QUALITÉS DIAGNOSTIQUES DES TESTS BIOLOGIQUES

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QUALITÉS DIAGNOSTIQUES DES TESTS BIOLOGIQUES DIAGNOSTIC QUALITY OF BIOLOGICAL TESTS Par Christine MÉDAILLE 1 (Communication présentée le 17 mars 2011) RÉSUMÉ L interprétation du résultat d un test biologique, qu il soit réalisé dans un but diagnostique ou de dépistage - est rarement univoque et déconnecté de la réalité du sujet sur lequel il a été réalisé. Elle repose la plupart du temps sur l intégration de plusieurs informations complémentaires : - la probabilité que le sujet soit atteint de l affection en question ou la prévalence de celle-ci dans la population à laquelle appartient le sujet, - les performances diagnostiques du test, c est-à-dire son aptitude à différencier un sujet atteint d un sujet sain ou d un sujet atteint d une autre affection, - pour les variables continues, comme la glycémie par exemple, les variations des résultats de l analyse chez les sujets sains - intervalles de référence et facteurs physiologiques de variation. Cette démarche conduit à l évaluation de la probabilité (valeur prédictive) que le sujet soit ou non atteint de la maladie, et in fine à la décision médicale. Mots-clés : spécificité diagnostique, sensibilité diagnostique, valeurs prédictives, probabilité, prévalence. SUMMARY The interpretation of the result of a biological test, performed for diagnostic or screening purposes, is rarely univocal and disconnected from the reality of the subject being tested. It is generally takes into account complementary information: - the probability that the subject is suffering from the condition in question, or the latter s prevalence within the population to which the subject belongs; - the test s diagnostic performance, i.e. its aptitude to distinguish a subject suffering from the condition from a healthy subject, or from a subject with another condition; - for continuous variables, e.g. glycemia, variations of the test results in healthy subjects (normal limits and physiological variations). This approach leads to an evaluation of the probability (predictive value) that the subject is suffering or not from the condition, and in the end to the medical decision. Key words: diagnostic specificity, diagnostic sensitivity, predictive values, probability, prevalence. (1) Vébiotel, 41 bis Avenue Aristide Briand 94117 ARCUEIL cedex. Bull. Acad. Vét. France 2011 - Tome 164 - N 2 www.academie-veterinaire-france.fr 129

INTRODUCTION En médecine vétérinaire comme en médecine humaine mais avec un décalage dans le temps, les praticiens ont vu s accroître de façon presque exponentielle la quantité d informations recueillies chez le patient. Là où auparavant l observation clinique et l historique devaient suffire à orienter, puis établir le diagnostic, un nombre important de sources d informations (imagerie médicale, tests biologiques, analyses génétiques) sont disponibles actuellement. Ces nouvelles techniques diagnostiques ne sont pas sans coût ni parfois sans risque ; de fait, le recours à leur utilisation, puis à leur interprétation doit faire appel à une démarche intellectuelle rigoureuse qui conduit à la «décision médicale». Cette décision se fait en plusieurs étapes : 1) recueillir des données cliniques et épidémiologiques, les trier par ordre d importance et de valeurs diagnostiques, 2) prescrire des examens complémentaires suivant leur pertinence et éventuellement leur coût et leur degré de dangerosité, 3) analyser les résultats des différentes données recueillies, les articuler entre elles pour construire le diagnostic, apprécier leur valeur informative en terme de diagnostic et de traitement. L aboutissement de ces étapes conduit rarement à une certitude mais le plus souvent à une probabilité de diagnostic et de succès thérapeutiques sinon forte du moins supérieure à celle existant en début de la démarche (Braun 1997). Cependant cette surenchère des examens complémentaires, donnant l impression qu une accumulation d informations facilite la décision, peut être à l origine d erreurs graves que seuls l examen clinique préalable et la connaissance des limites des examens complémentaires peuvent éviter. Dans le cadre plus étroit de la biologie et des résultats des tests biologiques, interpréter un résultat revient à estimer la probabilité finale que le sujet chez lequel a été appliqué le test, ait ou n ait pas l affection que l examen clinique avait suggérée. La probabilité de la «maladie» déterminée par l examen clinique est appelée probabilité pré-test ou a priori il n existe pas réellement d échelle permettant de calculer celle-ci en fonction d un score de symptômes cliniques - ; la probabilité finale ou révisée après avoir intégré les différents résultats des tests est appelée probabilité post-test ou a posteriori ; l objectif évident est d obtenir une probabilité post-test supérieure à la probabilité pré-test, soit une probabilité révisée supérieure à 50 % c est-à-dire supérieure à un tirage aléatoire (exemple : à pile ou face). Cette probabilité post-test est appelée aussi valeur prédictive. La notion de probabilité est liée à celle d incertitude du résultat : aucun test n est «fiable» à 100% et cette incertitude sur la valeur du résultat dépend des qualités intrinsèques du test, à savoir sa sensibilité diagnostique et sa spécificité diagnostique. Ces qualités définissent la valeur intrinsèque du test, c est-à-dire sa capacité à donner des résultats différents chez les sujets malades et les sujets sains. LA VALEUR DIAGNOSTIQUE D UNE VARIABLE BIOLOGIQUE : QUALITÉS INTRINSÈQUES DIAGNOSTIQUES DES TESTS La valeur intrinsèque d un analyte biologique est une information s intégrant dans la démarche diagnostique afin d améliorer, d infirmer ou de confirmer une suspicion clinique ou, dans le cas des tests de dépistage, de repérer dans une population générale les sujets porteurs d une affection donnée (Grenier 1996). La valeur de cet indicateur biologique est connue par ses deux qualités : sa sensibilité sa capacité à être positif chez les sujets atteints et sa spécificité sa capacité à être négatif chez les sujets sains - ; cette valeur doit, dans la mesure du possible, être établie en fonction d une méthode de référence reconnue comme fiable et les deux valeurs de sensibilité et spécificité, être données à l utilisateur. Définition de la sensibilité et de la spécificité La sensibilité d un test est sa capacité à donner un résultat positif lorsque la maladie est présente. C est le taux des vrais positifs (VP) : en d autres termes, un test est d autant plus sensible que les faux négatifs (FN) sont peu nombreux La spécificité d un test est sa capacité à donner un résultat négatif chez les sujets sains. C est le taux de vrais négatifs (VN) : un test est d autant plus spécifique que les faux positifs (FP) sont moins nombreux Cas d un résultat qualitatif Dans le cas d un test qualitatif pour lequel la réponse est binaire «positif vs négatif» ou «présent vs absent», la sensibilité et la spécificité sont fixes et les résultats du test obtenus dans une population de sujets dont l état «malade» versus «nonmalades» est caractérisé sans ambiguïté par un autre examen (si possible un «Gold Standard»), présentés dans le tableau ci-dessous, dit «tableau de contingence» : Test à évaluer Malades Non malades Résultats positifs a = VP b = FP Résultats négatifs c = FN d = VN Total a+c = VP+FN b+d = FP+VN 130 Bull. Acad. Vét. France 2011 - Tome 164 - N 2 www.academie-veterinaire-france.fr

- VP sont les Vrais Positifs : malades pour lesquels le résultat du test est positif, - VN sont les Vrais Négatifs : non malades pour lesquels le résultat du test est négatif, - FP sont les Faux Positifs : sujets non malades pour lesquels le résultat du test est positif, - FN sont les Faux Négatifs : sujets malades pour lesquels le résultat du test est négatif. Sensibilité et spécificité sont déterminées par les rapports suivants, dont la valeur varie de 0 à 100 % : Sensibilité (Se) = VP / sujets malades (X 100) soit a / a+c Spécificité (Sp) = VN/sujets sains (X 100) soit d/b+d Idéalement, il faudrait que les valeurs de Se et Sp soient égales à 100%. Ces valeurs maximales traduisent la capacité du test à donner respectivement un résultat positif chez tous les malades et un résultat négatif chez tous les nonmalades, en d autres termes, de n avoir aucun risque de se tromper. En réalité, ces chiffres idéaux ne sont jamais obtenus en même temps. Si la sensibilité d un test est de 90 %, 90 pour cent des individus malades ayant subi le test sont de vrais positifs et 10 pour cent, de faux négatifs : nous avons donc 10 pour cent de chance (ou malchance) d avoir un résultat négatif chez un malade; ce risque est appelé en statistiques le risque Bêta. Selon la maladie, le clinicien choisira un test plus ou moins sensible en tenant compte d autres critères de choix (coût, difficulté, douleur associée ). Un test dont la spécificité est de 100 % indique l absence de faux positifs, il est dit pathognomonique de la maladie. Ceci est fréquent pour les signes cliniques. Certains tests en biologie peuvent être également pathognomoniques, par exemple la présence, sur un frottis sanguin lu par une personne compétente, de Babesia sp, est pathognomonique de la maladie «piroplasmose», le test est alors 100% spécifique même s il ne préjuge pas que l ensemble des signes cliniques observés soit à rattacher à la Babésiose. Cas d un résultat quantitatif Pour les variables quantitatives (les plus fréquentes), le chevauchement des valeurs entre les populations de malades et de non-malades ne permet pas d obtenir des valeurs de sensibilité et de spécificité fixes: elles dépendent du seuil de décision choisi appelé aussi «valeur seuil» ou «ligne de partage». (figure 1, encadré 1). La valeur de ce seuil dépend de l utilisation que l on veut faire du test. Les tests très sensibles sont surtout utiles pour s assurer qu une maladie n est pas présente (peu de faux négatifs) - c est le cas des campagnes de dépistage au risque d avoir des faux positifs qui devront être évalués à nouveau -, alors que ceux qui sont très spécifiques sont utiles pour s assurer qu une maladie est bien présente (peu de faux positifs). La valeur du seuil peut être choisie selon la nature de la maladie, par exemple : - dans le cas d une maladie dont le traitement est long et dangereux, on choisira une valeur seuil donnant peu de «faux positifs», quitte à devoir réévaluer des patients négatifs mais «douteux» cliniquement. Figure 1 : Distributions des valeurs d un test quantitatif pratiqué chez des non malades et des malades ; la zone grise est la zone de chevauchement des valeurs : plus on déplace la valeur seuil vers la droite, moins le test est sensible mais plus il est spécifique (on augmente le nombre de «faux négatifs» mais on diminue les «faux positifs». Inversement si on déplace le seuil de décision vers la gauche (Geffré 2009). Encadré 1 La notion de seuil de décision, différente des bornes de valeurs usuelles Par convention, les limites de l intervalle de référence décrivent les fluctuations d un constituant chez 95% des sujets en bonne santé, ce qui implique : - que 5% de sujets en bonne santé peuvent avoir des résultats supérieurs ou inférieurs à ces limites, - qu elles ne donnent aucun renseignement sur les variations de ce constituant chez les sujets atteints d une affection donnée. Ainsi, une proportion parfois forte de sujets «malades» peut avoir des résultats compris dans l intervalle de référence. Une limite (seuil) de décision est la valeur d une variable, déterminée par un expert ou un comité d experts qui permet de classer des sujets, par exemple en «sains» vs. «malades». Cette limite est souvent différente de la limite (supérieure) de l intervalle de référence. Par exemple, en biologie médicale humaine, les experts ont fixé le seuil de 7 mmol/l pour la concentration du glucose plasmatique à jeun dans le diagnostic du diabète sucré, alors que l intervalle de référence est de 4.5 à 5.9 mmol/l. Par ailleurs, pour certains diagnostics, il est essentiel de ne pas laisser passer des malades donc il faut éviter les «faux négatifs» : dans ce cas, la valeur retenue comme seuil, appelée «seuil de décision» est arbitrairement choisie de façon pessimiste et ne laissera pas échapper un seul malade. A contrario, elle conduira à de plus nombreux résultats faussement positifs, qui devront être éliminés par des investigations supplémentaires. Bull. Acad. Vét. France 2011 - Tome 164 - N 2 www.academie-veterinaire-france.fr 131

Encadré 2 Utilisation du dosage de la thyroxine totale pour le diagnostic de l hypothyroïdie. Si l intervalle de référence est de 15 à 25 nmol/l, il est admis qu une proportion importante de chiens sains a des valeurs comprises entre 10 et 15 dans la journée sans qu ils soient hypothyroïdiens ; par conséquent, si on choisit de mettre le seuil de partage entre sains et hypothyroïdiens à 15 nmol/l, le test sera très sensible (peu de faux négatifs) mais peu spécifique (beaucoup de faux positifs ie beaucoup de chiens considérés hypothyroïdiens pour des valeurs comprises entre 10 et15). A contrario, en choisissant une seuil de décision à 10 nmol/l, on augmente la spécificité (peu de faux positifs) mais on diminue la sensibilité (plus de faux négatifs donc plus de malades non diagnostiqués). Quand le seuil de décision est déplacé vers les valeurs pathologiques, la sensibilité du test diminue et la spécificité augmente. Quand la valeur est déplacée vers les valeurs «normales», la sensibilité augmente et la spécificité diminue. LA VALEUR DIAGNOSTIQUE D UNE VARIABLE BIOLOGIQUE : QUALITÉS EXTRINSÈQUES DIAGNOSTIQUES DES TESTS Il est clair que les qualités diagnostiques intrinsèques des tests (sensibilité et spécificité) ont leurs limites, les valeurs extrinsèques du test ou valeurs prédictives vont renforcer la puissance diagnostique d un test en introduisant des notions extérieures comme la prévalence de la maladie dans la population à laquelle appartient le patient ou comme la probabilité pré-test d avoir la maladie (Braun 1997 ; EBM tools ; Tape TG). Valeurs prédictives positive et négative La valeur prédictive positive (VPP) du résultat d un test est la probabilité que la maladie soit présente lorsque le test est positif : «sachant que le test est positif, quelle est la probabilité pour que l animal ait vraiment la maladie que je suspecte?». - dans le cas d une maladie grave, on choisira d éviter d avoir des «faux négatifs» et on augmentera la sensibilité en déplaçant la valeur seuil vers la gauche. Ce choix, toujours arbitraire, peut varier aussi suivant la réflexion du clinicien (Jensen 1993). Par exemple : la valeur seuil du cortisol post-acth chez le chien est choisie : - soit suffisamment basse pour dépister la majorité des syndromes de Cushing, en sachant que les diagnostics par excès devront être impérativement confrontés aux données cliniques et aux autres modifications biologiques pour éviter un traitement non dépourvu de dangerosité. - soit suffisamment haute pour éviter les faux positifs et de fait, un traitement éventuellement abusif, quitte à réévaluer le patient régulièrement. Les valeurs de sensibilité et de spécificité pour chaque valeurseuil servent à construire une courbe appelée «courbe ROC (receiver operating characteristic)» dans laquelle, à chaque valeur d une variable biologique, est associé un couple «sensibilité/spécificité». Nous manquons de ce type de courbes en biologie médicale (dans lesquelles une valeur seuil précise est associée à chaque Se/Sp) ; elles seraient pourtant utiles au clinicien pour choisir sa valeur de partage. Leur usage est pour l instant réservé aux biologistes désirant comparer deux méthodes entre elles. Le choix de privilégier la sensibilité ou la spécificité dépend donc du contexte clinique, des conséquences pronostiques, des conséquences thérapeutiques (encadré 2). En médecine vétérinaire, il dépend aussi des conséquences psychologiques chez le propriétaire de laisser un animal sans traitement, au bénéfice du doute. Ce choix n est donc pas du seul ressort du biologiste. Test à évaluer Malades Non malades Résultats positifs Résultats négatifs Total= N=a+b+c+d Valeurs prédictives a = VP b = FP VPP = a/a+b c = FN d = VN VPN = d/c+d a+c = VP+FN b+d = FP+VN a+c = la prévalence étant connue, la sensibilité et la spécificité étant connues, on peut calculer les valeurs de «a», «b», «c» et «d» et en déduire VPP et VPN. VPP = VP / VP + FP et VPN = VN/ VN + FN La valeur prédictive négative (VPN) du résultat d un test la probabilité que la maladie ne soit pas présente lorsque le test est négatif. Elle répond à la question : «sachant que le test est négatif, quelle est la probabilité que l animal n ait pas la maladie suspectée?». Les valeurs prédictives sont donc des probabilités et comme telles sont comprises entre 0 et 1, elles sont conditionnelles car liées à un résultat positif ou négatif ET à la fréquence de la maladie dans la population prévalence de la maladie OU à la probabilité pré-test, elles résultent d une lecture horizontale du tableau de contingence : Dans le cas d une spécificité élevée (peu de Faux Positifs) et d une prévalence élevée de la maladie (malades nombreux), la valeur prédictive positive sera proche de 1 ; son complément mathématique, l erreur de «faux diagnostic positif», est proche de 0 : cette situation est importante car elle évite de diagnostiquer par excès des maladies dont le traitement est lourd et coûteux. 132 Bull. Acad. Vét. France 2011 - Tome 164 - N 2 www.academie-veterinaire-france.fr

Avec une sensibilité du test élevée (peu de Faux Négatifs) et une prévalence faible (une majorité de sujets indemnes), la valeur prédictive négative est proche de 1 et l erreur diagnostique négative proche de 0 : les tests de dépistage doivent répondre à ce cas de figure, afin d être raisonnablement certain que tous les négatifs sont bien indemnes de la maladie, en sachant, en revanche, que les positifs devront, eux, être contrôlés (tableau 1). En bref, la valeur prédictive d un test et la réponse à la question «l animal a-t-il vraiment la maladie?» dépendent de la suspicion clinique du praticien et de la fréquence de la maladie chez les sujets identiques au malade. Ces probabilités se calculent avec les valeurs de Se et Sp du test ET avec la probabilité pré-test ; pour un test binaire (par exemple, en dépistage virologique), cette probabilité pré-test est la prévalence de l infection dans la population. Quand la prévalence augmente, la VPP augmente et la VPN diminue : donc un même test appliqué à des patients d une clientèle de praticien généraliste ou à des cas de référés n aura Prévalence % VPP % VPN % 1 16.1 99,9 2 27,9 99,9 5 50,0 99,7 10 67,9 99,4 20 82,6 98,7 50 95,0 95,0 75 98,3 83,7 100 100,0 - Pour un test de sensibilité et de spécificité égales à 95% Prévalence % VPP % VPN % 10-3 < 5% 99,99 1 33 99,98 5 72 99,95 10 84 99,89 30 95 99,56 Pour un test de sensibilité de 99 % et spécificité de 98% : une très faible prévalence donne une VPP très faible même avec une excellente spécificité. Tableau 1 : Exemples de la variation des valeurs prédictives en fonction de la prévalence d une maladie (d après «Biostatistiques au quotidien» M Hughier, A Flahault, Elsevier, 2000). pas la même signification diagnostique puisque la probabilité pré-test de l existence d une maladie précise est plus élevée chez les patients référés du spécialiste de cette maladie que chez les patients consultant en première intention chez le généraliste. Dans le cas des tests quantitatifs, la prévalence mais surtout la probabilité pré-test intervient pour l estimation des valeurs prédictives : par exemple, le test à l ACTH (à résultat égal) a une valeur prédictive positive beaucoup plus élevée pour un animal fortement suspect cliniquement et épidémiologiquement que pour un animal jeune présentant peu de signes cliniques. Utilité des marqueurs biologiques en médecine (Braun 2011) Tout ce qui précède est implicitement compris et utilisé par les cliniciens sans qu il soit nécessaire de faire les calculs. Néanmoins, il n est pas rare de voir des examens complémentaires prescrits malgré des données cliniques et épidémiologiques absentes (ignorance de la prévalence) ou mal établies en ignorant les valeurs de sensibilité et de spécificité diagnostiques, ce qui conduit à des diagnostics parfaitement erronés. Il existe des équations permettant de calculer exactement les valeurs et erreurs prédictives quand on connait la probabilité pré-test, les sensibilité et spécificité des tests ; on retiendra pour exemples que : - lorsque la probabilité pré-test, à la fin de l examen clinique, est proche de 0, la probabilité après le test, quel que soit son résultat, est proche également de 0 ; - pour une Se = 0.8 et une Sp = 0.9, si la probabilité pré-test est de 25 % (1 chance sur 4), en cas de résultat positif, la probabilité de maladie est de 73 % et, en cas de résultat négatif, l erreur prédictive négative ((EPN = 1 VPN) c est-à-dire le risque de déclarer l animal non atteint alors qu il est atteint) est de 7 %. - pour les mêmes Se et Sp, si la probabilité pré-test de la maladie est de 2 sur 3 (0,666 ou 66,6 %), en cas de résultat positif, la probabilité d avoir raison s élève alors à 94 % ; en cas de résultat négatif, le risque de déclarer l animal indemne est de 31 % ce qui est élevé. CONCLUSION Tous ces raisonnements fondés sur des calculs seraient utilisables quotidiennement si tous les marqueurs utilisés avaient été évalués rigoureusement dans toutes les situations cliniques (en termes de sensibilité et spécificité) et si toutes les prévalences des maladies étaient connues dans toutes les populations. Bien que ce ne soit pas le cas, la compréhension de ces notions conduira les aficionados de l examen complémentaire à redonner une place primordiale à l examen clinique et à l anamnèse et valorisera le choix et le raisonnement intuitif du clinicien consciencieux, possédant une connaissance correcte de la biologie clinique et de l épidémiologie. Bull. Acad. Vét. France 2011 - Tome 164 - N 2 www.academie-veterinaire-france.fr 133

BIBLIOGRAPHIE Braun JP. "Sens clinique" ou décision médicale raisonnée? Prat Méd Chir Anim Comp. 1997;32:421-31. Braun JP, Médaille C, Geffré A, Briend- Marchal A, Concordet D, Trumel C Interprétation des résultats d analyse de biologie médicale, EMC-Vétérinaire., 2011, in press Grenier B., 1996, Évaluation de la décision médicale (introduction à l analyse médico-économique), 2 édition, Ed Masson, Paris. Geffré A, Friedrichs K, Harr K, Concordet D, Trumel C, Braun JP. Reference values: a review. Vet Clin Pathol. 2009;38:288-98. Jensen AL, Aaes H. Critical differences of clinical chemical parameters in blood from dogs. Res Vet Sci. 1993;54:10-4. EBM Tools, rubrique de CEBM, Centre for Evidence Based Medicine http://www.cebm.net/index.aspx?o=1023(accès 26.04.2010) Tape TG. Interpreting diagnostic tests. http://gim.unme.edu/dxtests.default.htm 134 Bull. Acad. Vét. France 2011 - Tome 164 - N 2 www.academie-veterinaire-france.fr