Chapitre 1 Champ d application La rupture amiable repose sur un principe simple et facile à mettre en œuvre : ce que les parties ont fait par commun accord peut être retiré par commun accord. L article 1134 du Code civil dispose que : «Les conventions formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel ou pour les causes que la loi autorise. Elles doivent être exécutées de bonne foi.» Le Code du travail dans son article L. 1221-1 édicte que «le contrat de travail est soumis aux règles de droit commun». Sur le fondement de ces deux textes, la jurisprudence a admis que la rupture d un commun accord du contrat de travail - en dehors de toute application des règles concernant le licenciement - était un mode autonome de rupture du contrat de travail qui organisait les conditions de cette rupture. Ainsi, la Cour de cassation dans un arrêt de principe du 29 mai 1996 a rappelé : «Selon l article 1134 du Code civil, les parties peuvent par leur consentement mutuel, mettre fin à leur convention [...] qu il en résulte que si les parties à un contrat de travail décident d un commun accord d y mettre fin, elles se bornent à organiser les conditions de la cessation de leurs relations de travail 1.» 1. Cass. soc., 29 mai 1996 : Bull. civ. V, n o 215. 15
NÉGOCIER SON DÉPART DE L ENTREPRISE Les cas de ruptures admis par la loi La loi vise la rupture amiable dans deux cas : Le contrat d apprentissage passé les deux premiers mois d exécution peut être résilié selon l article L. 6222-18 du Code du travail sur accord exprès et bilatéral des cosignataires. Le contrat de travail à durée déterminée selon l article L. 1243-1 du Code du travail ne peut pas être rompu pendant son exécution sauf faute grave, force majeure ou accord des parties. Qu en est-il de la rupture dans le cadre de la convention de reclassement personnalisé? S agissant de la convention de reclassement personnalisé, rappelons qu en cas d acceptation, par le salarié de ladite convention «le contrat est réputé rompu du commun accord des parties» (C. trav art. L. 1233-67). Quelle est la signification de ces termes? On se souvient que de 1987 à 2002, les employeurs qui licenciaient des salariés pour motif économique avaient l obligation de proposer aux intéressés ayant au moins deux ans d ancienneté, une convention de conversion. Or, l ancien article L. 321-6 al. 3 posait expressément que, l acceptation d une convention de conversion par le salarié emportait rupture «du fait du commun accord des parties», sans préavis. Le moins que l on puisse dire, c est que ces termes de «rupture du fait du commun accord des parties» ont semé le trouble pendant des années. Ainsi, la chambre sociale de la Cour de cassation avait décidé, dans un arrêt du 10 janvier 1991 (pourvoi n o 88-40461) que le salarié qui optait pour la convention de conversion ne pouvait plus contester la réalité et le sérieux de la procédure devant le juge prud homal. Un an plus tard, la même chambre sociale revenait sur sa position en décidant que «la convention de conversion qui entraîne la rupture du contrat de travail d un commun accord des parties, implique l existence d un motif économique de licenciement qu il appartient au juge de rechercher en cas de contestation» (Cass. soc., 29 janv. 1992, Bull. civ., V. n o 52). Cette dernière position n était pas contestable. En effet, la position prise par la chambre sociale en 1991 défavorisait pour le moins les salariés ayant choisi d adhérer à une convention de conversion, qui étaient privés de tout recours devant la juridiction prud homale. Qui plus est, on pouvait aisément soutenir que dans le cadre de la convention de conversion, le salarié ne donnait pas son accord sur la résiliation du contrat mais sur la mesure de reclassement qui accompagnait la rupture. Enfin, on pouvait relever que l ancien article L. 321-6 al. 4 du Code du travail édictait que les litiges relatifs à cette rupture relevaient de la compétence du conseil de prud hommes. On notera cependant que malgré ce revirement de la chambre sociale, il faudra encore attendre plus de dix ans pour que la jurisprudence se stabilise en la matière (V. ainsi : Cass. soc., 9 décembre 1997, Bull. civ., V. n o 426 : la charge de la preuve du caractère réel et sérieux n incombe, comme en matière de licenciement économique, à aucune des parties de manière spécifique - Cass. soc., 17 juin 1997, Bull. civ., V. n o 222 : le salarié peut contester l ordre des licenciements - Cass soc., 23 novembre 1999, n o 97-43887 : le salarié peut contester l absence de motivation de la lettre de 16
CHAMP D APPLICATION licenciement - Cass soc., 31 mars 1998, pourvoi n o 96-40765 : le salarié peut invoquer un manquement de l employeur à son obligation de reclassement). Alors que la convention de conversion a été supprimée en 2002 (et substitué par le système du Pré PARE), l affaire a rebondi dans le cadre de la convention de reclassement personnalisée, prévue par la loi de programmation pour la cohésion sociale dont le cadre ressemble fort à celui de la convention de conversion (loi n o 2005-32 du 18 janvier 2005 entérinant la convention du 27 avril 2005 relative à la convention de reclassement personnalisée et signée entre les partenaires sociaux). Rappelons que cette convention doit être proposée dans les entreprises de moins de 1 000 salariés, aux salariés licenciés pour motif économique et que le dispositif porte sur des actualisations d évaluation, de compétence professionnelle, des actions d orientation, de formation et d accompagnement. Dès lors que le salarié a accepté la convention de reclassement, «le contrat est réputé rompu du commun accord des parties» (C. trav art. L. 1233-67), ladite rupture ne comportant aucun préavis, mais ouvrant droit à l indemnité de licenciement. Dans l arrêt du 5 mars 2008 (pourvoi n o 07-41964), la chambre sociale réitère sa position, somme toute logique : si l adhésion du salarié à une convention de reclassement personnalisé entraîne une rupture qui est réputée intervenir d un commun accord, elle ne le prive pas de la possibilité d en contester le motif économique. L admission de la rupture amiable pour motif personnel La jurisprudence admet qu un contrat de travail puisse prendre fin de manière régulière, par la volonté commune de ceux qui l ont bâti. Dans le cas où il y a accord de principe pour mettre fin au contrat de travail, les juges du fond n ont pas à requalifier la rupture : la résiliation par consentement mutuel échappe aux règles gouvernant le licenciement 2. Les difficultés de mise en œuvre de la rupture amiable pour motif économique La jurisprudence avait validé les ruptures négociées pour motif économique, sous réserve que l accord soit «avantageux» pour le salarié 3. La chambre sociale de la Cour de cassation avait précisé que ce type de rupture ne pouvait pas dispenser l employeur de respecter les procédures de concertation avec les institutions représentatives du personnel prévues par les articles L. 1233-3 et suivants du Code du travail 4. 2. Cass. soc., 19 déc. 1979 : Bull. civ. V, n o 1022. - 29 mai 1996, préc. n o 1. 3. Cass. Crim., 28 nov. 1984 : JCP 1985, éd. E, II, 14481. - Cass. soc., 5 mars 1986 : JCP 1986, éd. E, II, 15511. 4. Cass. soc., 10 avr. 1991 : Bull. civ. V, n o 179. 17
NÉGOCIER SON DÉPART DE L ENTREPRISE Toutefois, le législateur, par une loi du 29 juillet 1992, prise en application de la directive n o 75/129 CEE du 17 février 1975 modifiée par la directive n o 92/56 du 24 juin 1992, a introduit dans l article L. 1233-3 du Code du travail relatif au champ d application de la procédure pour licenciement économique les termes suivants : «Les dispositions du présent chapitre sont applicables à toute rupture du contrat de travail résultant de l une des causes énoncées au premier alinéa.» En conséquence, si la rupture négociée du contrat de travail intervient pour un motif économique, elle devra être conduite dans le cadre de la procédure pour licenciement économique. Conformément à l article 1233-3 du Code du travail modifié, la Cour de cassation considère que l employeur qui envisage de supprimer de nombreux emplois pour motif économique, est tenu de respecter les dispositions d ordre public des articles L. 1233-3 et suivants du Code du travail, peu important que ces emplois ne soient supprimés que par la voie des départs volontaires dans le cadre d un accord d entreprise 5. L exclusion de la rupture amiable avec un salarié protégé Le législateur a institué au profit des représentants du personnel (délégués du personnel, membres du comité d entreprise, CHSCT, délégués syndicaux...) en raison de leurs fonctions, une protection exceptionnelle et qui déroge au droit commun. La rupture de leur contrat de travail ne peut intervenir que dans le cadre de la procédure de licenciement sur autorisation de l inspection du travail et après consultation du comité d entreprise pour les représentants élus 6. Ainsi, la chambre criminelle de la Cour de cassation a jugé que la rupture négociée n était pas envisageable avec un salarié protégé car il est exclu que «l employeur, à qui il est interdit de résilier le contrat de travail d un représentant du personnel sans observer les formalités édictées en faveur de ce salarié» et ce salarié protégé qui «ne saurait renoncer à une protection qui lui est accordée pour l exercice de sa mission» concluent «un accord pour mettre fin au contrat en dehors des règles légales» 7. 5. Cass. soc., 22 févr. 1995 : Bull. civ. V, n o 68. Ainsi, les représentants du personnel doivent être consultés. En revanche, l employeur, dans cette hypothèse, peut s abstenir de l envoi d une lettre de licenciement : Cass. soc. 2 déc. 2003 : JCP E 2004, 19. On notera également que l employeur qui offre la possibilité d un départ à un salarié dans le cadre d un départ négocié n est pas tenu de respecter un ordre des licenciements, sauf disposition conventionnelle contraire (Cass. soc., 10 mai 2005, pourvoi n o 02-45237). En revanche, la priorité de réembauchage subsiste au profit du salarié (Cass. soc., 13 septembre 2005, pourvoi n o 04-40135), même si celle-ci n a pas à lui être notifiée (Cass. soc., 2 novembre 2005, pourvoi n o 02-44721). 6. Cass. Ch. Mixte, 21 juin 1974 : Bull. cass. n o 2. - Cass. Ass. Plén., 28 janv. 1983 : Bull. Cass. n o 1. 7. Cass. Crim., 26 nov. 1985 : JCP 1986, éd. E, I, 15511. 18
CHAMP D APPLICATION À noter : La chambre sociale a elle aussi considéré qu un accord intervenu entre un salarié protégé et son employeur antérieurement à tout licenciement était nul car «cet acte avait pour but et pour effet d organiser la rupture du contrat de travail en dehors du cadre légal» 8. Attention : la jurisprudence a étendu la notion de salarié protégé. Elle interdit aussi toute rupture amiable avec un salarié déclaré inapte en conséquence d une maladie professionnelle ou d un accident du travail 9 ou encore pendant la période de suspension du contrat de travail suite à un accident du travail 10. 8. Cass. soc., 2 déc. 1992 : Bull. civ. V, n o 578. 9. Cass. soc., 29 juin 1999 : Bull. civ. V, n o 304. 10. Cass. soc., 4 janv. 2000 pourvoi n o 97-44566. 19
NÉGOCIER SON DÉPART DE L ENTREPRISE L essentiel Les parties peuvent librement mettre fin à un contrat de travail et de manière amiable pour un motif personnel. En revanche, ce mode de rupture est exclu pour les salariés protégés. En cas de licenciement économique, la rupture amiable doit s intégrer dans le cadre de la procédure de licenciement économique. 20