Primo-infection : la course à l'éradication

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Transcription:

Revue critique de l'actualité scientifique internationale sur le VIH et les virus des hépatites n 49 - octobre 96 Primo-infection : la course à l'éradication Roland Landman Service des maladies infectieuses et tropicales (Pr Coulaud) Hôpital Bichat-Claude Bernard (Paris) La primo-infection par le VIH apparaît de plus en plus comme le moment privilégié d'intervention pour les chercheurs et de nombreux cliniciens. Les connaissances physiopathologiques de ce stade de l'infection, et l'hypothèse de l'éradication virale par des traitements antirétroviraux, ont été largement débattues à la conférence. Différentes présentations ont confirmé la notion d'un risque aggravé d'évolution vers le sida à long terme pour les patients connaissant une primo-infection symptomatique. Ainsi, la présence d'adénopathies cervicales et de symptômes oropharyngés ou d'œsophagites semble associée à un risque d'évolution à long terme vers le stade B ou C, en comparaison avec des patients ayant connu une primo-infection sans symptômes (1). Une autre étude, sur 328 patients homosexuels, ne retrouve que la fièvre comme élément péjoratif d'évolution à long terme vers le sida (2). La charge virale mesurée après la séroconversion semble être déterminante sur l'évolution à long terme, dans la "Multicenter hemophilia cohort study", sur des sérums collectés de 12 à 36 mois après la séroconversion chez 118 patients (3). Le risque de développer un sida après dix ans était de 70 % chez les patients ayant une charge virale supérieure à 100 000 copies/ml, de 52 % entre 10 000 et 100 http://publications.crips.asso.fr/transcriptase/49_580.htm (1 sur 5) [01/07/2003 16:16:02]

000 copies/ml, de 19 % entre 1 000 et 10 000 copies/ml, et de 0 % à moins de 1 000 copies/ml. Ces résultats semblent confirmés par d'autres études de cohortes, en particulier des non-progresseurs (4). L'étude des cas de primo-infections non traitées confirme la présence d'une charge virale détectable à 6 et 12 mois de suivi. L'étude DATRI 002 sur 28 patients en cours de séroconversion (5) confirme une évolution similaire des charges virales plasmatiques pour les deux groupes de patients, l'un traité par AZT seul et l'autre avec un placebo. A 6 mois, la charge virale était de 4 log dans les deux groupes, et elle s'est maintenue au même taux à 12 mois. Cela confirme au moins deux points : l'inefficacité de l'azt seul en primo-infection, et la persistance d'une charge virale à 10000 copies (4 log) en l'absence de traitement efficace. Les résultats de la cohorte HIVNET (6) de 45 patients en cours de séroconversion confirment eux aussi une charge virale médiane à 18000 copies à 6 mois, avec un taux de CD4 médian de 552/mm3 (30 %) et de CD8 de 790/mm3 (41 %). La contagiosité sexuelle existe au moment de la séroconversion. Six mois après la séroconversion, même si la charge virale spermatique reste mal corrélée à la charge virale plasmatique, elle reste détectable chez 17 patients de la cohorte HIVNET (médiane : 554 copies), mais plus basse de 1,75 log que la charge virale plasmatique. Traitements très précoces C'est donc grâce à une intervention thérapeutique au moment de l'infection débutante que de nombreuses équipes espèrent avoir une influence déterminante à long terme sur l'évolution de l'infection. Plusieurs équipes ont rapporté leur expérience avec des combinaisons variées d'antirétroviraux. Le choix des antirétroviraux tenant, de l'aveu même des chercheurs, souvent plus à leur disponibilité au moment de la mise en place de l'essai qu'à un rationnel strict. Ainsi ont été présentés des résultats avec les combinaisons suivantes : AZT + ddi, AZT + 3TC, AZT + 3TC + ritonavir, AZT + 3TC + ddi, AZT + ddi + ddc + interféron, AZT + 3TC + saquinavir. http://publications.crips.asso.fr/transcriptase/49_580.htm (2 sur 5) [01/07/2003 16:16:02]

Tous les résultats sont convergents : l'obtention d'une charge virale indétectable pour la majorité des patients traités au moment de la primo-infection est possible. La plupart des patients traités avaient des charges virales inférieures à 200, voire 20 copies/ml à 6 mois. Pour Luc Perrin (7), un des pionniers du traitement de la primo-infection, la combinaison AZT + ddi est suffisante pour atteindre cet objectif. Cinq patients sur huit ont une charge virale indétectable à 6 mois, contre un sur quinze sous AZT seul et 0 sous placebo. Deux équipes françaises, celle d'a. G. Saimot à Paris (8) et celle d'a. Lafeuillade à Toulon (9), ont utilisé la même association de trois nucléosides, AZT + 3TC + ddi, pour obtenir une charge virale indétectable à 6 mois chez 4/4 et 5/6 patients, respectivement. L'équipe newyorkaise de Markowicz, qui travaille avec David Ho, a présenté en séance plénière les résultats obtenus sur 12 patients en cours de séroconversion, symptomatiques, tous traités par AZT + 3TC + ritonavir : la charge virale était négativée à 5 mois. Il existe toutefois une grande hétérogénicité des patients traités, et les critères de la primo-infection diffèrent d'un essai à l'autre. Certains patients ont été traités très précocement, avant l'apparition des anticorps anti-vih, avec un Western Blot incomplet, d'autres très tardivement, 6 mois après leur séroconversion. Intervenir avant l'apparition des anticorps empêche-t-il la séroconversion? Luc Perrin a pu noter que certains patients traités très précocement n'ont pas complété leur Western Blot, voire une atténuation de certaines bandes du Western Blot. De même, Casey Workman, de Sydney, a montré, chez un patient traité au septième jour de sa primo-infection symptomatique - avec une antigénémie p24 positive mais des anticorps négatifs et un Western Blot négatif - par AZT + 3TC + saquinavir, que sa charge virale a été réduite de 6,5 log (de 3 200 000 copies au début du traitement à un niveau inférieur à 200 copies à la dixième semaine) avec la persistance d'un Western Blot incomplet à 5 mois de suivi, résultat qui, pour ce clinicien, pourrait être lié à la rapidité de la mise en place du traitement et à la diminution très rapide de la charge virale chez ce patient. En conclusion, certains de ces patients ne sont pas "complètement séropositifs". http://publications.crips.asso.fr/transcriptase/49_580.htm (3 sur 5) [01/07/2003 16:16:02]

La disparition du virus dans le plasma est-elle corrélée à sa disparition dans les ganglions? Pour trois équipes, le virus n'a pas été retrouvé dans les biopsies ganglionnaires par recherche d'arn VIH par hybridation in situ, à 9 mois de traitement, pour quatre patients, et après un an et demi, chez un autre patient. Quelle durée de traitement? L'éradication du virus est-elle possible? Encore faudrait-il savoir sur quels critères arrêter le traitement et envisager que le virus soit réellement éradiqué de l'organisme. La présentation, par B. Saget, de San Francisco, d'un cas de réaugmentation de la charge virale à l'arrêt du traitement, expérience négative confirmée par d'autres chercheurs, incite à la prudence sur la durée nécessaire du traitement. Un an, deux ans avec une charge virale plasmatique indétectable à 20 copies/ml suffisent-ils? Faut-il attendre une négativation de l'adn proviral circulant, plus tardive que la disparition de l'arn plasmatique? Toutes ces questions ont été débattues mais demeurent sans réponse pour l'instant. Si, pour David Ho, 30 à 120 semaines de traitement sur les modèles expérimentaux semblent nécessaires à l'éradication du virus dans certains lymphocytes CD4 réservoirs et dans les macrophages, nous ne sommes donc qu'à mi-chemin de l'expérimentation chez l'homme. En cas d'échec après plusieurs mois de traitement, faudra-t-il envisager la poursuite des traitements antirétroviraux à vie, avec les problèmes de tolérance, de mutations virales, de coût que cela ne manquerait pas de poser ; ou admettre que l'éradication est impossible et voir la théorie du "zéro virus" comme un objectif thérapeutique sérieusement remis en cause? Références : 1. P. Vanhems et al., "Occurrence of non-aids opportunistic complications, AIDS and death by clinical presentation of primary HIV infection", MoB 1330. 2. P. J. Veugelers et al., "Incidence and prognostic significance of symptomatic primary HIV-1 infection in homosexual men", MoC 324. http://publications.crips.asso.fr/transcriptase/49_580.htm (4 sur 5) [01/07/2003 16:16:02]

3. T. O'Brien et al., "HIV-1 RNA levels in early chronic infection: association with AIDS and long term nonprogression", MoC 323. 4. L. Ashton et al., "Long-term asymptomatic HIV infection in Australia", TuC 551. P. M. Keet Ireneus et al., "HIV-1 viral load is low and slowly rising in long term survivors with CD4 counts less than 200/mm3", TuC 552. 5. M. Holodniy et al., "A pilot study to evaluate the efficacy of zidovudine (ZDV) versus placebo in primary HIV infection (DATRI 002): a preliminary analysis", LBB 6022. 6. C. Celum et al., "Characteristics and identification of early HIV seroconverters", LBB 6023. 7. L. Perrin et al., "Reduced viremia and increased CD4/CD 8 ratio in patients with primary HIV infection treated with AZT-ddI", WeB 532.8. A.-G. Saimot et al., "A triple nucleoside analogue combination in four patient with primary HIV-1 infections: towards complete virological remissions?", MoB 1332. 9. A. Lafeuillade et al., "Triple drug combination in primary HIV-1 infection", MoB 1331. http://publications.crips.asso.fr/transcriptase/49_580.htm (5 sur 5) [01/07/2003 16:16:02]