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Transcription:

Variations autour du droit de l assurance vie : petit florilège inspiré par un arrêt du 19 mars 2014 Matthieu Robineau Assurance vie Art. L. 132-13 Discrimination (non) Primes manifestement exagérées Indifférence de la qualité d héritier réservataire Recel (non) Utilité des contrats pour la souscriptrice Recherche nécessaire (oui). Obs. : l article L. 132-13 du Code des assurances n opère pas une distinction entre les héritiers réservataires selon qu ils sont ou non bénéficiaires du contrat, dès lors qu il ne soumet aucun d eux à ces règles. Selon le même texte, les primes versées par le souscripteur d un contrat d assurance-vie ne sont rapportables à la succession que si elles présentent un caractère manifestement exagéré eu égard aux facultés du souscripteur ; un tel caractère s apprécie au moment du versement, au regard de l âge, des situations patrimoniale et familiale du souscripteur, ainsi que de l utilité du contrat pour celui-ci. Depuis les célèbres arrêts du 23 novembre 2004 (Cass. ch. mixte, 23 nov. 2004, n os 01-13.592, 02-11.352, 02-17.507 et 02-13.673, 4 arrêts : D. 2005.1905, note B. Beignier ; Defrénois 2005, art. 38142, note J.-L. Aubert ; Dr. et patrimoine 1/2005, p. 11, note L. Aynès ; Dr. famille 2005, étude n 6 par H. Lécuyer ; JCP G 2005, I, 111, note J. Ghestin ; RCA. 2005, comm. n 42 et chron. n 3 par F. Leduc et Ph. Pierre ; RDC 2005.297, note A. Bénabent ; RGDA 2005.110, note L. Mayaux ; RTD civ. 2005.434, obs. M. Grimaldi ; Risques 2006, n 64, p. 87, obs. G. Durry) qui ont mis en partie fin aux tentatives de disqualification des contrats d assurance sur la vie destinées à les considérer comme de simples opérations de placements, le contentieux ne s est pas tari. Il aurait même tendance à augmenter, évolution dont la cause se trouve très certainement dans l arrivée à terme des contrats souscrits à compter des années 1980. C est lorsque la garantie décès produit ses effets que les héritiers mais aussi les autres tiers, au premier rang desquels les créanciers du

souscripteur prennent conscience des effets de l assurance vie. Gageons pourtant que ceuxci leur ont été présentés lorsqu eux-mêmes ont souscrit leurs propres contrats, puisque, au regard du taux de détention des contrats d assurance vie en France, il y a tout lieu de penser que bon nombre de ceux qui se lamentent sont eux-mêmes acteurs de ce qu ils dénoncent : complexité de l être humain!). Faut-il le rappeler, il ressort en effet des articles L. 132-12 et L. 132-13 du Code des assurances que le capital ou la rente sont versés par l assureur au bénéficiaire en exécution d une stipulation pour autrui, ce dont il résulte que ce capital ou cette rente ne sont pas soumis aux règles relatives au rapport et à la réduction. La loi ajoute que ces règles ne s appliquent pas non plus aux primes, sauf si elles ont été manifestement exagérées au regard des facultés du souscripteur. Faute de pouvoir requalifier le contrat d assurance sur la vie en un placement de droit commun, il reste plusieurs voies aux héritiers prétendument lésés. En voici deux : la première, clairement indiquée par les arrêts de 2004, consiste à démontrer que les primes versées ont été manifestement exagérées eu égard aux facultés du souscripteur de sorte qu elles doivent être soumises aux règles du rapport et/ou de la réduction, conformément à l article L. 132-13 du Code des assurances. La seconde se situe en amont de la première : elle vise à remettre en question la validité de la règle de l article L. 132-13 qui place l assurance vie «hors succession», soit en estimant la règle contraire à la constitution, soit en l estimant non conforme à une convention internationale ayant effet direct en France, et notamment à la Convention de sauvegarde des droits de l homme et des libertés fondamentales. Ces deux voies ont été explorées dans l affaire qui a donné lieu à l arrêt du 19 mars 2014, rendu par la première Chambre civile de la Cour de cassation. En l espèce, à plus de 85 ans, la mère de trois enfants, à la tête d un patrimoine conséquent (si l on en croit les moyens annexés) souscrit et alimente plusieurs contrats d assurance vie, dont elle désigne bénéficiaires sa fille, par ailleurs légataire de différents biens immobiliers, et le fils de celle-ci. Les primes versées sur les contrats représentent environ 30% du patrimoine de l assurée. Ses deux fils n admettant pas la situation, un contentieux surgit et la famille se déchire. Par un arrêt informatif, la Cour d appel déboute les deux frères de leur action contre leur sœur. Ils forment un pourvoi en cassation (leur sœur formant quant à elle un pourvoi incident contestant l arrêt qui l a déboutée de son action en restitution de documents bancaires dirigée contre ses frères). L arrêt du 19 mars 2014 se prononce sur les deux questions évoquées plus haut, ainsi que sur une question tenant à la qualification de recel. On envisagera donc la conventionnalité de l article L. 132-13» du Code des assurances, puis la possibilité du recel

en assurance-vie avant d examiner le contrôle opéré par la Cour de cassation sur la qualification des versements en primes manifestement exagérées. I - La conventionnalité de l article L. 132-13 du Code des assurances En premier lieu, quant à la validité de l article L. 132-13 du Code des assurances, la Cour de cassation ayant estimé que la constitutionnalité de ce texte n était pas une question sérieuse (Cass. 2 ème civ., 19 oct. 2011, n 11-40.063 : RGDA 2012. 386, note L. Mayaux ; RCA 2012, comm. 21, note Ph. Pierre ; Dr. et patrimoine 2012, n 213, p. 106, obs. Ph. Delmas Saint- Hilaire, n 214, note J. Aulagnier ; n 218, p. 71, obs. M. Leroy et p. 78, obs. M. Mignot), bien que la Cour constitutionnelle belge estimât le contraire (Cour const. Belge, 26 juin 2008, n 96/2008 : RTD civ. 2008.526, obs. M. Grimaldi), seule reste ouverte la voie de la non conventionnalité (déjà proposée par M. Grimaldi, obs. préc. comp. en réponse, L. Mayaux, note sous Cass. 2 ème civ., 17 sept. 2009, n 08-17.040 : RGDA 2009.1227, 3 ème esp.,). Pour les demandeurs au pourvoi, l article L. 132-13 du Code des assurances constitue une discrimination injustifiée portant atteinte au respect de la vie familiale en ce qu il introduit une distinction non justifiée entre les héritiers réservataires, selon qu ils sont ou non bénéficiaires du contrat d assurance-vie. Ils ajoutent que la notion de primes manifestement exagérées, qui permet l aggravation d une inégalité au-delà de ce qui est strictement rendu possible par le recours à la quotité disponible, ne constitue pas un tempérament de nature à justifier cette discrimination. Le moyen estime ainsi que le Code des assurances est contraire à la Convention européenne des droits de l homme, plus précisément à son article 14 (principe de non-discrimination) combiné à l article 8 (droit au respect à la vie familiale). La Cour de cassation répond sèchement à cette argumentation : «l article L. 132-13 du code des assurances, en ce qu il prévoit que les règles successorales du rapport et de la réduction ne s appliquent pas aux sommes versées par le souscripteur d un contrat d assurance-vie à titre de primes, n opère pas une distinction entre les héritiers réservataires selon qu ils sont ou non bénéficiaires du contrat, dès lors qu il ne soumet aucun d eux à ces règles». La solution doit être approuvée. Il n y a pas de différence de traitement en la matière entre les héritiers réservataires : les mêmes règles s appliquent à eux qu ils soient bénéficiaires d un contrat d assurance vie ou non. Au surplus, quand bien même on décèlerait une telle différence, il est loin d être certain qu il puisse être démontré que cette distinction serait «fondée sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation» (art. 14 conv. EDH), même si cette dernière

expression ouvre un champ considérable de possibilités. S il y a une différence de traitement entre un héritier réservataire bénéficiaire du contrat d assurance vie par le jeu de la stipulation faite à son profit par son auteur et un héritier réservataire non bénéficiaire, ce n est pas en raison de la loi, mais en raison de la volonté du stipulant, volonté que, précisément, la loi encadre en prévoyant un garde-fou, lorsque les primes sont manifestement exagérées (infra). Seule une clause bénéficiaire porteuse en soi d une différence de traitement injuste pourrait être remise en cause sur le terrain du droit des discriminations, dès lors que l article 14 de la Convention européenne des droits de l Homme produit un effet horizontal et a donc vocation à s appliquer aux actes juridiques accomplis par les particuliers (v. CEDH, 4 sect., 13 juill. 2004, aff. n o 69498/01 Pla et Puncernau c/ Andorre : D. 2005.1832, note E. Poisson-Drocourt et 2114, obs. V. Brémond, M. Nicod et J. Revel ; JCP G 2005. II. 10052, note F. Boulanger ; ibid. I. 103, chron. F. Sudre ; RDC 2005. 645, obs. J. Rochfeld ; RTD civ. 2004.804, obs. J.- M. Marguénaud, à propos d un testament dont une disposition obligeait le légataire à transmettre les biens reçus à un enfant ou à un petit-fils issu d un mariage légitime. Adde, toujours à propos d un testament, M.-C. Meyzeaud-Garaud, Quid de la validité d un testament conjonctif international assorti d une clause de conversion religieuse? D. 2013. 880). II Le recel en matière d assurance vie En second lieu, les demandeurs au pourvoi contestaient l arrêt de la Cour d appel qui avait considéré que faute de preuve d établir l élément matériel du recel allégué, celui-ci ne pouvait être retenu. La première Chambre civile estime que la Cour d appel a légalement justifié sa décision, en précisant que le caractère rapportable ou non des primes versées est indifférent. Le recel successoral vient sanctionner l héritier qui dissimule certains éléments de la succession afin, soit de les soustraire au gage des créanciers successoraux, soit de se les approprier au préjudice de ses cohéritiers (M. Grimaldi, Droit civil. Les successions, Litec, 1996, 4 ème éd., n 471). La jurisprudence réprime ainsi, sur le fondement de l actuel article 778 du Code civil, «toute manœuvre dolosive, toute fraude commise sciemment et qui a pour but de rompre l égalité du partage, quels que soient les moyens employés pour y parvenir» (Cass. civ., 15 avr. 1890 : DP 1890, 1, 437 jurisprudence constante depuis lors). S agissant d un délit civil, la constitution du recel suppose d établir un élément intentionnel (l intention frauduleuse) et un élément matériel dont les manifestations peuvent être très variées (dissimulation de biens, usage de faux, en particulier de faux testament, etc.). En l espèce, la sœur avait été investie d un mandat sur les comptes de ses parents. Elle en avait retiré des sommes dont une partie avait servi à alimenter les contrats d assurance vie.

Quant à l autre partie, il n était pas établi qu elle lui avait bénéficié. C est la raison pour laquelle la Cour de cassation approuve la Cour d appel d avoir débouté les frères sur ce terrain du recel. L on voit ainsi que si la jurisprudence a élaboré une conception souple du recel depuis la fin du dix-neuvième siècle, cette approche est heureusement contrebalancée par les exigences probatoires. Il est inconcevable que la «double peine» (M. Grimaldi, préc). qui sanctionne le recel soit prononcée à la légère. La précision que le caractère rapportable ou non des primes versées est indifférent ne doit pas tromper. Elle ne vaut que parce que les sommes disparues n ont pas été investies dans les contrats d assurance vie. En d autres termes, l obiter dictum ne remet pas en cause les solutions précédentes par lesquelles la Cour de cassation a admis que l assurance vie pouvait être l instrument d un recel successoral lorsque les primes ont été manifestement exagérées. L on sait en effet que dans une telle hypothèse, la jurisprudence considère que les sommes versées constituent des libéralités dont il doit être tenu compte dans la liquidation de la succession et qu elles ne peuvent en conséquence être dissimulées (Cass. 1 ère civ., 4 juin 2009, n 08-15.093 : Dr. famille 2009, comm. 110, note B. Beignier ; RCA 2009, Étude 12 par Ph. Pierre ; RGDA 2009.1209. V. déjà, Cass. 1 ère civ., 12 déc. 2007, n 06-19.653 : Bull. civ. 2007, I, n o 391 ; RGDA 2008.399, note L. Mayaux ; JCP N 2008, p. 1210, note S. Hovasse ; RTD civ. 2008.135, note M. Grimaldi). Encore faut-il établir alors l élément intentionnel du recel, ce qui n est pas sans poser difficulté (en ce sens, L. Mayaux, note sous Cass. 1 ère civ., 4 juin 2009, préc., qui relève que l arrêt semble occulter l élément intentionnel du recel comp. Ph. Pierre et J.-M. Delpérier, Assurance sur la vie et pratique notariale, Ellipses, 2013, p. 37, estimant que la simple conscience du risque que les primes soient jugées manifestement exagérées pourrait suffire). III - Le contrôle de la qualification des primes manifestement exagérées En troisième lieu, la Cour de cassation est amenée à se prononcer sur la question des primes manifestement exagérées. Ceux qui, pour des raisons de sécurité juridique (et, au-delà bien sûr, pour des questions de responsabilité civile professionnelle), attendent de la Haute juridiction qu elle fixe des critères quantitatifs ou mathématiques en seront pour leur frais. L analyse purement proportionnelle qu avait menée la Cour d appel ne trouve pas grâce aux yeux de la première Chambre civile. Elle opère ici une censure disciplinaire : «[selon l article L. 132-13 du Code des assurances], les primes versées par le souscripteur d un contrat d assurance-vie ne sont rapportables à la succession que si elles présentent un caractère manifestement exagéré eu égard aux facultés du souscripteur ; qu un tel caractère s apprécie

au moment du versement, au regard de l âge, des situations patrimoniale et familiale du souscripteur, ainsi que de l utilité du contrat pour celui-ci». Or la Cour d appel, pour écarter la demande des deux frères de leur sœur bénéficiaire en rapport et réduction des primes versées sur les contrats d assurance vie souscrits par leur mère, avait retenu principalement que leur montant représentait environ 25% de son patrimoine. Sur ce point, la lecture des moyens annexés permet de reconstituer le raisonnement des juges du fond. Ceux-ci s étaient appuyés sur un certain nombre d indices et de preuves, dont la déclaration d ISF souscrite par l assurée. A dire vrai, la Cour d appel, sans doute parce qu elle avait infirmé la décision des premiers juges, avait apporté un certain soin à sa décision, essayant de surmonter autant que possible les difficultés. Notamment, devant apprécier le caractère manifestement exagéré des primes au moment de leur versement tout en n ayant aucune donnée sur leur montant, elle avait déduit par présomption ce dernier, en s appuyant sur le montant des capitaux versés aux bénéficiaires, données dont elle disposait en raison de la déclaration adressée à l administration fiscale en vertu de l article 757 B du Code général des impôts puisque les primes avaient été payées après 70 ans. Ceci étant précisé, ce n est pas la solution de fond qui est remise en cause par la Cour de cassation, mais les motifs pour y parvenir. L on sait en effet que depuis les arrêts précités du 23 novembre 2004, la Haute juridiction a affiné quelque peu la notion de primes manifestement exagérées. Si ce dernier caractère s apprécie depuis bientôt dix ans au moment du versement, au regard de l âge, des situations patrimoniale et familiale du souscripteur, la Cour a rapidement complété cette liste par le test de l utilité. Elle censure ainsi les décisions des juges du fond qui ne prennent pas le soin de vérifier tous ces critères. Il suffit que l un manque pour que la censure soit prononcée. Or, la jurisprudence récente a montré que plus le souscripteur-assuré avance en âge, plus l utilité de la souscription est considérée comme douteuse. C est une façon comme une autre de dire que plus on souscrit tard, plus l opération relève d une finalité transmissive et plus elle s éloigne de la couverture d un risque. Mais parce que le risque est tout de même là, et qu il est aléatoire (sauf souscription in extremis : Cass. 1 ère civ., 4 juill. 2007, n 05-10.254 : Dr. famille 2007, comm. 176, note V. Nicolas ; RJPF 2007-10/28, note J. Casey. adde, Cass. 1 ère civ., 26 oct. 2011, n 10-24.608 : RGDA 2012.407, note L. Mayaux), il ne saurait être question de disqualifier l assurance vie. Tout au plus pourrait-on y voir une donation indirecte si les conditions posées par l art. 894 du Code civil sont réunies (Cass. ch. mixte, 21 déc. 2007, n o 06-1769 : Dr. famille 2008, comm. 30, note B. Beignier ; JCP G 2008, II, 10029, note L. Mayaux ; RGDA 2008. 210, note J. Bigot. Cass. 1 ère civ., 26 oct. 2011, préc.). La question n ayant pas été soulevée, la Cour de cassation reste sur le terrain que le pourvoi l a

invitée à explorer. Il restera à la cour de renvoi à se prononcer sur l utilité du contrat pour la souscriptrice, au moment des versements, si possible en faisant abstraction du fait que son décès est survenu seulement quelques années après et non une ou deux décennies plus tard puisque les assurés peuvent être tout aussi bien centenaires que les Français, assurés ou non, dont on calcule l espérance de vie. Or qu est-ce que l utilité d un contrat d assurance vie? Si l on a bien compris la jurisprudence, c est autre chose que la couverture d un risque (on serait presque tenté de dire autre chose que l intérêt d assurance) : c est la perspective de profiter de toutes les prérogatives d un souscripteur liées à la provision mathématique du contrat : rachat, avance, nantissement, etc., prérogatives qui ne sont pas de l essence de l assurance vie mais qui lui ont été adjointes au fur et à mesure du perfectionnement des contrats. On l oublie parfois, mais il n a pas toujours été admis au profit du souscripteur un droit d accès aux sommes mises en réserve par l assureur pour faire face à ses engagements futurs. Or, désormais, ce droit d accès, dont la manifestation la plus patente est le droit de rachat, joue un rôle décisif en jurisprudence pour apprécier l utilité du contrat et, de proche en proche, pour décider ou non, de rapatrier les primes versées dans le giron du droit commun des successions. Néanmoins, cela ne suffit pas : si le droit de rachat existe, ce qui est en principe le cas (C. assur., art. L. 132-23 qui prévoit cependant quelques exceptions), le juge est tenu d apprécier s il n y a là qu un droit «virtuel» en quelque sorte, au sens où les circonstances laissent deviner que ce droit ne sera pas exercé par le souscripteur, ou s il s agit d un droit effectif. Et comme le juge, par hypothèse, se prononce sur des situations passées, il y a fort à parier que la Cour de renvoi estimera que la souscription ne présentait pas d utilité pour l assurée, ce qui la conduira à retenir le caractère manifestement exagéré des primes eu égard à ses facultés. A l aune des solutions ainsi rappelées, il est souvent conseillé de procéder de temps à autres à des rachats (ou des avances), voire de mettre en place des rachats programmés. Le conseil paraît fondé à la lecture de la jurisprudence. Il n est pas certain que l esprit y trouve satisfaction. Peut-on vraiment prétendre qu une prime manifestement exagérée est une prime dont il très peu probable que le souscripteur la récupèrera à l occasion d un rachat? L arrêt : Attendu que Raphaële X..., veuve Y..., née le 17 décembre 1915, est décédée le 11 septembre 2004, en laissant pour lui succéder ses trois enfants, Jean-Claude, Jacqueline, épouse Z..., et

Patrick ; que, de 2000 à 2004, elle et son époux avaient souscrit des contrats d assurance-vie en désignant leur fille et le fils de celle-ci, Patrice, en qualité de bénéficiaires ; Sur le premier moyen : Attendu que MM. Y... font grief à l arrêt attaqué, statuant sur les difficultés nées du règlement de la succession, de rejeter leur moyen sur l inconventionnalité des dispositions de l article L. 132-13 du code des assurances et de dire que les primes des contrats d assurance-vie ne sont ni rapportables à la succession, ni réductibles, alors, selon le moyen, qu aux termes de l article L. 132-13 du code des assurances, les règles du rapport à succession et celles de la réduction pour atteinte à la réserve des héritiers ne s appliquent pas aux sommes versées par le souscripteur à titre de primes, à moins que celles-ci n aient été manifestement exagérées eu égard à ses facultés ; que cette disposition constitue une discrimination injustifiée portant atteinte au respect de la vie familiale en ce qu elle introduit une distinction non justifiée entre les héritiers réservataires, selon qu ils sont ou non bénéficiaires du contrat d assurance-vie ; que la notion de primes manifestement exagérées, qui permet l aggravation d une inégalité au-delà de ce qui est strictement rendu possible par le recours à la quotité disponible, ne constitue pas un tempérament de nature à justifier cette discrimination ; qu en l espèce, en rejetant la demande de rapport des primes d assurance-vie à la succession quand le montant de ces primes représentait entre 25 et 30 % de l actif successoral -selon le constat même de la cour d appel- et que, cumulé avec la part réservataire de Mme Z... et la quotité disponible qui lui était également dévolue par l effet du legs des maisons, l héritage de Mme Z... s élèverait à l équivalent de plus des trois quarts de l actif successoral, la cour d appel a violé l article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l homme et des libertés fondamentales ; Mais attendu que l article L. 132-13 du code des assurances, en ce qu il prévoit que les règles successorales du rapport et de la réduction ne s appliquent pas aux sommes versées par le souscripteur d un contrat d assurance-vie à titre de primes, n opère pas une distinction entre les héritiers réservataires selon qu ils sont ou non bénéficiaires du contrat, dès lors qu il ne soumet aucun d eux à ces règles ; que c est sans violer les dispositions de la Convention de

sauvegarde des droits de l homme et des libertés fondamentales que la cour d appel a débouté MM. Y... de leur demandes de rapport et de réduction ; que le moyen n est pas fondé ; Sur le troisième moyen, ci-après annexé : Attendu que MM. Y... font grief à l arrêt attaqué de rejeter leur demande formée au titre du recel successoral commis par leur soeur ; Attendu qu en retenant que MM. Y... n apportaient pas la preuve que les sommes retirées et non reversées sur les comptes des époux Y... pour des raisons fiscales invoquées par Mme Z... avaient bénéficié à celle-ci en dehors des sommes qui avaient été utilisées pour alimenter les contrats d assurance-vie et notamment le contrat Afer, de sorte que, faute d établir l élément matériel du recel allégué, ils devaient être déboutés de leur demande, la cour d appel a légalement justifié sa décision, peu important le caractère rapportable ou non des primes des contrats ; Et attendu que les moyens du pourvoi incident ne sont pas de nature à permettre l admission du pourvoi ; Mais sur le deuxième moyen, pris en sa première branche : Vu l article L. 132-13 du code des assurances ; Attendu, selon ce texte, que les primes versées par le souscripteur d un contrat d assurancevie ne sont rapportables à la succession que si elles présentent un caractère manifestement exagéré eu égard aux facultés du souscripteur ; qu un tel caractère s apprécie au moment du versement, au regard de l âge, des situations patrimoniale et familiale du souscripteur, ainsi que de l utilité du contrat pour celui-ci ;

Attendu que, pour infirmer le jugement ayant ordonné le rapport, par Mme Z..., et la réduction, au détriment de M. Z..., des primes versées au titre des contrats d assurance-vie, l arrêt retient qu entre 2000 et 2004, Raphaële X..., alors âgée de 85 à 89 ans et mère de trois enfants, a effectué, sur plusieurs contrats souscrits pendant la même période, des versements dont le montant s est élevé à 24,83 % de son patrimoine, de sorte que les primes ne présentent pas un caractère manifestement exagéré ; Qu en statuant ainsi, sans se prononcer sur l utilité des contrats pour la souscriptrice, la cour d appel n a pas donné de base légale à sa décision au regard du texte susvisé ; PAR CES MOTIFS, et sans qu il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi principal : CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu il a dit que «les versements de sommes et primes d assurance-vie souscrites par Raphaële Y... au profit de Mme Z... et de M. Z... ne sont pas manifestement exagérées» et qu en conséquence elles ne sont ni rapportables à la succession ni réductibles, l arrêt rendu le 3 juillet 2012, entre les parties, par la cour d appel de Rennes ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d appel de Caen ;