Origine et évolution des Zaghawa

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Remerciements Pour leur contribution sous diverses formes, nos remerciements aux personnes suivantes : Dr Mahamat-nour Adam Sakine, Baradine Berdeï Targuio, Arnaud Dingammadji, Hassan Bolobo Maïdé, Tahir Heigui Moussa, Général Mahamat Saleh Kaya, Général Héry Tiéra, Abakar Ali Youssouf, Chérif Mahamadine Adam Séby, Tahir Yam Abakar, Sadik Mahamat Iga, toute la famille de Mahamoud Bechir Djamma, Hassan Mahamat Haran (Boss), Atteib Bechir Mahamat Hassaballah, Abdallah Abdoulaye Noussour, Haroun Haggar, Youssouf Ali Goukouni (Oby), Sidik Abdoulaye Deriaou, Issaga Koty Yacoub, Haroun Abdraman Walda, Djimet Hassan Tabit, Bakhit Gnory Souleyman, Charfadine Nassour Tedoué, Général Abdérahim Bahar, Dr Zakaria Fadoul Kitir, Abakar Souleyman Idriss, Mahamat Adam Abdraman, Bakhit Souleyman Terio, Hamit Arim Akori, Kanou Djimet Djar, Ahmat Hassan Orozi, Mahamat Abdoulaye Kary et Mahamat Ibrahim Siam. 2 5

26

Introduction La décision d écrire cet ouvrage est partie du fait que la vraie histoire des Zaghawa nous parait mal connue, mal exploitée et occultée. En plus, le contexte dans le quel le mot Zaghawa est utilisé par certains auteurs contemporains et surtout les causes à l origine de l éclipse des Zaghawa des pages d histoire pendant plus de dix siècles sont aussi une de nos raisons. Donc, il est question de tenter d aller vers des données plus vraisemblables que celles qui sont connues actuellement. Sans doute, c est un peuple parmi les tout premiers à avoir fait parler de lui depuis le 8 ème siècle. Il est également le fondateur de l un des plus grands empires du bassin tchadien précolonial. C est pour éclairer tout cela et retracer l histoire des Zaghawa qu un travail de fourmi a été fait à travers cet ouvrage. Car, il apparait que la vraie histoire des Zaghawa et celle connue à travers le monde, c est comme le jour et la nuit. Certes, nous ne sommes ni historien, ni anthropologue, ni ethnologue, mais juste un écrivain 2 7

qui se base sur des documents très riches des auteurs antiques et contemporains ; puis complétés par des récits oraux. Il est bon de préciser que l antiquité au sens strict du mot s étend de -3000 ans au 453, c est-àdire jusqu au 5 ème siècle. Or, pour nous les Africains, l antiquité couvre jusqu au 14 ème siècle et c est ce qu on appelle l histoire précoloniale. Tout cela, c est pour permettre aux lecteurs de comprendre facilement le contenu de cet ouvrage. Cependant, tout au long de ce document, il sera question de remonter plus loin dans les origines des Zaghawa, décrire la trajectoire de leur migration à travers le monde et faire une comparaison avec leurs ancêtres préhistoriques. Pour être plus convaincant, nous avons exploité plusieurs documents historiques traitant partiellement ou totalement ce thème avant de compléter par des récits oraux. Nous nous sommes basés sur une documentation qui date du 9 ème siècle à nos jours. Donc, nous allons tenter de trouver des réponses à plusieurs interrogations entre autres : d où venaient les Zaghawa? Quand et comment ont-ils fondé le royaume du Kanem? Quant et comment ont-ils perdu la dynastie du Kanem? Comment la communauté s est-elle disloquée? Quelles sont ses ramifications à travers leur territoire, du moins pour ceux qui se réclament encore Zaghawa (Béri)? Quels sont les peuples qui auraient des origines Zaghawa? Où se trouvent-ils actuellement? Qu est-ce qu ils gardent encore de leurs ancêtres historiques? Quelle 28

évolution ont-ils connue après leur défaite au Kanem? Qui étaient et sont leurs leaders? Quelle est l origine de la langue des Zaghawa (Bérià)? Etc. Certes, les recherches étaient fructueuses, mais ce document peut comporter des insuffisances qui ne mettent nullement en cause la pertinence de notre démarche et de notre initiative. Et nous tenons également à préciser que ceci n est qu un premier pas qui nécessiterait d être complété par des recherches approfondies. Cependant vos contributions seront les bienvenues pour les prochaines éditions s il plaît à Dieu. Fig.1 : L aire du peuplement Zaghawa, à cheval sur la frontière Tchad-Soudan (source : Marie-José Tubiana) 2 9

Source : Marie-José Tubiana 210

Chapitre I Généralités sur les Zaghawa I Présentation générale Avant de rentrer dans les détails pour connaitre l étymologie ou le sens du mot Zaghawa, retenons d abord que ce terme désigne un peuple vivant à cheval entre le Tchad et le Soudan. Nommés Anna par leurs voisins Gorane (Daza) et Toubou (Téda), Zaghawa par les autres ethnies et administrations et enfin, Béri entre eux ; c est un peuple occupant un territoire d environ 40.000 km 2 situé entre 21 et 26 de longitude est, et entre le 15 et 18 de latitude nord, où vivent plus de 3 500 000 âmes. Ce territoire est appelé Béribé qui signifie littéralement «pays des Béri (Zaghawa) ou encore Dar-Zaghawa» lorsqu ils sont en face d une autre ethnie ou administration. Ils sont divisés en trois grands groupes et subdivisés en sept sous-groupes : Koubara, Wegui, Douroungda, Biliera, Borogat, Arabe-Zaghawa et Gouroufda. Il faut préciser que, 2 11

malgré leurs nombreux voisins tout autour d eux, il n y a pas des ethnies qui les intercalent. Animistes jusqu au 12 ème siècle, les Zaghawa sont actuellement musulmans à 100 %. Avec le morcellement de l Afrique par les colonisateurs, les Zaghawa se retrouvent repartis entre deux pays. Plus précisément la frontière internationale imposée par les colonisateurs britanniques et Français dans le protocole N 10 du janvier 1924, fut le départ. Dans ce dernier, elles se sont convenues comme suit : d abord le Soudan aux Britanniques et le Tchad aux Français et enfin le sort des Zaghawa est scellé. Ainsi, tous les Zaghawa Bideyat se retrouvent du côté tchadien, tous les Touer du côté soudanais et les Koubara se retrouvent divisés entre les deux pays. Le premier groupe a pour base Tiné-Toundoubay au Soudan et le second a pour base Iriba au Tchad. Toutefois, les divisions territoriales n ont aucune influence sur la fraternité et les liens historiques des Zaghawa se trouvant dans les deux pays voisins. Ils continuent à garder les contacts par tous les moyens : les liens de mariage, d intervention en cas de conflit, de partage des secrets, etc. Bref, chez les Zaghawa, la solidarité prime sur toute chose surtout dans certaines situations. On peut conclure que, les Zaghawa ne croient pas à l existence d une frontière tout comme beaucoup d autres peuples séparés par des frontières artificielles. 212

Quant au Bérià qui signifie «la langue du Béri (Zaghawa)», il reste un facteur très important entre les différents sous groupes où qu ils soient. Raison pour laquelle, si vous ne le maitrisez pas, votre «Zaghawité» est directement mise en doute. Bien qu ils soient nombreux et répartis sur un territoire assez vaste, les Zaghawa arrivent à conserver pratiquement leur culture, leur généalogie et s entraident sans tenir compte des distances. Ainsi, dans cet ouvrage il est question d entrer en profondeur pour connaître réellement l origine des Zaghawa, l étymologie du mot, la provenance de ces derniers, l origine des différentes appellations utilisées pour cette communauté, leur évolution du Moyen Age jusqu à nos jours, c est-à-dire en passant par leur règne dans le Kanem, leur défaite, leur éclipse durant des siècles et enfin leur réémergence dans les Etats modernes après avoir connu une autre vie de transition. II Etymologie du mot Zaghawa Pour remonter à l origine du mot Zaghawa, nous allons nous référer à plusieurs auteurs. Bien qu à présent, ce mot désigne un groupe ethnique, il est maintenant question de trouver sa signification. A cet effet, beaucoup d auteurs ont affirmé la thèse de l origine arabe, bien qu aucun d eux n ait pu le démontrer. De toutes les façons, les intéressés n ont rien d arabe, puisque la majorité des écrivains soutient l origine hamitique de ces derniers. 2 13

Cependant, le sens étant difficile, nous tenterons d expliquer son origine à travers plusieurs hypothèses provenant de divers auteurs. D abord, le géographe arabe Ahmad Al-Yaqubi est le premier à avoir prononcé le terme Zaghawa, en 872. Il affirme que c est un peuple qui gouverne le Kanem et donne également le nom de leur roi et n en dit pas plus. Ensuite viendra Al-Muhallabi pour parler largement de ce peuple sur sa localité, son mode de vie, son ressort territorial, etc. Depuis cette date, des auteurs se succéderont pour l exploiter chacun à sa manière. Certains affirment que c est une ancienne appellation, d autres imaginent ou cherchent sa dérivation. Mais en voici tant d exemples : Selon Yacouth Al Hamaoui, l un des premiers auteurs arabes, il donne deux sens au mot Zaghawa : «Premier sens : Zaghawa est une ville qui se trouve au sud de l Afrique, précisément au sud de la Tunisie et du Maroc. Second sens : Zaghawa serait une ethnie du Sud-ouest du Soudan (qui signifie ici pays des noirs)» (Yacouth, 1977, p. 142). Au regard du premier sens, on peut affirmer que les Zaghawa étaient d abord au Nord du Kanem avant de progresser vers le Kanem. Ce qui ne contredit nullement la trajectoire de leur migration que nous allons décrire plus bas. Cette ville a tiré son nom des fondateurs bien qu elle n existe plus sur la carte de la zone indiquée. Elle serait tombée en ruine avec l avancée du désert et les indices détruits pour 214

occulter la vraie histoire ou simplement l histoire des noirs. Complexe de supériorité oblige. Quant au second sens, l auteur a parfaitement raison, puisque Zaghawa est actuellement une ethnie des noirs vivants sur un territoire africain. Pour Abu Abdallah El-Edrisi (1150), les Zaghawa avaient une grande ville, qui s appelle également Zaghawa. Il le dit en ces termes : «De Njimi à Zaghawa une distance de 6 jours. Dans cette ville vivent des gens appelés Zaghawine qui ont soin de leurs chameaux, font de petits commerces et un artisan traditionnel pour leur propre consommation» (El-Edrisi, (1150) 1983, p. 6). L Allemand, Trimingham le confirme d après ses recherches, mais n arrive pas à la situer : «À 6 jours au nord de Njimi et à 8 jours de Manân se trouve la ville de Zaghawa (Kawar ou Borkou?), regroupe plusieurs districts bien peuplés. Au temps d Ibn Saïd, ses habitants ont rejoint l islam et passés sous le contrôle du roi Kanemi» (Trimingham, 1962, p. 114). Y. Urvoy partage le même avis, mais cette fois-ci, il exprime la distance en kilomètre et dit ceci : «Zaghawa est une ville située à 250 km de Manân» (Urvoy, 1939, P 33). A partir de la carte à la page 16 du même document, nous remarquons que Zaghawa est située au nord de Njimi dans le Kanem actuel et au sud de Kawar qui est actuellement une ville nigérienne. Et effectivement, une ville se trouvant entre les deux est forcement située au Sud de la 2 15

Tunisie et du Maroc. De la comparaison de cet argument avec celui de Yacouth, il n apparait aucune contradiction. Donc c est un argument solide et vraisemblable. Deux autres éminents chercheurs, Pierre Amédée et Probe Jaubert rapportent d El-Edrisi et disent ceci : «La ville de Zaghawa ytê est entourée de villages peuplés où l on boit de l eau de puits. Autour d eux sont des hommes de même race qui ont soin de leurs chameaux. De Zaghawa à Manân il y a huit jours» (Géographie d Edrisi, Pierre Amédée et Probe Jaubert, 1836, P 22). Assurément il n y a aucune contradiction par rapport à ce que les autres ont affirmé. Sauf qu ici la distance est en nombre des jours. Evidemment, à raison de 31 km par jour qu un homme normal peut faire facilement, on peut arriver à Manân en huit jours. Selon Ibrahim Tarkhân le mot Zaghawa aurait pour origine le préfixe SEK ou SEGU qui signifie caserne ou campement en langue Tamarchek qui est un clan Touareg. Mais pour former leur pluriel, il faut ajouter AWA au préfixe SEK ou SEGU et obtenir Sekawa ou Seguawa. Il précise que les Kanouri appellent les Zaghawa des «Aghana». Pour lui, le mot Zaghawa serait peut-être né de cet ensemble ou simplement une déformation de Zegaoua ethnie vivant dans le Bornou. L auteur ajoute que l appellation variait d une ethnie à une autre, ce qui est normal. (Tarkhân, 1975, p. 46). 216

Quant à Marie José Tubiana, le mot Zaghawa serait peut-être né de la restriction (diminutif) de Zagha ou Zaghaï qui désignent des noirs vivant à côté de Sudan, Takrur, Zandj ou Habash. (Tubiana, 1985, P 18). Pour Fadoul Claude, le mot viendrait des Touaregs : «Zaghawa signifie rouge en Touareg et qui est le contraire des noirs qui sont les peuples autochtones de l Afrique» (Fadoul Claude, 1998, P 60). Pour Abdrahman Ibn Khaldoun, qui a écrit en 1375, il nous informe de l existence d une ethnie berbère du même nom et l écrit Zegaoua. Bien qu il n ait pas fait une étude comparative entre Zegaoua (ethnie berbère) et Zaghawa que nous trouvons dans son ouvrage. S agit-il d une déformation d orthographe ou d une autre ethnie? Il le dit en ces termes : «Parmi les berbères qui se voilent la figure avec le litham, objet d habillement qui les distingue des autres nations, ils sont nombreux dans ces plaines. Ils forment plusieurs tribus telles que : les Guedala, les Lamtouna, les Messoufa, les Outzila, les Tarka, les Zegaoua et les Lamta» (Ibn Khaldoun, tome II, 1925, p. 64). Le même auteur connu pour la pertinence de ses informations, dit : «Parmi les tribus berbères issues de Hawwara, il y a d abord les béni-kemlen, puis les Melîka, dit-on, ensuite les Gharân, les Ouergha, les Zeggaoua, les Meshata et les Medjîs. Les cinq dernières sont indiquées par les généalogistes berbères. Toutes les tribus descendantes de Hawwara et ayant pour 2 17

ancêtre Bernès ou Abter vivent dans la province de Tripoli et le territoire de Breca. Les unes possèdent des demeures fixes, d autres vivent en nomades» (Ibn Khaldoun, tome I, 1925, p. 275). Au vu de cet extrait et surtout de l origine berbère des Zaghawa tant clamée par autant d auteurs, le Zegaoua n est pas un fait du hasard. Ainsi, de toutes les hypothèses que nous venons de voir, cette dernière est la plus plausible. En nous référant tant sur l appellation interne (Béri) que celle externe (Zaghawa), l origine berbère de tous ces mots nous semble indéniable. Car, il s avère que Béri dérive du berbère et que Zaghawa n est que la déformation de Zegaoua, ethnie berbère connue par Ibn Khaldoun et les généalogistes berbères. Donc, nous pouvons conclure que Zaghawa, Zegaoua ou Zeggaoua désigne un groupe ethnique berbère connu depuis plus de douze siècles par des historiens. Il est presque impossible de dire exactement quand et comment cette appellation est née. Ainsi, vouloir trouver le sens ou l origine exacte n est qu une aventure. Alors, nous devons l admettre en tant qu une appellation désignant un groupe ethnique vivant entre le Tchad et le Soudan. Le reste n a plus d importance. Cependant, l origine berbère du mot est vraisemblable et nous allons le démontrer dans les pages suivantes. Toutefois, le mot Zaghawa n est pas du tout nouveau grâce aux informations très anciennes que nous détenons. Il est certain que Zaghawa est l une des 218

communautés les plus connues par les historiens antiques. Cette renommée a pour source la fondation et le règne du royaume du Kanem par les Zaghawa d une part et la puissance de leur royaume d autre part. Ces affirmations sont basées sur les écrits des chroniqueurs arabes et autres historiens qui datent du 7 ème siècle jusqu à nos jours. A propos, Jean Claude Zeltner affirme ceci : «les Zaghawa sont mentionnés en tant que peuple avant les années 628» (Zeltner, 1980, P 28). De ce fait, il est difficile, voire impossible d entrer en possession des données remontant à une telle époque. III Origine des Zaghawa Pour parler des origines de cette communauté, nous allons remonter l histoire jusqu à Noé dont toute la population mondiale est issue de la descendance de ses trois fils à savoir Sam, Ham et Japhet. Pour être plus explicite, nous allons nous baser sur l argument d Ibn Khaldoun, duquel nous trouvons que l origine berbère des Zaghawa paraît moins douteuse. Puisqu il dit ceci : «Lorsque les fils de Noé quitte la terre de Babylone (Mésopotamie) vers l Ouest à travers le Nil, les fils de Kouch Ben Ham, qui sont les actuels éthiopiens et soudanais, se sont scindés en deux groupes : un premier groupe s installe entre l Est et l Ouest, caractérisé par les Nouba, les Bedja, les Habesha et les négros (Zingh). Le second groupe composé des : Zaghawa, Hass, Khakho, Marioun, 2 19