Les dispositions sur les sûretés de la Convention d UNIDROIT sur les titres intermédiés



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Transcription:

Les dispositions sur les sûretés de la Convention d UNIDROIT sur les titres intermédiés Michel Deschamps * La Convention d UNIDROIT sur les règles matérielles relatives aux titres intermédiés (la Convention) a pour objet d établir un régime juridique commun pour la détention et la disposition des titres intermédiés 1. Des titres intermédiés sont des valeurs mobilières ou autres instruments financiers détenus auprès d un intermédiaire; on les désigne à l occasion comme des titres indirectement détenus, quoique cette expression n est pas utilisée dans la Convention. Celle-ci évite de qualifier la nature juridique des titres détenus auprès d un intermédiaire, d autant plus que selon le système juridique applicable de tels titres peuvent à l occasion être considérés comme directement détenus, à tout le moins à certaines fins. Un exemple simple de titres intermédiés est le suivant : ABC, une société dont les titres se transigent sur le marché des capitaux, a émis des actions; le détenteur inscrit des actions dans les registres de ABC est un dépositaire central de titres; un courtier en valeurs mobilières possède auprès du dépositaire un compte au crédit duquel des actions d ABC sont créditées; un investisseur possède à son tour auprès du courtier un compte au crédit duquel des actions d ABC sont créditées. L investisseur est alors considéré comme titulaire de titres intermédiés 2. Conceptuellement, le droit des sûretés traite de quatre grandes questions : la constitution de la sûreté, l opposabilité aux tiers de la sûreté, le rang qu elle comporte et les recours en résultant. La Convention ne traite pas directement de * L auteur est associé du cabinet d avocats canadien McCarthy Tétrault et il enseigne le droit bancaire à la Faculté de droit de l Université de Montréal. Il participa à l élaboration de la Convention à titre de délégué canadien et il participe aussi à des projets de réforme du droit des sûretés parrainés par UNIDROIT et la Commission des Nations Unies sur le droit commercial international (CNUDCI). Une version anglaise de cet article est reproduit dans ce numéro, p. 337. 1 Voir le préambule de la Convention. 2 Dans cet exemple, le courtier détient aussi des titres intermédiés en raison des actions de ABC créditées à son compte auprès du dépositaire central. Rev. dr. unif. 2010 347

Michel Deschamps la constitution d une sûreté sur des titres intermédiés et s attache plutôt aux trois autres questions. Il convient de noter que les dispositions de la Convention sur ces questions portent uniquement sur le droit matériel. La Convention laisse au droit non conventionnel le soin de déterminer les règles de conflits de lois pertinentes; l expression droit non conventionnel désigne le droit applicable dans un État contractant, autre que les dispositions de la Convention 3. Il en résulte qu un État contractant n appliquera la Convention à une question donnée que si les règles de conflits de lois de cet État désignent le droit du même État (ou d un autre État contractant) comme étant le droit applicable à cette question. La Convention pourrait cependant devoir être appliquée dans un État noncontractant si les règles de conflit de cet État (l État du forum) déterminent que le droit matériel applicable est celui d un État contractant. Les dispositions de la Convention examinées ci-dessous portent donc sur les trois questions suivantes: l opposabilité aux tiers d une sûreté sur des titres intermédiés, le rang de la sûreté et les recours accordés au créancier garanti. Le terme constituant sera utilisé pour désigner une personne qui accorde une sûreté et le terme créancier garanti désignera le titulaire de la sûreté; le terme titres grevés référera aux titres intermédiés affectés par la sûreté. Un réclamant concurrent sera un tiers qui prétend à des droits sur des titres grevés par la sûreté du créancier garanti; les réclamants concurrents peuvent notamment comprendre d autres créanciers du constituant (y compris un autre créancier garanti) et un administrateur d insolvabilité (par exemple, un syndic à la faillite du constituant). I. L OPPOSABILITÉ AUX TIERS D UNE SÛRETÉ En vertu de la Convention, une sûreté sur des titres intermédiés peut être rendue opposable aux tiers de deux manières: soit que les titres sont détenus dans un compte de titres dont le créancier garanti est titulaire 4 ou soit que le créancier garanti en a obtenu le contrôle 5. La Convention envisage que d autres méthodes peuvent aussi être prévues par le droit non conventionnel pour rendre une sûreté opposable aux tiers 6. 3 Art. 1(m). 4 Art. 11. 5 Art. 12. 6 Art. 13. 348 Unif. L. Rev. 2010

Les dispositions sur les sûretés de la Convention d UNIDROIT sur les titres intermédiés 1. Titres détenus par le créancier garanti La Convention énonce que le crédit de titres à un compte de titres est suffisant pour rendre l acquisition de ces titres opposable aux tiers et qu aucune mesure additionnelle n est requise à cette fin. Le terme acquisition n est pas défini par la Convention, mais il comprend l obtention d une sûreté 7. Ainsi, une sûreté sur des titres intermédiés deviendra opposable aux tiers du seul fait que les titres auront été crédités à un compte de titres dont le créancier garanti est titulaire. Cette règle a préséance sur toute autre disposition du droit non conventionnel qui prescrirait d autres formalités pour que la sûreté du créancier soit opposable aux tiers 8, comme par exemple si le droit non conventionnel exigeait un acte notarié ou un enregistrement. 2. Contrôle des titres par le créancier garanti La Convention prévoit trois autres méthodes par lesquelles une sûreté sur des titres intermédiés peut devenir opposable aux tiers. Dans chaque cas, les titres grevés demeurent dans un compte du constituant, mais le créancier garanti en obtient directement ou indirectement le contrôle. Pour que l une ou l autre de ces méthodes s appliquent dans un État contractant, cet État doit cependant faire une déclaration à cet effet lorsqu il ratifie la Convention ou subséquemment 9. Le premier cas de figure est celui où un titulaire de compte accorde à son intermédiaire une sûreté sur la totalité ou une partie des titres crédités à son compte auprès de l intermédiaire 10. Dans ce scénario, la sûreté est considérée comme étant automatiquement opposable aux tiers. Le fondement de cette règle est que l intermédiaire est alors en mesure de bloquer toute tentative du constituant de disposer des titres; l intermédiaire, du fait qu il tient le compte, possède en pratique le contrôle des titres. Le second cas est celui où une entente intervient entre le titulaire du compte, l intermédiaire et le créancier garanti conférant à ce dernier le pouvoir de disposer des titres grevés (ou à tout le moins d en empêcher la disposition) 7 Art. 11(4). 8 Il a été mentionné que la Convention ne traite pas spécifiquement de la constitution d une sûreté (ou de tout autre droit) sur des titres intermédiés. En se fondant sur l art. 11 on peut toutefois soutenir que la Convention n exige rien de plus qu un accord (même verbal) de volontés entre les parties. 9 Art. 12(1)(b). 10 Art. 12(3)(a). Rev. dr. unif. 2010 349

Michel Deschamps sans la nécessité d un consentement additionnel de la part du titulaire du compte 11; une entente de cette nature est appelée convention de contrôle. Le troisième cas est celui où une inscription ayant le même effet qu une convention de contrôle est faite dans le compte de titres au bénéfice du créancier garanti 12. Bien sûr, le titulaire du compte doit consentir à ce que cette inscription soit effectuée et le droit non conventionnel ou la convention de compte doit prévoir que l inscription aura l effet recherché. Une telle inscription est appelée une identification. 3. Autres méthodes d opposabilité aux tiers La Convention n empêche pas un État contractant de prévoir dans son droit des sûretés d autres mesures servant à rendre opposable aux tiers une sûreté sur des titres intermédiés 13. Les méthodes envisagées par la Convention placent le créancier garanti dans une situation semblable à celle où le titulaire d une sûreté sur un bien corporel en obtient la possession; la plupart des systèmes juridiques reconnaissent qu une sûreté sur un bien corporel peut être rendue opposable aux tiers par la remise du bien au créancier. Des titres intermédiés ne peuvent faire l objet d une possession physique mais le créancier garanti, étant le titulaire des titres ou ayant obtenu le contrôle de ceux-ci, s en voit conférer la maîtrise de la même façon que s il avait la possession d un bien corporel. Par ailleurs, les systèmes juridiques qui reconnaissent les sûretés sans dépossession soumettent souvent l opposabilité aux tiers d une telle sûreté à un enregistrement dans un registre public. Ainsi, la Convention permet à un État contractant de prévoir dans son droit interne qu une sûreté sur des titres intermédiés pourra devenir opposable aux tiers par un enregistrement ou toute autre méthode non prévue par la Convention. II. LES RÈGLES DE PRIORITÉ On pourrait penser qu une sûreté sur un bien, une fois rendue opposable aux tiers, prendra nécessairement rang avant un autre droit réel sur le même bien qui ne serait pas alors ainsi devenu opposable. Toutefois, plusieurs systèmes juridiques contiennent des règles sur les réclamants concurrents qui n accordent pas toujours une priorité au créancier garanti dont la sûreté est devenue en 11 Art. 12(3)(c). 12 Art. 12(3)(b). 13 Art. 13. 350 Unif. L. Rev. 2010

Les dispositions sur les sûretés de la Convention d UNIDROIT sur les titres intermédiés premier lieu opposable aux tiers. La Convention adopte la même approche et détermine le rang d une sûreté selon les catégories hiérarchiques suivantes : Un créancier garanti titulaire du compte dans lequel les titres grevés sont crédités a préséance sur tout autre réclamant concurrent (la règle de premier niveau ). Un créancier garanti qui a obtenu le contrôle de titres grevés demeurant au compte du constituant a préséance sur toute autre personne prétendant à un droit sur les titres grevés se trouvant à ce compte (la règle de second niveau ). Un créancier garanti se fondant uniquement sur le droit non conventionnel pour rendre sa sûreté opposable aux tiers prendra toujours rang après un créancier garanti bénéficiant des règles de premier ou de second niveau. Les règles ci-dessus servent à trancher un conflit de priorité opposant des personnes qui ont chacune, directement ou indirectement, obtenu leur droit du même constituant, comme par exemple si un constituant accorde à deux personnes différentes une sûreté sur les mêmes titres (un conflit de priorité horizontal); il s agit du conflit classique envisagé par le droit des sûretés. La Convention apporte aussi des solutions dans l hypothèse où la prétention du réclamant concurrent n est pas fondée sur un droit consenti par le même constituant; cette hypothèse donne lieu à un conflit de priorité pouvant être qualifié de conflit vertical. Il y aura par exemple un conflit vertical lorsqu un intermédiaire tenant un compte dans lequel se trouvent des titres grevés en faveur d un créancier garanti accorde à un tiers une sûreté de nature à mettre en péril les droits du créancier garanti. Il convient donc d examiner l application des règles de la Convention lorsque survient l un ou l autre de ces conflits de priorité. 1. Conflit de priorité horizontal a) La règle de premier niveau En vertu de cette règle, si des titres grevés sont détenus par le créancier garanti dans un compte de titres dont il est titulaire, la sûreté du créancier garanti fera échec aux droits que toute autre personne prétendrait avoir directement ou indirectement sur ces titres (y compris une autre personne qui serait également un créancier garanti). Rev. dr. unif. 2010 351

Michel Deschamps Cette règle n a pas été établie spécialement pour régler des conflits de priorité en matière de sûretés; elle résulte plutôt des dispositions de la Convention accordant une protection à un acquéreur de bonne foi. Une personne dont le compte de titres a été crédité acquiert les titres crédités à son compte libres de tout droit qu un tiers chercherait à faire valoir à l égard de ces titres 14. Cette règle est toutefois sujette à ce que l acquéreur n ait pas connaissance que le crédit des titres à son compte constitue une violation du droit du tiers. L exemple suivant illustre l application de la règle à un conflit de priorité horizontal. Supposons que A accorde à B une sûreté sur des titres crédités à un compte de titres détenu par A auprès de l intermédiaire X et, qu en vertu d un accord intervenu entre X, A et B, ce dernier obtient le contrôle des titres grevés; subséquemment, A accorde une sûreté sur les mêmes titres en faveur de C et, malgré la convention de contrôle, l intermédiaire X accepte de transférer les titres à un compte de titres dont C est le titulaire. Dans la mesure où C est de bonne foi 15, la sûreté de C prévaudra sur la sûreté antérieurement consentie à B. Trois observations s imposent au sujet de la solution résultant de cette règle. Premièrement, l exemple ci-dessus montre que la règle de premier niveau confère une priorité à la personne qui parfait sa sûreté en dernier lieu, et non à celle qui la parfait en premier lieu. Une autre façon d analyser cette règle est de la décrire comme conférant une superpriorité à une personne qui acquiert ses droits sur des titres au moyen d un crédit à un compte de titres dont cette personne est titulaire : l acquéreur de bonne foi obtient les titres crédités à son compte libres de tout droit consenti antérieurement sur ces titres. En deuxième lieu, la priorité accordée à C, en tant que titulaire de compte, n implique pas que l intermédiaire X est dégagé de ses obligations contractuelles envers B aux termes de la convention de contrôle. Bien sûr, B aura normalement un recours contre l intermédiaire X pour la perte que B pourrait subir en raison de ce que l intermédiaire a transféré les titres au compte de C en contravention de la convention de contrôle. En troisième lieu, l on pourrait conceptuellement analyser la règle de premier niveau comme ne traitant pas d un conflit de priorité se rapportant aux 14 Art. 18. 15 L expression de bonne foi est ici un raccourci de langage pour décrire les conditions énoncées à l art. 18 et devant être remplies pour que C puisse faire échec à une réclamation de B. 352 Unif. L. Rev. 2010

Les dispositions sur les sûretés de la Convention d UNIDROIT sur les titres intermédiés mêmes titres et ce, même si les sûretés invoquées par les deux créanciers ont été consentis par le même constituant (comme dans l exemple). En effet, la Convention traite le crédit de titres à un compte de titres comme créant de nouveaux titres intermédiés 16. Ainsi, dans l exemple, en raison du crédit à son compte, C acquiert des titres intermédiés qui ne sont pas les mêmes que ceux antérieurement inscrits au compte détenu par A auprès de l intermédiaire X. La règle de premier niveau pourrait donc être mieux décrite comme étant une règle mettant un titulaire de compte à l abri de toute prétention d un tiers sans égard au fondement juridique de cette prétention, que celle-ci soit fondée sur un droit réel antérieur, un recours en dommages, un droit de suite ou une subrogation réelle. b) La règle de second niveau Dans plusieurs circonstances, il serait peu pratique ou incompatible avec le but de l opération de transférer les titres grevés à un compte du créancier garanti. Ainsi, lorsque les parties entendent que les titres grevés demeureront dans un compte du constituant, l obtention par le créancier garanti du contrôle des titres sera la meilleure méthode lui permettant de rendre sa sûreté opposable aux tiers. Le créancier garanti prendra alors rang avant tout autre réclamant concurrent ayant un droit sur les mêmes titres, mais qui n en aurait pas obtenu le contrôle 17. Il est cependant possible que le contrôle de titres intermédiés soit obtenu par plus d une personne; ce serait le cas si une personne accordait une sûreté sur les mêmes titres à deux créanciers différents et si une convention de contrôle était séparément conclue avec chaque créancier garanti. Dans cette hypothèse, la préséance sera conférée au créancier garanti dont la convention de contrôle sera intervenue en premier lieu 18. La Convention comporte toutefois une exception à la règle voulant qu entre des créanciers ayant chacun le contrôle des titres une priorité sera accordée à celui ayant obtenu le contrôle en premier lieu. Il al été mentionné qu un intermédiaire possède automatiquement le contrôle des titres grevés d une sûreté en sa faveur et crédités à un compte tenu par lui 19. Si, après 16 Arts. 9 et 11. 17 Art. 19(2). 18 Art. 19(3). La priorité ici accordée au premier créancier ne dégagera pas l intermédiaire de sa responsabilité envers le second créancier si l intermédiaire est intervenu à la seconde convention de contrôle sans divulguer l existence de la première. 19 Art. 12(3)(a). Rev. dr. unif. 2010 353

Michel Deschamps l octroi de la sûreté à son bénéfice, l intermédiaire consent à ce que le contrôle du compte de titres soit accordé à un tiers, le droit du tiers aura préséance sur le droit de l intermédiaire 20. Il serait en effet illogique dans un tel cas que l intermédiaire ait priorité alors qu il a consenti à ce qu un autre créancier garanti obtienne le contrôle du compte. c) La règle de troisième niveau Un rang de priorité inférieur est prévu pour les créanciers garantis qui se fondent seulement sur le droit non conventionnel pour rendre leur sûreté opposable aux tiers. Ces créanciers prendront rang après tout créancier garanti pouvant invoquer la règle de premier ou de second niveau 21. 2. Conflit de priorité vertical Plusieurs conflits verticaux peuvent se soulever et ils seront réglés par les dispositions de la Convention protégeant l acquéreur de bonne foi chaque fois que ces dispositions recevront application 22. Lorsque l acquéreur ne peut bénéficier de la protection de la Convention, le droit national applicable déterminera son statut 23. La Convention comporte aussi une règle verticale particulière lorsque des droits sur des titres sont consentis par des intermédiaires. Cette règle constitue une application aux intermédiaires des dispositions sur l acquéreur de bonne foi dans le contexte d un conflit vertical. L exemple suivant permet d illustrer cette règle. Supposons qu un titulaire de compte A consent à B une sûreté sur 1 000 actions de la société X créditées au compte de A auprès de l intermédiaire C; supposons aussi qu une convention de contrôle intervient entre A, B et C par laquelle B obtient le contrôle du compte; supposons de plus que les 1 000 actions de X créditées par C au compte de A ont été obtenues par C au moyen d un crédit d actions équivalentes à un compte détenu par C chez D, un autre intermédiaire. Si C accorde à D une sûreté sur les 1 000 actions de X créditées au compte de C auprès de D, la sûreté de D primera une réclamation que A ou son créancier B chercherait à faire valoir à l égard des 1 000 actions de X se 20 Art. 19(4). 21 Art. 18(1) et 19(2). 22 Art. 18; voir la section 2.1a) ci-dessus. 23 Art. 18(4). 354 Unif. L. Rev. 2010

Les dispositions sur les sûretés de la Convention d UNIDROIT sur les titres intermédiés trouvant au compte de C chez D 24. Pour bénéficier de cette protection, D devra cependant être de bonne foi : selon la Convention, D sera considéré de bonne foi s il ignorait que l octroi de la sûreté en sa faveur constituait une violation des droits de A (ou par ricochet de B). Dans le contexte du droit des sûretés, la conséquence pratique de cette règle est qu advenant l insolvabilité d un intermédiaire, les droits du créancier garanti d un investisseur pourraient être illusoires si l intermédiaire a accordé une sûreté sur les titres correspondants qu il détient auprès d un autre intermédiaire. Pour que cette règle s applique, il faudra que la sûreté accordée par l intermédiaire de l investisseur soit devenue opposable aux tiers par contrôle; ce sera toujours le cas si le bénéficiaire de cette sûreté est l autre intermédiaire 25. III. L EXERCICE DES RECOURS Lorsqu un constituant fait défaut d exécuter les obligations garanties par la sûreté, la plupart des systèmes juridiques permettent au créancier garanti de réaliser sa sûreté au moyen de procédures judiciaires. Lorsqu une sûreté porte sur des titres, les étapes et les délais inhérents à une intervention judiciaire peuvent entraîner une diminution de la valeur des titres grevés lorsque le cours de ces titres est à la baisse. Pour cette raison, certains régimes prévoient que le créancier garanti peut, au cas de défaut du constituant, réaliser sa sûreté sans intervention ou autorisation judiciaire préalable, particulièrement lorsque les biens affectés par la sûreté consistent en des titres se négociant sur un marché organisé. La Convention adopte cette approche. Essentiellement, la Convention permet au créancier garanti, advenant une défaillance du débiteur, de disposer des titres intermédiés grevés par la sûreté sans avis préalable et sans la nécessité d une intervention judiciaire 26. Également, la Convention prévoit que l ouverture d une procédure d insolvabilité à l égard du constituant ne suspend pas le pouvoir de réalisation du créancier garanti 27. Il convient cependant de souligner que les dispositions de la Convention sur l exercice des recours sont optionnelles en ce sens qu un État contractant 24 Art. 20(2). 25 Art. 12(3)(a). 26 Art. 33(3)(a). 27 Art. 33(3)(b). Rev. dr. unif. 2010 355

Michel Deschamps pourrait déclarer qu elles ne s appliqueront pas 28. Par ailleurs, un État qui ratifierait la Convention dans son intégralité se devra de reconnaître que le transfert de la propriété de titres à des fins de garantie est une institution juridique distincte d une sûreté; le droit de cet État devra alors permettre qu il soit donné effet aux dispositions du contrat de transfert sur les recours des parties sans égard aux règles ou aux contraintes qui pourraient autrement être applicables si le contrat était plutôt considéré comme constitutif d une sûreté 29. 28 Art. 38. 29 Art. 32. 356 Unif. L. Rev. 2010