Facteurs psychologiques et environnementaux de la volonté de reprise ou de maintien d une activité professionnelle chez des patients atteints de fibromyalgie G. Rouxel 1, S. Vyve 1 & J. Edan-Le Guen 2 1 : Université Rennes 2 CRPCC (EA 1285) 2 : Clinique La Sagesse Rennes Cadre théorique et problématique La fibromyalgie, syndrome dont les causes restent mal connues, se caractérise par un état douloureux musculaire chronique et une asthénie persistante. Elle se déclare généralement entre 40 et 60 ans et principalement chez les femmes (80%). Il s agit d un syndrome souvent difficile à vivre pour le patient qui rencontre parfois encore des difficultés à être pris au sérieux par le corps médical. En France, la fibromyalgie concerne environ 1 million et demi de personnes et peut avoir des incidences non négligeables sur l activité professionnelle des personnes atteintes (près de 10% des adultes touchés sont en invalidité). On constate cependant que certains patients semblent aspirer plus que d autres à un retour ou à un maintien dans le monde du travail (Marhold et al., 2002). Comment expliquer ces différences? Sachant que comme toute douleur chronique, la fibromyalgie possède une composante psychologique (Melzack & Wall, 1982), on tentera d isoler, au-delà des classiques variables environnementales (charge de travail, satisfaction et autonomie au travail) (Gheldof et al., 2005), les dimensions psychologiques individuelles les plus importantes dans l explication des différences observées dans l attitude par rapport au travail. Nous nous appuierons sur le modèle intégratif et multifactoriel de Bruchon- Schweitzer (2002) dans cette recherche de facteurs explicatifs en différenciant notamment des variables dispositionnelle (estime de soi) et transactionnelles (perceptions de l environnement (stress lié au travail et à la maladie; contrôle sur la maladie), soutien perçu, stratégies de coping). Hypothèses Nous supposons que les patients qui s ajusteront le moins bien physiquement (symptômes physiques, cognitifs et intestinaux) et psychologiquement (état émotionnel) à la maladie et qui voudront le plus souvent ne pas continuer ou reprendre une activité professionnelle, seront ceux qui déclareront être peu satisfaits et peu autonomes professionnellement, avoir une lourde charge de travail et qui 1
présenteront les caractéristiques psychologiques suivantes : faible estime de soi, perceptions faibles de contrôle et de soutien et élevées de stress; faible utilisation de stratégies de coping centrées sur l émotion, le problème ou la recherche de soutien; utilisation importante de stratégies de coping de type «catastrophisation». Méthode Participants: 45 patients (42 femmes et 3 hommes) âgés en moyenne de 48 ans (ét= 6,58 ans; min=31 ans; max=60 ans) participent à l étude. 29 d entre eux vivent en couple (64,4%). 8 patients n ont pas d enfants (nombre moyen=1,89 enfants (ét=1,3). 17 sont en invalidité. Ils se répartissent dans les CSP suivantes: 28 «employés et ouvriers», 8 professions intermédiaires, 5 «artisans commerçants», 3 «cadres et professions intellectuelles supérieures». Outils: échelles de soutien perçu: SSQ6 de Sarason et al. (1983) (maladie) et échelle de Pinneau (1976) (travail); échelles de stress perçu: adaptation de l échelle de Cohen et al. (1983) (maladie) et de l ALES de Ferguson et al. (1999) (travail); échelle de contrôle perçu : adaptations des échelles de Wallston et al. (1978) (maladie) et de contrôle professionnel (charge de travail, autonomie) de Karasek (1979) ; échelle de coping: adaptation du questionnaire de Rosenstiel et Keefe (1983); échelle de satisfaction au travail: échelle d Iverson et al. (1998); échelle d état émotionnel: PANAS de Watson et al. (1988). Les échelles d estime de soi et de symptômes liés à la fibromyalgie ont été construites pour l étude. Résultats Après analyses d items et analyses factorielles des différentes échelles, des scores factoriels ont été calculés et seront utilisés pour la suite des analyses. Dans une perspective exploratoire, une analyse de classification hiérarchique (méthode de Ward) a été effectuée à partir des 10 variables répertoriées dans le tableau cidessous. L analyse met clairement en évidence 3 groupes de patients (voir dendrogramme ci-dessous). Une 1ère série d analyses de variance a permis de caractériser les 3 groupes (voir tableau ci-dessous). Les patients des groupes n 1 et n 3 présentent des caractéristiques opposées: les patients du groupe n 1 devraient être ceux qui, selon notre hypothèse, devraient les mieux s adapter à la maladie (patients, en particulier, dont l estime de soi est élevée et dont les perceptions de l environnement (stress, contrôle) sont positives, ) ; au contraire 2
de ceux du groupe n 3. Les patients du groupe n 2 présentent des caractéristiques intermédiaires. 31 54 1 37 38 25 78 43 62 39 77 41 19 60 44 16 48 2 22 53 24 20 45 70 29 79 71 4 76 68 40 46 47 69 27 42 17 64 66 11 5 50 9 10 75 Dendrogramme A signaler que nous n observons pas de différences d âge entre les 3 groupes (F(2, 42)=1,15 ; p=.33). Pas de différences non plus au niveau de la durée moyenne de la maladie (F(2, 38)=0,664 ; p=.521) ou du nombre d enfants (F(2, 42)=0,07 ; p=.93). Il n y a pas de lien entre le fait d être ou non en invalidité et le fait d appartenir à l un de ces 3 groupes de patients (χ²(2)=1,2 ; p=.549). Pas de lien non plus entre le fait de vivre ou non en couple et le fait d appartenir à l un de ces 3 groupes de patients 3
(χ²(2)=1,06 ; p=.589). 2 des 3 hommes sont dans le groupe 1 ; le 3 ème est dans le groupe 3. Variables Groupe patient n 1 (N=12) Estime de soi 61,22 3,42 Coping centré sur l émotion Coping centré sur le problème Coping recherche de soutien Coping catastrophisation Perceptions positives de l environnement Soutien perçu global (travail et entourage) Satisfaction au travail 52,44* 9,05 52,3 7,28 55,27* 7,55 41,65 6,18 62,14 3,87 56,83* 11,18 52,57* 9,04 Charge de travail 48,47 9,23 Autonomie au travail 59,21 5,58 Groupe patient n 2 (N=22) 48,47 7,22 53,66* 6,94 52,58 7,32 50,52* 5,59 50,6 6,05 48,34 5,74 50,39* 8,29 51,2* 7,34 51,47 7,74 48,8* 8,59 Groupe patient n 3 (N=11) F(2, 42) p Eta² 39,59 7,43 32,5.000.607 40,8 6,36 11,74.000.359 46,54 7,69 2,68.08.113 43,4 7,32 9,43.000.310 56,39 7,2 15,83.000.430 39,17 6,01 53,66.000.719 42,7 5,6 7,69.001.268 44,65 8,5 3,24.049.134 52,84 10,64.751.478.035 43,44* 5,78 14,33.000.406 * et : différences de moyennes non significatives à : moyenne la plus faible à la plus élevée Afin de tester nos hypothèses et la pertinence psychologique de cette typologie, une seconde série d analyses de variance a été effectuée. Conformément à nos attentes, ces analyses montrent que par rapport aux patients du groupe n 3, les patients du groupe n 1 sont ceux qui manifestent la volonté de travailler la plus élevée (F(2, 42)=6,13; p=.005 (éta²=.226)); l état émotionnel positif le plus élevé (F(2, 42)=16,35; p=.000 (éta²=.438)); l état émotionnel négatif le plus faible (F(2, 42)=15,26; p=.000 (éta²=.421); qui déclarent le moins de problèmes cognitifs (F(2, 42)= 3,29; p=.047 (éta²=.135) et de problèmes physiques (F(2, 42) = 7,97; p=.001 (éta²=.275)). Par contre, nous n observons pas de différences entre les 3 groupes au niveau des problèmes intestinaux (F(2, 42)=.85; p=.434). Discussion-conclusion Les caractéristiques personnelles, environnementales et transactionnelles mesurées dans l étude se sont révélées être des choix pertinents pour différencier des profils 4
de patients réussissant plus ou moins bien à faire face à la maladie tant sur un plan physique et émotionnel, que dans la volonté de maintien ou de reprise d une activité professionnelle. Conformément à nos attentes, une estime de soi élevée et des perceptions positives de son environnement semblent particulièrement déterminantes dans ce processus d adaptation. Ne pas avoir tendance à «catastrophiser», également, mais dans une moindre mesure. Ces résultats, bien que nécessitant d être répliqués (faible effectif), sont intéressants car ils confirment la possibilité de faire bénéficier ces patients d un soutien psychothérapeutique efficace et in fine pour eux l espoir accru du maintien d une activité professionnelle (considéré en général comme très bénéfique pour le patient (Chatelier et al., 2003)). Le psychologue de la santé en effet dispose de diverses techniques (dans le cadre d une formation par exemple aux thérapies cognitives) lui permettant notamment d aider le patient à percevoir plus positivement ce qui lui arrive, à mieux contrôler ses pensées négatives et à faire en sorte également qu il se perçoive plus positivement. 5