Perceptions et Jeu d acteurs dans la construction de l action publique et des modes de gouvernance dans la filière agrocarburant burkinabé et les effets structurants potentiels sur le développement du Burkina Faso Charly Gatete Les agrocarburants (AC) connaissent un développement tous azimuts en Afrique subsaharienne depuis le début des années 2000. Ils sont considérés comme un moyen de lutter contre le réchauffement climatique et les émissions de gaz à effet de serre, comme une solution pour réduire la dépendance au pétrole et la pauvreté énergétique, et enfin comme une opportunité de croissance économique (emplois ruraux, revenus paysans, activités génératrices de revenus grâce à l accès à l énergie, etc.). Attirés par ces nombreuses opportunités et un environnement mondial favorable (crise énergétique dû au renchérissement du pétrole entre 2005 et 2008), de nombreuses initiatives ont émergé dans ces pays au début des années 2005 avec pour vocation de tirer le plus d opportunités escomptés. Cependant, plus de dix ans après la mise en œuvre des premiers projets, la situation des filières agrocarburants dans ces pays laisse entrevoir un paysage mitigé avec une disparité et une diversité des situations selon le pays. Ce paysage tend à s expliquer par les conditions politiques ou socio-économiques de certains pays plus réceptifs ou ayant connu une phase d émergence plus ancienne (Zimbabwe, Malawi) ou d une démarche plus ouverte vers un partenariat multi-acteurs qui a été profitable. Dès lors se pose la question des relations entre les acteurs ou des arrangements institutionnels entre acteurs autour de l émergence des AC, de la construction des filières, de l élaboration des politiques publiques agrocarburants et de la capacité à entraîner les effets structurants escomptés en matière de développement. Une question qui se pose particulièrement dans le contexte burkinabé ou depuis les premiers projets lancé en 2007, la situation reste marquée par un faible niveau de développement des filières. L objet de cette thèse est d analyser l action publique décrite comme «l ensemble des relations [jeux d acteurs] plus ou moins institutionnalisées, des pratiques et des représentations qui concourent à la production politiquement légitimée de modes de régulation des rapports sociaux» au sein du développement des agrocarburants au Burkina Faso. Il s agit d analyser d une part les influences du jeu d acteurs dans l émergence, la structuration de la filière et l élaboration de la politique agrocarburant burkinabé ; et d autre part, d analyser l influence des perceptions (sur la filière, sur les effets structurants potentiels) et des stratégies d acteurs sur la construction des arrangements institutionnels ou mode de coordination, des modes de gouvernance et du paysage institutionnel actuellement observé. A cet effet, notre problématique s articule autour de trois questions de recherche.
L action publique a conduit à l élaboration de type top down la politique agrocarburant et permis la construction de quatre modèles de filières La première question cherche à comprendre comment le jeu d acteurs (institutionnalisé ou pas) oriente la construction des modèles de filières et peut contribuer à modifier le processus d élaboration de la politique agrocarburant. A cet effet, il a été observé, à travers l analyse de la situation des filières agrocarburants en Afrique subsaharienne, qu elles restent prometteuses pour ces pays en dépit de multiples contraintes et verrous politiques, économiques et socio-environnementaux qui tendent à limiter son développement. À ce titre, la diversité des situations des agrocarburants dans les pays d Afrique subsaharienne peut s expliquer par les conditions politiques ou socio-économiques de certains pays plus réceptifs ou ayant connu une phase d émergence plus favorable qui soit plus ancienne (Zimbabwe, Malawi) ou qui ont suivi une démarche plus participative vers un partenariat multi-acteurs qui a été profitable (Afrique du sud, Namibie, Mali, etc.). En somme, le jeu d acteurs qu il soit institutionnalisé dans un cadre de concertation multi-acteurs ou peu institutionnalisé, joue un rôle majeur dans l émergence et le développement des filières agrocarburants. Au Burkina Faso comme dans trois autres pays étudiés (Bénin, Mali et Sénégal), coexistent plusieurs modèles de filières avec une grande diversité économique des projets privés. Cette diversité économique des acteurs privés ayant des perceptions et des intérêts parfois divergents, ont été des éléments clés dans la construction de quatre modèles de filières actuellement perceptibles. Ils ont surtout été proactifs dans la construction de ces modèles de filières en l absence de cadres politique et règlementaire ainsi qu une absence de coordination des acteurs publics (difficultés de fonctionnement du CICAFIB) dans la construction de la filière tout comme dans l élaboration de la politique publique en la matière. S agissant de la politique publique agrocarburant pour laquelle le caractère multisectoriel des agrocarburants aurait incité à l élaborer dans un processus de concertation multi-acteurs, nous avons pu observer, d une part, qu elle a été rédigée sur une base top-down et, d autre part, une dépendance au sentier et une persiste de l influence extérieure. Les perceptions des acteurs et arrangements institutionnalisés complexifiés comme facteurs clés explicatifs de la construction des modèles de filières et de leurs modes de gouvernance Une autre question de recherche a concerné plus spécifiquement l analyse des perceptions des différents acteurs impliqués dans la filière agrocarburant burkinabé. Elle a
concerné aussi l impact de ces représentations à la fois sur la construction de la filière et des modes de gouvernance que sur la configuration institutionnelle. Il s est agi de répondre à la question de recherche à savoir : comment le mode de représentation des différents acteurs peut expliquer la façon dont ils agissent et interagissent au sein des différentes modèles de filières et à construire différents modes de gouvernance. Pour ce faire, nous partons de l hypothèse que les représentations des acteurs privés sur leurs positions ainsi que sur les enjeux et opportunités de ces filières, guident leurs actions et les arrangements institutionnels qu ils ont construits. Qu ils se positionnent en amont de la filière, en aval ou sur tout le processus de production de la filière, cela reflète une stratégie guidée à la fois par leurs perceptions d une part et d autre part, une stratégie d adaptation en fonction du contexte et du positionnement des autres acteurs. La lecture du paysage institutionnel et des stratégies d acteurs s appuie sur une base de données construite à partir d entretiens réalisés auprès de 70 acteurs privés, publics et paysans entre décembre 2011 et mars 2013. Après utilisation d une analyse en composante principales (ACP) afin d affiner les différents modèles de filières qui se sont construites autour des différents projets agrocarburants, la théorie de la Nouvelle Economie Institutionnelle (NEI) nous a permis d analyser les relations et stratégies entre acteurs. Celles-ci se sont construites à partir d arrangements institutionnels entre acteurs et ont abouti à une complexification des modes de coordination et de modes de gouvernance au sein des quatre modèles de filières. Cependant, près de dix ans après le lancement des premières initiatives privées, le constat de la situation des filières agrocarburants burkinabé (faible production, marchés de l HVB et du biodiesel peu développés) pose la question de la pérennité de ces filières, et pousse à l expectative des effets structurants escomptés par les différents acteurs et visés par les différentes politiques publiques nationales. La situation des modèles de filières et effets structurants escomptés : entre perception des acteurs et stratégies d adaptation S agissant des effets potentiels des agrocarburants, notre analyse multicritère des modèles de filières sur la base des perceptions de 39 acteurs interviewés en janvier-avril 2014 et des effets structurants visés par les politiques publiques nationales, a montré que le modèle d électrification rurale décentralisée (ERD) est considéré comme celui pouvant entrainer plusieurs de ces effets. Il est suivi par le modèle industriel et le modèle local jugés équivalents par les interviewés sur leurs capacités à drainer les effets structurants visés. Enfin, arrive en dernière position le modèle agroécologie. Ce classement final se confirme par les différents classements des quatre modèles de filières par groupes d acteurs enquêtés. Au-delà de ce
classement global, on s aperçoit dans les différents classements par groupes d acteurs, que la perception des acteurs privés s est essentiellement focalisée sur les pseudo-critères revenus paysans, emplois ruraux et accès à l énergie. Cela les a conduits à classer le modèle local comme plus structurant parmi les quatre et le modèle industriel comme étant le moins structurant. Ce qui s avère assez paradoxal au regard du nombre important d acteurs privés impliqués dans le modèle industriel. Face à des difficultés de rentabilité actuelle de la filière et notamment d un modèle industriel basé uniquement sur le Jatropha, ce classement peut être une interprétation d un changement de perception des acteurs qui, à l origine avaient sûrement une vision très optimiste et peu réaliste de la filière : des modèles industriels perçus à travers de grands champs de Jatropha à perte de vue et de grandes unités industrielles produisant à flot continu du biodiesel pour le marché national. La réalité du terrain (paysans pas toujours enclin à faire du jatropha), les conditions de rentabilité de la filière dans un contexte politique (absence de cadre politique et règlementaire) et économique (baisse du cours du pétrole) peu favorables, ont poussé des promoteurs à revoir à la baisse leurs ambitions et certains leurs implications dans la filière. En somme, ces résultats de l analyse multicritère permettent de comprendre que les perceptions des différents acteurs sur les effets structurants que peuvent induire les différents modèles de filières n ont pas été les seuls facteurs qui ont poussé au développement des modèles de filières mais que celles-ci répondent plus à des stratégies d adaptation. Ce cas des agrocarburants sera-t-il révélateur de la faiblesse des gouvernements de certains PED peu en mesure de construire et poursuivre seuls sans impulsion extérieure une stratégie de développement d une filière qui pourrait leur être profitable pour le développement. En effet, à la différence des filières coton, sésame, anacarde, etc. où les partenaires étrangers ont fortement influencé leurs structurations surtout depuis la libéralisation agricole, la situation est telle que sans financement extérieur, le pays ne peut pas faire avancer la filière. Dans ce contexte de baisse du cours du pétrole et du problème de la rentabilité des filières agrocarburants, l État a un rôle important à jouer pour impulser l orientation à donner au développement de ces filières, aider à la régulation ou la mise en place de cadres institutionnels, politiques et règlementaires nécessaires. Une des premières actions peut être de contribuer à mettre en place un processus de concertation entre tous les acteurs. Nous avons vu que selon la perception des acteurs, un ou plusieurs modèles de filières s avère (ent) plus structurant (s) que d autres. Une meilleure concertation entre ces acteurs à diverses perceptions et actions pourrait permettre de coordonner les investissements et implications de chaque acteur dans les différents modèles. Sans chercher à discuter du
modèle à prioriser (qui n est pas du ressort de notre analyse purement basée sur la perception qu ont les acteurs) et qui n aurait d intérêt que dans la mesure où toute l information sur les impacts réels de chaque modèle serait disponible ; il peut être important de relever la richesse de la diversité d acteurs, de modèles de filières. Une diversité institutionnelle qui peut permettre d identifier dans le cadre d une concertation multi-acteurs, une stratégie échelonnée de modèles à promouvoir à court, moyen et long terme. Cette stratégie permettra de sélectionner des effets structurants par pallier, c est par exemple de choisir d attirer d abord des changements structurants locaux (par le modèle local et/ou local ERD) puis passer progressivement au modèle industriel par un processus de changement d échelle. Cette stratégie ne pourra qu être définie dans le cadre d une concertation entre public et privé et bailleurs étrangers. Ce rôle de l État qui se positionne en régulateur et «impulseur» des stratégies de développement, se pose dans le contexte burkinabé où le privé s avère plus proactif. Une situation casus bei ou un cas d école sur les limites d un État qui semble plus suiveur que pilote d une filière de développement. Face à cela une question nous interpelle, ces agrocarburants aussi bien sources d espoirs que de polémiques, resteront ils comme un beau dossier dans les tiroirs de l administration? S il faut reconnaître malgré tout que les agrocarburants à la fois source d espoir et de controverses, connaissent une baisse d intérêts principalement à la suite de la baisse du cours du pétrole, faudra-t-il attendre une nouvelle crise pétrolière pour accélérer le dossier agrocarburant?