FAIRE EXPOSITION DE LA RECHERCHE

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Transcription:

2008 FAIRE EXPOSITION DE LA RECHERCHE Michèle Thériault Tiré de Documentary Protocols (1967-1975) / Protocoles documentaires (1967-1975). Sous la direction de Vincent Bonin avec la collaboration de Michèle Thériault. Montréal : Galerie Leonard & Bina Ellen, 2010. Publié conjointement avec l exposition Protocoles Documentaires I et Protocoles Documentaires II. Vue de la Salle A. de l exposition Protocoles Documentaires II, galerie LBE, Université Concordia. Photo Paul Litherland Protocoles documentaires (1967-1975) est le troisième volet d un important projet qui s est étalé sur trois ans et qui comportait aussi deux expositions (Protocoles documentaires I et Protocoles documentaires II) présentées à la Galerie en 2007 et 2008. Ce vaste projet historique, proposé et réalisé par Vincent Bonin à l invitation de la Galerie, s articule à plusieurs niveaux. Il est une

tentative de saisir et de décrire l imbrication d un contexte et d un passage, à savoir celui de l essor du paradigme autogestionnaire dans le champ de l art au Canada à partir du milieu des années 1960; celui de la transformation de l artiste en gestionnaire dans ses rapports avec la structure gouvernementale et les programmes sociaux d appui mis sur pied à l époque; et celui d une rupture au milieu des années 1970 entre différents partis pris esthétiques et visées politiques. En outre, il tire profit du contenu de divers fonds d archives dans une tentative, en parallèle, de mise en récit à travers les documents attestant des faits et des gestes qui ont façonné ce contexte et ce passage. Finalement, à travers ses étapes de réalisation, il énonce une économie du document d archives dans ses passages plus ou moins difficiles d un «domicile» à l autre. La publication Protocoles documentaires (1967-1975), voire l ensemble du projet auquelle elle se rattache, constitue un objet d autocritique (autocritique en ce sens que la critique entraîne un questionnement non seulement des formes et des contextes existants, mais problématise aussi l objet même qui donne lieu à l autocritique) pour la Galerie, quant au travail de commissariat et de recherche, et sa diffusion dans le cadre de l exposition et d un ouvrage imprimé. Elle a fait éclore, à toutes les étapes, une réflexion sur leur définition, les modalités qui les animent et leur portée. On ne peut, dans cette introduction, correctement approfondir les enjeux extrêmement pertinents à la visée intellectuelle de la Galerie dans ce que constitue pour celle-ci un projet de recherche et sa mise en forme matérielle soulevés par cette entreprise. Ceux-ci, nous espérons, feront l objet d une réflexion poussée à un autre moment. Par ailleurs, nous pouvons, ici même, lancer des pistes liés à ces deux axes : la recherche et sa mise en forme matérielle et publique. Il nous faut d abord préciser que cet ouvrage et les expositions qui composent Protocoles documentaires s inscrivent dans la foulée d une

préoccupation pour le document et les archives, ou plutôt d une certaine récupération de ces corpus par l appareil institutionnel de l art contemporain. Les enjeux de cette préoccupation sont abordés, entre autres, dans l essai de Vincent Bonin en rapport à une série de mise en exposition importante de documents d archives au cours des dix dernières années. On ajouterait à son analyse, sans doute, l infatigable machine de marchandisation et de production de capital qui est à l œuvre ici, mais le phénomène est complexe ; s y croisent une pulsion historiciste et une accessibilité accrue dans le traitement croissant de l information en banque de données. Un débat autour du statut du document d archives accompagne sa nouvelle inscription dans l espace de l art actuel quant au «remaniement» que son nouveau statut en tant qu objet d art, entre autres, occasionne dans les renseignements qu il comporte, le savoir auquel il participe et sa filiation dans les divers contextes auxquels il appartient et a été lié. D emblée, ce projet se détache des autres, car il ne traite pas du document dans l optique des pratiques actuelles mais l utilise plutôt comme substance pour mettre en récit une temporalité culturelle, voire politique, au Canada en faisant apparaître une transformation culturelle, une manière d être et de faire. Par ailleurs, c est dans son accumulation, presque excessive mais jamais aléatoire, dans un espace, celui de l exposition et du livre, que la complexité de cet état des choses peut avoir libre cours et, dans la coexistence de ses diverses constellations, en arriver à une intelligibilité. Un autre aspect singulier de ce projet réside dans la construction soigneuse d une conjoncture historique, dans la lecture méticuleuse et transversale de documents administratifs ou en périphérie de l acte artistique, somme toute d un ensemble d informations laissés-pour-compte. Bien qu ils soient reproduits dans cet ouvrage et mis sous vitrine dans les expositions, les modes de mise en pages et d exposition résistent à une valorisation artistique du document. Situation paradoxale cependant car Protocoles documentaires a pu voir le jour grâce à la collaboration d une institution se consacrant à l examen et à la

mise en exposition de l art actuel. Et c est justement dans cette contradiction productive qu une réflexion problématisée sur la recherche, le commissariat et l exposition s avère fructueuse pour une galerie qui s inscrit dans un cadre universitaire de production du savoir et de son examen. Abordons maintenant ces pistes qui se sont ouvertes à nous selon les axes mentionnés ci-haut. Protocoles documentaires a occasionné une activité intense et laborieuse de recherche étalée sur deux ans. Dix fonds d archives conservés dans diverses institutions au Canada ont été consultés. Parce qu elle s élaborait à partir de documents surtout administratifs tirés de ces fonds, cette recherche a soulevé la question de ce qui constitue matière à exposition pour la Galerie; quels sont les paramètres d une exposition d art contemporain? Cette recherche est devenue exposition et ensuite ouvrage. Dans une conjoncture où la création artistique est maintenant devenue recherche, que signifie l acte de recherche tel qu il est a été élaboré et mis en œuvre dans Protocoles documentaires? Comment le définir par rapport à celui qui semble être partie prenante de toute pratique artistique aujourd hui? Par ailleurs le processus de mise en forme publique de la recherche, à savoir les deux expositions et l ouvrage, s est avéré complexe, car l usage de photocopies dans l exposition, par exemple, ou de simples numérisations dans la publication, a forcé les institutions qui possèdent ces fonds, à gérer des requêtes non conventionnelles d usage de leur corpus. En somme ce fut une consultation ouverte mais une monstration difficile. Quel statut un centre d art contemporain occupe-t-il par rapport à ces propriétaires d archives? Comment les archives s inscrivent-elles dans la recherche et la diffusion qui relèvent d un débat d ordre critique dans l art contemporain et qui remet en question l appareil archivistique? Ce projet, fruit d une recherche approfondie, dans sa forme publique soit les deux expositions et la publication, est toujours demeuré recherche. C est dire que dans son passage à la présentation publique tout a été mis en œuvre pour entraver une transformation des «témoins» en illustration et l analyse, en

exégèse. Dans le montage des expositions et à la réalisation de l ouvrage, la question s est incessament posée et est demeurée ouverte : Comment faire exposition de la recherche? Comment entraîner le visiteur et le lecteur dans un mode dont l économie est celle de la recherche? Certaines stratégies ont été adoptées telles que de présenter une masse critique de documents un excès comme équilibre, dans une suite de vitrines et dans des cartables posés sur des tablettes au mur pour, bien sûr, communiquer l essor de cette mouvance administrative qui prenait forme et de ses retombées, mais aussi pour faire participer le visiteur à l activité soutenue et répétée de la consultation des archives (re-cherche : chercher à nouveau et encore). Par ailleurs, comment éviter la reconstruction nostalgique d une époque, l anachronisme qui est l apanage des expositions historiques? Peut-être en privilégiant le document comme véhicule d information et en exigeant du visiteur qu il soit avant tout lecteur de contenu? Dans cet ouvrage de plus de quatre cents pages, cette masse critique y est aussi présente, et les six études de cas nous plongent elles aussi dans des analyses des traitements de l information profondes qui forment des constellations irrégulières et auxquelles d autres pourraient se joindre. Protocoles documentaires possède la caractéristique d ouvrir d innombrables autres pistes d analyse et c est justement ce vers quoi tend un programme d expositions qui se veut critique. Enfin, qu en est-il du document et de son statut dans sa forme «exposée»? Véhicule d information, sûrement; mais ne fait-il pas nécessairement l objet d un surcroît de valeur et est-il possible pour une institution de contourner un telle valorisation? Ce désir du concepteur du projet que son initiative se manifeste sous la forme d une exposition «contemporaine» et qu elle se poursuive dans une publication nous a aussi fait réfléchir sur le travail curatorial comme cadre pour de nouvelles stratégies de recherche et de mise en valeur des actes qu elle suscite. Que gagne la réflexion «documentaire» dans son déploiement dans l espace d exposition et que gagne l espace d art contemporain en se prêtant à

un tel exercice? On ose espérer que le savoir qui circule ainsi d un lieu à l autre et que sa nouvelle mise en forme initient un débat sur l économie du savoir dans une société où le savoir est devenu marchandise.