Génériques ; le point de vue du médecin traitant Docteur A. De Gouvello, médecin généraliste, Paris Traiter des génériques est assez délicat et il s agit ici de donner un le point de vue d un médecin généraliste parmi d autres, avec une activité mixte, libérale en ville depuis 15 ans et salariée mi temps hospitalière. Une ambiance commerciale indéniable Il existe indéniablement une atmosphère économique et commerciale qui entoure les génériques. Ceux-ci se situent un peu entre le comarketing et les me-too drugs. Au départ donc, il y a une molécule originale dite princeps que le laboratoire va promouvoir avec une durée d exploitation d un peu moins de vingt ans. Parfois, le laboratoire lance son produit sous deux noms commerciaux, c est le co-marketing et obtient sans problème le remboursement par la CPAM pour les deux médicaments il en est ainsi pour certains anti hypertenseurs ou certains hypocholestérolémiants par exemple. Il s agit d une stratégie pour prendre plus facilement des parts de marché à la concurrence dans l indication du médicament. Lorsque la molécule tombe dans le domaine public, il semblerait logique que la CPAM obtienne des laboratoires, ayant amorti leurs investissements puis engrangé des bénéfices, une baisse du tarif de leur princeps. En fait confronté en général à un refus de cette solution, la parade a été, dans les années 90, l autorisation de mise sur le marché des génériques sous conditions d une baisse franche de leur prix par rapport à celui du princeps. C est ainsi que sont apparus de nombreux génériques pour des molécules a fort potentiel commercial («blog busters»), c'est-à-dire objet de fortes prescriptions et donc de rentabilité commerciale. Face à ce phénomène, l industrie pharmaceutique a réagit de deux façons : - tout d abord en produisant des me-too drugs. A partir du produit princeps génériquable, au prix d un développement minime et anticipé, une nouvelle molécule sensée apporter un petit plus est proposée ; elle obtient l AMM (autorisation de mise sur le marché) puis le remboursement par la CPAM C est ainsi que par exemple, le Xyzal, un antiallergique, succède au Zyrtec, et l Inexium, un antisécrétoire gastrique succède au Mopral. Parfois, plus subtilement c est l évolution de la forme galénique qui permet l obtention d un «nouveau» médicament remboursable (par exemple, le Biprofénid, un anti-inflammatoire devient le Profénid LP ).
- ensuite en s impliquant dans la fabrication des génériques et de leurs propres princeps ce qui en termes de sécurité de fabrication est une bonne chose. Il est intéressant de voir l exemple particulier du paracétamol, antalgique de pallier 1 très prescrit par toutes les spécialités médicales. Au départ, il existe une molécule originale (Doliprane ), deux co-marketings (Dafalgan et Efféralgan ) actuellement plus d une quinzaine de génériques sont sur le marché! Notons de plus que pour cette molécule, princeps et génériques, sont au même prix (0,20 cts le comprimé de 1g : malgré un prix si faible, plus de 10 laboratoires y trouvent du bénéfice!). Je souhaite ici noter que s il existe à l évidence un enjeu commercial autour du phénomène des génériques, il serait caricatural de stigmatiser l industrie pharmaceutique dans ces intérêts financiers. Sans les médicaments et l innovation constante par la recherche pharmaceutique, les médecins ne seraient que de sinistres messagers Positions récentes de la CPAM de Paris Vis-à-vis des patients, la question du maintien du tiers payant a évolué. Avant l été, sur une notice disponible dans les pharmacies, le tiers payant était soumis à l acceptation des génériques par le patient et la mention «non substituable» affectée par le médecin aux princeps n était plus acceptée sauf pour les accidents du travail, les maladies professionnelles, les bénéficiaires de l AME. Ainsi, à l exception de ces situations et pour certaines molécules (hormones thyroïdiennes, opiacés, antiépileptiques), l exigence du produit princeps par le patient impliquait la perte du tiers payant et donc l obligation d avance de frais avec remboursement ultérieur comme au «bon» vieux temps! Après l été, on observe une «marche arrière» avec deux corrections : pour les patients en AME, il existe au contraire une obligation d accepter les génériques et le tiers payant redevient possible pour la prescription de princeps si une notification manuscrite complète (il faut écrire «non substituable», pas seulement «NS» et théoriquement devant le nom de la spécialité) est signifiée par le médecin. Deux remarques, entre autres, peuvent être faites : Tout d abord, si les génériques sont aussi efficaces que les princeps pourquoi les gens en AT ou en maladies professionnelles en sont exemptés?... Par ailleurs, il existe une petite difficulté technique : au stade de l informatisation pour la réalisation des ordonnances thérapeutiques avec mention «non substituables». La sélection des médicaments et de leur posologie se fait au travers d une base de données contenant princeps et génériques (qui sont par ordre alphabétique du laboratoire qui le prescrit ) et il
faut donc ré-intervenir sur l ordonnance constituée pour introduire la mention «non substituable» qui doit de plus se trouver avant l énoncé de la spécialité prescrite (selon le code le la santé publique et le site améli.fr sur ce sujet). Ceci est de nature à compliquer un peu le quotidien et faire l objet d oubli. Vis-à-vis des médecins, la CPAM se montre incitative. La prescription de génériques est ainsi inscrite dans une stratégie globale d objectifs imposés aux médecins dans un cadre conventionnel mais qui offre en contre partie une rémunération annuelle d efficience. Les médecins sont visités plusieurs fois par an avec présentation d un compte rendu d activité ciblant un certain nombre de thématiques et demande express leur est faite de faire des efforts sur les indicateurs d activité où le professionnel est en dessous de l objectif souhaité par la CPAM. Dans la rubrique «prévention», exemple de thématique sélectionnée, c est le dépistage du cancer sein avec le taux de mammographies prescrites dans la tranche d âge 50-75 ans, le dépistage du cancer du col avec le taux de frottis cervical réalisé, le taux de vaccination antigrippal Dans la rubrique «efficience de la prescription», il s agit d objectifs de réduction de prescription de certains médicaments (benzodiazépines, vasodilatateurs, ) et d augmentation de prescription de génériques pour un certains nombre de spécialités médicamenteuses (antibiotiques, antihypertenseurs, hypocholestérolémiants, IPP, ). Par exemple, les objectifs fixés sont d environ 90% pour les antibiotiques, 85% pour les IPP et 70% pour les statines. Ils sont rarement atteints d autant que pour certains médicaments (antihypertenseurs, hypocholestérolémiants) la prescription peut être dans la «main» des spécialistes et il n est pas logique de contrecarrer leur choix... De toute façon, concernant le taux de génériques prescrit, il résulte de la substitution par les pharmaciens qui décident (dans la mesure où le médicament est substituable et/ou en l absence de la mention non substituable) et non de la prescription médicale initiale. Le médecin a donc une influence relative sur le taux de génériques puisque c est le pharmacien qui décide avec parfois le patient Les praticiens et les génériques Si la prescription de génériques est source d économies pour la CPAM, elle est donc aussi source de rémunération potentielle pour le médecin si les objectifs sont atteints ou dépassés. En pratique il est difficile d atteindre les taux demandés et surtout ce type d indicateur est noyé dans d autres objectifs souvent encore plus durs à atteindre.
En réalité, là n est pas la question essentielle mais la seule qui s impose à tous est celle de l efficacité analogue entre princeps et générique, à laquelle se rajoute celle de l efficacité équivalence des génériques entre eux La réponse officielle est «oui» et validée par l autorisation de mise sur le marché et l accord du remboursement, le plus souvent à un prix pouvant aller jusqu à -30 à -40% de celui du princeps. Concernant la réponse personnelle des praticiens, basée sur l expérience au quotidien, deux situations sont à envisager : -celle du spécialiste qui voit de nombreux patients ayant la même pathologie et utilise donc de façon très fréquente les mêmes spécialités pharmaceutiques. Il a donc la possibilité théorique de repérer ce qui marche moins bien Par ailleurs, plus que les généralistes, les spécialistes ont la possibilité autant que la nécessité d alimenter leur connaissance verticale par la documentation bibliographique, la participation à des staffs hospitaliers, ce qui est de nature à faciliter le repérage des différences possibles d efficacité des médicaments entre eux. - celle du généraliste est bien différente. Son implication est diluée sur de nombreuses situations pathologiques, avec un niveau de connaissance moindre par rapport au spécialiste. Il n a pas quantitativement les mêmes populations de patients et donc la dilution de ses prescriptions qui ne lui permet pas le plus souvent de faire sa propre idée concernant l équivalence d efficacité entre princeps et génériques. Ainsi, le généraliste est obligé de faire confiance aux institutions qui autorisent les médicaments et aux spécialistes avec lesquels il travaille. Si un spécialiste marque que le médicament qu il conseille n est pas substituable, il est naturel de lui faire confiance et de ne pas permettre le générique. Personnellement, deux situations pratiques se présentent au quotidien : - soit l ordonnance est informatisée (traitement chronique surtout), je prescris en DCI (dénomination internationale commune) avec un passage dans un premier temps par le produit princeps puis l utilisation d une option versant vers le choix du générique (qui est alors présenté par ordre alphabétique selon le laboratoire d origine). Je choisis le premier de la liste puis efface le nom du laboratoire qui suit le nom de la molécule en DCI. Car de toute façon, j ignore s il existe des différences d action entre génériques et j ignore ce que fera le pharmacien qui délivrera probablement celui qu il a en officine et qu il a donc sélectionné dans son intérêt (au sens large et non polémique). - soit l ordonnance est manuscrite (je le fais encore pour les traitements occasionnels de courte durée) et ma prescription se fait au grès de ma mémoire du moment : soit DCI (donc
générique), soit princeps souvent avec la mention «génériquable», parfois sans mention, rarement avec la mention «non substituable». Je réserve de principe celle-ci aux personnes âgées avec traitements multiples. Le vécu des patients La plupart des patients acceptent l idée que les génériques soient aussi efficaces que les princeps. Il existe des exceptions qui malheureusement vont probablement augmenter dès lors que certains patients informés autant que dubitatifs feront pression sur leur médecin pour exigé la mention «non substituable». Le Panorama du médecin du mois d octobre dernier rapporte le cas d un médecin agressé par un patient auquel il a refusé d inscrire cette mention sur son ordonnance! Personnellement, j ai eu une patiente âgée ayant un traitement chronique pour laquelle j ai renouvelée l ordonnance en DCI ; offusquée, elle l a refusé et m a pressé de la refaire en produits princeps ce que j ai fait sans combattre