VIVRE ET ÉDUQUER DANS LA SOCIÉTÉ ACTUELLE Le contexte de l école Bien des questions se posent devant le fonctionnement décevant du système éducatif. Quelques remarques sont à faire pour comprendre la situation. Il faut d abord se situer dans le cadre évident des liens qui s établissent toujours entre l éducation et la société dans laquelle on vit. Cette dépendance fonctionne dans les deux sens : pour une part tout ce qui se passe dans la société comme évolutions et mutations a des conséquence sur le fonctionnement de l école ; d autre part l éducation donnée à l école prépare la jeune génération pour constituer la société adulte. Aussi, pour comprendre l école d aujourd hui il est important de noter ce qui caractérise la société actuelle. Ces observations sont importantes dans la mesure où les enseignants mettent en œuvre dans leurs pratiques ce qui correspond à leurs représentations et à leurs idéalisations. Ce n est pas l incompétence des enseignants qui est à mettre en cause pour expliquer les dysfonctionnements de l école, mais plutôt une organisation inadaptée et la prégnance d une idéologie qui limite les référents des projets éducatifs à l épanouissement personnel sans considérer l intérêt et l importance des connaissances, de la culture et des contraintes imposées autant par la réalité que par la vie sociale. De façon rapide et synthétique, nous faisons ici la présentation des recherches qui s imposent pour définir des projets d action et d éducation qui ne se limitent pas à suivre ce que l on présente couramment comme l évolution normale de la société. Trois domaines seront évoqués : l intégration dans la société d abondance, la socialisation et la liberté individuelle, l éducation des enfants acteurs de leur savoir et de leur projet L intégration dans une société d abondance Notre société s est développée et enrichie de façon considérable dans le domaine des biens et des connaissances. Nous pouvons être heureux de l augmentation et de la diversification des productions qui nous mettent dans une société d abondance et nous offre un environnement beaucoup plus riche qu aux époques précédentes. Cela produit un changement radical dans la gestion des biens. Quand la production se limitait au nécessaire, il n y avait pas de problème de choix et de pertinence dans la jouissance des biens. La richesse de l offre nous met dans l embarras : nous n avons pas toujours les bons critères pour choisir dans la diversité des propositions qui nous sont faites. Une problématique nouvelle apparaît avec une offre qui dépasse les besoins. On voit d abord que les besoins sont redéfinis : ils ne sont plus déterminés par la nécessité, mais pour une bonne part, par les exigences sociales : c est ce que les autres ont, et ce qui est imposé par la mode, que l on veut désormais posséder. Bien que l on ait des vêtements encore en bon état on ne les porte plus s ils ne sont pas à la mode et on achète ce qu il est requis d avoir pour assurer une bonne image sociale. La mode étant définie par la publicité liée à la production, l offre induit les comportements et tend à réduire les personnes à n être que des consommateurs. La question se pose alors : l être humain n est-il qu un consommateur? Opposé à la simple logique de la consommation, il y à prendre en compte un autre registre de référence, à mettre des limites à la seule aspiration à consommer, en faisant des choix pour ne posséder que ce qu il est juste d avoir pour bien vivre. Le sujet acteur et décideur 1
se met en tension avec la sollicitation de consommation pour n acquérir que ce qui contribue à son épanouissement personnel et à une insertion sociale pertinente. La gestion de cette tension devient de plus en plus difficile devant l augmentation de l offre et la constitution par la publicité et les média d une modélisation qui réduit le bonheur à la possession d objets. Le comportement humain dans une société d abondance peut être figuré par une diagonale entre l abondance de l offre et les référents permettant de gérer la complexité de cette situation. On peut voir que dans différents registres, des prises de conscience se font, (et si l on parle de conscience on est dans l humain!), dans celui de la santé et de l alimentation, dans celui de l énergie, des transports et de l environnement, et même dans les comportements éthiques Un développement de la culture et des référents humains structurants est une exigence pour que l intégration dans notre société puisse se faire en prenant ses distances avec les sollicitations immédiates de tout ce qui nous est offert. L intégration dans une société d abondance demande de gérer la tension entre les objets offerts et la volonté humaine d orienter sa vie vers un idéal personnel qui ne se limite pas à une addiction à la consommation. Cette situation peut être figurée par le schéma suivant : La ligne horizontale (abscisse) est une flèche qui figure le développement de l offre, la ligne verticale (ordonnée) en flèche également indique l augmentation de la difficulté de choisir et de se mettre à distance. Sur les deux axes c est un développement de la complexité. Nous allons vers une société plus riche mais qui présente plus d exigence pour projeter sa vie suivant la bonne diagonale entre ces deux références. 2
La socialisation et la liberté individuelle La liberté est présentée comme un acquis et même comme une valeur incontestable. Le discours convenu et les média considèrent comme un bien tout ce qui va dans le sens de nous libérer de la tradition, des institutions, de toutes ces façons de faire que l on désigne comme des stéréotypes avec une connotation péjorative. La liberté ainsi reconnue se manifeste dans la liberté d expression et la revendication par chacun de faire ce qui lui convient. Cela conduit, dans une logique évidente, à une société pluraliste. Et ce fait nouveau est maintenant considéré comme un aspect positif, jusqu à dire que l aspect pluraliste de notre société est une de ses valeurs. Malheureusement, on observe que la diversité sociale se manifeste aussi par des expressions et des prises de position incompatibles entre elles, ce qui entraîne des conflits et des rapports difficiles allant jusqu à la violence. On fait le constat de la difficulté de vivre ensemble quand on reconnaît la liberté d exprimer ses différences sans qu il y ait des référents communs admis par tous et qui s imposent pour assurer une vie sociale harmonieuse. Les faits nous obligent d admettre que la liberté n est pas un principe d organisation de la vie sociale mais de régulation. Une vie personnelle heureuse et une vie sociale civilisée demandent de prendre en compte la réalité, le possible, les connaissances et les valeurs acquises, les règles qui s imposent et les institutions qui permettent d organiser le collectif sans conflit. La vie personnelle autant que la vie sociale est définie par des référents structurants qui s imposent. Cependant on reconnaîtra aussi que les référents structurants ne doivent pas être exclusifs avec le risque de conduire à une société intégriste ou totalitaire. Il faut que l idéal de liberté soit pris en compte aussi pour avoir une fonction de régulation permettant à chacun de trouver l expression et la position qui lui conviennent dans le collectif. Ainsi le comportement personnel et social est une démarche que chacun a la liberté de définir en gérant la tension entre les référents structurants et les référents régulateurs. La conduite pertinente peut être figurée par une diagonale suivant le schéma suivant : 3
L éducation des enfants acteurs de leur savoir et de leur projet Pour arriver à des projets éducatifs satisfaisants, le problème essentiel réside dans la difficulté à gérer la tension entre des référents contradictoires. On parle bien de projets éducatifs et pas seulement de projets d enseignement. Cette désignation indique de façon explicite que l école ne doit pas se limiter à l apport des connaissances, mais doit contribuer aussi à l intégration des enfants dans une culture pour les préparer au comportement personnel et social qui les conduira à leur vie adulte. Cette réalité est bien présente à l école dans la mesure où les remarques sur l attitude des élèves et leur indiscipline prennent une bonne place dans les propos des enseignants. Mais n est-on pas dans l attente d une bonne attitude comme si elle allait de soi, en constatant avec désolation que ce n est pas le cas. N oublie-t-on pas que l éducation est requise pour que les enfants se conduisent ainsi. Ce n est pas spontanément qu ils seront bienveillants à l égard des autres, respectueux envers les personnes dans des fonctions d autorité, persévérants dans leurs tâches et soucieux de bien agir. Ce n est pas seulement en leur reprochant de ne pas avoir ces acquis que l éducation se fait. L attitude pertinente est à rechercher dans l équilibre entre la centration sur les connaissances et les apports culturels, moraux et sociaux. La bonne attitude éducative dépend aussi du contexte idéologique actuel qui donne une position particulière aux enfants autant dans la famille que dans la société. Il est acquis que l enfant doit être respecté dans ses aspirations et ses intérêts ; qu il doit découvrir le monde dans une démarche personnelle et doit être autonome dans sa 4
conduite. Toute attitude contraire à ces orientations risquerait de le frustrer, de le culpabiliser et de nuise à son épanouissement. Voilà des indications à prendre en compte, mais peut-ton éduquer en ne prenant que ces considérations. Les enfants arrivent dans une société organisée, référée à une culture si ce n est une civilisation construite de longue date dans la succession des générations. L éducation consiste à leur permettre de devenir des personnes humaines dans leur dimension personnelle et sociale, en bénéficiant des acquis de la longue histoire de l humanité. Il faut donc aussi leur donner des connaissances, les confronter à la réalité, leur apprendre une langue (et même des langues, autant orales qu écrites) ce qui leur permettra de comprendre et d émettre des messages, leur imposer les règles, si ce n est les interdits nécessaires à la vie collective. Ainsi c est dans la tension entre ce qui constitue les référents régulateurs protégeant l enfants et les référents structurants contribuant à son éducation que tout projet éducatif doit être élaboré. 5