de nombreux cratères, faïençages et microfissures sur l ensemble des surfaces.



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Transcription:

Peut-on appliquer la garantie décennale aux travaux de ravalement et lorsque l étendue des dommages n est pas entièrement révélée dans le délai de dix ans? Marché de travaux n Application de la responsabilité décennale aux travaux de réfection n Application de la responsabilité décennale aux dommages dont l étendue n est pas entièrement révélée avant l expiration du délai de dix ans. CE (7/2 SSR) 11 décembre 2013, Commune de Courcival, req. n 364311 Mme Chicot, Rapp. M. Pellissier, Rapp. public SCP Waquet, Farge, Hazan, Av. Décision qui sera mentionnée dans les tables du Recueil Lebon. Résumé La responsabilité décennale d un constructeur peut être recherchée à raison des dommages qui résultent de travaux de réfection réalisés sur les éléments constitutifs d un ouvrage, dès lors que ces dommages sont de nature à compromettre la solidité de l ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination. Il suffit que les dommages soient apparus dans le délai d épreuve de dix ans, même s ils ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l expiration de ce délai. Conclusions Gilles PELLISSIER, rapporteur public Les désordres apparus à la suite de travaux de ravalement peuvent-ils engager la responsabilité décennale des personnes y ayant participé? Telle est la principale question, à laquelle votre jurisprudence, qui n a que rarement eu à connaître de ce type de travaux, n apporte pas de réponse nette, que pose le pourvoi de la commune de Courcival. Cette petite commune de la Sarthe a entrepris en 2000 de restaurer son église, consacrée à saint Brice, un édifice datant principalement du xvi e siècle mais dont la partie la plus ancienne remonte au xi e siècle. Peu après la réception des travaux de ravalement, le 22 septembre 2000, sont apparus des désordres consistant, selon les constatations de l expert mandaté par le tribunal de grande instance du Mans, en des cloquages accompagnés de décollement le long des soubassements, dus aux remontées des eaux du sol et en de nombreux cratères, faïençages et microfissures sur l ensemble des surfaces. La commune a saisi le tribunal administratif de Nantes de conclusions tendant à obtenir la condamnation de la société ayant réalisé les travaux et du maître d œuvre à lui verser une somme d un peu plus de 100 000 en réparation des préjudices résultant de ces désordres, sur les fondements tant de leur responsabilité contractuelle que de la garantie décennale des constructeurs. Le tribunal a rejeté ses demandes, confirmée par la cour administrative d appel de Nantes qui, par un arrêt du 5 octobre 2012, a jugé, d une part, que la réception sans réserves des ouvrages faisait obstacle à ce que soit recherchée la responsabilité contractuelle des cocontractants de la commune, d autre part, que les désordres affectant l ouvrage n entraient pas dans le champ de la garantie décennale, la date à laquelle ceux d entre eux affectant la solidité de l ouvrage ou le rendant impropre à sa destination se manifesteraient ne pouvant être précisée. Vous n avez admis ce pourvoi qu en tant qu il est dirigé contre l arrêt rejetant les conclusions de la commune fondée sur la responsabilité décennale des constructeurs et, par voie de conséquence, l appel en garantie. Application de la garantie décennale aux travaux de ravalement? La première question que pose ce litige est celle de savoir si la garantie décennale des constructeurs s applique à des travaux de ravalement. Elle n est pas soulevée par les sociétés défenderesses, qui n ont pas produit, mais elle relève du champ d application de la loi, tout autant, par exemple, que celle de savoir si la personne dont 98 Bulletin juridique des contrats publics N 93

la responsabilité est recherchée est un constructeur débiteur à ce titre de la garantie décennale 1. Vous savez que la responsabilité de plein droit des constructeurs d un ouvrage envers le maître de l ouvrage du fait des dommages apparus dans le délai de dix ans suivant la réception et qui compromettent la solidité de l ouvrage ou le rendent impropre à sa destination a d abord été instituée pour les contrats de droit privé, par les articles 1792 et 2270 du code civil, avant d être étendue, par la décision d Assemblée Trannoy du 2 février 1973 2, aux contrats administratifs, sur le fondement du principe général dont s inspirent les dispositions du code civil. Contrairement à la jurisprudence judiciaire, votre jurisprudence n a que très rarement eu à se prononcer sur le champ d application matériel de la garantie décennale, probablement parce que pendant longtemps, jusqu à la loi du 11 décembre 2001, dite loi MURCEF, les règles déterminant votre compétence pour les marchés de travaux ne vous donnaient à connaître que des travaux immobiliers et qu ils avaient le plus souvent pour objet la construction d un ouvrage. En droit civil, la garantie décennale ne s applique qu aux travaux participant à la réalisation d éléments structurels d un immeuble, même si elle n est pas limitée aux travaux de construction de l ouvrage. Cela ressort clairement de l article 1792-2 du code civil qui étend la garantie «aux dommages qui affectent la solidité des éléments d équipement d un ouvrage, mais seulement lorsque ceux-ci font indissociablement corps avec les ouvrages de viabilité, de fondation, d ossature, de clos ou de couvert». La Cour de cassation fait une distinction entre les ouvrages immobiliers, y compris par destination, qui 1 CE 13 novembre1987, Syndicat intercommunal pour la création et le fonctionnement de l école des Clos, req. n 55445 : au Recueil. 2 Rec., p. 9. bénéficient de la garantie, et ceux qui, parce qu ils ne font pas corps avec le sol ou un bâtiment, ne peuvent se la voir appliquée 3. Ils relèvent d un autre régime de responsabilité de plein droit, la responsabilité biennale. Même si votre jurisprudence consacre une conception plus extensive du champ de la responsabilité décennale que celle résultant de l article 1792-2 du code civil, puisque vous avez jugé qu elle pouvait être recherchée «pour des éléments d équipement dissociables de l ouvrage s ils rendent celui-ci impropre à sa destination» 4, il n en demeure pas moins qu un lien avec un ouvrage est nécessaire et que cet ouvrage ne peut être qu un immeuble, qu il s agisse d un bâtiment ou de toute autre construction, à condition qu elle soit incorporée dans le sol. Limitation aux travaux de construction ou de reconstruction? Telle nous paraît être la portée de l une des rares décisions que vous avez rendue sur le champ d application matériel de la garantie décennale. Vous avez jugé, aux conclusions contraires de votre commissaire du gouvernement, le président Delarue, que «dès lors que les travaux de réfection de la peinture extérieure des boiseries d un bâtiment appartenant à un OPHLM n ont pas été réalisés à l occasion de la construction ou de la reconstruction de cet immeuble, ces travaux ne peuvent engager la responsabilité de l entreprise à laquelle 3 Voyez comme exemples de ce dernier cas de figure : une maison mobile simplement posée : Cass. civ. (3 e ch.) 28 avril 1993, pourvoi n 91-14215 : Bull. ; transformateurs démontables : Cass. civ. (3 e ch.) 12 janvier 2005, pourvoi n 03-18989 : Bull. ; appareil de production d eau chaude : Cass. civ. (3 e ch.) 26 avril 2006, pourvoi n 05-13971 : Bull. ; un barbecue en parpaings accolé à une maison : Cass. civ. (3 e ch.) 7 octobre 2008, pourvoi n 07-17800 : Bull. 4 CE 8 décembre 1999, Société Borg Warner, req. n 138651 : aux Tables sur ce point. ils ont été confiés sur le fondement des principes dont s inspirent les articles 1792 et 2270 du code civil» 5. Contrairement à ce qu une lecture rapide pourrait laisser penser, cette motivation ne nous paraît pas réserver la garantie décennale aux travaux de construction ou de reconstruction complète d un immeuble, en excluant par principe des travaux intervenant postérieurement. Elle nous semble traduire l idée selon laquelle la garantie décennale ne s applique qu aux travaux pouvant être qualifiés de construction ou de reconstruction, c est-à-dire portant sur les éléments structurels d un ouvrage immobilier, ce qui n est pas le cas de travaux de peinture réalisés à la suite d un changement des huisseries, comme l a d ailleurs également jugé la Cour de cassation pour des travaux de même nature 6. Pour le dire autrement, nous pensons que les notions de construction et de reconstruction de l immeuble ont été employées pour qualifier l objet des travaux, au regard de leur importance et non le moment auquel ils ont été réalisés. Vous avez d ailleurs, à plusieurs reprises, statué sur des questions relatives à la mise en œuvre de la responsabilité décennale à l occasion de travaux de rénovation ou de restauration d ouvrages existants, sans soulever d office l inapplicabilité de ce régime 7. La détermination du champ d application de la garantie rejoint enfin la définition des dommages garantis, ainsi que cela ressort de votre décision précitée Société Borg Warner : seuls les désordres compromettant 5 CE18 juin 1996, OPHLM de la ville du Havre, req. n 126612 : aux Tables sur ce point. 6 Cass. civ. (3 e ch.) 27 avril 2000, pourvoi n 98-15970 : Bull. ; Cass. civ. (3 e ch.) 3 décembre 2002, pourvoi n 01-13716 ; Cass. civ. (3 e ch.) 3 janvier 2006, pourvoi n 04-18507. 7 CE 9 juillet 2010, Commune de Lorry-les-Metz, req. n 310032 : aux Tables sur un autre point, mais concernant des travaux de ravalement. Voyez également pour des travaux de rénovation : CE 2 août 2011, Région Centre, req. n 330982 : aux Tables ; CE 17 mars 1999, Ville du Havre, req. n 159443. Bulletin juridique des contrats publics N 93 99

la solidité de l ouvrage ou le rendant impropre à sa destination pouvant être indemnisés au titre de cette garantie, il est logique qu elle soit réservée aux travaux susceptibles de provoquer de tels désordres. Ce lien explique également que la question du champ d application de la garantie se soit moins souvent posée que celle des conséquences des désordres. De ce qui précède, il nous paraît possible de dégager deux conditions pour que des travaux puissent bénéficier de la garantie décennale : ils doivent porter, directement ou indirectement, sur un ouvrage immobilier et contribuer à assurer sa solidité ou son bon fonctionnement. Des travaux de ravalement des façades d un immeuble n ont pas, par eux-mêmes, pour objet la construction d un ouvrage. Ils ne font qu y participer, parce qu ils portent sur un immeuble et peuvent avoir pour objet d assurer la solidité de l ouvrage ou de permettre qu il en soit fait un usage conforme à sa destination. Le cas des ravalements à finalité esthétique Entreront dans le premier cas les ravalements visant à garantir l étanchéité du bâtiment, ce qui est en général l objet des ravalements, mais votre décision précitée Commune de Lorry-les-Metz n exclut pas totalement les ravalements à finalité esthétique lorsque cet aspect de l immeuble constitue un élément essentiel de sa destination, comme pour les ouvrages faisant partie du patrimoine culturel ou touristique de la collectivité. La jurisprudence judiciaire, qui contient davantage d illustrations que la vôtre de responsabilité encourues pour des désordres apparus à la suite de ravalement mal exécutés, ouvre également la garantie décennale lorsque les travaux avaient pour objet d assurer la pérennité de l ouvrage et tient compte des finalités esthétiques pour certains bâtiments 8. La 3 e chambre civile a ainsi jugé récemment que des travaux comportant notamment la restauration des pierres de façade, qui avaient pour objet de maintenir l étanchéité nécessaire à la destination de l immeuble et constituaient une opération de restauration lourde, d une ampleur particulière compte tenu de la valeur architecturale de l immeuble et de son exposition aux embruns océaniques, participaient de la réalisation de l ouvrage au sens de l article 1792 du code civil et que les désordres esthétiques généralisés des façades, qui affectaient sensiblement son aspect extérieur et devaient être appréciés par rapport à la situation particulière de l immeuble qui constituait l un des éléments du patrimoine architectural de la commune de Biarritz, portaient une atteinte grave à la destination de l ouvrage 9. En l espèce, le ravalement des façades de l église de la commune de Courcival avait pour but d assurer l étanchéité du bâtiment et de lui donner un aspect conforme à la place qu occupe cet édifice historique dans le patrimoine de la commune. Il entrait donc bien dans le champ de la responsabilité décennale des constructeurs. Les principes que nous avons dégagés pour aboutir à cette conclusion ne pourront que vous conduire à écarter le moyen de la commune tiré de ce que la cour aurait commis une erreur de droit en évaluant les conséquences des désordres sur le bâtiment et non par rapport aux travaux commandés, puisque ce n est que parce que ces derniers portent sur l ouvrage et sont susceptibles d affecter ses éléments essentiels qu ils peuvent donner lieu à une responsabilité décennale. Si la cour, dont l arrêt est suffisamment motivé, n a pas commis 8 Cass. civ. (3 e ch.) 3 mai 1990, pourvoi n 88-19.642 : Bull. ; 12 janvier 2005, pourvoi n 03-16.813. 9 Cass. civ. (3 e ch.) 4 avril 2013, pourvoi n 11-25198 : Bull.. l erreur de droit qui lui est reprochée par la commune en recherchant si les désordres affectaient la solidité du bâtiment ou rendait son usage impropre à sa destination, elle a en revanche entaché son arrêt d une telle erreur en jugeant que les désordres n engageaient pas la responsabilité décennale des constructeurs au motif que la date de leur réalisation ne pouvait être précisée. Peu importe la date de réalisation des effets des désordres Vous jugez en effet de manière constante que les dommages apparus dans le délai de dix ans doivent être «de nature à compromettre la solidité de l ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible», qui peut être supérieur à dix ans 10. Vous avez confirmé cette position par une décision du 31 mai 2010, Commune de Parnes 11 après le revirement opéré par la Cour de cassation, qui considère désormais que non seulement les désordres, mais leurs effets doivent se produire dans le délai décennal 12. L exigence tenant à ce que les effets des désordres prennent leur caractère décennal dans un délai prévisible signifie donc simplement pour vous, comme le faisait observer N. Boulouis dans ses conclusions sur la décision Commune de Parnes, qu il doit être certain qu ils finiront par compromettre la solidité de l ouvrage ou par le rendre impropre à sa destination, quelle que soit la date à laquelle ces effets se produisent. La notion de délai prévisible ne comporte donc 10 CE 25 mai 1966, Société de constructions industrielles publiques et privées : Rec., p. 364 ; CE 30 décembre 1998, Andrault, Parat et Carré, req. n 165042 : Rec., p. 521. 11 Req. n 317006 : aux Tables. 12 Cass. civ. (3 e ch.) 8 octobre 2003, Syndicat des copropriétaires de la Résidence la Croix du Sud c/ CAP et autres, pourvoi n 01-17.868 : Bull. civ. III, n 170. 100 Bulletin juridique des contrats publics N 93

aucun aspect temporel ; il importe peu de savoir quand les désordres deviendront importants dès lors qu il est certain qu ils le deviendront un jour. Or, en fondant sa décision sur la circonstance «que, selon l expert, si ces anomalies sont évolutives et devraient se poursuivre par des décollements plus généralisés, la date d apparition de ces ultimes manifestations ne peut être précisée», la cour nous semble bien avoir subordonné la mise en œuvre de la garantie décennale à une condition tenant à ce que la date de réalisation des effets décennaux des désordres soit connue, en méconnaissance des principes que vous avez dégagés. Nous vous proposons de casser, dans la limite de l admission du pourvoi, l arrêt pour ce motif, ce qui vous dispensera d examiner les autres moyens du pourvoi, qui ne sont pas fondés. La cour n a pas commis d erreur de droit en refusant de tenir compte d une expertise non contradictoire dont les constatations étaient fortement contestées par les parties. Elle n a pas davantage dénaturé les faits en estimant que les désordres, tels qu ils se manifestaient à la date à laquelle elle statuait, n étaient pas d une gravité telle qu ils compromettaient la solidité de l ouvrage et, comme nous l avons dit, elle a refusé de tenir compte de leur évolution à plus long terme. Enfin, si, comme vous l avez indiqué par votre décision Commune de Lorry-les-Metz, écarter par principe toute atteinte à la destination de l ouvrage du point de vue esthétique constituerait une erreur de droit, il ne nous paraît pas que la cour l ait commise du seul fait qu elle n a pas évoqué de tels dommages, compte tenu de l argumentation très succincte de la commune devant elle à ce sujet. Vous pourrez renvoyer l affaire à la cour administrative d appel de Nantes et condamner à verser 3 000 à la commune de Courcival au titre des dispositions de l article L. 761-1 du code de justice administrative. n Décision Vu la décision du 15 mai 2013 par laquelle le Conseil d État, statuant au contentieux, a prononcé l admission des conclusions du pourvoi de la commune de Courcival dirigées contre l arrêt du 5 octobre 2012 de la cour administrative d appel de Nantes en tant que cet arrêt statue sur la responsabilité des constructeurs au titre de la garantie décennale et sur l appel en garantie qui s y rapportait ; [ ] 1. Considérant qu il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu en vue de la restauration de l église communale, la commune de Courcival a, par un marché conclu le 27 mars 2000, confié la maîtrise d œuvre des travaux à la société S2 e et l exécution du lot n 1 «maçonnerie-pierre de taille» à la société CetB Perche ; que les travaux ont été réceptionnés sans réserve le 22 septembre 2000 ; que, toutefois, des désordres affectant les façades du bâtiment sont apparus à la fin de l année 2000 ; que la commune de Courcival se pourvoit en cassation contre l arrêt du 5 octobre 2012 par lequel la cour administrative d appel de Nantes a rejeté sa requête tendant à l annulation du jugement du 23 juillet 2010 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à la condamnation de la société S2 e à la réparation du préjudice résultant des désordres affectant la façade de son église ; 2. Considérant qu il résulte des principes dont s inspirent les articles 1792 et 2270 du code civil que des dommages apparus dans le délai d épreuve de dix ans, de nature à compromettre la solidité de l ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible, engagent la responsabilité des constructeurs sur le fondement de la garantie décennale, même s ils ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l expiration du délai de dix ans ; que la responsabilité décennale d un constructeur peut être recherchée à raison des dommages qui résultent de travaux de réfection réalisés sur les éléments constitutifs d un ouvrage, dès lors que ces dommages sont de nature à compromettre la solidité de l ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination ; 3. Considérant qu il résulte de ce qui précède que la cour administrative d appel de Nantes n a pas commis d erreur de droit en jugeant que les désordres résultant des travaux de ravalement des façades de l église communale n étaient susceptibles d engager la responsabilité décennale de la société S2 e que s ils étaient de nature à compromettre la solidité de cette église ou à la rendre impropre à sa destination ; qu elle a, en revanche, commis une erreur de droit en jugeant que les désordres en cause n entraient pas dans le champ de la garantie décennale, au seul motif que «la date d apparition de leurs ultimes manifestations» ne pouvait être précisée ; 4. Considérant qu il résulte de ce qui précède, sans qu il soit besoin d examiner les autres moyens du pourvoi, que l arrêt attaqué doit être annulé en tant qu il statue sur la responsabilité des constructeurs au titre de la garantie décennale et sur l appel en garantie qui s y rapportait ; 5. Considérant qu il y a lieu, dans les circonstances de l espèce, de mettre à la charge de la société S2 e la somme de 3 000 à verser à la commune de Courcival, au titre des dispositions de l article L. 761-1 du code de justice administrative ; DÉCIDE : Article 1 er : L arrêt de la cour administrative d appel de Nantes du 5 octobre 2012 est annulé en tant qu il statue sur la responsabilité des constructeurs au titre de la garantie décennale et sur l appel en garantie qui s y rapportait. Article 2 : L affaire est renvoyée, dans cette mesure, à la cour administrative d appel de Nantes. Article 3 : La société S2 e versera une somme de 3 000 à la commune de Courcival au titre des dispositions de l article L. 761-1 du code de justice administrative. [ ] n Bulletin juridique des contrats publics N 93 101

Observations Les juridictions administratives n avaient pas encore eu l occasion de se prononcer sur certaines conditions d application de la garantie décennale lorsqu étaient en cause des contrats qui n étaient pas forcément des contrats administratifs avant l intervention de la loi MURCEF. La présente espèce contribue donc à forger la jurisprudence administrative sur la responsabilité décennale des constructeurs, reposant sur des principes dont s inspirent les articles 1792 et 2270 du code civil. La première question qui se posait au Conseil d État était de savoir si des travaux de ravalement d une église étaient susceptibles d entrer dans le champ de la garantie décennale. Normalement, seuls les travaux de construction ou de reconstruction sont susceptibles d engager la responsabilité décennale des constructeurs. Mais cette notion ne doit pas revêtir une signification uniquement temporelle, comme se limitant aux travaux effectués à l occasion de la construction ou de la reconstruction. Elle signifie au sens matériel que les travaux doivent porter sur les éléments structurels d un ouvrage immobilier. Partant, la garantie décennale peut s appliquer à des travaux de réfection ou de ravalement. Le Conseil d État confirme ici explicitement ce qu il avait admis implicitement auparavant 13. Mais cela ne suffit pas : les dommages doivent être de nature à compromettre la solidité de l ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination. Certains dommages résultant de travaux de ravalement peuvent entrer dans cette catégorie. Le rapporteur public situe la frontière aux travaux ayant pour but d assurer l étanchéité d un bâtiment et de lui donner un aspect conforme à la place qu il occupe dans le patrimoine historique de la commune. Sans reprendre à son compte ces précisions, le Conseil d État se contente de rappeler les critères généraux : les travaux de ravalement doivent avoir causé des dommages de nature à compromettre la solidité de l ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination. La seconde question posée au Conseil d État était de savoir si la responsabilité décennale pouvait être engagée lorsque l étendue exacte des dommages n est pas révélée au cours du délai de dix ans. Le Conseil d État applique sur ce point sa décision du 31 mai 2010, Commune de Parnes 14 et admet la mise en jeu de la garantie alors que la date d apparition des ultimes manifestations des dommages ne pouvait être précisée. Le juge administratif s éloigne de la position prise par la Cour de cassation, qui considère quant à elle, de manière plus restrictive, que non seulement les désordres mais également leurs effets doivent se produire dans le délai décennal 15. n S. N. 13 CE 9 juillet 2010, Commune de Lorry-les-Metz, req. n 310032 : BJCP n 72, 2010, p. 349, concl. Dacosta. 14 Req. n 317006 : BJCP n 72, 2010, p. 317, concl. Boulouis. 15 Cass. civ. (3 e ch.) 8 octobre 2003, Syndicat des copropriétaires de la Résidence la Croix du Sud c/ CAP et autres, pourvoi n 01-17.868 : Bull. civ. III, n 170. 102 Bulletin juridique des contrats publics N 93