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Transcription:

12 OCTOBRE 2015 S.13.0026.N/1 Cour de cassation de Belgique Arrêt N S.13.0026.N VILLE D OSTENDE, Me Huguette Geinger, avocat à la Cour de cassation, contre P.V. I. La procédure devant la Cour Le pourvoi en cassation est dirigé contre l arrêt rendu le 24 avril 2012 par la cour du travail de Gand, section de Bruges. L avocat général Henri Vanderlinden a déposé des conclusions écrites le 8 septembre 2015. Le conseiller Koen Mestdagh a fait rapport. L avocat général Henri Vanderlinden a conclu.

12 OCTOBRE 2015 S.13.0026.N/2 II. Les moyens de cassation suivants : La demanderesse présente quatre moyens libellés dans les termes Premier moyen Dispositions légales violées - articles 1 er, alinéa 2, 32, alinéa unique, 3, 37, 1 er, et 39, 1 er, de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail ; - articles 1 er et 2 de la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs ; - articles 1349, 1353, 1354 et 1355 du Code civil ; - article 14 des lois sur le Conseil d État, coordonnées le 12 janvier 1973. Décisions et motifs critiqués Après avoir rejeté toutes autres conclusions contraires, la cour du travail de Gand, section de Bruges, a joint dans l arrêt attaqué du 24 avril 2012, conformément à l article 30 du Code judiciaire, les deux causes mentionnées ciaprès, et déclaré l appel formé dans la cause 2010/RG/165 irrecevable et l appel dans la cause 2011/RG/101 recevable et fondé dans une certaine mesure. La cour du travail a réformé le jugement entrepris rendu par le tribunal du travail de Bruges le 7 juin 2010 et, statuant à nouveau, déclaré la demande originaire du défendeur recevable et fondée dans une certaine mesure. La cour du travail a condamné le demandeur à payer au défendeur un montant de 2.500 euros à titre de dommages-intérêts, majoré des intérêts judiciaires. La cour du travail a rejeté la demande reconventionnelle formée par la demanderesse et condamné la demanderesse aux dépens des deux instances.

12 OCTOBRE 2015 S.13.0026.N/3 La cour du travail a fondé sa décision sur les motifs suivants : «8. Au fond (Le défendeur) estime (qu ) il a été licencié à tort et réclame une indemnisation : - du chef de la violation des dispositions de la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs (loi du 29 juillet 1991) ; - du chef de la non-application des principes généraux de bonne administration au licenciement (du défendeur) (non-respect de l obligation d audition) ; - parce que le manquement (incapacité de travail) invoqué pour justifier le licenciement n est pas correct. 8.1. La loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs Les actes administratifs des autorités administratives visées à l article 14 des lois coordonnées sur le Conseil d'état doivent faire l objet d une motivation formelle conformément à l article 2 de la loi du 29 juillet 1991 sur la motivation formelle des actes administratifs (loi du 29 juillet 1991). La motivation exigée doit consister en l indication, dans l acte même, des considérations de droit et de fait servant de fondement à la décision, elle doit être adéquate (article 3 de la loi du 29 juillet 1991). La question qui se pose est de savoir si le licenciement d un membre du personnel contractuel doit être motivé. La décision de licenciement est incontestablement un acte juridique unilatéral de portée individuelle ayant des effets juridiques et produisant un changement dans la situation juridique du travailleur licencié. Que cet acte juridique unilatéral émane d'une administration au sens de l'article 14 des lois coordonnées sur le Conseil d'état n est pas davantage contestable. (La demanderesse) est indéniablement une autorité administrative visée par ledit article 14.

12 OCTOBRE 2015 S.13.0026.N/4 (Le défendeur) satisfait à la définition d'une personne physique dans ses relations avec l'administration. La loi du 29 juillet 1991 ne prévoit pas de restriction en ce qui concerne la nature des relations. La loi du 29 juillet 1991 s'applique à la décision de licenciement, acte juridique unilatéral faisant naître des effets juridiques à l'égard d'un membre du personnel contractuel qui travaille au service de l'administration. Cette loi doit en effet être interprétée de façon extensive et évolutive, et les exceptions à ladite loi de façon restrictive (...). La loi du 29 juillet 1991 prévoit un certain nombre de situations exceptionnelles dans lesquelles l'administration est dispensée de l'obligation de motivation formelle, mais ce n'est pas le cas ici. En effet, la loi ne prévoit pas d'exception lorsque l'administration agit dans la sphère contractuelle, de sorte qu il est donc clair que (la demanderesse) devait motiver la décision de licenciement (...). Le collège des bourgmestre et échevins a du reste indiqué expressément dans la décision de licenciement du 11 mai 2009 : Vu la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs, spécialement ses articles 1 er, 2 et 3 (...), de sorte qu'il a été reconnu et admis par (la demanderesse) que la loi du 29 juillet 1991 s'applique également en cas de licenciement du personnel contractuel. Que tout contrat de travail dans le secteur public soit entièrement régi par le droit du travail (loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail) n'exclut pas qu'une loi spéciale ultérieure puisse toutefois imposer la motivation (...). La liberté de licenciement dans le droit du travail n'est d'ailleurs pas incompatible avec les restrictions au licenciement et avec les dispositions légales qui rendent plus difficile l'exercice du droit de licenciement. La motivation exigée doit consister en l indication, dans l acte même, des considérations de droit et de fait servant de fondement à la décision, elle doit être adéquate (article 3 de la loi du 29 juillet 1991). Les motifs doivent être inclus dans l'acte lui-même et il ne peut être tenu compte des motifs figurant dans d'autres documents, à moins qu'il y soit fait référence dans la décision elle-même, qu'(ils) soient connus par l'intéressé et soient à leur tour adéquatement motivés et non contradictoires.

12 OCTOBRE 2015 S.13.0026.N/5 La lettre de licenciement, communiquée (au défendeur) par lettre recommandée du 12 mai 2009, ne satisfait aucunement à cette obligation de motivation. La seule indication de l' inaptitude professionnelle comme motif de licenciement ne suffit pas, est trop générale, trop vague et ne peut être considérée comme une motivation adéquate. Les éléments de fait qui ont conduit au licenciement n'y sont pas mentionnés. La cour du travail estime par conséquent que la lettre de licenciement n'est pas adéquatement motivée et ne satisfait pas aux obligations imposées par la loi du 29 juillet 1991, que (la demanderesse) a d'ailleurs reconnu devoir respecter dans la décision du collège des bourgmestre et échevins. 8.2. ( ) ( ) 8.3. L'absence de motifs adéquats du licenciement dans la lettre de licenciement (...) constitue une faute dans le chef de (la demanderesse). ( ) Le lien de causalité entre la faute (de la demanderesse) (absence d'audition préalable et absence de motivation) et le dommage (perte d'une chance d'éviter son licenciement et réduction de la chance de trouver un nouvel emploi) est certain et a été établi. Le préjudice moral, distinct de l'indemnité compensatoire de préavis, est estimé par la cour du travail ex aequo et bono à 2.500 euros». Griefs Il n'a pas été contesté et la cour du travail a constaté que le défendeur était lié depuis le 19 septembre 1995 à la demanderesse par un contrat de travail à durée indéterminée, dont les parties ne contestaient pas davantage qu'il était en principe soumis à la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail, comme le prévoit l'article 1 er, alinéa 2, de cette loi. Aux termes de l'article 32, alinéa unique, 3, de ladite loi du 3 juillet 1978, les engagements résultant du contrat de travail prennent fin par la volonté de l'une des parties lorsque le contrat a été conclu pour une durée indéterminée. Les

12 OCTOBRE 2015 S.13.0026.N/6 contrats de travail à durée indéterminée peuvent ainsi être résiliés par préavis conformément à l'article 37, 1 er, de cette loi ou moyennant le paiement d'une indemnité compensatoire de préavis correspondante, ainsi que le prévoit l'article 39, 1 er, de cette loi. Aucune disposition de ladite loi du 3 juillet 1978 n'oblige l'employeur mettant fin à un contrat à durée indéterminée, par préavis ou en payant l'indemnité compensatoire de préavis correspondante, à motiver ce préavis. L'article 2 de la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation des actes administratifs dispose que «les actes administratifs des autorités administratives visées à l'article premier doivent faire l'objet d'une motivation formelle». L'article 1 er définit l'«acte administratif» comme «l'acte juridique unilatéral de portée individuelle émanant d'une autorité administrative et qui a pour but de produire des effets juridiques à l'égard d'un ou de plusieurs administrés (...)» et l'«administration» comme «les autorités administratives au sens de l'article 14 des lois coordonnées sur le Conseil d'état». Aux termes de l'article 3 de ladite loi, il est requis que les considérations de droit et de fait servant de fondement à la décision soient indiquées dans l'acte. Cette motivation doit être «adéquate». La demanderesse prétendait que la loi précitée du 29 juillet 1991 ne s'appliquait pas aux relations contractuelles entre elle et le défendeur, et que, dans le secteur public, le contrat de travail est entièrement régi par le droit (commun) du travail. La cour du travail a considéré que la loi précitée du 29 juillet 1991 s'appliquait en cas de résiliation, par la demanderesse, du contrat de travail du défendeur, et ce pour deux raisons. ( )

12 OCTOBRE 2015 S.13.0026.N/7 Deuxième branche À tort, la cour du travail a en outre considéré que la loi précitée du 29 juillet 1991 s'appliquait à la résiliation, par un licenciement moyennant paiement d'une indemnité compensatoire de préavis, du contrat de travail à durée indéterminée qui liait la demanderesse au défendeur, étant donné que les personnes engagées contractuellement dans le secteur public, et plus particulièrement le travailleur engagé par une commune par un contrat de travail, relèvent, conformément à l'article 1 er, alinéa 2, de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail, du champ d'application de ladite loi. Le licenciement est, certes, un acte juridique unilatéral, mais il ne faut pas l'entendre comme un acte administratif, dès lors qu'il est intimement lié au contrat de travail existant, dont il ne peut être détaché. En outre, l'obligation de motivation prévue par la loi du 29 juillet 1991 a été instaurée en contrepartie du pouvoir, prévu dans l'intérêt général, des autorités de prendre à l'égard du citoyen des décisions unilatérales obligatoires. Le licenciement, avec ou sans préavis, d'un travailleur engagé contractuellement, ne constitue pas un acte juridique ou administratif unilatéral au sens de l'article 1 er de la loi précitée du 29 juillet 1991, n'est pas l'expression du pouvoir, prévu dans l'intérêt général, des autorités de prendre à l'égard du citoyen des décisions unilatérales obligatoires et n'est donc pas soumis à l'obligation de motivation imposée par l'article 2 de ladite loi. La cour du travail a par conséquent violé les articles 1 er, alinéa 2, 32, alinéa unique, 3, 37, 1 er, et 39, 1 er, de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail et les articles 1 er et 2 de la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs. La cour du travail n'a par conséquent pu légalement condamner la demanderesse au paiement de dommages-intérêts au défendeur du chef d'une prétendue violation de l'obligation de motiver le licenciement du défendeur. ( )

12 OCTOBRE 2015 S.13.0026.N/8 Deuxième moyen Dispositions légales violées - le principe général de bonne administration, dénommé obligation d'audition, en vertu duquel l'administration a pour devoir d'entendre le citoyen concerné afin de lui permettre de faire valoir son point de vue chaque fois que l'administration envisage de prendre une mesure grave sur la base de son comportement personnel, considéré comme un manquement, et susceptible de porter gravement atteinte à ses intérêts ; - articles 1 er, alinéa 2, 32, alinéa unique, 3, 37, 1 er, et 39, 1 er, de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail. Décisions et motifs critiqués Après avoir rejeté toutes autres conclusions contraires, la cour du travail de Gand, section de Bruges, a joint dans l arrêt attaqué du 24 avril 2012, conformément à l article 30 du Code judiciaire, les deux causes mentionnées ciaprès, et déclaré l appel formé dans la cause 2010/RG/165 irrecevable et l appel dans la cause 2011/RG/101 recevable et fondé dans une certaine mesure. La cour du travail a réformé le jugement entrepris rendu par le tribunal du travail de Bruges le 7 juin 2010 et, statuant à nouveau, déclaré la demande originaire du défendeur recevable et fondée dans une certaine mesure. La cour du travail a condamné le demandeur à payer au défendeur un montant de 2.500 euros à titre de dommages-intérêts, majoré des intérêts judiciaires. La cour du travail a rejeté la demande reconventionnelle formée par la demanderesse et condamné la demanderesse aux dépens des deux instances. La cour du travail a fondé sa décision sur les motifs suivants : «8. Au fond

12 OCTOBRE 2015 S.13.0026.N/9 (Le défendeur) estime (qu )il a été licencié à tort et réclame une indemnisation : - du chef de la violation des dispositions de la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs (loi du 29 juillet 1991) ; - du chef de la non-application des principes généraux de bonne administration au licenciement (du défendeur) (non-respect de l obligation d audition) ; - parce que le manquement (incapacité de travail) invoqué pour justifier le licenciement n est pas correct. 8.1. La loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs (...) 8.2. Les principes généraux de bonne administration. En sus de l'obligation de motivation, l'autorité publique doit également se conformer, en sa qualité d'employeur, aux principes généraux de bonne administration. À moins que d'autres législations n'en disposent autrement, l'obligation d'audition est un principe général non écrit. Dans son arrêt du 19 janvier 1998, le Conseil d'état a considéré que l'obligation de motivation a une portée générale et ne se limite pas aux fonctionnaires. Les principes de bonne administration, en ce compris l'obligation de motivation, s'appliquent donc également au licenciement de contractuels ( ). Si les droits de la défense sont absolus, il peut être dérogé à l'obligation d'audition notamment en cas d'urgence et lorsque le travailleur n'est pas disponible dans un délai raisonnable, ce qui n'était clairement pas le cas en l espèce. Le défendeur a pu être entendu à bref délai et il n'y avait pas d'urgence à écarter immédiatement et définitivement (le défendeur) ( ). (La demanderesse) aurait dû, eu égard à la gravité de cette mesure, se conformer à ce principe et entendre (le défendeur) avant de le licencier. Le nonrespect de ce principe constitue une faute qui peut, le cas échéant, donner lieu à l'octroi de dommages-intérêts.

12 OCTOBRE 2015 S.13.0026.N/10 8.3. ( ) et l'absence d'audition préalable constitue une faute dans le chef de (la demanderesse). ( ) ( ) Le lien de causalité entre la faute (de la demanderesse) (absence d'audition préalable et absence de motivation) et le dommage (perte d'une chance d'éviter son licenciement et réduction de la chance de trouver un nouvel emploi) est certain et a été établi. Le préjudice moral, distinct de l'indemnité compensatoire de préavis, est estimé par la cour du travail ex aequo et bono à 2.500 euros». Griefs Il n'a pas été contesté et la cour du travail a constaté que le défendeur était lié depuis le 19 septembre 1995 à la demanderesse par un contrat de travail à durée indéterminée, dont les parties ne contestaient pas davantage qu'il était en principe soumis à la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail, comme le prévoit l'article 1 er, alinéa 2, de cette loi. Aux termes de l'article 32, alinéa unique, 3, de ladite loi du 3 juillet 1978, les engagements résultant du contrat de travail prennent fin par la volonté de l'une des parties lorsque le contrat a été conclu pour une durée indéterminée. Les contrats de travail à durée indéterminée peuvent ainsi être résiliés moyennant un préavis conformément à l'article 37, 1 er, de cette loi ou le paiement d'une indemnité compensatoire de préavis correspondante, ainsi que le prévoit l'article 39, 1 er, de cette loi. Aucune disposition de ladite loi du 3 juillet 1978 n'oblige l'employeur mettant fin à un contrat à durée indéterminée, moyennant préavis ou le paiement de l'indemnité compensatoire de préavis correspondante, à entendre le travailleur au préalable. Le principe général de bonne administration, dénommé obligation d'audition, en vertu duquel l'administration publique a pour devoir d'entendre le citoyen concerné afin de faire valoir son point de vue chaque fois que

12 OCTOBRE 2015 S.13.0026.N/11 l'administration envisage de prendre une mesure grave sur la base de son comportement personnel, considéré comme un manquement, et susceptible de porter gravement atteinte à ses intérêts, ne s'applique pas en cas de licenciement, par une commune, d'un travailleur engagé contractuellement. Le licenciement est, certes, un acte juridique unilatéral, mais il ne faut pas l'entendre comme un acte administratif, dès lors qu'il est complètement lié au contrat de travail existant, dont il ne peut être détaché. En outre, ce que l'on appelle «l'obligation de motivation» s'applique en contrepartie du pouvoir, prévu dans l'intérêt général, des autorités de prendre à l'égard du citoyen des décisions unilatérales obligatoires. Le licenciement, avec ou sans préavis, d'un travailleur engagé contractuellement par une commune, ne constitue pas un acte juridique ou un acte administratif unilatéral au sens de l'article 1 er de la loi précitée du 29 juillet 1991 et n'est pas l'expression du pouvoir, prévu dans l'intérêt général, des autorités de prendre à l'égard du citoyen des décisions unilatérales obligatoires, de sorte que sa validité n'est pas subordonnée à une audition préalable de la personne licenciée. La cour du travail a par conséquent violé le principe général de bonne administration, dénommé obligation d'audition, et les articles 1 er, alinéa 2, 32, alinéa unique, 3, 37, 1 er, et 39, 1 er, de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail. La cour du travail n'a par conséquent pu légalement condamner la demanderesse au paiement de dommages-intérêts au défendeur du chef d'une prétendue violation de l'obligation d'audition à l'occasion du licenciement du défendeur. ( )

12 OCTOBRE 2015 S.13.0026.N/12 III. La décision de la Cour Sur le premier moyen : Quant à la deuxième branche : 1. Aux termes de l'article 2 de la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs, les actes administratifs des autorités administratives visées à l'article 1 er doivent faire l'objet d'une motivation formelle. L'article 1 er de cette loi définit un acte administratif comme l'acte juridique unilatéral de portée individuelle émanant d'une autorité administrative et qui a pour but de produire des effets juridiques à l'égard d'un ou de plusieurs administrés et les autorités administratives comme au sens de l'article 14 des lois coordonnées sur le Conseil d'état. 2. Ainsi que le révèlent les travaux préparatoires de la loi, il ne résulte pas de ces dispositions qu'une autorité administrative qui informe un travailleur qu'elle met fin au contrat de travail existant entre eux est tenue de motiver expressément ce licenciement. 3. L'arrêt, qui considère que la lettre de licenciement par laquelle la demanderesse a informé le défendeur qu'elle avait décidé de mettre fin au contrat de travail ne satisfait pas à l'obligation de motivation imposée par la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs et conclut sur cette base à l'existence d'une faute dans le chef de la demanderesse, ne justifie pas légalement sa décision. Le moyen, en cette branche, est fondé.

12 OCTOBRE 2015 S.13.0026.N/13 Sur le deuxième moyen : 4. L'article 32, 3, de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail dispose que, sans préjudice des modes généraux d'extinction des obligations, les engagements résultant des contrats régis par cette loi prennent fin par la volonté de l'une des parties lorsque le contrat a été conclu pour une durée indéterminée. Aux termes de l'article 37, 1 er, alinéa 1 er, de la loi du 3 juillet 1978, lorsque le contrat a été conclu pour une durée indéterminée, chacune des parties peut le résilier moyennant un préavis. L article 39, 1 er, alinéa 1 er, de la loi du 3 juillet 1978 dispose que, si le contrat a été conclu pour une durée indéterminée, la partie qui résilie le contrat sans motif grave ou sans respecter le délai de préavis fixé aux articles 59, 82, 83, 84 et 115 est tenue de payer à l'autre partie une indemnité égale à la rémunération en cours correspondant, soit à la durée du délai de préavis, soit à la partie de ce délai restant à courir. 5. Les règles relatives à la cessation des contrats de travail à durée indéterminée prévue par ces dispositions légales n'oblige pas un employeur à entendre un travailleur avant de procéder à son licenciement. Il ne peut être dérogé en vertu d'un principe général de bonne administration à ces règles qui, conformément à l'article 1 er, alinéa 2, de la loi du 3 juillet 1978, régissent également les contrats des travailleurs occupés par les communes, qui ne sont pas soumis à un statut. 6. L'arrêt considère que «les principes de bonne administration, en ce compris l'obligation de motivation, ( ) s'appliquent également au licenciement de contractuels» et constate que la demanderesse, qui avait conclu avec le défendeur un contrat de travail à durée indéterminée, a omis d'entendre le défendeur avant de le licencier. L'arrêt, qui conclut sur cette base à l'existence d'une faute de la demanderesse, ne justifie pas légalement sa décision. Le moyen est fondé.

12 OCTOBRE 2015 S.13.0026.N/14 Quant aux autres griefs : 7. Les autres griefs ne sauraient entraîner une cassation plus étendue. Par ces motifs, La Cour Casse l'arrêt attaqué, sauf en tant qu'il reçoit l'appel dans la cause 2011/AR/101 ; Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l arrêt partiellement cassé ; Réserve les dépens pour qu'il soit statué sur ceux-ci par le juge du fond ; Renvoie la cause, ainsi limitée, devant la cour du travail d'anvers. Ainsi jugé par la Cour de cassation, troisième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Christian Storck, président, les conseillers Alain Smetryns, Koen Mestdagh, Mireille Delange et Antoine Lievens, et prononcé en audience publique du douze octobre deux mille quinze par le président de section Christian Storck, en présence de l avocat général Henri Vanderlinden, avec l assistance du greffier Vanessa Van de Sijpe. Traduction établie sous le contrôle du conseiller Mireille Delange et transcrite avec l assistance du greffier Lutgarde Body. Le greffier, Le conseiller,

Requête REQUÊTE/1