LE SECRET PROFESSIONNEL Eléments de réflexion

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Transcription:

LE SECRET PROFESSIONNEL Eléments de réflexion Document rédigé par : Maître J. PAGÈS Docteur en Droit Avocat Professeur à l Université de Montpellier

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I LE CADRE Le secret professionnel est un savoir caché à autrui qui se caractérise par deux éléments : - un savoir partagé ; - un savoir protégé. De ce savoir, le travailleur social, l administration, l établissement ne sont pas prioritaires mais dépositaires. La fonction de ce secret est de Protéger : - Protéger un sentiment ou un Bien, - Protéger un jugement, protéger une réputation. Dès lors, passer outre au secret est toujours considéré comme une violence. Pour le Dépositaire, le travailleur social par exemple, le secret professionnel n est ni une Protection, ni un Droit de ne pas répondre aux questions que l on pourrait se poser. Le secret professionnel est une obligation de se taire qui lui est imposée par la loi sous peine de sanction pénale. On est tenu au secret professionnel. Par le secret professionnel, il s agit de protéger l intimité de l usager mais aussi et surtout, c est une règle d ordre public qui doit garantir la confiance dans une profession. Quel texte s applique? Le célèbre article 378 du Code Pénal a été remplacé dans le nouveau Code par l article 226-13 qui stipule : «la révélation d une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état, soit par profession, soit en raison d une fonction ou d une mission temporaire, est punie d un an de prison et de 15 000 euros d amende». Les travailleurs sociaux sont très sensibles aux questions liées au secret professionnel qui est un élément essentiel du travail social. Certaine affaires récentes dans lesquelles certains ont été mis en examen, ont fait ressortir la question de leur positionnement face au secret professionnel. L article 226-13 qui définit l infraction de violation du secret professionnel prévoit l existence de trois éléments constitutifs de cette infraction, à savoir : - une information à caractère secret ; - une personne dépositaire d une telle information ; - une révélation de cette information. 3

II UNE INFORMATION A CARACTERE SECRET Le nouveau Code Pénal va plus loin que l ancien article 378 puisqu il ne s agit plus uniquement du secret expressément confié, mais de tout ce que le professionnel a vu, entendu, surpris, compris ou deviné III UNE PERSONNE DÉPOSITAIRE D UNE INFORMATION A CARACTERE SECRET Personne dépositaire, soit par état, soit par profession, soit en raison d une fonction ou d une mission temporaire. Il ne s agit plus de lister un certain nombre de professions puisqu on peut être soumis au secret professionnel en fonction de son état, de sa profession ou de sa fonction temporaire ou permanente. L innovation du Nouveau Code Pénal (N.C.P.) tient dans l introduction à côté du critère de fonction, du critère de la mission. Parallèlement au N.C.P., la loi du 16 décembre 1992 (92-1336) a modifié l article 80 du C.F.A.S. qui précise : «toute personne participant aux réunions de l A.S.E. est tenue au secret professionnel sous les peines et dans les conditions prévues par les articles 226-13 et 226-14 du Code Pénal». Cette modification est d importance car désormais sont soumis au Secret professionnel les travailleurs sociaux mais aussi les personnes qui effectuent les tâches de secrétariat et d administration à des niveaux d instruction des données ou de responsabilités. Enfin, il convient de rappeler que l article L.2112-9 du Code de la Santé Publique soumet au secret professionnel «toute personne appelée à collaborer au service départemental de protection maternelle et infantile». IV RÉVÉLATION D UNE INFORMATION A CARACTERE SECRET Dans un certain nombre de situations, révéler une information ou un fait se justifie. Deux cas : 1) La révélation est obligatoire quand il s agit de mauvais traitements ou de privations infligées : - à un mineur de 15 ans ; - à une personne qui n est pas en mesure de se protéger en raison de son âge, d une maladie, d une infirmité, d une déficience psychique ou physique ou d un état de grossesse. La personne qui en a eu connaissance et qui n informe pas les autorités judiciaires ou administratives encourt une peine de 3 ans de prison et de 45 000 euros d amende (art.434-3 du N.C.P). 4

Mais le deuxième alinéa de ce même article 434.4 du C.P. excepte de cette obligation les personnes soumises au C.P. ce qui signifie que les travailleurs sociaux soumis au C.P. ne pourraient plus être poursuivis pour non-dénonciation de mauvais traitement. 2) La révélation est laissée au choix du professionnel concerné et tenu au S.P. En effet, les sanctions prévues par l article 226-13 du N.C.P. contre toute personne qui révèle une information à caractère secret ne sont pas appliquées «à celui qui informe les autorités judiciaires, médicales ou administratives de sévices ou privations dont il a eu connaissance et qui ont été infligées à un niveau de 15 ans ou à une personne qui n est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son état physique ou psychique». En matière de mauvais traitements, sévices et privations, le professionnel a donc la possibilité : - soit de révéler les faits et il ne pourra être poursuivi pour violation au secret professionnel ; - soit de ne pas les révéler, donc de les garder secrets et il ne pourra pas être sanctionné pour non-dénonciation de mauvais traitements. Mais il faut être particulièrement vigilant car tout citoyen a une obligation générale de porter secours. Le manquement à cette obligation est défini par l article 223 du N.C.P. 3) Certains professionnels se voient imposer une obligation de signalement En effet, si toute personne qui participe aux réunions de l A.S.E. est tenue au secret professionnel, elle est également tenue «de transmettre sans délai au Président du Conseil Général ou au responsable désigné par lui toute information nécessaire pour déterminer les mesures dont les mineurs et leurs familles peuvent bénéficier et notamment toute information sur les situations des mineurs». Le Président du Conseil Général compétent aux termes des lois de Décentralisation est tenu au secret professionnel au même titre que toute autre personne participant aux missions de l A.S.E. Voir la liste des personnes dans le rapport. Il peut y avoir une obligation selon les circonstances. C est le cas du travailleur social «confident nécessaire». À ce niveau, nous devons évoquer la notion de secret partagé. Le Parlement a refusé de consacrer la notion de secret partagé l estimant encore trop imprécise pour faire l objet d une définition législative. Ce refus n avait nullement l intention de remettre en cause les pratiques qui, dans le silence des textes actuels, ont pu faire application de cette notion. Celles-ci conservent donc toute leur valeur. 5

Communiquer à un autre intervenant social des informations concernant un usager, nécessaires soit à la continuité de la prise en charge, soit au fait de contribuer à sa pertinence et son efficacité ne constitue pas une violation du secret professionnel mais un secret partagé. Il convient dans cette hypothèse de ne transmettre que les éléments strictement nécessaires, de s assurer que l usager concerné est d accord pour cette transmission ou tout au moins qu il en a été informé ainsi que des éventuelles conséquences que pourra avoir cette transmission d informations et de s assurer que les personnes à qui cette transmission est faite sont soumises au secret professionnel et ont vraiment besoin dans l intérêt de l usager, de ces informations. Le professionnel décidant de l opportunité de partager un secret devra également s assurer que les conditions de cette transmission (lieu, modalités) présentent toutes les garanties de discrétion. Dire que le travailleur ne pourra pas être poursuivi pour non dénonciation de crime, c est poser le problème du travailleur social et de la nonassistance à personne en danger. Cela ne l exonère pas, en aucun cas, de sa responsabilité en cas de délit de non assistance à personne en danger. L article 223-6 du N.C.P. ne comporte aucune exception quant à la qualité des personnes auxquelles il s applique. Tout professionnel, tout travailleur social, est tenu d agir s il peut «empêcher par son action immédiate, sans risque pour lui ou pour les tiers, soit un crime, soit un délit contre l intégralité corporelle d une personne» et s il peut «porter à une personne en péril l assistance que sans risque pour lui ou pour les tiers, il pouvait lui prêter soit par son action personnelle, soit en provoquant un secours». - Jurisprudence Montjoie Conclusion Nous venons de le voir, la question du secret professionnel est une des plus délicates auxquelles sont confrontés les travailleurs sociaux. Ceci d autant plus qu ils se situent à un moment où les termes de leur mission sont de plus en plus difficiles à cerner et à tenir. À cet effet, la complexité de leur mission est évidente : pluridisciplinarité des équipes, partenariat inter-institutions, compétences pour agir sur le même objet social. Tout ceci avec en toile de fond une démarche d informatisation et de connexion entre dispositifs informatisés à outrance facilitant le transfert des informations sans obligatoirement que les professionnels aient leur mot à dire 6

Ce débat pose la délicate question du mode d indemnisation des victimes ; car derrière se pose la nécessaire question de la solidarité entre les membres d une même société. Cela nous amène à définir les liens qui existent entre la responsabilité de la société fondée sur les droits sociaux et ceux fondés sur le droit civil. La défense du droit des victimes ne se joue pas sur le seul droit civil. Il existe, je pense, un choix entre une régulation sociale et une régulation individuelle, entre une solidarité basée sur des droits sociaux et une solidarité basée sur des droits civils devant être mis en œuvre au cours de procédures judiciaires. C est ce nouveau débat qui est la forme nouvelle du débat ancien et sans doute éternel entre la faute et le risque. Le risque étant éducatif, pédagogique et thérapeutique, en lien avec la mission. «Responsable de quoi, demandait-on? Du fragile, est-on désormais enclin à répondre» (P. Ricoeur, Le concept de responsabilité). 7