Nous avons vu, qu alors même qu en 1991 Michel Rocard avait conclu la remise du premier livre blanc sur les retraites par une évocation du caractère politiquement explosif du sujet, susceptible de renverser plusieurs gouvernements successifs, nous sommes depuis 1993 entrés dans une séquence de réformes régulières dont la fréquence s accélère dans le temps puisque la question d une réforme se pose quasiment à chaque nouveau mandat présidentiel. Malgré celle de 2010 sur le recul de l âge de la retraite de 60 à 62 ans et celle de janvier 2014, les besoins de financement à horizon de 10 à 15 ans restent absolument considérables tant pour les retraites de base que pour les retraites complémentaires obligatoires. La question d une nouvelle réforme des retraites devrait donc se poser vraisemblablement rapidement à partir de 2017. Dans son rapport de juin 2015, le Conseil d orientation des retraites indique que le système de retraites devrait rester déficitaire (-0,4% du PIB) jusqu en 2020. Au-delà, les résultats des projections diffèrent selon le scénario économique envisagé. Dans les scénarios les plus optimistes (taux de chômage de 4,5%, croissance des revenus d activité entre 1,8% et 2% par an), l équilibre financier pourrait être assuré dès le milieu des années 2020 et des excédents seraient ensuite constatés. A l inverse, dans le scénario le plus pessimiste (taux de chômage de 10%, croissance des revenus d activité de 1% par an), le déficit serait de près de 1% du PIB en 2040 et d un peu plus de 1,5% en 2060. Pourquoi donc n avons-nous pas tranché la question de notre régime de retraite une bonne fois pour toute et pourquoi alors même que nous avons déjà beaucoup consacré de temps à ces
réformes le problème n est toujours pas réglé?
Une réforme des retraites ne peut jouer que sur quelques paramètres : - la durée de cotisations ou l âge légal de retraite c est-à-dire finalement une condition concernant l accès aux droits pour les actifs ; - le deuxième paramètre concerne le niveau des cotisations qui sont payées par les salariés ou par les employeurs ; - le troisième paramètre concerne le montant des pensions, le taux de remplacement garanti servi par le régime de retraite. Chacun de ces paramètres est aujourd hui d une très grande complexité. Le niveau des prélèvements obligatoires et la question de l impératif de compétitivité prix de l économie française par rapport à ses principales concurrentes européennes rend l hypothèse d augmentation des cotisations retraite délicate. Même si la dernière réforme de janvier 2014 a malgré tout légèrement augmenté ce niveau de cotisations, on peut penser qu on a atteint un plafond. Jouer sur l âge ou la durée de cotisations reste possible et d ailleurs certains pays ont adopté des dispositions ambitieuses. Cela dit, nous avons une perspective pour la génération née en 1973 de 43 années de cotisations pour bénéficier d une retraite à taux plein. Quand l intégration sur le marché du travail commence parfois à 24 ou 25 ans, on voit bien qu on arrive à des âges qui atteignent 67/68 ans pour un certain nombre, ce qui parait finalement assez complexe à repousser. Les réformes successives d allongement des carrières se heurtent à la fois au chômage des salariés âgés. On ne peut pas prolonger indéfiniment même si l espérance de vie
sans incapacité à tendance à augmenter les carrières des salariés. En ce qui concerne le paramètre du niveau de vie des retraités, son caractère politiquement sensible le rend aussi complexe à manier.
On peut tirer plusieurs conclusions de cette situation. Chaque réforme depuis 1993 ayant généré une opposition extrêmement virulente et des manifestations très suivies, on pourrait penser qu il n y a pas d autre solution que de procéder par petites touches successives sur l ensemble des paramètres en même temps, de façon progressive, en allant aussi loin que ce que l acceptabilité du corps social le permet. C est la voie qui a été suivie par nos différents gouvernements depuis plus de vingt ans et présentée en synthèse dans ce MOOC. Mais certains s interrogent sur une autre voie considérant que la logique de réformes paramétriques vient un peu à son terme et que nous devons en conclure à la nécessité d une réforme plus globale dite «systémique». La question serait la suivante : Devons-nous continuer à réformer par touches successives un système complexe et au prix d un coût politique toujours très important? Faut-il donc passer d une logique de réformes paramétriques successives à une réforme dite «systémique»? Les propositions de réforme qualifiées de «systémiques» qui sont débattues depuis plusieurs années consistent à remplacer les différents régimes en place dans un grand mouvement de simplification, par un mécanisme unique qui reposerait soit sur un système de points accumulés par chacun tout au long de sa carrière, dans une logique contributive en fonction des cotisations versées, soit par un système en comptes notionnels.
Cette intitulé est assez énigmatique. Qu est qu un «compte notionnel». Inutile d entrer dans le détail. C est un système utilisé en Suède et sur lequel le Conseil d orientation de retraite avait rendu un rapport. En quelques mots disons que : C est un compte épargne virtuel alimenté par les cotisations versées par le salarié ; Le montant de la pension est proportionnel au capital virtuel accumulé et revalorisé ; Le système continue de reposer sur la répartition.
Les partisans de cette réforme systémique défendent son impact potentiel en particulier par l amélioration de la lisibilité d ensemble des salariés. Elle permettrait à chacun de savoir à tout moment exactement où il en est au regard du nombre de points accumulés et ainsi d aider chacun à construire une stratégie personnelle de départ en retraite en allégeant les contraintes liées aux questions d âge légal ou de durée minimale de trimestres validés, chacun pouvant partir au moment de son choix dans une logique donc plus individuelle. Chaque assuré disposerait d une très bonne connaissance du montant de sa retraite en fonction de la date de départ en retraite de son choix puisqu il s agit de multiplier le nombre de points accumulés par la valeur du point. Un dispositif de cette nature permettrait sans doute d éviter un problème politique à chaque réforme paramétrique, les ajustements étant laissés à l appréciation individuelle de chacun. On voit bien que l objection principale apparaît rapidement : en quoi une réforme d organisation apporterait-elle une réponse au besoin de financement? Ce n est pas une réforme organisationnelle qui en elle-même gomme les effets de l allongement de l espérance de vie, du vieillissement de la population et de la structure démographique avec son impact sur le ratio du nombre d actifs sur le nombre de pensionnés. Le risque n est-il pas de transférer les ajustements nécessaires du système de retraite vers des choix individuels en continuant à permettre à chacun de partir quand il veut dès l âge légal de 62 ans mais en acceptant de façon implicite une diminution de sa retraite? On a vu que le système par répartition a bien défendu le niveau de vie des retraités et que les questions de complexité liées à la multiplicité des régimes sont déjà largement atténuées par la mise en place du droit à l information et par les mesures de la loi de janvier 2014.