blancs attachés et des yeux noisette. Il n affichait pas d expression particulière. Ni triste, ni joyeux. Je lus la description au-dessous :

Documents pareils
Qu est-ce que je dois faire lorsque je reçois une assignation à comparaître?

Charlotte Dejey Catherine Nouvelle. l o r t h o. g r a p h e. sans se casser la tête

Ecrire le règlement de la classe, de l école

Alice s'est fait cambrioler

Les 100 plus belles façons. François Gagol

ECOLE SAINTE ANNE PROJET PEDAGOGIQUE ECOLE PRIMAIRE CATHOLIQUE HORS CONTRAT

Les p'tites femmes de Paris

L E Ç O N. Laissez-les venir! Se préparer à enseigner GRÂCE. Dieu fait de nous des membres de sa famille. Jésus m aime! Il me veut dans sa famille!

Les assureurs et les actuaires sont-ils utiles à la société?

Partager? En parler avec les enfants de 6-11 ans

La virtualisation des serveurs ou «loin des yeux, loin de l esprit»...

Questionnaire pour les enseignant(e)s

TOP 1 ARI ET INVESTIGATION. ARI et investigation

Il faut beaucoup de retenue et de pudeur pour parler de la souffrance, mais. aussi une bonne dose d humilité, et peut-être de courage, pour exposer la

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE. Elle a pris connaissance de la procédure judiciaire. Elle a entendu M. D.M., ainsi que M. E.P., officier de police judiciaire.

Pourquoi est-il si important de se pardonner les uns aux autres?

CAP TERTIAIRE/INDUSTRIEL

LES PRONOMS INTERROGATIFS

Une histoire non officielle Par Christine Pouliot, trad. a.

C ÉTAIT IL Y A TRÈS LONGTEMPS QUAND LE COCHON D INDE N AVAIT PAS ENCORE SES POILS.

Mademoiselle J affabule et les chasseurs de rêves Ou l aventure intergalactique d un train de banlieue à l heure de pointe

Alcool au volant : tous responsables? La question de la co-responsabilité sera enfin posée au Tribunal de Saint Nazaire

METHODOLOGIE LE CAHIER EST UN OUTIL DE TRAVAIL, MIEUX IL SERA TENU, PLUS TU AURAS DE PLAISIR A L OUVRIR POUR RETRAVAILLER LE COURS

Toronto (Ontario) Le vendredi 26 octobre 2007 L ÉNONCÉ FAIT FOI. Pour de plus amples renseignements, s adresser à :

Devoirs, leçons et TDA/H1 Gaëtan Langlois, psychologue scolaire

Que fait l Église pour le monde?

Révision de l ombudsman du texte sur le camp d extermination nazi de Sobibor en Pologne, diffusé au Téléjournal le 30 novembre 2009.

SOYETTE, LE PETIT VER A SOIE

Le vol à l étalage 1

6 ème. Rallye mathématique de la Sarthe 2013/ ère épreuve de qualification : Problèmes Jeudi 21 novembre 2013

Par. Sophianne Pierre-Louis. Cassandra Sauvé. Sabrina Turmel

Chapitre 15. La vie au camp

Livret de d Ma M gi g e

Par: Bridget Clarke et Kathlyn Pascua

RÉPONSE DU CONSEIL D'ETAT à l interpellation Amélie Cherbuin Comment soutenir nos ressortissants américains?

Interview du journaliste Phocas Fashaho de la Voix de l Amérique avec Abdul Ruzibiza ancien officier de l Armée du FPR, Dimanche le 2 mai 2004.

RAWYA, YOUSSEF, SELIM, TARIQ, HUGO, EMILIE, WILFRIED, IBRAHIM, NIPUN et VALÉRIE DU CHÉNÉ

27 janvier 2015 Journée de la mémoire des génocides et de la prévention des crimes contre l Humanité

4 petites comédies AVERTISSEMENT. Ce texte a été téléchargé depuis le site. Ce texte est protégé par les droits d auteur.

I. ENTRETIEN AVEC PAUL MBA-ABESSOLE,. PRÉSIDENT DU COMITÉ DIRECTEUR DU MORENA

Rapport de stage. Bureau de Poste de Miribel. 25 au 29 janvier 2010

MUSIQUE ET POINTS DE VENTE FOCUS SALONS DE COIFFURE

«Création d entreprise»

CLUB 2/3 Division jeunesse d Oxfam-Québec 1259, rue Berri, bureau 510 Montréal (Québec) H2L 4C7

Le conseil de coopération

Cultiver l esprit d équipe

ÉVALUATION NATIONALE DES ACQUIS DES ÉLÈVES EN CE1

Synopsis : Réflexion sur le temps qu'on prend, qui passe, qu'on n'a pas - et sur l'attente - d'un métro, d'un taxi ou d'un appel.

NOTRE PERE JESUS ME PARLE DE SON PERE. idees-cate

Vite à lire et facile à jouer

Cahiers d études. pénitentiaires et criminologiques. mai n o 30

Lettre info environnement

Tétanisés par la spirale de la violence? Non!

CORRECTION BREVET BLANC 2015 PREMIER PARTIE/HISTOIRE

RENCONTRES EFFRAYANTES

Se préparer à la réponse judiciaire contre les attaques informatiques

TOUS MALADES! (Texte de M.-A. Ard) - Le Médecin :

L Assemblée Nationale a délibéré et adopté en sa séance du 14 décembre ;

Emplacement de la photo d ouverture du domaine

Les bonnes pratiques pour les travaux scolaires à la maison

Le participe présent et le gérondif

SainteMarieInformations

MÉDECINE PSYCHANALYSE DROIT JURISPRUDENCE QUESTIONS À FRANÇOIS-RÉGIS DUPOND MUZART. première partie

22 Nous Reconnaissons la force du pardon

Introduction 1. Bibliographie 317 Remerciements 323 Index Pearson Education France Investisseurs de légende Glen Arnold

GROUPE DE SPECIALISTES SUR UNE JUSTICE ADAPTEE AUX ENFANTS (CJ-S-CH) QUESTIONNAIRE POUR LES ENFANTS ET LES JEUNES SUR UNE JUSTICE ADAPTEE AUX ENFANTS

SCIENCE ET DÉFENSE L ŒIL DE JÉRUSALEM

Objet. Votre nom et prénom votre adresse numéro de téléphone. La date. Monsieur, Madame, Mademoiselle. Formules d introduction.

RESSOURCEMENT SUR MESURE

CAS PRATIQUES A LA LUMIÈRE DU NON-REFOULEMENT

THEME : LES ENJEUX DE LA COMMUNICATION A LA GARDE DE SECURITE PENITENTIAIRE

Lorsqu une personne chère vit avec la SLA. Guide à l intention des enfants

Comment expliquer ce qu est la NANOTECHNOLOGIE

La liberté guidant le peuple sur les barricades

On faitle rnarche. avec Papa

MARTINIQUE PDASR 2013 FICHE ACTION SECURITE ROUTIERE/ACCES AU DROIT

Le budget. de la. Justice

L enfant sensible. Un enfant trop sensible vit des sentiments d impuissance et. d échec. La pire attitude que son parent peut adopter avec lui est

Règlement intérieur de l école Ste Anne Année 2015/2016

Projet Pédagogique. - Favoriser la curiosité intellectuelle par le partage des connaissances, des cultures et des échanges.

Indications pour une progression au CM1 et au CM2

PLAN DE LEÇON TITRE : Qu est-ce que le crédit? Résultats d apprentissage de la littératie financière. Attentes et contenus d apprentissage

CONSIDÉRATIONS SUR LA MISE EN ŒUVRE DES DÉCISIONS DE LA COUR CONSTITUTIONNELLE

Qu est-ce que le crédit?

De l Etat français à la IVème République ( )

DEMARCHE MARKETING MODULE : Aouichaoui Moez BTS : Conseiller d apprentissage. moez.aouichaoui@atfp.tn. Démarche Marketing

Emmanuel, Dieu avec nous

ASSOCIATION DES ACCIDENTÉS DE LA VIE. Quelles procédures après un accident de la route? Informations pour les victimes de dommages corporels

Questionnaire du projet Innocence

Livret de l évaluateur : Calcul niveau 2

Vive le jour de Pâques

NOM DE L ELEVE :.. Dossier à rendre complété avant le 16 Mars 2015 (afin de vous éviter le temps des formalités lors de la pré-rentrée).

Location de tracteur avec chargeur :

Mylène a besoin d aide!

Un outil pour les entreprises en réseau

RANGEMENT ET NETTOYAGE EFFICACE DU CLOS DU SART

DIAP ORT Villiers-le-Bel Robert Blum

Technique de la peinture

fiches pédagogiques 9. Grand Corps Malade Funambule PAROLES BIOGRAPHIE

Pour vous aider dans la gestion de votre Association l «APPASCAM» propose : Un «Certificat à la Gestion Associative»

Transcription:

À EN PERDRE LA TÊTE Je m appelle Lena, j ai treize ans et j étudie dans un collège de Saintes, là où j habite. Aujourd hui ma journée avait bien commencé. J avais eu d abord des cours de mathématiques, SVT, français et anglais. Je me dirigeai maintenant vers mon cours d histoire. Notre professeur était debout devant la porte de la salle et attendait le silence, ce qui, je le savais, n était pas près d arriver. Il nous fit entrer et chacun s assit à sa place. Aujourd hui nous allions étudier la Révolution française. Prenez votre manuel page 23, fit notre professeur. Tous les élèves prirent donc leur manuel et l ouvrirent à la page demandée. Comme à chaque fois ils se mirent à discuter, ce qui avait le don d agacer notre professeur. Pendant qu il essayait de faire taire les élèves, je regardai la page du manuel en essayant de voir de quoi elle parlait. Sur la page, il y avait plusieurs documents écrits et deux images. La première était une illustration d une machine en bois. La seconde était une peinture. On y voyait un homme avec les cheveux 25

blancs attachés et des yeux noisette. Il n affichait pas d expression particulière. Ni triste, ni joyeux. Je lus la description au-dessous : Joseph-Ignace Guillotin (1738-1814), médecin et homme politique, inventeur de la guillotine. L autre photographie n avait pas de légende, juste un titre : La guillotine. Donc la leçon devait concerner Guillotin. Une fois le désordre contrôlé, le professeur commença à parler : Donc, aujourd hui, nous allons étudier le rôle de Guillotin dans la Révolution de 1789. Guillotin était un médecin et un homme politique. Il est né en 1738, en Charente-Maritime, à Saintes, dans notre ville, et il est mort en 1814. Il inventa la guillotine, que nous étudierons plus en détail tout à l heure, pour que les exécutions soient plus faciles... Ah non! cria une voix. Regardant autour de moi, je vis que personne ne semblait l avoir entendue. Le professeur continuait de nous expliquer la leçon et les élèves gribouillaient sur leur cahier. Ce n est pas vrai du tout, continua la voix. Cette fois je pus voir d où elle provenait, même si je n étais pas très rassurée. Le manuel, ou plus exactement Guillotin, venait de me parler. Oui, oui, la peinture du livre. Il semblait vivant et me regardait en secouant la tête. Il avait l air agacé et énervé. Euh... pardon? demandai-je à mon manuel, priant pour que les autres ne s en rendent pas compte. Bonjour, je m appelle Joseph-Ignace Guillotin, annonça le personnage. Je sais, répondis-je. 26

Ah, il y a donc au moins une personne cultivée dans cette pièce. Ne sachant pas quoi répondre, j essayai de tourner la tête et de me concentrer sur le professeur. Je trouve ça ignoble, reprit la voix. Quoi? demandai-je. Eh bien, regardez-le. Cet homme ne comprend décidement rien à l histoire. Je n ai jamais inventé la guillotine pour que les exécutions soient plus faciles. Ah bon? Mais évidemment, répondit Guillotin. Et pour quoi, alors? J avais parlé un peu trop fort. Tony, la grosse brute de notre classe et sûrement la personne la plus ignare du collège, en profita pour se faire remarquer, ce dont il avait l habitude. Eh, r gardez! Y a Lena qui parle à son bouquin! Bien sûr, ce commentaire déclencha l hilarité générale, au grand désespoir de notre professeur. Voyons, voyons, fit celui-ci. Pendant que les autres en profitaient pour mettre encore plus la pagaille, je retournai à ma conversation avec Guillotin. Donc, tu disais? Je disais donc que je n avais pas inventé la guillotine pour faire plus de mal mais pour en faire moins. Comment ça? Tu inventes une machine à tuer et tu dis que c est pour faire le bien? demandai-je. Comprenez-moi, reprit Guillotin. À mon époque, quand les gens faisaient quelque chose de mal, ils étaient tués. Certains souffraient beaucoup. Les nobles 27

étaient décapités au sabre, les roturiers à la hache, les criminels étaient écartelés, les voleurs roués ou pendus, les hérétiques brûlés, sans parler de ceux que l on faisait bouillir tout vifs dans un chaudron. Et donc, tu voulais que ça soit moins compliqué. Oui, pour les victimes, pas pour les bourreaux. Je voulais que tout le monde ait le droit à la même peine, peu importe le rang de l accusé. Et donc, c était plutôt pour améliorer la justice. Eh oui, fit-il. Tu dois être heureux, tu es entré dans l histoire avec cette machine qui porte ton nom. Hélas non, se plaignit-il. Je n ai jamais voulu que cette chose porte mon nom. Au début c était une très bonne idée, mais elle s est transformée en cauchemar et on tuait les gens de plus en plus souvent. Je me demandais ce que ça faisait d avoir un nom qui servait pour une horrible machine. Eh bien, tu sais, fis-je, l avantage, c est qu aujourd hui il y a des incultes qui ignorent qui tu es, alors... Si tu me disais ce qui se passe aujourd hui quand quelqu un doit subir la peine de mort en France, me coupa-t-il. Eh bien, la peine de mort n existe plus. Mais nous avons des choses pires que la guillotine. Les revolvers, la chaise électrique pour les peines de mort dans certains autres pays que la France. Comment faites-vous alors quand quelqu un a fait quelque chose de grave? demanda-t-il. Il est jugé, répondis-je. Si cette personne a fait quelque chose de très grave, elle va en prison et paye une amende. 28

Guillotin semblait réfléchir. Il n y a donc plus de peine de mort en France? Plus aucune, répondis-je. Guillotin sourit. Je le comprenais. Il avait dû, toute sa vie, supporter l idée que son nom soit associé à son invention. Les gens n avaient pas compris l importance de la guillotine, pas pour davantage de morts, non, mais pour une mort plus rapide, sans souffrance. Guillotin, même si certains le percevaient autrement, n était pas un homme qui avait soif de mort ou de vengeance. C était quelqu un qui avait voulu l égalité des peines et qui n en serait jamais remercié. Je lui souris. Vous êtes plein d humanité, fis-je. Guillotin me sourit en retour et de nouveau l image se figea. Il semblait joyeux, calme, apaisé. Je voulus lui parler encore mais la cloche sonna et tout le monde sortit. Quand je pense qu il est né à Saintes... Je pris mon manuel et le mis dans mon sac, me demandant encore combien de personnes avaient réellement vu en Guillotin ce qu il était vraiment. Quelqu un de brillant. J en aurais mis ma tête à couper...