelques-uns des enjeux qui nous attendent et qui mettront les politiques à l épreuve de leur fidélité à l institution que vous servez. Dans mon 4/5
esprit, l objectif est clair, comme est clair le moyen d y parvenir. Mon soutien à l armée ne souffre d aucune hésitation, convaincu que je suis, à l instar du marquis de Vauvenargues, que le prix de la défense sera toujours inférieur à celui de la servitude. Tel est le message de confiance que je me suis plu à vous délivrer aujourd hui, au nom des autorités cantonales vaudoises, qui me chargent de souhaiter succès, vaillance et longue vie à la noble Brigade d infanterie de montagne 10. Je vous remercie de votre attention. Lausanne, le 26 novembre 2010 SEULES FONT FOI LES PAROLES EFFECTIVEMENT PRONONCÉES 5/5