Étude et modélisation d'un mécanisme d'orientation collective chez la fourmi Linepithema humile



Documents pareils
Complexité et auto-organisation chez les insectes sociaux. Complexité et auto-organisation chez les insectes sociaux

Atelier Transversal AT11. Activité «Fourmis» Pierre Chauvet.

L intelligence collective des fourmis

Mathématiques et petites voitures

Les mesures à l'inclinomètre

(VM(t i ),Q(t i+j ),VM(t i+j ))

Télécom Nancy Année

Chapitre 7 - Relativité du mouvement

Par : Abdel YEZZA, Ph.D. Date : avril 2011 / mise à jour oct (ajout de la section 3 et augmentation de la section 1)

Etudes des nuages et de la convection autour des dépressions intenses des moyennes latitudes

RapidMiner. Data Mining. 1 Introduction. 2 Prise en main. Master Maths Finances 2010/ Présentation. 1.2 Ressources

Chapitre 7 Les solutions colorées

X-Rite RM200QC. Spectrocolorimètre d'imagerie portable


1. Utilisation du logiciel Keepass

ANNEXE 1. Si vous souhaitez ajouter un descriptif plus détaillé de l offre à votre annonce, merci de le joindre accompagné de ce formulaire.

Baccalauréat ES Polynésie (spécialité) 10 septembre 2014 Corrigé

modélisation solide et dessin technique

CHAPITRE VIII : Les circuits avec résistances ohmiques

G.P. DNS02 Septembre Réfraction...1 I.Préliminaires...1 II.Première partie...1 III.Deuxième partie...3. Réfraction

Introduction : Cadkey

Propagation sur réseau statique et dynamique

Evaluation de la variabilité d'un système de mesure

Statistiques Descriptives à une dimension

Retentissement de la réforme de l'ircantec 2008 sur la retraite des Praticiens Hospitaliers.

Jean-Philippe Préaux

Comparaison des performances d'éclairages

Comportements Individuels Adaptatifs dans un Environnement Dynamique pour l'exploitation Collective de Ressource

MASTER 2 SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES Mention Psychologie. Spécialité : Recherches en psychologie

Conditions : stage indemnisé, aide au logement possible, transport CEA en Ile-de-France gratuit.

TUTORIAL 1 ETUDE D UN MODELE SIMPLIFIE DE PORTIQUE PLAN ARTICULE

LE PROBLEME DU PLUS COURT CHEMIN

Sujet. calculatrice: autorisée durée: 4 heures

Sujet proposé par Yves M. LEROY. Cet examen se compose d un exercice et de deux problèmes. Ces trois parties sont indépendantes.

Recherche dans un tableau

Figure 1a Wasmannia auropunctata (Ouvrière), morphologie. 1 millimètre

Introduction. I Étude rapide du réseau - Apprentissage. II Application à la reconnaissance des notes.

Algorithme des fourmis appliqué à la détection et au suivi de contours dans une image

Cours d Analyse. Fonctions de plusieurs variables

Nombres, mesures et incertitudes en sciences physiques et chimiques. Groupe des Sciences physiques et chimiques de l IGEN

GUIDE. Guide pratique pour la lutte contre les fourmis sur le marché européen. PRATIQUE

Électricité statique. Introduction. Quelques étapes historiques importantes

KeePass - Mise en œuvre et utilisation

Nombre de marches Nombre de facons de les monter

S'orienter et se repérer sur le terrain avec une carte

Segmentation d'images à l'aide d'agents sociaux : applications GPU

Ordonnancement. N: nains de jardin. X: peinture extérieure. E: électricité T: toit. M: murs. F: fondations CHAPTER 1

Manuel d Utilisateur - Logiciel ModAFi. Jonathan ANJOU - Maud EYZAT - Kévin NAVARRO

Modélisation multi-agents - Agents réactifs

Nb. De pages : 24 MANGO. Manuel d'utilisation. Version 1.2. décembre 2010

Perrothon Sandrine UV Visible. Spectrophotométrie d'absorption moléculaire Étude et dosage de la vitamine B 6

Conduite et Gestion de Projet - Cahier des charges

(aq) sont colorées et donnent à la solution cette teinte violette, assimilable au magenta.»

Algorithmique avec Algobox

ÉVALUATION EN FIN DE CM1. Année scolaire LIVRET DE L'ÉLÈVE MATHÉMATIQUES

Mise de jeu 2 La certification des formations

L ' E N V I R O N N E M E N T À T R A V E R S L A S I M U L A T I O N N U M É R I Q U E : D E L ' I N G É N I E R I E D U B Â T I M E N T

Projet de traitement d'image - SI 381 reconstitution 3D d'intérieur à partir de photographies

FICHE 1 Fiche à destination des enseignants

I- Définitions des signaux.

CHROMOPHARE Génération F : éclairage innovant à réflecteur avec LED. Un concept et un design d'éclairage qui réunissent fonctionnalité et esthétique

Les acteurs de la carte d'achat

PROBLEMES D'ORDONNANCEMENT AVEC RESSOURCES

Chapitre 2 : Caractéristiques du mouvement d un solide

EXPLOITATIONS PEDAGOGIQUES DU TABLEUR EN STG

Rapport du projet CFD 2010

First Line and Maintenance in Nonsquamous NSCLC: What Do the Data Tell Us?

Chapitre 02. La lumière des étoiles. Exercices :

- MANIP 2 - APPLICATION À LA MESURE DE LA VITESSE DE LA LUMIÈRE

Création d'un questionnaire (sondage)

Connecter un PC sur une TV.

TD 3 : suites réelles : application économique et nancière

D'UN THÉORÈME NOUVEAU

CAPTEURS - CHAINES DE MESURES

Dessiner dans Galaad FRANÇOIS PALLUT

SOCLE COMMUN - La Compétence 3 Les principaux éléments de mathématiques et la culture scientifique et technologique

Mesure de Salinité Réalisation d'un conductimètre

Vers l'ordinateur quantique

Commission Polydog Règlement de compétition SportPlaisir Catalogue des disciplines catégorie adresse niveau B

Trousse de sécurité d'alarme - NVR

LES NOMBRES DECIMAUX. I. Les programmes

III RESULTATS LE LONG DU TRACE PREFERENTIEL DE LA LIGNE 2

Choisir entre le détourage plume et le détourage par les couches.

Baccalauréat ES/L Amérique du Sud 21 novembre 2013

SweetyPix, mode d'emploi

CHAPITRE IX : Les appareils de mesures électriques

PREINSCRIPTION EN LIGNE

1 sur 5 10/06/14 13:10

Couples de variables aléatoires discrètes

EXERCICE 2 : SUIVI CINETIQUE D UNE TRANSFORMATION PAR SPECTROPHOTOMETRIE (6 points)

Petit guide à l'usage des profs pour la rédaction de pages pour le site Drupal du département

ESXi: Occupation RAM avec VM_Windows et VM_Linux. R. Babel, A. Ouadahi April 10, 2011

Séance du jeudi 22 novembre 2012 (13h30 16h30)

I3, Probabilités 2014 Travaux Dirigés F BM F BM F BM F BM F B M F B M F B M F B M

3 - Description et orbite d'un satellite d'observation

POLY-PREPAS Centre de Préparation aux Concours Paramédicaux. - Section Audioprothésiste / stage i-prépa intensif -

POLITIQUE DE BIOSÉCURITÉ

EXERCICES DE REVISIONS MATHEMATIQUES CM2

Excel 2010 Intermediaire

Transcription:

Licence de Biologie Moléculaire et Cellulaire 3 e année École Normale Supérieure de Lyon 2006-2007 Étude et modélisation d'un mécanisme d'orientation collective chez la fourmi Linepithema humile Guérécheau Aurélie Centre de Recherches sur la Cognition Animale (CNRS UMR 5169) Université Paul Sabatier Toulouse Stage eectué sous la tutelle de Christian Jost, Simon Garnier et Guy Theraulaz.

Résumé Les pistes de phéromones sont utilisées par de nombreuses espèces de fourmis pour guider les fourrageuses entre le nid et la source de nourriture. Mais la façon dont les fourmis s'orientent sur ces pistes est encore mal connue. La géométrie du réseau de pistes pourrait jouer un rôle important dans ces processus. En eet, dans les réseaux naturels la conformation géométrique des intersection est diérente selon que les fourmis se dirigent vers leur nid ou qu'elles s'en éloignent. On montre ici chez la fourmi d'argentine Linepithema humile que cette diérence de conformation permet de faciliter la sélection du chemin le plus court entre le nid et une source de nourriture, en favorisant les chemins les plus directs lors du retour vers le nid.

Table des matières 1 Introduction 1 2 Matériels et méthodes 3 2.1 Élevage.............................. 3 2.2 Dispositif expérimental...................... 3 2.3 Analyse des données....................... 5 2.4 Modèle informatique....................... 7 3 Résultats 9 3.1 Fréquentation globale du réseau................. 9 3.2 Fréquentation des chemins selon leur taille........... 9 4 Discussion 11 Références bibliographiques 14 Remerciements Merci Simon d'avoir égayé ces heures de travail, et d'avoir eu la patience de relire mes essais. Merci à Christian, Vincent, Guy pour leur accueil, leur intérêt et leurs conseils avisés. Merci Gérard pour tes conseils entomologiques. Merci aux organisateurs de la pause thé et des barbecues sur le toit, à Raymond, à tous ceux qui font la vie du CRCA. Merci aussi à tous ceux qui m'ont accueillie à bras ouverts, aux assoc' toulousaines, à la joie de vivre du sud.

1 Introduction Le Centre de Recherches sur la Cognition Animale (CRCA) a pour objectif principal l'étude pluridisciplinaire et comparée des processus cognitifs chez divers modèles animaux allant des invertébrés aux vertébrés. Parmi ses sujets de recherche, le CRCA s'intéresse notamment aux comportements collectifs dans les sociétés animales. En particulier, l'équipe Ethologie et Modélisation des Comportements Collectifs, dans laquelle j'ai réalisé mon stage, étudie les règles comportementales permettant la coordination des activités au sein des groupes, d'où peuvent émerger, par des processus d'auto-organisation, des comportements collectifs complexes [1]. Je me suis plus particulièrement intéressée à la façon dont les fourmis sont capables d'organiser leur activité de fourragement alimentaire (recherche et récupération de la nourriture). Pour beaucoup de sociétés animales organisées autour d'un point vital, le fourragement présente de nombreuses dicultés, aussi bien au cours de la phase de recherche de nourriture que lors du retour au gîte ou au nid. Lors de ces diérents trajets, l'animal doit pouvoir s'orienter de manière ecace. Certaines espèces de fourmis, comme la fourmi du Pharaon (Monomorium pharaonis) ou la fourmi d'argentine (Linepithema humile), forment des colonies très importantes. Le fourragement alimentaire se fait alors massivement, par le recrutement de milliers d'ouvrières. Ce recrutement de masse est possible grâce à une piste chimique, résultat du dépôt successif de phéromones de piste tout au long du trajet nourriture/nid par les fourrageuses qui ont découvert la nourriture, puis par les autres fourrageuses recrutées. L'orientation des ouvrières se fait alors plus sur une base chimique que visuelle. Dans ces conditions, lorsqu'une fourmi quitte une piste chimique et revient sur celle-ci après un certain temps, il lui est impossible de savoir dans quel sens elle se déplace, à moins que la piste chimique ne possède une polarité intrinsèque. Les pistes phéromonales divergent à partir du nid pour former un réseau sur lequel évoluent les fourmis. Des études menées chez M. pharaonis ont établi que l'angle séparant deux pistes divergentes au sein du réseau naturel 1

avait en moyenne une valeur de 60 [3] (Voir gure 1 - a). En allant chercher sa nourriture, une fourmi doit donc choisir entre deux chemins qui divergent chacune de 30 par rapport à sa direction d'origine (bifurcation symétrique). Au retour, une fourmi nourrie a le choix entre deux chemins : l'un orienté à 30 et l'autre à 120 par rapport à sa direction d'origine (bifurcation asymétrique). Jackson et al. [3] ont montré que les fourmis de l'espèce M. pharaonis sont capables de se réorienter correctement (selon leur état nutritionnel et leur direction de déplacement) en fonction du type de bifurcation rencontrée. M. pharaonis pourrait ainsi utiliser l'angle de bifurcation entre les pistes de phéromones comme un indice sur la polarisation du réseau. Au CRCA, une étude semblable a été réalisée avec la fourmi L. humile [2]. Cette étude a montré que, confrontée à une bifurcation asymétrique, une fourmi choisit deux fois sur trois la piste déviant de 30 de sa trajectoire. De plus, si elle choisit la piste déviant de 120, la probabilité qu'elle réalise un demi-tour augmente d'un facteur six. Ainsi, il semble que la fourmi L. humile ait une forte tendance à privilégier les directions de déplacement qui s'écartent peu de sa direction d'origine. Pour des fourmis revenant de la source de nourriture, le retour au nid serait alors favorisé par la structure même du réseau de pistes (gure1 - a). Les études précédemment citées se sont focalisées sur l'étude du comportement individuel des fourmis. Cependant, chez ces deux espèces, le fourragement est une activité collective, impliquant souvent une grande partie de la colonie. Jusqu'à présent aucune étude ne s'est intéressée à l'impact de la polarisation du réseau sur le résultat collectif de cette activité. Au cours de mon stage, j'ai donc étudié le comportement de colonies de fourmis L. humile dans des réseaux dits polarisés, dont les angles entre les pistes correspondent à ceux observés dans la nature, et des réseaux non polarisés, où toutes les bifurcations sont symétriques (Figure 1). En particulier, je me suis attachée à déterminer le rôle joué par la polarisation du réseau dans le choix par la colonie du chemin reliant le nid à une source de nourriture, parmi les nombreuses possibilités oertes par le réseau. J'ai notamment observé la longueur des routes choisies dans les deux situations, ainsi que l'intensité du trac supporté par les diérentes chemins possibles. J'ai également développé 2

un modèle informatique de type individu-centré du comportement individuel de fourragement de cette espèce à partir des travaux de Vittori et al. [5] et Gerbier [2]. Ce modèle permet de tester si les hypothèses faites sur le comportement individuel de L. humile permettent d'expliquer le comportement de fourragement de la colonie dans son ensemble. 2 Matériels et méthodes Le travail expérimental présenté a été réalisé au laboratoire par Nicolas Tirard en juillet-août 2006. Toutes les analyses statistiques et graphiques ont été menées à l'aide du logiciel R [4]. 2.1 Élevage Les fourmis utilisées appartiennent à l'espèce Linepithema humile. Elles ont été collectées à Port-Leucate (Aude), puis divisées pour les expériences en 15 colonies d'environ 500 ouvrières, sans reine ni couvain. Pendant toute la durée des expériences, les colonies sont élevées dans une même pièce expérimentale maintenue à 25 C selon une photopériode 12 : 12, maintenues à 500 individus, et conservées dans des nids articiels de plâtre humide ( = 10 cm) avec un accès à une zone extérieure de fourragement. Elles sont nourries 2 fois par semaine avec une nourriture solide à base d'oeufs, d'hydrates de carbone et de vitamines ainsi qu'avec quelques asticots de mouche domestique (Calliphora sp.). 2.2 Dispositif expérimental Les deux types de réseaux utilisés sont formés dans des plaques de PVC (31,5 18,0 cm) recouverts d'une plaque de plexiglas. Lors des expériences, ils sont entourés de draps blancs suspendus au plafond et éclairés par 4 lampes, an d'éviter que les fourmis n'utilisent des repères visuels pour s'orienter. Les galeries du réseau mesurent 0,5 cm de large. Un réseau se compose de 4 hexagones identiques assemblés, de 4,5 cm de côté, et possèdent 2 3

chambres circulaires dans lesquelles de la nourriture peut être placée. L'un des réseaux est polarisé, dans ce cas les angles entre les branches des hexagones mesurent 60 (Figure 1 - a). Cette valeur d'angle est proche de la valeur moyenne observée dans des réseaux naturels. L'autre réseau est symétrique, dans ce cas les angles entre les branches des hexagones mesurent 120 (Figure 1 - b). a) b) Fig. 1 Dispositifs utilisés. a) réseau polarisé. b) réseau non polarisé. Les colonies sont mises à jeûn pendant les 3 jours précédant l'expérience. Au début de chaque expérience, le récipient contenant la colonie est connecté au réseau par un pont de plastique. Pour chaque réseau, la nourriture est placée alternativement dans chacune des chambres circulaires. La chambre non utilisée est condamnée le temps de l'expérience. Les réseaux sont lavés à l'alcool entre 2 expériences pour éliminer toute trace de phéromone. 4

Tab. 1 Chemins utilisables par les fourmis pour se rendre de leur nid à la source de nourriture sans utiliser deux fois la même branche du réseau. Le code utilisé correspond à celui de la gure 1. N Chemin (nourriture en A) Chemin (nourriture en B) Longueur (cm) 1 1-2-3a 4-5-6a 27 2 1-10-8-11-3a 1-10-8-9-6a 27 3 4-7-8-11-3a 4-7-8-9-6a 27 4 4-5-9-11-3a 1-2-11-9-6a 36 5 4-7-10-2-3a 1-10-7-5-6a 36 6 4-5-6a-6b-3b 1-2-3a-3b-6b 36 7 4-7-8-9-6a-6b-3b 1-10-8-11-3a-3b-6b 36 8 1-10-8-9-6a-6b-3b 4-7-8-11-3a-3b-6b 36 9 1-2-11-9-6a-6b-3b 4-5-9-11-3a-3b-6b 45 10 1-10-7-5-6a-6b-3b 4-7-10-2-3a-3b-6b 45 11 1-10-7-5-9-11-3a 4-7-10-2-11-9-6a 45 12 4-5-9-8-10-2-3a 1-2-11-8-7-5-6a 54 13 4-7-10-2-11-9-6a-6b-3b 1-10-7-5-9-11-3a-3b-6b 54 14 1-2-11-8-7-5-6a-6b-3b 4-5-9-8-10-2-3a-3b-6b 63 Les expériences durent 60 minutes, pendant lesquelles le réseau est lmé en continu. 2.3 Analyse des données L'analyse ne porte que sur les 15 premières minutes de chaque expérience. En eet, on considère qu'après 10 minutes le système a atteint un état stationnaire. Chaque vidéo est traitée par un logiciel développé au laboratoire par Maud Combe qui permet d'extraire pour chaque image le nombre de pixels correspondant à des fourmis pour chacune des branches du réseau. Ce nombre de pixels est ensuite converti en nombre de fourmis. Puis, le nombre cumulé de fourmis passées sur chaque chemin (Tableau 1) est calculé en assimilant à chaque seconde le trac sur un chemin au trac sur son segment le moins emprunté. On s'intéresse ensuite dans chaque cas à la fréquentation globale du système et à la fréquentation des diérents chemins possibles, selon la longueur de ces chemins. 5

Tab. 2 Valeurs assignées aux paramètres utilisés dans le modèle. a : estimé d'après expériences par Vittori et al. [5]. b : mesuré d'après expériences par Gerbier [2]. c : mesuré d'après expériences par Vittori et al. [5]. d : Valeur arbitraire. Paramètres du modèle Valeurs F max Flux entrant de fourmis maximum 0,42 s -1 a F 0 Flux initial de fourmis 5.10-4 s -1 a τ F Constante de temps liée au taux de recrutement 127,4 s a k Choix Degré d'attractivité intrinsèque d'une branche du réseau 20 a n Coecient de non-linéarité du choix d'une branche 4 a k Quotient de préférence k_120 0,6 b pref k_30 retour Probabilité de demi-tour intrinsèque à une branche du réseau 0,1 b coe Quotient retour_120 retour_30 τ Temps moyen passé à la source de nourriture 179,9s c v moy Vitesse moyenne des fourmis 1,06 cm.s -1 c v SD Écart-type de la vitesse des fourmis 0,34 cm.s -1 c q Quantité de phéromone déposée pendant la recherche de nourriture 1 d Q Quantité de phéromone déposée lors du retour au nid 1 d 6 b 6

2.4 Modèle informatique Le modèle utilisé est une extension du modèle de Vittori et al. [5]. Les paramètres utilisés sont listés et expliqués dans le tableau 2. Il s'agit d'un modèle individu-centré qui reprend l'architecture des réseaux utilisés dans les expériences. A chaque pas de temps (1s par défaut), une fourmi peut entrer dans le réseau avec une probabilité : p = 1 + F max ( Fmax F 0 1 ) ( exp t ) τ F Lorsqu'une fourmi entre dans une branche, le temps nécessaire pour parcourir cette branche est calculé à partir d'une estimation de la vitesse de la fourmi, et enregistré pour être décrémenté à chaque pas de temps. À chaque intersection, une fourmi dépose une certaine quantité de phéromone (q si elle est à jeûn, Q si elle est nourrie) sur la branche qu'elle quitte et celle sur laquelle elle arrive. La durée de vie moyenne des pistes de phéromones est de 20 à 30 minutes, ce qui est assez long par rapport à la durée maximale des simulations (60 minutes) pour que l'on puisse négliger d'éventuels phénomènes d'évaporation. A chaque intersection, une fourmi peut choisir entre 2 branches. La probabilité de choix d'une branche est donnée par : p choix = (c a + k a ) n (c a + k a ) n + (c b + k b ) n où c i est la quantité de phéromone sur le segment i et k i =k Choix si le segment i fait un angle aigu avec le segment d'arrivée, k i =k pref k Choix sinon. On ajoute à ce modèle une probabilité p aigu = retour de faire demi-tour sur un segment à angle aigu avec le chemin d'arrivée, p obtus = retour coeff pour un angle obtus. 1000 simulations ont été réalisées pour chaque type de réseau. Le modèle a été implémenté en C++. Le nombre de fourmis dans chaque branche du réseau est évalué à chaque seconde, ce qui permet d'appliquer à ces données les mêmes analyses que celles utilisées pour caractériser les données expérimentales. 7

8 Fig. 2 Dynamique de fréquentation des réseaux au cours du temps. À gauche, les courbes expérimentales, à droite, les courbes obtenues pour les simulations. Pour chaque type de réseau, la courbe centrale représente la moyenne entre les diérentes expériences, la zone plus claire son intervalle de conance. La zone blanche entre les courbes correspond donc à l'intervalle pour lequel la fréquentation des deux réseaux est signicativement plus élevée dans le réseau non polarisé.

3 Résultats 3.1 Fréquentation globale du réseau Lors des expériences, le nombre de fourmis dans les réseaux évolue de la même manière pendant environ 400 secondes. Puis entre 400 et 800 secondes d'expériences, les fourmis sont plus nombreuses dans les réseaux non polarisés que dans les réseaux polarisés(figure 2). Un test de Mann-Whitney eectué sur le nombre cumulé de fourmis passées dans chaque réseau conrme que la fréquentation est signicativement inférieure dans le réseau polarisé ( W = 434232 ; p =1,762.10 07 ). Les simulations ne permettent pas de retrouver ce résultat. En eet, la dynamique du nombre de fourmis dans les réseaux est alors diérente, le régime stationnaire est plus long à s'établir (environ 1200 secondes au lieu de 300 à 500 secondes dans les expériences), et le nombre de fourmis dans le réseau est alors plus bas que celui observé expérimentalement. De plus, le réseau polarisé est légèrement plus fréquenté que le réseau non polarisé (test de Mann-whitney sur les nombres de fourmis cumulés ; W = 464576,5 ; p = 0,003042). 3.2 Fréquentation des chemins selon leur taille Dans les expériences, un chemin court (27 cm) est majoritairement choisi quelque soit le type de réseau. Mais une plus grande proportion de fourmis le choisissent dans les réseaux polarisés que dans les réseaux non polarisés (Figure 3). Une ANOVA à deux facteurs à mesures répétées révèle un eet signicatif de la longueur des chemins (F = 11,86 ; df = (4) ; p = 1,05.10-7 ) mais pas d'impact global du type de réseau considéré (F = 1,05 ; df = (1) ; p = 0.308426). Il révèle cependant une interaction signicative entre ces deux facteurs (F = 3,76 ; df = (4) ; p = 0,00731). Il semble donc que le type de réseau ait un impact sur la façon dont les fourmis exploitent les diérents chemins possibles. En particulier, l'utilisation des chemins courts semble plus marquée dans le réseau polarisé. Dans les simulations, les fourmis choisissent majoritairement un chemin 9

Fig. 3 Fréquentation des chemins selon leur taille. 10

court, mais ce choix est moins net que dans les expériences. Les chemins moyens (36 cm) sont aussi très choisis. En revanche, les chemins plus longs sont moins choisis que dans les expériences. De plus, on n'observe pas de diérence qualitative entre les choix de chemins dans les deux types de réseau. 4 Discussion L'analyse des résultats expérimentaux montre clairement que l'utilisation du réseau par les fourmis L. humile est dépendante de la nature des bifurcations qu'il contient. Si elle ne modie pas la capacité de la colonie à sélectionner l'un des chemins courts, la nature des bifurcations du réseau à néanmoins un eet sur l'intensité de cette sélection. Ainsi, la présence de bifurcations asymétriques lors du retour vers le nid entraîne un choix plus marqué pour les chemins courts que lorsque seules des bifurcations symétriques sont rencontrées par les fourmis. On peut expliquer cet eet à partir de ce que l'on connait du comportement individuel de cette fourmis [2]. Lorsqu'une fourmi rentrant vers le nid rencontre une bifurcation asymétrique, elle va préférentiellement choisir la branche qui dévie le moins de sa trajectoire originelle, c'est à dire la branche qui se dirige dans la direction du nid. Si cette fourmi, au contraire, emprunte l'autre branche, la probabilité qu'elle fasse demi-tour avant d'en atteindre l'extémité est très importante. Ces deux comportements individuels combinés conduisent à une concentration plus importante du trac sur la branche qui dévie le moins de la direction source-nid. Ce biais aux bifurcations asymétriques va être amplié par le mécanisme de recrutement de masse, expliquant la concentration plus importante de fourmis sur les chemins les plus courts dans les réseaux polarisés par rapport aux réseaux non polarisés. Cependant le modèle informatique utilisé et basé sur les mêmes comportements individuels que ceux cité précédemment ne parvient pas à reproduire ces résultats. La dynamique de fréquentation des réseaux est diérente, de même que le choix des chemins. On peut envisager plusieurs explications à ces diérences : Dans la simulation, l'entrée de fourmis dans le réseau est déterminée 11

par une fonction de type logistique dont les paramètres ont été estimés sur un réseau polarisé ([5], voir 2). Cette fonction simule une dynamique de recrutement. Cependant ses paramètres risquent de diérer selon le type de réseau. En eet, dans le réseau non polarisé, les fourmis concentrent moins leur trac sur les branches les plus courtes que dans le réseau polarisé. On peut donc raisonnablement supposer qu'elles parcourent plus de distance et donc passent plus de temps à l'intérieur du réseau non polarisé, ralentissant ainsi le recrutement de nouvelles ouvrières au nid. Ceci pourrait expliquer que l'on ne reproduise pas la dynamique observée à l'échelle des réseaux expérimentaux. Il faudrait donc réévaluer les paramètres de la fonction dans le cas du réseau non polarisé. Une autre solution serait d'utiliser un modèle de recrutement prenant en compte le nombre de fourmis ayant franchi le point d'entrée du réseau dans chaque direction (aller et retour), tel celui proposé dans Camazine et al. [1, chapitre 13, p. 241]. Enn, on ne connait pas la probabilité réelle qu'une fourmi fasse demitour sur le réseau non polarisé (elle n'a pas été mesurée expérimentalement). Par défaut cette probabilité a été supposée égale à celle observée à une bifurcation symétrique du réseau polarisé. Or la trajectoire d'une fourmi à une bifurcation du réseau non polarisé fait un angle de 60, contre 30 dans le réseau polarisé. Une première série de simulations dans laquelle on augmente la probabilité de demi-tour dans le réseau non polarisé a montré une augmentation du nombre de fourmis dans le réseau non polarisé par rapport au réseau polarisé. La probabilité de demi-tour dans les réseaux non polarisés a donc peut-être été sousévaluée, ce qu'il faudrait vérier expérimentalement. Le modèle implémenté reste perfectible, mais il a déjà permis de tester la plausibilité de certaines hypothèses, apportant ainsi une meilleure compréhension du système. De plus, il a permis de pointer certains points pour lesquels une approche expérimentale complémentaire serait particulièrement utile : caractérisation du recrutement dans les deux types de réseau, probabilité de demi-tour dans un réseau non polarisé. De son côté, l'analyse expérimentale a permis pour la première fois de mettre en évidence au ni- 12

veau de la colonie l'impact important de la structure du réseau de pistes sur le fourragement chez L. humile. Cette étude vient ainsi compléter les résultats déjà obtenus au niveau du comportement individuel par Jackson et al. [3] chez la fourmi M. pharaonis et par Gerbier [2] chez la fourmi L. humile. 13

Références bibliographiques [1] Camazine, S., Deneubourg, J.-L., Franks, N. R., Sneyd, J., Theraulaz, G., and Bonabeau, E. (2001). Self-organization in biological systems. Princeton University Press, Princeton, NJ, USA. [2] Gerbier, G. (2006). Orientation des fourmis d'argentine, linepithema humile, sur leurs pistes alimentaires. Master's thesis, Universite Paul Sabatier (Toulouse III). [3] Jackson, D. E., Holcombe, M., and Ratnieks, F. L. (2004). Trail geometry gives polarity to ant foraging networks. Nature, 432 :907909. in 'Letters to Nature'. [4] R Development Core Team (2006). R : A language and environment for statistical computing. R Foundation for Statistical Computing, Vienna, Austria. ISBN 3-900051-07-0. [5] Vittori, K.,, Talbot, G., Gautrais, J., Fourcassie, V., and Theraulaz, G. (2005). Path eciency of ant foraging trails in an articial network. Journal of theoretical biology, online :19. Mise en page L A TEX 14