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A Karine et Pierre-Marie chaleureusement 2 3
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Préface Tous les textes, qui composent ce recueil, sont nés de la seule initiative de Pierre-Marie Carlier. Je ne suis que l écrivain saprophyte, qui se glisse dans le projet d un autre, pour en tirer profit. Aussi est-ce la moindre des choses que je lui rende hommage et que je confesse ici ce que je lui dois. Si aucun des projets, auxquels il a voulu m associer, n a abouti, c est que Pierre-Marie est, à mes yeux, victime de la frilosité de tous les décideurs, financiers et mécènes qui, en dépit des mises en scène audacieuses et novatrices qu il a réalisées de «Dom Juan», de «Mademoiselle Julie», de «La mastication» et de la Fête Voltaire, à Ferney, ne lui ont jamais offert une vraie chance d exprimer son talent. Le premier texte, «Le testament de Philippe II», devait prendre place dans le spectacle que Pierre- Marie avait imaginé pour raconter, en une vaste fresque historique, l histoire de la croissance progressive de Paris, à travers l évocation de la vie et de l œuvre de ceux qui y ont contribué. Le deuxième, «Le fantôme et le Président», est une reprise du thème que j avais déjà traité, en 2008, 2 5
à l occasion de la Fête Voltaire à Ferney, et qui avait connu un certain succès. L idée, dans le cadre de la campagne présidentielle, était de proposer quelques remarques critiques sur le quinquennat de Nicolas Sarkozy, en opposant la qualité intellectuelle et la culture de Voltaire et celles de Madame du Chatelet à l indigence assumée du Président. Les deux textes suivants s inscrivaient dans le projet que Pierre-Marie avait élaboré et vainement proposé à la municipalité de Nice, pour participer aux fêtes commémoratives du 150 anniversaire du rattachement à la France de la Savoie et du Comté de Nice. Il s agissait, à travers ces conversations ludiques, d imaginer les aspects politiques et populaires de cette annexion. Quant aux trois derniers, ce sont de courts dialogues, qui devaient être dits par des personnages de dessins animés, dans un projet de programme télé, qui proposerait des séquences quotidiennes de trois minutes, illustrant des réflexions morales de Baltasar Gracian et de Benjamin Franklin. J ai souhaité faire de mon mieux dans la rédaction de ces textes, mais je mesure bien tout ce que le lecteur perd à ne pas les voir interprétés dans le contexte que le metteur en scène avait imaginé. Henri MICAUX 26
LE TESTAMENT DE PHILIPPE II 2 7
PERSONNAGES Philippe II, Roi de France Ingeburge de Danemark, son épouse Guillaume le Breton, historiographe du Roi 28
(La scène est à Mantes, en 1223. Au lever du rideau, le Roi est vautré sur un fauteuil. La Reine occupe un siège à ses côtés) Ingeburge : Qu est-ce donc, Mon Seigneur? Je ne vous ai jamais vu si pâle, vous semblez prêt de défaillir, souhaitez-vous une couverture? Voulez-vous que je vous fasse porter une tisane? Philippe : Non! du vin de Bordeaux, si vous permettez Versez m en un verre, s il vous plait, je souffre comme un damné! Dieu sait pourquoi j ai quitté Pacy et ce que je suis venu faire ici. Ingeburge : Vos médecins vous avaient pourtant conseillé de vous reposer quelques jours et de différer votre voyage. Philippe : Que le Diable les emporte! L église voulait préparer la prochaine croisade : personne n aurait compris que je n assiste pas à cette réunion, et vous voyez, j en serai absent pourtant, pour la seule raison qui vaille. Ingeburge : Que voulez-vous dire, Philippe? Philippe : C est que je serai mort! 2 9
Ingeburge : Permettez-moi au moins de faire venir un prêtre. Philippe : Il sera toujours temps, Madame, j ai mieux à faire pour le moment. (Entre, à ce moment, Guillaume le Breton) Guillaume : Vous m avez fait mander, Mon Seigneur? (Soudain alarmé) Comme vous paraissez souffrant! Est-ce que je peux? Ingeburge : Il s imagine qu il va mourir. Philippe : Approchez, Guillaume, il faut que je vous parle Je vais mourir, je le sais J ai le cœur glacé, et je suis si fatigué! Ingeburge : Qu est-ce que je vous disais? Guillaume : Que voulez-vous dire, Beau Prince, vous êtes trop jeune encore. Est-ce qu on songe à mourir à votre âge? Philippe : Jeune, dites-vous? Est-ce qu on est jeune, quand on est Roi? Vous avez donc oublié qu il y a déjà quarante années que je règne et que le poids de ce royaume m écrase les épaules? Guillaume : C est ma foi vrai, vous n aviez que quatorze ans, lorsque le Roi, votre père, a décidé de vous associer à la direction du royaume. Ingeburge : Il ne pouvait moins faire pour un enfant que tout le monde ici considérait comme un miraculé. 210
Guillaume : Un miraculé? Philippe : Mon pauvre père, Louis VII, a dû attendre plus de trente années, avant d avoir un héritier. Ingeburge : Dame, s il traitait sa femme comme vous m avez traitée! Philippe : Ingeburge, mon amie, mesurez vos propos et veillez, s il vous plait, à ne pas m échauffer la bile. Ingeburge : Du coup, ses parents l ont appelé Philippe Dieudonné! Dieudonné! Je vous demande un peu, est-ce que c est un nom, ça? Dieudonné! Philippe : Ah! S il vous plait! Guillaume : Le vrai miracle n est pas que vous soyez né, Mon Seigneur, c est plutôt que vous ayez survécu, en 1179, à votre terrible accident de chasse. Votre père, à ce moment-là vous a bien cru perdu Philippe : Il s est même précipité en Angleterre, tout malade qu il était, pour se recueillir sur la tombe de Thomas Becket! Qui sait? C est peut-être à l intercession de ce Saint que je dois d avoir survécu Mais, laissons cela! Je veux vous entretenir car j entends, après ma mort, que vous soyez mon historiographe. Guillaume : Quoi, Mon Seigneur, n êtes-vous pas satisfait du travail du moine Rigord? Philippe : Ah! Ne m en parlez pas, s il vous plait! 2 11