Flux de gènes dans le complexe Beta vulgaris : diversité génétique comparée des betteraves mauvaises herbes et maritimes dans le Nord de la France

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Les Actes du BRG, 4 (2003) 369-379 BRG, 2003 Article original Flux de gènes dans le complexe Beta vulgaris : diversité génétique comparée des betteraves mauvaises herbes et maritimes dans le Nord de la France Joël CUGUEN (1)*, Maxime DELESCLUSE (1) & Frédérique VIARD (2) (1) Université Lille I, Génétique et évolution des populations végétales, Bât. SN2, 59655 Villeneuve-d'Ascq Cedex, France (2) Évolution et Génétique des Populations Marines, UMR CNRS 7127, Station Biologique de Roscoff, BP 74, 29682 Roscoff Cedex, France Abstract - Gene flow within the complex Beta: genetic diversity of weed and wild sea beets in northern France. Among the commonly listed risks associated with environmental release of genetically engineered cultivars is the hybridisation of transgenic plants with wild relatives. The beet complex is of particular interest as crop (Beta vulgaris ssp. vulgaris), wild (Beta vulgaris ssp. maritima) and weedy forms are all interfertile and can be found in parapatry and sympatry in Europe, hence heightening the likelihood of accidental hybridisation events. In Northern France, sugar beet fields can be found close to the coastline, together with the common wild sea beet populations. Nine wild populations and 12 weedy populations were sampled and examined for chloroplastic and nuclear variation using PCR-RFLP and microsatellite length variation. Most of weed populations were characterised by a unique haplotype, Svulg characteristic of cultivated lines. Although no clear diagnostic alleles were depicted using microsatellite markers, a clear genetic differentiation occurred between weed and wild forms. Furthermore, weed populations displayed a significant lower allelic diversity in addition to significant departures from Hardy-Weinberg expectations. This suggests either an introgression between genetically differentiated gene pool within the region of seed-production, or the presence of self-compatibility alleles commonly used in breeding programs. Altogether, our results seem to indicate a low level of gene exchanges between neighbouring populations of wild and weed beets. gene flow / genetic diversity / weeds/ microsatellites / mtdna Résumé - La diversité génétique de 9 populations maritimes de betteraves sauvages situées le long des côtes de la Manche et de 12 populations d individus mauvaises herbes récoltés à l intérieur de champs de production de betteraves sucrières a été étudiée à l'aide de marqueurs de l'adn chloroplastique et de microsatellites nucléaires. La plupart des populations de mauvaises herbes des champs présentent un * Correspondance et tirés à part : joel.cuguen@univ-lille1.fr 369

J. Cuguen et al. unique haplotype Svulg, caractéristique des betteraves cultivées sucrières, confirmant ainsi l origine maternelle cultivée des betteraves mauvaises herbes. En revanche, parmi les 9 populations maritimes échantillonnées, seules 2 populations renferment une faible fréquence d'individus présentant le type Svulg (3 et 4 % respectivement), ce qui suggère néanmoins la possibilité d'un rare apport de graines en provenance des champs. Concernant les marqueurs microsatellites, une nette différenciation se dessine entre les deux groupes en termes de distance génétique et de structure génotypique, ce qui suggère un isolement reproducteur des deux compartiments. Les populations de mauvaises herbes présentent en outre une plus faible diversité allélique ainsi qu'un déficit en hétérozygotes systématique, suggérant un mélange de pools génétiques différenciés lors de la contamination des lots de semences et/ou la présence d'allèles d'auto-compatibilité originaires des formes cultivées. En conclusion, nos résultats suggèrent des flux géniques limités entre les formes mauvaises herbes et maritimes. flux de gènes / diversité génétique / mauvaises herbes / microsatellites / mtdna 1. INTRODUCTION Le potentiel d'amélioration génétique des plantes cultivées est largement conditionné par le maintien et l'évolution de la diversité génétique des apparentées sauvages. Or, de nombreux cas d hybridation entre les compartiments cultivés et sauvages au sein d une espèce ou d un complexe d espèces ont été répertoriés à ce jour [revue dans 7]. Ces échanges sont notamment fonction de l intensité du flux de gènes entre les plantes cultivées et leurs apparentées sauvages mais aussi des types de croisements menant à ces introgressions, les mauvaises herbes cospécifiques jouant dans ce contexte un rôle pivot pour la diffusion de transgènes [8], [15]. Le complexe Beta vulgaris représente un excellent modèle d'étude pour analyser les effets de ces introgressions entre compartiments cultivés et sauvages car, au sein de la même espèce, coexistent différentes formes inter-fertiles. Ainsi, dans le nord de la France, trois formes sont présentes : la betterave sucrière (B. v. vulgaris), la forme sauvage littorale (B. v. maritima) et des betteraves mauvaises herbes présentes dans les champs de production de betterave sucrière [1], [4]. Sur la base de marqueurs cytoplasmiques mitochondriaux à hérédité maternelle, une hybridation entre les compartiments sauvage rudéral et cultivé a été mise en évidence dans les zones de production des semences du Sud- Ouest de la France [2], [4]. Au sein de l agrosystème, la comparaison de traits d histoire de vie entre des betteraves mauvaises herbes dans le rang de culture et hors du rang dans des champs de betteraves sucrières a mis en évidence une perte rapide du syndrome de domestication [3]. Les mauvaises herbes de première génération sont issues d un croisement entre individus 370

Flux de gènes dans le complexe Beta vulgaris cultivés (composante maternelle) et sauvages (composante paternelle) dans les zones de multiplication de semences. Les individus de seconde génération et suivantes, au sein des champs de culture, sont le résultat de croisements variés pouvant potentiellement impliquer des individus de populations sauvages avoisinantes dans les situations de contact [5], [17]. La connaissance de la constitution génétique des mauvaises herbes et l'évaluation des flux géniques avec les populations sauvages devrait permettre d évaluer les risques liés à l utilisation de transgènes selon le mode d incorporation de ces gènes [5], [14]. Cette étude a donc pour but : i) d'évaluer la diversité génétique nucléaire et cytoplasmique des populations littorales et mauvaises herbes dans les zones de contact, ii) de rechercher l existence de flux de gènes par les voies de dispersions maternelle et paternelle entre les populations cultivées et leurs apparentés sauvages. 2. MATÉRIEL ET MÉTHODES 2.1. Échantillonnage Un échantillonnage de 9 populations naturelles situées le long des côtes de la Manche a été réalisé. Cet échantillonnage a pris en compte l'ensemble des populations littorales connues, depuis la baie de Somme jusqu'au Cap Gris-Nez. Parallèlement à cet échantillonnage, une collecte de 12 populations de betteraves mauvaises herbes a été réalisée au sein des champs de production de betteraves sucrières, le plus près possible des populations littorales précédentes (tableau I). Les champs échantillonnés sont situés dans une bande côtière inférieure à 25 km de large, le long du littoral de la mer du Nord (figure 1). Dans chaque population, 30 individus au minimum ont été échantillonnés, avec au total 495 individus mauvaises herbes et 309 individus sauvages. Pour chaque individu, quelques feuilles ont été récoltées, séchées puis conservées dans des boîtes hermétiques contenant du gel de silice jusqu'à l'extraction de l'adn. 2.2. Extraction et amplification de l ADN Un fragment de 10 mg de feuilles séchées est finement broyé avec une bille de tungstène par agitation dans un broyeur (Mixer Mill MM300). L ADN génomique total est ensuite extrait à l aide du kit d extraction DNeasy 96 de Qiagen. 371

J. Cuguen et al. Tableau I : Caractéristiques des 21 populations échantillonnées. Taille de l'échantillon (N), richesse allélique (Ar), hétérozygoties observées (Ho) et attendues sous l hypothèse de panmixie (He, diversité génétique) et déficit en hétérozygotes F IS. W : population appartenant au compartiment «mauvaise herbe» ; S : populations appartenant au compartiment «sauvage maritime». Nom Localisation Latitude Longitude N Ar Ho He FIS Mauvaises Herbes Sauvages maritimes Gîte Cap Gris-nez N 50 51,0 E 1 35,2 39 5,12 0,44 0,56 0,209 Gn Falaise Gris-nez N 50 50,4 E 1 35,2 40 3,84 0,47 0,53 0,126 Baz Bazinghem N 50 47,3 E 1 38,6 40 4,94 0,53 0,58 0,084 Wim Wimille N 50 45,9 E 1 38,3 40 5,49 0,39 0,62 0,371 Lef Lefaux N 50 34,3 E 1 38,8 39 5,96 0,52 0,60 0,131 Mar Maresville N 50 31,3 E 1 42,6 42 5,63 0,42 0,61 0,320 Vil Villiers N 50 29,7 E 1 39,0 39 6,12 0,47 0,62 0,234 The Tigny N 50 21,0 E 1 41,7 42 4,51 0,42 0,54 0,216 Mur Le Muret N 50 20,0 E 1 39,0 40 6,22 0,48 0,65 0,276 Rue Le Champ Neuf N 50 15,8 E 1 37,0 41 4,62 0,41 0,52 0,225 Hour Le Hourdel N 50 11,2 E 1 33,2 40 6,09 0,49 0,58 0,170 Ault Hable d'ault N 50 09,6 E 1 29,6 52 4,89 0,41 0,55 0,263 Moyenne 5,28 0,45 0,58 0,222 Aud Audresselles N 50 49,4' E 1 35,4' 30 7,27 0,54 0,61 0,104 Slack Ambleteuse N 50 48,5' E 1 36,4' 37 6,65 0,57 0,63 0,095 Wim Wimereux N 50 46,1' E 1 36,6' 38 7,18 0,61 0,61-0,006 Can Etaples N 50 30,9' E 1 38,4' 39 6,99 0,56 0,64 0,124 Aut La Madelon N 50 22,3' E 1 37,6' 33 5,12 0,53 0,56 0,064 Maye Maye N 50 15,7' E 1 37,2' 36 5,79 0,52 0,56 0,074 NoyCro Noyelles Crotoy N 50 12,8' E 1 40,1' 34 5,79 0,50 0,55 0,088 Hour Le Hourdel N 50 12,9' E 1 33,9' 27 4,86 0,50 0,48-0,052 Ault Ault N 50 06,4' E 1 27,2' 35 5,93 0,54 0,64 0,164 Moyenne 6,18 0,54 0,59 0,079 372

Flux de gènes dans le complexe Beta vulgaris Littorales Mauvaises herbes Gn Aud Slack Wim Gite Baz Wimille Lef Can Mar Vil Auth Maye NoyCro The Mur Rue Hour Ault Hour Ault Figure 1. Localisation géographique des populations échantillonnées. La stérilité mâle appelée couramment CMS Owen est universellement utilisée dans les programmes d amélioration et d obtention de variétés de betteraves sucrières. A ce titre, le type cytoplasmique Owen est un excellent marqueur diagnostique des formes sucrières cultivées et de la dispersion de leurs graines [2]. Ran & Michaelis [13] ont défini les amorces spécifiques encadrant la région contenant un site de restriction HindIII spécifique de l ADN chloroplastique de la CMS Owen. La technique de PCR-RFLP (amplification suivie d une digestion enzymatique) permet de visualiser facilement et rapidement la présence/absence du site de restriction HindIII sur le chloroplaste et donc l appartenance au type cytoplasmique cultivé CMS Owen. Environ 25 ng d ADN natif sont amplifiés dans un volume final de 15 µl avec 3,5 mm de MgCl2, 200 µm de chaque nucléotide, 2 pmoles d amorces forward et reverse et 0,5 unités de Taq polymérase standard (Perkin Elmer ). 32 cycles avec une température d appariement de 43 C sont effectués dans un thermocycleur Perkin Elmer GeneAmp PCR System 9 700. Cinq µl des produits de cette amplification sont digérés pendant une nuit à 37 C par HindIII (5U par échantillon). Les fragments de restriction sont ensuite séparés par électrophorèse sur gel d agarose (1,5 %) contenant du bromure d éthidium pendant une heure à 80 V et visualisés sur table UV. L étude du polymorphisme nucléaire est menée à l aide de 7 locus microsatellites mis au point par le laboratoire [11], [17]. Les amplifications PCR sont réalisées dans un thermocycleur Perkin Elmer GeneAmp PCR Sys- 373

J. Cuguen et al. tem 9 700 selon les conditions suivantes : 25 ng d ADN total, 0,5 unités de Taq polymérase standard (Perkin Elmer ), 1,5 mm de MgCl 2, 200 µm de chaque nucléotide, 2 pmoles d amorces forward et reverse pour un volume final de 15 µl. Une des deux amorces est marquée avec un marqueur infrarouge (IRD41). Les différents niveaux alléliques sont détectés par électrophorèse sur un séquenceur automatique (LiCor 4200L). La taille des différents allèles est d abord déterminée grâce à une séquence PUC19 puis des témoins sont élaborés par un mélange d amplifiats d allèles d individus dont le génotype est connu [11], [17]. 2.3. Analyses statistiques Les différents paramètres génétiques ont été calculés au moyen du logiciel FSTAT ver. 2.93 [9]. La richesse allélique a été estimée suivant la méthode de raréfaction de El Mousadik et Petit [6]. Les indices de diversité Ho et He ont été estimés selon Nei [12]. Les indices F IS, décrivant l écart à la panmixie à l échelle intra-populationnelle, et F ST, décrivant la différenciation allélique entre les populations, ont été estimés selon la procédure définie par Weir & Cockerham [18]. Une matrice des indices de différenciation (F ST) calculés entre paires de populations a été réalisée. La signification statistique des différents estimateurs a été testée par 1 000 permutations. Les comparaisons multiples de F ST ont fait l'objet d'une correction de Bonferroni. Un arbre de distances génétiques de Reynolds [16], non enraciné a été construit en utilisant la méthode du «neighbour-joining». La robustesse des nœuds a été estimée par bootstrap (1 000). Ne figurent sur l'arbre que les valeurs de bootstrap > 50. 3. RÉSULTATS & DISCUSSION Les populations maritimes et mauvaises herbes présentent des diversités cytoplasmiques très contrastées : près de quatre vingt dix pour cent des mauvaises herbes des champs présentent l'haplotype Svulg, caractéristique du cytoplasme CMS Owen des betteraves cultivées sucrières, confirmant ainsi l origine maternelle majoritairement cultivée des betteraves mauvaises herbes (figure 2). Néanmoins, certaines populations de mauvaises herbes présentent des proportions importantes de cytoplasmes non-cms : les populations Gris-Nez - Gîte, Maresville et Ault présentent respectivement 87 %, 19 % et 15 % d individus caractérisés par un cytoplasme différent de l'haplotype cytoplasmique Svulg. Les populations Gris-Nez - Gîte et Ault ont la particularité d être parmi les plus proches du littoral (quelques centaines de mètres). Les mauvaises herbes échantillonnées sur ces sites pourraient résulter d'un mélange avec une banque de graines d'origine maritime provenant d'anciennes populations naturelles de betteraves littorales [14]. Même s'il n y a pas actuellement de population sauvage identifiée à proximité im- 374

Flux de gènes dans le complexe Beta vulgaris médiate du champ, les conditions écologiques générales (proximité immédiate de la mer) sont favorables à la possibilité d une existence passée de telles populations et la persistance de graines dans le sol du champ. En revanche, la population de Maresville est située à 6 km du littoral, sur les contreforts de l'artois et il est peu vraisemblable que des populations maritimes aient pu s'y développer antérieurement. L'analyse détaillée des haplotypes non-cms de ces différentes populations devrait permettre d'apporter des précisions sur la diversité des origines de ces populations de mauvaises herbes. Parmi les neuf populations maritimes échantillonnées, seules deux populations renferment une faible fréquence d'individus présentant le type mitochondrial Svulg (3 % et 4 % respectivement dans les populations Authie et Ault), ce qui suggère néanmoins un apport de graines en provenance des champs. Cytoplasme Svulg Cytoplasme Non Svulg Figure 2 : Polymorphisme cytoplasmique des populations sauvages littorales et «mauvaises herbes». La structuration de la diversité génétique nucléaire des compartiments maritimes et mauvaises herbes est moins contrastée, mais reste hautement significative. La richesse allélique moyenne des populations est élevée. On remarque néanmoins que la richesse allélique des populations de mauvaises herbes est significativement plus faible que celle des populations maritimes (tableau I, P < 0,05), mais sans conséquence sur la diversité allélique He (P > 0,05). La différenciation génétique entre les populations est modérée et équivalente au sein de chaque compartiment (F ST = 0,063 et 0,062 respectivement pour les populations maritimes et mauvaises herbes, P < 0,001 dans 375

J. Cuguen et al. les deux cas). La matrice des F ST par paires de populations montre une forte variation des estimateurs, systématiquement significativement positifs à une exception près (tableau II). Ce résultat souligne la puissance de détection des marqueurs microsatellites. Une différenciation génétique hautement significative se dessine entre les compartiments (F ST = 0,112, P < 0,001). Cette séparation se traduit par l'existence de deux groupes de populations complètement distincts sur l'arbre des distances génétiques (figure 3). La relative faiblesse des valeurs de bootstrap au sein de l'arbre en comparaison des valeurs hautement significatives de la matrice des F ST a vraisemblablement pour origine la très faible structuration géographique des populations au sein des deux compartiments. Wim Compartiment sauvage littoral NoyCro Hour 75 53 Can 57 Ault Gn Gite Wim 71 65 Mar Lef Hour Mur Vil 58 Baz Rue The Ault Slack Aut Maye Aud Compartiment «mauvaise herbe» Figure 3 : Différenciation génétique des populations pour les 7 marqueurs microsatellites. Arbre de Neighbour-Joining fondé sur la distance de Reynolds (1983). Seules figurent les valeurs de bootstrap supérieures à 50. La structure génotypique diffère fortement ente les compartiments : les populations littorales ne sont guère éloignées de la panmixie (F IS moyen = 0,079 ; P > 0,05), alors que des déficits en hétérozygotes significatifs sont détectés quasi systématiquement dans les populations de mauvaises herbes (F IS moyen = 0,222 ; P < 0,01). 376

Flux de gènes dans le complexe Beta vulgaris Tableau II: Matrice des indices de différenciation (FST) calculés entre paires de populations selon la méthode de Weir & Cockerham (1984) en dessous de la diagonale. La signification de chaque estimateur a été testée par 1 000 permutations et est indiquée au dessus de la diagonale : * P < 0,05 ; *** P < 0,001 après correction de Bonferroni. Aud Slack Wim Can Aut Maye NoyCro Hourd Ault Aud -- *** *** *** *** *** *** *** *** *** *** *** *** *** *** *** *** *** *** *** *** Slack 0,05 -- *** *** *** *** *** *** *** *** *** *** *** *** *** *** *** *** *** *** *** Wim 0,05 0,02 -- *** *** *** *** *** *** *** *** *** *** *** *** *** *** *** *** *** *** Can 0,04 0,01 0,05 -- *** *** *** *** *** *** *** *** *** *** *** *** *** *** *** *** *** Aut 0,04 0,03 0,04 0,04 -- *** *** *** *** *** *** *** *** *** *** *** *** *** *** *** *** Maye 0,04 0,06 0,08 0,04 0,05 -- *** *** *** *** *** *** *** *** *** *** *** *** *** *** *** NoyCro 0,11 0,07 0,12 0,06 0,09 0,06 -- *** *** *** *** *** *** *** *** *** *** *** *** *** *** Hourd 0,09 0,11 0,13 0,09 0,10 0,04 0,06 -- *** *** *** *** *** *** *** *** *** *** *** *** *** Ault 0,04 0,06 0,08 0,05 0,08 0,04 0,11 0,11 -- *** *** *** *** *** *** *** *** *** *** *** *** Gn 0,17 0,19 0,20 0,16 0,22 0,18 0,24 0,29 0,12 -- *** *** *** *** *** *** *** *** *** *** *** Gite 0,10 0,16 0,18 0,12 0,16 0,12 0,19 0,21 0,09 0,07 -- *** *** *** *** *** *** *** *** *** *** Baz 0,15 0,18 0,21 0,14 0,21 0,16 0,21 0,25 0,08 0,11 0,09 -- *** *** *** *** *** *** *** *** *** Wim 0,11 0,13 0,17 0,10 0,15 0,12 0,17 0,21 0,07 0,13 0,09 0,02 -- *** *** *** *** *** *** *** *** Vil 0,08 0,12 0,15 0,08 0,13 0,10 0,16 0,18 0,08 0,11 0,05 0,06 0,04 -- *** NS *** *** *** *** *** Mar 0,10 0,13 0,16 0,09 0,15 0,11 0,16 0,20 0,07 0,04 0,03 0,04 0,04 0,03 -- * *** *** *** *** *** Lef 0,10 0,14 0,17 0,10 0,16 0,11 0,17 0,20 0,06 0,07 0,03 0,03 0,03 0,02 0,01 -- *** *** *** *** *** The 0,21 0,22 0,27 0,19 0,26 0,22 0,27 0,33 0,14 0,10 0,10 0,08 0,09 0,10 0,07 0,07 -- *** *** *** *** Mur 0,08 0,11 0,13 0,08 0,12 0,09 0,14 0,19 0,06 0,06 0,05 0,07 0,06 0,06 0,03 0,04 0,08 -- *** *** *** Rue 0,17 0,19 0,22 0,15 0,21 0,15 0,22 0,27 0,10 0,09 0,10 0,06 0,07 0,10 0,05 0,06 0,09 0,06 -- *** *** Hour 0,14 0,16 0,21 0,13 0,17 0,14 0,20 0,24 0,09 0,10 0,08 0,06 0,05 0,06 0,02 0,05 0,07 0,04 0,03 -- *** Ault 0,18 0,19 0,24 0,15 0,22 0,17 0,24 0,27 0,11 0,11 0,08 0,06 0,07 0,07 0,04 0,05 0,05 0,06 0,06 0,03 -- Gn Gite Baz Wim Vil Mar Lef The Mur Rue Hour Ault 377

J. Cuguen et al. Ces déficits en hétérozygotes peuvent être la conséquence d'une hétérogénéité de la banque de semences des mauvaises herbes dans les champs suggérant un mélange de pools génétiques différents lors de la contamination des lots de semence et/ou le reflet de la présence d'allèles d'autocompatibilité utilisés au sein des géniteurs des variétés cultivées et diffusés dans les mauvaises herbes [10], [14], [17]. Une analyse détaillée de la structure génétique des populations de mauvaises herbes, couplée à une analyse du système de reproduction permettra de quantifier les parts respectives de ces deux phénomènes. L'ensemble des résultats obtenus dans cette étude montre qu'une différenciation génétique significative existe entre les compartiments sauvages maritimes et mauvaises herbes, malgré leur proximité génétique et géographique. Cependant, de rares évènements de migration vers les populations littorales sont néanmoins détectés par la présence du cytoplasme Svulg. Le maintien de l'isolement reproducteur entre les compartiments mauvaises herbes et maritimes est vraisemblablement dû à un décalage des périodes de floraison entre les populations littorales (juin) et les populations de mauvaises herbes (juillet) [14], [15]. Une analyse fine de la phénologie de floraison est donc nécessaire afin d'identifier les situations géographiques favorables et les moments clefs pour la diffusion des gènes via le pollen entre les compartiments. Une situation de contact étroit a été identifiée le long de la rivière de Wimereux. Suite à des travaux d'aménagement qui ont remis en surface des graines provenant de la banque de semences du sol, des individus de type «mauvaises herbes» ont été mis en contact avec une population sauvage littorale. L'analyse de cette situation permettra de préciser les possibilités de flux de gènes lors d'une rencontre entre les compartiments. REMERCIEMENTS Cette étude a été réalisée avec le soutien financier du BRG. Maxime Delescluse a bénéficié d'une allocation de recherche cofinancée par l'inra GAP et le Conseil Général de la Région Nord-Pas-de-Calais. RÉFÉRENCES [1] Bartsch D., Lehnen M., Clegg J., Pohl-Orf M., Schuphan I., Ellstrand N. C., Impact of gene flow from cultivated beet on genetic diversity of wild sea beet populations, Mol. Ecol. 8 (1999) 1733-1741. [2] Boudry P., Mörchen M., Saumitou-Laprade P., Vernet P., Van Dijk H., The origin and evolution of weed beets: consequences for the breeding and release of herbicide resistant transgenic sugar beets, Theor. Appl. Genet. 87 (1993) 471-478. 378

Flux de gènes dans le complexe Beta vulgaris [3] Desplanque B., Betteraves mauvaises herbes et rudérales: diversité génétique, traits d'histoire de vie et flux de gènes au sein du complexe d'espèces cultivéessauvages Beta vulgaris ssp., Thèse de doctorat, Université de Lille 1, 1999, 70 p. [4] Desplanque B., Boudry P., Broomberg K., Saumitou-Laprade P., Cuguen J., Van Dijk H., Genetic diversity and gene flow between wild, cultivated and weedy forms of Beta vulgaris L. (Chenopodiaceae), assessed by RFLP and microsatellite markers, Theor. Appl. Genet. 98 (1999) 1194-1201. [5] Desplanque B., Hautekèete N.-C., Van Dijk H., Transgenic weed beets: possible, probable, avoidable? J. Appl. Ecol. 39 (2002) 561-571. [6] El Mousadik A., Petit R. J., High level of genetic differentiation for allelic richness among population of the argan tree [Argania spinosa (L.) Skeels] endemic to Morocco, Theor. Appl. Genet. 92 (1996) 832-839. [7] Ellstrand N. C., Prentice H. C., Hancock J. F., Gene flow and introgression from domesticated plants into their wild relatives, Ann. Rev. Ecol. Syst. 30 (1999) 539-563. [8] Ellstrand N. C., Schierenbeck K. A., Hybridization as a stimulus for the evolution of invasiveness in plants? Proc. Natl. Acad. Sci. USA 97 (2000) 7043-7050. [9] Goudet J., FSTAT (Version 1.2). A computer program to calculate F-Statistics. J. Hered. 86 (1995) 485-486. [10] Mackay I. J., Gibson J. P., Caligari P. D. S., The genetics of selfing with concurrent backcrossing in breeding hybrid sugar beet (Beta vulgaris altissima L.), Theor. Appl. Genet. 98 (1999) 1156-1162. [11] Mörchen M., Cuguen J., Michaelis G., Hanni C., Saumitou-Laprade P., Abundance and lenght polymorphism of microsatellite repeats in Beta vulgaris L., Theor. Appl. Genet. 92 (1996) 326-333. [12] Nei M., Molecular Evolutionary Genetics, Columbia University Press, New York, 1987. [13] Ran Z., Michaelis G., Mapping of a chloroplast RFLP marker associated with the CMS cytoplasm of sugar beet (Beta vulgaris), Theor. Appl. Genet. 91 (1995) 836-840. [14] Raybould A. F., Transgenes and agriculture - going with the flow? Trends Plant Sci. 4 (1999) 247-248. [15] Raybould A. F., Gray A. J., Will hybrids of genetically modified crops invade natural communities? Trends Ecol. Evol. 9 (1994) 85-89. [16] Reynolds J., Weir B. S., Cockerham C. C., Estimation of the coancestry coefficient: basis for a short-term genetic distance, Genetics 105 (1983) 767-779. [17] Viard F., Bernard J., Desplanque B., Crop-weed interactions in the Beta vulgaris complex at a local scale: allelic diversity and gene flow within sugar beet fields, Theor. Appl. Genet. 104 (2002) 688-697. [18] Weir B. S., Cockerham C. C., Estimating F-Statistics for the analysis of population structure, Evolution 38 (1984) 1358-1370. 379