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Transcription:

Comment, à Bagdad (IX -XII siècles), la pensée algébrique s est progressivement émancipée de son berceau langagier (arabe) (séminaire MamuX, Ircam, 5 décembre 2014) François Nicolas

Enjeu général 1. Intérêt pour la langue arabe = l intégrer à une hétérophonie à la fois musicale et linguale. 2. Intérêt pour la mathéma>que = une pensée «pour tous», qui aide à s orienter, hors du rela>visme de l époque. 3. Intérêt pour ce rapport langue arabe / algèbre car il y va des rapports entre pensée et langage, rapports qui intéressent spécifiquement le musicien (pensif): La musique, comme la mathéma>que, est une pensée non langagière (ce qui n est pas dire sans aucun rapport au langage : son autonomie de pensée n est pas une autarcie à l égard du langage). Comment concevoir les rapports pensée/langage en luoant sur deux fronts: contre l idée que le langage serait la vraie mesure de toute pensée, contre l idée que le langage ne serait qu un vêtement accessoire pour la pensée? Comment tenir que le langage est bien le matériau de beaucoup de pensées sans être pour autant leur transcendantal?

LuOe sur deux fronts Rapport langage/pensée non dialecticité Transcendantal Habit intrication intransitivité matériau

Enjeu spécifique: an>- posi>viste Contradic>on: La pensée algébrique naît dans un berceau langagier: celui de la langue arabe. Pourtant (thèse an>- posi>visme logique, c est- à- dire contre le supposé «tournant langagier» de la pensée), ceoe pensée, comme toute pensée mathéma>que, n a nullement le langage pour cons>tuant transcendantal. Comment ceoe pensée s est- elle émancipée de son site langagier na>f?

Plan I. Berceau? II. Émancipa>on? III. Portée de tout cela?

I. Berceau? «Les langues sémi-ques tendent à la forma-on abrégée et abstraite, algébrisante, des idées.» Louis Massignon «La concep-on de la science qu a engagée le linguiste al- Khalîl comme la méthode qui l accompagne sont deux condi-ons de possibilité de l algèbre d al- Khawârizmî.» Roshdi Rashed

La langue arabe est «algébrisée» Thèse : la structure de la grande langue arabe lioéraire entre>ent de profondes proximités avec un mode «algébrique» de pensée. D où les «raisonances algébriques» de la langue arabe. les affinités entre modes de pensée linguis>que (dans la TGA) et algébrique.

«algébrique»? Structure d'ordre algébrique = structure immédiatement formalisable comme loi de composi>on lioérale 1, selon des règles précises d'enchaînement entre leores. Algèbre = ce qui de la pensée mathéma>que s'écrit à la leore (mathéma>que): la leore joue dans l'algèbre le rôle que la figure joue dans la géométrie 2. Voir le rôle central que la leore x joue en algèbre : elle nomme l'inconnue, lui fixe une place dans l'équa>on algébrique c'est- à- dire dans le réseau de rela>ons connues qui enserre l'inconnue. Le calcul sur l'équa>on sa transforma>on s'engage alors par déplacement de leores. Une construc>on langagière qui s'explicite par règles formelles dans le déplacement ou la transforma>on des leores sera à ce >tre dite de type algébrique. Rappel : l'algèbre arabe ne connaissait pas encore le calcul algébrique lioéral. Il se faisait dans la langue vernaculaire ordinaire, dans l'arabe lioéraire de l'époque. Mais l'esprit algébrique était déjà là : le calcul algébrique qu'on effectuera plus tard «à la leore» était alors phrasé c'est- à- dire projeté dans la langue vernaculaire. Ceci se faisait avec des mots venant nommer l'inconnue par des mots (racine jizrun ou chose chay un), non par des leores. 1 Bourbaki distingue trois types de structures : les structures d ordre, les structures topologiques et les structures algébriques. Ce qui pour lui caractérise alors les structures algébriques, ce sont «les lois de composition». 2 D'où qu'on puisse aussi parfois définir l'algèbre comme «calcul symbolique» mais cette définition, centrant l'algèbre sur le calcul, tend alors à la logiciser (comme dans la bien connue «algèbre de Boole»).

Chronologie VIII IX X LANGUE ARABE ا ل خ ل يل ال ف ر اه يد ي (al-farâhîdî) : al-khalîl 718-786 ك ت اب ٱل ع ي ن Le livre source ا لس ب و ي ه : Al-Sîbawayhi 760-796 ا ل ك ت اب Le Livre ا ل م ب ر د : al-mubarrad 835-898 Kitâb al-muqtadab [= simplification-clarification] ا ل خ و ار ز م ي : Al-Khawârizmî 781-847 ALGÈBRE ك ت اب ٱل ج ب ر و ٱل م ق اب ل ة Livre de la réduction et de la comparaison أ ب و ك ام ل Misri) : Abû Kâmil (al 830-900 ث اب ث ا ب ن ق ر ة : Thâbit ibn Qurra 826-901 -928 : al-sarrâj ا لس ر اج - Kitâb al-'usûl fî/l-nahw arithmétisée ا ل ك ر ج ي [tournant (1) : mise en ordre logique et sémantique] 953-1029 : Al-Karajî géométrisée ا ل خ ي ام ي : Al-Khayyâmî 1048-1131 [ا ل ب ل اغ ة [rhétorique ا ل ج ر ج ان ي XI 1009-1078 : Jurjânî ز م خ ش ر ي XII 1075-1144 : Zamak šarî XIII (1) Aristote ا ب ن م ال ك : Ibn-Mâlik 1204-1274 أ ل ف ي ة «Milliade» Al-fîyah ا ب ن آج ر وم - Ibn Âjurrûm 1267-1324 ا ل ا ج ر وم ي ة Al-ajurrûmîyah ا لس م و ء ل ٱل م غ ر ب ي (al-maghribî) : Al-Samaw al 1130-1175 ا ل ب اه ر ف يٱل ج ب ر L éblouissant dans l algèbre

I.a - Cinq raisonances algébriques de la langue arabe 1. l'algèbre de son écriture ; 2. l'algèbre de ses racines ; 3. l'algèbre de ses formes verbales et schèmes nominaux ; 4. l'algèbre de ses déclinaisons (nominales ou ; إ ع ر اب verbales) 5. l'algèbre de son discours et de sa rhétorique.

Exemple 1 : 10 formes de verbes sur une même racine = X Y Z ف ع ل = فعل N algébrisation Pattern Sens I X a Y a Z a ف ع ل faire II X a ف ع ل Y 2 a Z a Intensif (faire répété) III IV Xâ Y a ف اع ل Z a Effort (s'efforcer de faire) ax o Y a أ ف ع ل Z a Factitif (faire faire) V t a X a ت ف ع ل Y 2 a Z a Réfléchi de l'intensif II (se faire de manière répétée) VI VII VIII t a Xâ Y a ت ف اع ل Z a Réfléchi de III Réciprocité (faire conjointement) in o X a Y a ا ن ف ع ل Z a Action subie (ce à quoi on a eu à faire) ix o t a Y a ا ف ت ع ل Z a Réfléchi de I (se faire) IX ix o Y a Z 2 a ا ف ع ل [couleurs] ا س ت ف ع ل X is o t a X o Y a Z a Réfléchi du factitif IV (se faire faire)

Exemple 2 : construc>on «algébrique» d un mot Exemple 1 Modèle «algébrique» Exemple 2 vous vous écrivez vous vous séparez ت ت ف ار ق ان ت ت فاع ل ان ت ت ك ات ب ان (tous deux) (tous les deux) écrire ف ر ق ف ر ق ف ع ل ك ت ب ك ت ب distinguer ت ف اع ل ت ك ات ب correspondre VI VI se séparer ت ف ار ق préfixe : inaccompli «t» : interlocuteur préfixe ت «a» : voie active duel à l'indicatif suffixe ا ن ta-ta-kâ-ta-bâ-ni ta ta Kâ Ta Bâ ni ت ت ف ار ق ان ت ت ف اع ل ان ت ت ك ات ب ان ta-ta-fâ-ra-qâ-ni ta ta Fâ Ra Qâ ni ta-ta-fâ-εa-lâ-ni = ta ta Xâ Y a Zâ ni

Exemples 3 : la lecture comme déchiffrage فعل فاعل = فعل مفعول+ ف ع ل ف اع ل = ف ع ل م ف ع ول + un agissant a agi = un agi a été agi مكتوب+ كتب كتب كاتب = un écrivant a écrit = un écrit a été écrit XYB XaYB = XYB mxyub Al- Khalîl : شيء+ شيء ولا شيء لا وشيء شيء لا شيء ولا شيء شيء هو chose chose et non chose non chose et chose non chose et non chose chose A A B C A C A B A C A B C A A Il est une chose d une chose, non chose de non chose, une chose de non chose, non chose d une chose. ش ي ء + ش ي ء و ل ا ش ي ء ل ا و ش ي ء ش ي ء ل ا ش ي ء و ل ا ش ي ء ش ي ء ه و

Un seul mot de trois leores, parmi les plus courants de la langue ن ع م :» Oui = naεam = «? نعم 7 autres modalités : naεama vivre confortablement naεima ن ع م ن ع م être moelleux, confortable naεuma ن ع م un confort naεamun ن ع م Et encore les formes syntaxiques se concluant en «a», «i», «an» et «in» pour les substantifs ici suffixés en «un» (cf. cas direct et indirect, formes déterminées/indéterminées), d autres formes propres à la conjugaison (active/passive) des verbes concernés, et même la forme II du verbe de base (s il est vrai que certaines notations abrégées n inscrivent même pas le chadda) : ن ع م lisser, ramollir naεεama 7 supplémentaires : oui naεam ن ع م [être] excellent niεma ن ع م des délices niεamun ن ع م plaisir ن ع م naεmun ن ع م des plaisirs nuεmun ن ع م quelquefois naεamu certes niεamu ن ع م naεma bravo niεima niεama ن ع م ن ع م ن ع م Bref, parmi les 84 formes a priori concevables (3*4*7) pour la racine à 3 consonnes n u, a, i ε u, a, i, m u, a, i, un, an, in, on peut d ores et déjà en décompter 28 (sans compter les conjugaisons et la forme II avec chadda) qui ont un sens répertorié et qui peuvent donc se trouver employées, dans un contexte ou dans un autre. Les voici classées selon l ordre alphabétique latin : naεama,naεami,naεamu,naεaman,naεamin,naεamun naεam naεima naεuma naεma,naεmi,naεmu,naεman,naεmin,naεmun niεama,niεami,niεamu,niεaman,niεamin,niεamun niεima niεma nuεma,nuεmi,nuεmu,nuεman,nuεmin,nuεmun ***

I.b - Trois affinités algébriques de la linguis>que arabe 1. celle de la nouvelle lexicographie engagée par Al- Khalîl 2. celle de la nouvelle grammaire réalisée par Sîbawayhi [voir demain à mamuphi] 3. celle de la phonologie arabe (voir le tajwîd)

Exemple I.b.1 : tripar>>on des mots dans la tradi>on gramma>cale arabe [Le collectif des mots est] nom, verbe et particule (laquelle particule) est établie ف ٱل ك ل م ا س م و ف ع ل و ح ر ف ج اء ل ي س ب ٱس م و ل ا ف ع ل ل م ع ن ى pour un sens et (n'est) ni nom ni verbe. Le nom est (par exemple) «homme», «jument» et «mur(aille)». ف ٱل ا س م ر ج ل و ف ر س و ح ائ ط Quant au verbe, (ce sont) des paradigmes [exemples] dans l'expression suscitant des noms d'action et (qui sont) construits/formés par rapport au passé, (construits) pour ce qui aura lieu et ne s'est pas (encore) produit et (construits) pour l'étant (qui) n'est pas interrompu. Quant à ce qui est établi pour le sens (et) n'est ni un nom ni un verbe, (c'est) comme «ensuite», la particule du futur lointain, le wâw du serment, le lam de l'annexion et leur semblable. أ م اٱل ف ع ل ف أ م ث ل ة أ خ ذ ت م ن ل ف ظ أ ح د اث ٱل ا س م اء و ب ن ي ت ل م ا م ض ى و ل م ا ي ك ون و ل م ي ق ع و م ا ه و ك ائ ن ل م ي ن ق ط ع و أ م ا م ا ج اء ل م ع ن ى و ل ي س ب ا س م و ل ا ف ع ل ف ن ح و ث م و س و ف و و او ٱ ل ق س م و ل ام ٱل ا ض اف ة و ن ح و ه ا

Exemple I.b.2 : formalisa>on phonologique du tajwîd La théorie phonologique arabe dis>ngue : +م خ ر ج 1. 17 points d ar>cula>on des leores en 5 lieux 2. Les aoributs des leores (9 couples de contraires, 7 aoributs sans contraires), les +ص ف ة : produits) caractéris>ques des sons (la paleoe de >mbres 3. Les règles de mise en œuvre des points précédents dans la langue du Coran, soit un ensemble de ques>ons : allongement, non- vocalisa>on, assimila>on, subs>tu>on, vibra>on résonante, ponctua>on (phrasé), règles spéciales pour certaines leores (nûn, mîm, râ, lâm, hamza, tanwin) 4. La pra>que Les deux premiers points concernent plutôt la phoné>que de l arabe coranique (lioéraire). Le troisième concerne la phonologie. Le quatrième concerne la mise en œuvre effec>ve de tout ceci dans une récita>on soutenue du texte coranique.

I.b.3 Un exemple de tajwîd «Certes cette communauté est passée. À elle ce qu'elle a réalisé et à vous ce que vous avez réalisé. Vous ne serez pas interrogés sur ce qu'ils ont fait.» (II.134/141) تلك أم ة قد خلت لها ما كسبت ولكم ما كسبتم ولا تسألون عم ا كانوا يعملون و ر ش En warch [ص] coloration des timbres (consonnes nasalisées et emphatiques, voyelles prolongées et non prononcées) & pauses ق د ت ل ك أ م ة ص خ ل ت ل ه ا م ا ك س ب ت ص و ل ك م-م ا ك س ب ت م ص و لا ت س أ ل ون ع م ا ك ان وا ي ع م ل ون til-ka um-ma-tun qod Xo-lèt / la-hâ mâ ka-sa-bat / a la-kum_mâ ka-sob-tum / wa lâ tus- a-lû-na εam-mâ kâ-nû yaε-ma-lûn

I.c Adjonc>on- extension Le rapport entre «linguistique» et «langue» arabes peut être compris comme un rapport d adjonction et d extension (au sens mathématique du terme cf. Dedekind et Paul Cohen) voir exposé mamuphi demain matin (Ens, 10h30) Trois étapes cumulatives : 1. constitution immanente d un réseau de mots nouveaux, ajoutés au lexique existant d une situation donnée ; 2. transformation endogène de ce réseau de mots en un système de noms qui viennent désigner ce qui n existe pas encore [ici la grammaire] dans la situation considérée et qu il s agit d y ajouter-adjoindre ; 3. mise en œuvre de ce système de nomination dans un corps d énoncés de type nouveau venant caractériser la situation étendue (celle qui résultera de l interaction globale c est à ce titre qu il s agira d adjonction et pas d un simple ajout - entre les «choses» de l ancienne situation et les nouvelles «choses» désignées par les nouveaux noms [ici les «choses» grammaticales ou linguistiques]). Synthétiquement : ajout lexical, adjonction nominale, extension énonciative.

I.d Trois traces de la linguis>que arabe sur le mode naissant de pensée algébrique 1. Tripar>>on des composantes de l'équa>on 2. La forme comme forma>on- déforma>on 3. Une orienta>on classificatoire

I.d.1 Exemple d empreinte et trace : la tripar>>on Sîbawayhi : «Le collectif-des-mots est nom, verbe et particule, avec une intention (de dire) sans être nom et verbe.» ا ل ك ل م ا س م و ف ع ل و ح ر ف ج اء ل م ع ن ى ل ي س ب ٱس م و ل ا ف ع ل + Al-Khawârizmî : «J ai trouvé les nombres dont on a besoin dans le calcul d al-jabr et d al-muqâbala, selon trois modes qui sont : les racines [inconnues], les carrés, et le nombre simple qui n est rapporté ni à une racine, ni à un carré.»+ و ج د ت ٱل أ ع د اد ٱل ت ي ي ح ت اج إ ل ي ه ا ف ي ح س اب ٱل ج ب ر و ٱل م ق اب ل ة ع ل ى ث ل اث ة ض ر وب و ه ي : ج ذ ور و أ م و ال و م ف ر د ل ا ي ن س ب إ ل ى ج ذ ر و ل ا إ ل ى م ال + Soit deux tripartitions parallèles : chacune s'entendant comme 2+1 par opposition Grammaire Mathématique Proposition discursive nom verbe particule Équation algébrique de deux premiers termes apparentés (en grammaire nom et verbe c'est-à-dire les mots déclinables, en algèbre racine et carré c'est-à-dire les termes inconnus) et un troisième terme thématisé négativement (il n'est ni le premier ni le second). Grammaire racine carré nombre Algèbre nom & verbe racine & carré particule nombre

I.d.2. Ac>ons entre les mots Cf. distinction des trois types de mots (noms, verbes et particules), non par leurs fonctions sémantiques mais par leur interrelations syntaxiques formelles. +ع م ل» rection Cf. théorie de la «+ع ام ل / م ع م ول : régisseur/régi Les particules régissent sans être régies. Les noms sont régis par des particules : cf. cas (nominatif/accusatif/génitif-datif) Les verbes sont régis par des particules: cf. modes du présent (indicatif/subjonctif/ apocopé) Trace de cela dans le calcul algébrique par réduction et comparaison ك ت اب ٱل ج ب ر و ٱل م ق اب ل ة +

II. Émancipa>on? Se doter d un mode propre de discursivité non langagier univoque Trois manières: 1. Écriture propre calcul à la leore 2. Ra>onalité propre démonstra>ons algébriques 3. Adjonc>on- extension de l algèbre aux mathéma>ques

Émancipa>on par rapport à l équivocité de la langue, singulièrement de la langue arabe : cf. trois traits a. Mots à double sens nommant l unité de contraires plutôt que leur division (les addâd) b. Énoncés: affirma>on de la singularité par contraposi>on excep>onnelle sur fond de néant («lâ illâ» : «nul sauf») c. Rhétorique «sémi>que» cul>vant la symétrie circulaire plutôt que la linéarité sans retour de la rhétorique grecque

+ ض د (ج ) أ ض د اد Équivocité 1: Les addâd Nomme la relation de contrariété unité des contraires Cf. indécidabilité mots Janus logique de l inconscient Cf. en français : «clair-obscur» le génitif objectif/subjectif : «l amour de Proust» «hôte» : celui qui accueille / est accueilli «louer» (un appartement) : «mon appartement est loué» «apprendre» : «j apprends le dessin» En arabe, ils se multiplient (plus de 400). Le mot Didd est lui-même un Didd car il veut dire semblable/dissemblable, pareil/contraire! Cf. les mystiques : «Il est le Premier et le Dernier, le Manifeste et le Caché» Cf. «entrer/sortir la lame du fourreau» soit : la lame bouge dans le fourreau! tahajjada : dormir/veiller = passer la nuit en alternant rabîba : marâtre/belle-fille = même situation de protégée par un homme hors de la relation filiale nasîb : beau-père/beau-fils nidd : contraire/semblable (unité des contraires: les deux sont interdits concernant Dieu) charâ bâεa : acheter/vendre = troquer warâ : derrière/devant = relation réciproque entre deux choses baεda : après/avant = en plus! rajâ : craindre / désirer = même relation car la peur accompagne le désir! = espérer Hâfa ou Zanna : craindre/être sûr de = redouter, penser qâni : content/triste fuzzi a : être épouvanté/courageux tafakkaha : plainsanter/regretter Safra : noir/non-noir Tawwâb : repentant/pardonnant : se tournant vers! Sallâ : prier/bénir = se pencher, s incliner vers as asa : tomber/finir (pour la nuit) = même phénomène lumineux ma âb : paradis/enfer : lieu de retour Deux Kitâb al- addâd : al-sijistânî (III siècle de l Hégire) et al-qâsim ou al- anbârî (IV siècle de l Hégire)

Équivocité 2 : «Nul sauf» «Nul dieu sauf Dieu!» ل ا إ ل ه إ ل ا ٱلل ه + «Nul vainqueur sauf Allah!» (devise Nasride : Alhambra de Grenade) ل ا غ ال ب إ ل ا ٱلل ه + «Nul brave sauf Ali!», «Nulle épée sauf Zulfikar!» Affirma>on par double néga>on «nul concret sauf singulier!»

Équivocité 3: «Rhétorique sémi>que»

Deux con>nents séparés L algèbre va à la fois enfoncer un coin entre ces deux con>nents et créer des passerelles entre eux, et ce de trois manières: par extension du calcul (paradigme arithmé>que, le seul à être alors à la leore) extension de la démonstra>on (paradigme géométrique, la seule à être alors axioma>sée) l introduc>on de quan>tés algébriques interprétables comme indifféremment nombres arithmé>ques ou grandeurs géométriques

II.a - Écriture algébrique calcul Bricolage de sa propre écriture (au gré de lettres s émancipant des chiffres) apte à mettre en œuvre son nouveau mode de calcul (calcul «aveugle» sur l inconnu) Un «calcul de la poussière» ح س اب ٱل غ ب ار + Le modèle mathématique va être ici l arithmétique algèbre arithmétisée. +ا لس م و ء ل Exemplairement as-samaw al Pour lui, l algèbre est une arithmétique de l'inconnu : il s'agit d «opérer sur des inconnus comme les arithméticiens opèrent sur les connus». Faire progresser l'algèbre par l'arithmétique (appliquer l'arithmétique à l'algèbre), refuser progressivement l'interprétation géométrique des opérations algébriques, spécificité et autonomie de l'algèbre qui passe par un développement de son calcul spécifique (le calcul algébrique) et l'établissement de démonstrations spécifiquement algébriques. D où, par exemple, un calcul du binôme et de ses coefficients, une approximation des fractions entières

II.b - Démonstra>on algébrique Bricolage de démonstrations algébriques circulant entre arithmétique et géométrie et violant ainsi allègrement le vieux dogme aristotélicien : «On ne peut, dans la démonstration, passer d un genre à un autre : on ne peut pas, par exemple, prouver une proposition géométrique par l arithmétique.») en sorte de mettre au jour une figure proprement algébrique de la rationalité mathématique. Al-Khawârizmî: démonstration d un type cette fois nouveau, proprement algébrique, travaillant directement sur «l expression» ل ف ظ ] ] algébrique et non plus sur la «figure» géométrique, qui délivre cette fois la «nécessité» ا ض ط ر ار ] ] du calcul algébrique proprement dit et non plus le simple «motif» de l algorithme Al-Khayyâmi (cf. algèbre géométrisée) : faire marcher la démonstration mathématique simultanément sur ses deux jambes algébrique et géométrique; algèbre et géométrie pourront s appuyer sur les forces de l une là où l autre hésite ou vacille, évitant ainsi le risque d une marche bancale, «à cloche-pieds». Pour cela, recourir systématiquement au calcul géométrique («nous posons, construisons, traçons, prolongeons») pour résoudre les problèmes que l algèbre sait poser mais ne sait encore résoudre par ellemême. Ce faisant, la mathématique va se constituer en un vaste corps, apte à expérimenter sa pensée propre par articulation de ses différents membres selon une marche coordonnée : en l occurrence, le calcul géométrique se trouve dirigé par l enjeu algébrique et la clarté propre aux figures (qui explicitent et exhibent comment Il s agit pour cela de traduire les termes algébriques de l équation en figures géométriques en sorte que le signe «=» qui relie les deux membres de l équation algébrique équivaille à l intersection de deux figures (ici deux courbes «coniques») traduisant géométriquement ces deux membres. Tout ceci passe par la construction préalable d une unité de mesure faisant équivaloir nombres et grandeurs (essentiellement un segment de droite, faisant office d échelle pour la lecture de la figure). Il suffira alors in fine de traduire la grandeur géométrique obtenue (via l intersection des courbes) en un nombre pour disposer de la solution algébrique recherchée. Henri Poincaré (Science et Méthode, 1908) : «la mathématique est l'art de donner le même nom à deux choses différentes»

II.c - Adjonc>on de l algèbre Extension des mathéma>ques voir l inven>on par al- Khawârizmî de 1. de nouveaux mots, 2. de nouvelles nomina-ons 3. d un nouveau type discursif d énoncés (relevant de la linéarité déduc>ve)

II.c.1 : Nouveaux mots- noms م ل + inconnue x 2 carré x racine ج ذ ر + inconnue chose ش ي ء + ع د د + nombre II.c.3 : Nouveaux énoncés Voir les exemples précédents de calculs et démonstra>ons

III. Portée de ces considéra>ons? AOen>on à l érudi>on, sympathique et séduisante, mais dangereuse car vaine! Michel Foucauld (7 janvier 1976) : «cepe paresse fiévreuse qui affecte caractériellement les amoureux des bibliothèques, des documents, des références, des écritures poussiéreuses, des textes qui ne sont jamais lus, des livres qui, à peine imprimés, sont refermés et dorment ensuite sur des rayons dont ils ne sont -rés que quelques siècles plus tard. Tout cela conviendrait bien à l iner-e affairée de ceux qui professent un savoir pour rien, une sorte de savoir somptuaire, une richesse de parvenu dont les signes extérieurs, vous le savez bien, on les trouve disposés en bas des pages. Cela conviendrait à tous ceux qui se sentent solidaires d une des sociétés secrètes sans doute les plus anciennes, les plus caractéris-ques aussi, de l Occident, une de ces sociétés secrètes étrangement indestruc-bles, inconnues, me semble- t- il, dans l An-quité et qui se sont formées tôt dans le chris-anisme, à l époque des premiers couvents sans doute, aux confins des invasions, des incendies et des forêts. Je veux parler de la grande, tendre et chaleureuse franc- maçonnerie de l érudi-on inu-le.» Il faut défendre la société, 1976

Deux enseignements, pour nous musiciens pensifs, en ce début de XXI siècle : 1. La voie affirma>ve de l adjonc>on- extension 2. Ses raisonances

III.a La voie de l adjonc>on- extension Pour con>nuer un mode de pensée aujourd hui, il nous faut sor>r d un dilemme (toujours «luoer sur deux fronts») : 1. Tradi>onalisme 2. Modernisme l importance capitale de la voie affirma>ve de l adjonc>on- extension. Tout ou rien Ici, deux exemples: En ma>ère de langue arabe En ma>ère de mathéma>que Traditionalisme Continuer Modernisme Ajouter Adjoindre

III.b Raisonances entre pensées affirma>ves L adjonc>on d une «linguis>que» (grammaire et lexique) a suscité l émergence de l algèbre et sa propre adjonc>on à la vieille mathéma>que. Leçon: l émancipa>on des pensées est contagieuse! On a besoin aujourd hui, plus que jamais, de ce type de contagion. Vivent les raisonances hétérophoniques!