Du Hijab au Kirpan: : entre l obligation d accommoder et le choix de tolérer

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Transcription:

INTÉGRATION ET SCOLARISATION DES ÉLÈVES IMMIGRANTS DESSINE-MOI UNE ÉCOLE COLLOQUE DU 23 MAI 2003 ATELIER B-1 Du Hijab au Kirpan: : entre l obligation d accommoder et le choix de tolérer Entre l obligation d accommoder et le choix de tolérer : la nécessité de négocier Rachida Azdouz,, Université de Montréal, mai 2003

1.Le contexte Contexte local: : «l affaire du kirpan» à Montréal et la réforme scolaire au Québec. - Médiatisé avec «l affaire du hijab» à l école Louis Riel en 1994, le débat sur l obligation d accommodement en milieu scolaire a été relancé en 2002 avec la cause portée devant les tribunaux par un parent de confession sikh qui demandait pour son fils le droit de porter le poignard rituel (Kirpan)) et de déroger ainsi au code de vie de l école - La réforme scolaire a rendu nécessaire une réflexion de fond sur r la place de la religion à l école, tant sur le plan des contenus (assurer un enseignement culturel du fait religieux ) que dans la vie de l école en général (développer un cadre de gestion de la diversité religieuse, au-delà du traitement à la pièce des situations particulières comme les demandes d accommodement modement ) Contexte international: : le «modèle français» et la situation politique internationale. - Relance du débat sur le hijab en France en 2003 : faut-il l interdire au nom de la laïcité? - Interférence des événements survenus sur la scène internationale (rhétorique religieuse entourant la guerre en Irak et les événements du 11 septembre: axe du mal, jihad etc.) lesquels ravivent les passions autour du fait religieux et de la place à accorder aux manifestations religieuses dans la sphère publique, en particulier dans les institutions publiques

2.Mais qu est-ce qu un accommodement? Les mesures d accommodement ne constituent ni un passe-droit ni un privilège réservé aux minorités religieuses, mais elles s appliquent à toutes les tranches de la population dites vulnérables ou davantage exposées à la discrimination /exclusion/ marginalisation (voir section n04) Une mesure d accommodement peut prendre diverses formes, notamment: Une exception ou une dérogation à une norme de fonctionnement Un aménagement particulier dans le temps (ex: horaire adapté) ou dans l espace (ex: rampe d accès)

3. Quels enjeux cette notion soulève-t-elle elle?? (pour la société en général et pour l école en particulier) Enjeux juridiques Contrer la discrimination et assurer un traitement équitable aux citoyens Enjeux socio-culturels culturels et politiques Aménager le pluralisme : concilier le partage de valeurs communes et le respect des particularités Enjeux pédagogiques - Apprendre à vivre ensemble par la négociation des positions divergentes. - Comprendre le rôle des instances (comme( les tribunaux) ) et des instruments (comme( les chartes) dans le maintien de la démocratie et de la paix sociale

4.L obligation d accommoder: quand? Article 10 de la Charte des droits et libertés s de la personne du Québec : «Toute personne a droit à la reconnaissance et à l exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion ou préférence, fondée sur l âge,sauf dans la mesure prévue par la loi, la condition sociale, les convictions politiques, la couleur, l état civil, la grossesse, le handicap ou l utilisation d un moyen pour pallier ce handicap, la langue, l orientation sexuelle, l origine ethnique ou nationale, la race, la religion, le sexe. Il y a discrimination lorsqu une telle distinction, exclusion ou préférence a pour effet de détruire ou de compromettre ce droit.» Article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés : «Toute personne a droit à la reconnaissance et à l exercice, en pleine égalité,, des droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion ou préférence, rence, fondée, notamment,, sur l âl âge, sauf dans la mesure prévue par la loi, la condition sociale, les convictions politiques,, la couleur, l él état civil, la grossesse, le handicap ou l utilisation l d un d moyen pour pallier ce handicap, la langue, l orientation l sexuelle, l origine l ethnique ou nationale, la race, la religion, le sexe. Il y a discrimination lorsqu une une telle distinction, exclusion ou préférence rence a pour effet de détruire d ou de compromettre ce droit»

4.1.La voie juridique de l accommodement a sa pertinence..et ses s limites Quand peut-on recourir à la voie juridique? La réponse est indiquée dans le libellé même des articles 10 et 15 (voir point précédent) - Quand il y a distinction, exclusion ou préférence (première phrase des deux articles) - Pour un motif prohibé par les chartes (voir liste des motifs dressée dans les articles concernés : sexe, âge, etc ) - Quand cette situation porte préjudice à la personne touchée(voir dernière phrase des deux articles) Ces trois conditions doivent être réunies pour pouvoir affirmer que nous sommes face à un cas de discrimination Quand peut-on recourir à la voie non-juridique? - Quand nous sommes face à une situation de discrimination mais que e nous souhaitons la régler sans l intervention des tribunaux: attention! La tolérance et l arrangement à l amiable, tout louables les qu ils soient, ne suffisent pas dans ce cas-là là: : il faut aussi examiner la situation du point de vue du droit (consulter la jurisprudence, s assurer du caractère «raisonnable» de l accommodement proposé (celui-ci ci ne doit pas comporter de contrainte excessive), demander un avis a juridique à la commission scolaire - Quand nous ne sommes pas face à une situation de discrimination mais que la demande nous semble légitime par rapport aux finalités de l école et qu une réponse favorable e nous semble possible (techniquement mais aussi du point de vue de l équité..et apparence d équité)

5. Les voies non juridiques Voie politique C est celle du débat public, de la délibération citoyenne Rappelons-nous nous les débats sur le foulard islamique en 1994-95, 95, qui ont donné lieu à trois avis convergents (Commission québécoise des droits de la personne, Conseil du statut tut de la femme et Centrale de l enseignement du Québec). On peut considérer qu il s agissait là de consensus exprimés par des représentants de la société civile et validés par l avis juridique de la CDP) Voie «alternative» C est celle de la médiation et de la négociation: utilisée aussi i par la commission des droits pour éviter la judiciarisation,, elle peut être utilisée par les gestionnaires pour traiter des demandes (la fonction «médiatrice» étant inhérente au rôle des gestionnaires) Voie «pédagogique» - pour le personnel: outiller et former enseignants et non enseignants à la gestion des conflits de valeurs et de droits au sein de l école et dans la classe - pour les élèves: éduquer à la citoyenneté et aux droits, en incluant une perspective critique, au-delà de la dimension «moralisatrice» et réductrice dans lequel cet enseignement pourrait verser EX: : on peut s appuyer sur le jugement rendu sur le port du Kirpan, ou sur une version simplifiée d un avis de la commission des droits, pour débattre dans une classe et pour faire ressortir les arguments «pour et contre», mais aussi les zones grises entourant le port de symboles religieux eux à l école, plutôt que de se contenter d expliquer ce jugement aux élèves en invoquant le droit à la différence.

Conclusion L obligation d accommodement est souvent percue comme un moyen d inciter les minorités à recourir aux tribunaux pour faire valoir leurs droits, et comme responsable de la judiciarisation des problèmes posés par le vivre-ensemble. ensemble. Comme s il y avait d un côté le système judiciaire, balisé par les l chartes et les lois et de l autre, «la société démocratique», balisée par des valeurs civiques communes, lesquelles, respectées par tous dans la sphère publique, suffiraient à prévenir les conflits entre citoyens. Or, le rôle des tribunaux s inscrit dans la dynamique citoyenne e et non en marge de celle-ci. ci. Les intérêts divergents et les conflits aussi (conflits entre différentes catégories de citoyens et entre des citoyens et des institutions). Il est vrai par ailleurs que le recours aux tribunaux pourrait être ê atténué par une plus grande culture du débat et par une plus grande capacité de la société civile à procéder à ses propres arbitrages. Et c est là que le rôle de l école est déterminant, en particulier dans un contexte pluraliste. L éducation à la citoyenneté, introduite par la réforme, est une occasion de donner aux jeunes des repères dans ce sens. Mais avant de former les éleves,, il faudrait former le personnel: non seulement en termes de savoir voir- faire (organiser un débat démocratique en classe, résoudre des conflits, arbitrer etc.) mais aussi en termes de savoirs (être informés sur les phénomènes économiques, politiques et sociaux sous-jacents aux conflits, connaître les arguments pour et contre les sujets débattus en classe, connaître les nuances et les paradoxes de la situation débattue pour en rendre compte dans ses interventions etc.)