Discours de Jean-Christophe Moraud, Préfet de l'orne Cérémonie du 70ème anniversaire de la libération d Alençon Mardi 12 août 2014 Monsieur le Député-Maire, Monsieur le Président du Conseil Régional, Monsieur le Président du Conseil Général de l Orne, M. le Ministre, Général Cuche, Gouverneur des Invalides, Président de l amicale de la deuxième DB et de la Fondation Maréchal Leclerc, Général Le Jariel des Châtelets, ancien combattant du 2e escadron du 501e régiment de chars de combat, Colonel Courdesses, Président de l association nationale des anciens de la deuxième DB et de la Fondation Maréchal Leclerc, Colonel Thieulart, Délégué Militaire Départemental de l Orne, Mesdames et Messieurs, Le 12 août est une journée particulière à Alençon, pour Alençon! Il y a 70 ans, sur le coup des 3-4 h du matin, derrière le Général Leclerc c est la 2 è DB qui investit et libère la ville. C est la première ville- 1
préfecture libérée par une unité française une unité composée de légionnaires, de républicains espagnols, d autrichiens et allemands anti nazi et de troupes coloniales originaires de ce que l on appelait alors l AOF et l AEF. Il faut profiter pleinement de ce jour. En effet, si nous pouvons célébrer aujourd hui cet événement heureux de 1944 dans une ville au cadre préservé contrairement à bien d autres en Normandie et dans l Orne c est bien parce qu Alençon a été conquise sans combats, ni bombardements. Certes, ceci est dû au repli des troupes allemandes sur des positions plus solides au Nord de la ville, mais également à un mouvement audacieux de Leclerc et de son unité bien renseignés, pour s emparer d une ville à l importance stratégique. Alençon occupe une position de ville-pont qui a permis à l armée alliée de passer la Sarthe et d injecter troupes et matériels pour réduire la poche de Falaise en fait, un triangle Falaise/Argentan/Chambois Trun Montormel entre le 12 août et le 22 août 1944. Nœud routier important au croisement d axes Est-Ouest et Nord-Sud, Alençon a joué par la suite un rôle capital pendant plusieurs mois de dépôt de matériels et de carburant pour les armées alliées en particulier parce que 2
les infrastructures routières, voire ferroviaires n étaient que peu altérées. Sans la prise d Alençon dans ces conditions, la féroce bataille de Normandie qui s est jouée dans l Orne n aurait pas eu l issue finalement rapide que l on connaît il suffit de se souvenir de l exemple d une autre ville-préfecture assiégée durant plus d un mois, Caen! Paris n aurait pas été libérée par la 2 è DB encore une douzaine de jours plus tard et les armées allemandes auraient battu en retraite en bon ordre, en livrant des combats acharnés sur l ensemble du territoire combats accompagnés de destructions, massacres et pertes militaires considérables de part et d autre. Voilà ce qui s est joué ici, à quelques pas, sur le pont enjambant la Sarthe, il y a soixante-dix ans, à potron-minet! C est sans doute pour cette raison que nous avons tous en tête la photographie qui met en scène la fausse nonchalance du Général Leclerc, assis sur une chaise écoutant sur ce vieux pont les renseignements apportés par des patriotes alençonnais. C était donc bien naturel qu un lien singulier se tisse entre Alençon et les Alençonnais et les normands plus généralement et le Général Leclerc, ce grand capitaine français et son unité symbole, la 2 ème DB. Rien ne prédisposait particulièrement cet officier à attacher son nom à la 3
Normandie, lui qui a fait l essentiel de ses armes à l extérieur de la métropole. Le Général Leclerc est un meneur d hommes qui a toujours demandé à aller là où il pouvait exercer son métier faire la guerre, agir au combat. Sa carrière d officier, il la commence au Maroc dans les troupes coloniales car il préfère l action des combats de pacification de la seconde moitié des années 20 à une vie de garnison. C est là qu il acquiert son métier qui consiste, avant de commander des hommes au combat, à apprendre à se commander soi-même. Un temps instructeur à Saint-Cyr, une affectation rare pour un jeune officier dont le potentiel a cependant été d emblée repéré de tous, il participe à la campagne de France de 1939-1940 et là encore dans la zone de combat où se rabat la tenaille allemande du «coup de faucille», le secteur fortifié de Maubeuge. Déjà, il participe à des batailles dans la région de Mourmelon où est stationné depuis les années 90 l héritier de la 2 ème DB, le 501 e régiment de chars de combat. Blessé, capturé, évadé, il rejoint très tôt les Forces Françaises libres du Général De Gaulle à Londres avec lequel il entretiendra des relations franches, quelque peu orageuses comme il se doit entre deux forts caractères qui ont une haute idée de leur 4
mission et de la France! A Koufra, à l hiver 1941 il apporte la première victoire militaire à la France Libre à la suite d un raid mené par un ensemble hétéroclite d unités militaires dont il a su faire une troupe soudée et efficace. On connaît la suite de l histoire et en fait de serment de Koufra l objectif était Strasbourg la 2 ème DB est allée bien au-delà puisqu après avoir combattu en Tunisie en 1943, elle libère Alençon, bataille durement jusqu au sud d Argentan, libère Paris en août. Cette unité d élite participe aux combats les plus durs que l on oublie un peu trop vite dans les Vosges à Baccarat, Vittel, Dompaire. Elle libère Strasbourg mais ne s arrêtera, en fait, le 4 mai 1945 qu à Berchtesgaden, la résidence d Adolf Hitler tandis qu au même moment des unités de la deuxième DB participaient à la réduction de la poche de Royan, en Charente-Maritime. Le destin de la 2 ème DB est lié à son chef et les deux sont liés pour l histoire à la libération de notre territoire... de la Normandie à l Alsace. C était une évidence que le libérateur d Alençon, de Paris, de Strasbourg, militaire français le plus respecté des alliés, paraphe au nom de la France la capitulation du Japon sur le cuirassé Missouri aux côtés du Général Mac Arthur. 5
Le libérateur de tant de villes françaises était alors sur la route de l Indochine dont il aurait pu devenir le pacificateur. Sa destinée en a voulu autrement. Retiré de l Indochine, en mission d inspection des troupes françaises en Afrique du Nord, région qu il connaît bien et dont le cadre colonial craquait depuis la fin de la seconde guerre mondiale, il avait peu avant sa disparition écrit avec la lucidité de celui qui ne fut pas seulement un grand capitaine, que «l une des conséquences les plus graves de la seconde guerre mondiale aura été de précipiter l évolution politique, économique et sociale des populations de l Islam. Nos territoires de l Afrique Française du Nord en offrent un exemple frappant...». 1944-2014. Alors que nous sommes au mi temps des célébrations du centenaire de la 1 ère guerre mondiale, du 70 ème anniversaire de la libération, on peut s étonner de cette fièvre commémorative assez française comme l a relevé l historien Pierre Nora. C est que nous entretenons en France un rapport particulier avec l Histoire. Certes, il faut bien comme le préconisait le philosophe F. Nietzsche se méfier des «excès du sens historique dont souffre le présent» mais, c est le bon sens qui nous commande quand nous lions intimement l Histoire et la mémoire collective au travers de ces 6
cérémonies commémoratives. L Histoire fait revivre ce que la mémoire collective a enfoui et ces commémorations constituent «des faits de communication» entre les individus et une «transmission» comme l avait évoqué dès les années 20 le grand historien Marc Bloch, résistant fusillé à Lyon le 16 juin 1944. Enfin, comme en ces mois de mai-juin 1944 durant lesquels rien n est acquis et que bombardements, exécutions et difficultés multiples s accumulent, parce que nous avons l impression aujourd hui de vivre dans un pays un peu au fond «d une nuit», cette histoire qui nous tire par la manche rallume l espoir. Non pas qu il vienne de militaires s agissant d une conjoncture économique, sociale et politique difficile mais nous puisons cet espoir de l exemple de personnalités emblématiques. Nous n avons besoin ni d un Roland des temps modernes, ni d un surhomme mais il faut reconnaître au Général Leclerc son talent extraordinaire pour mener les hommes, son esprit libre plus soucieux d efficacité que d orthodoxie tactique, son audace stratégique, son sens du risque parfois. Il est juste que cet homme que le Général de Gaulle qualifiait de «libre volonté française» soit célébré en ce jour de libération de la première 7
ville-préfecture par des troupes françaises, ses troupes. Comme il est juste que nous rendions hommage à ces soldats de la 2 ème DB qui le matin traversaient Alençon en libérateurs mais se faisaient tuer le soir ou le lendemain en forêt d Ecouves en combattant âprement. De ces 91 hommes tombés lors de la libération de l Orne, nous retiendrons leurs noms aux consonances si peu normandes, les surnoms de leurs chars Terruel, Saragosse, Ebre. La 2 ème DB fut formée d hommes aux origines, aux opinions les plus variées. Dans la nécropole nationale des Gateys voisinent des croix, des croissants de l islam ou des étoiles de David. Deux éléments ont contribué dans notre représentation à forger un statut spécial à cette unité : ces hommes étaient tous unis par un combat contre l injustice, la barbarie nazie d une part, et ils étaient tous attachés à une certaine image de la France, patrie de la liberté, de l égalité et de la fraternité, d autre part. Ils savaient tous que cette France ne se relèverait de la honte de la défaite de mai 1940 que par une large union de tous, scellée aussi au prix du sang. Entre les va-nu-pieds de l An II des armées de la première République et ces hommes de la 2 ème DB qui libèrent en 1944 Alençon avant Paris et Strasbourg, il y a une continuité historique. C est celle du sang versé pour 8
la France, leur pays, notre pays. 9