Blocage continu de l angiogenèse dans le cancer colorectal métastatique : bénéfices et nouvelles stratégies thérapeutiques

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Synthèse J Pharm Clin 212 ; 31 (4) : 213-23 Blocage continu de l angiogenèse dans le cancer colorectal métastatique : bénéfices et nouvelles stratégies thérapeutiques Continuous angiogenesis blockade in metastatic colorectal cancer: benefits and new therapeutic strategies Vincent Launay-Vacher 1, Olivier Bouché 2, Catherine Rioufol 3, Jean-Baptiste Rey 4 1 Service Icar, Groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, Paris, France <vincent.launay-vacher@psl.aphp.fr> 2 Service d hépato-gastroentérologie et d oncologie digestive, Unité de médecine ambulaire-cancérologie-hématologie (UMA-CH), CHU Robert Debré, Reims, France 3 Unité de pharmacie clinique oncologique, Groupement hospitalier Sud, Hospices civils de Lyon - Université Claude Bernard Lyon 1, UFR Lyon Sud, EMR 3738, France 4 Département de pharmacie, Institut Jean Godinot, Reims, France Résumé. Les stratégies thérapeutiques actuelles utilisées dans le traitement des cancers colorectaux métastatiques (CCRm) incluent l utilisation de thérapeutiques ciblées agissant soit sur la voie du (bévacizumab) soit sur la voie de l EGFR (cétuximab). Ces thérapeutiques, associées avec la chimiothérapie, sont utilisées séquentiellement, la première association en 1 re ligne jusqu à progression, puis la seconde association en 2 e ligne et jusqu à progression en 3 e ligne. Les résultats de l étude TML démontrent qu un blocage continu de l angiogenèse en 1 re et en 2 e ligne métastatique, en modifiant uniquement la chimiothérapie associée au bévacizumab au moment de la progression, permet d allonger significativement à la fois la survie sans progression et la survie globale des patients. Cette nouvelle approche, appelée «blocage continu de l angiogenèse au-delà de la progression», enrichit l arsenal thérapeutique en offrant la possibilité d un traitement par thérapie ciblée sur les 3 premières lignes métastatiques : blocage continu de l angiogenèse par bévacizumab en 1 re et 2 e lignes suivi, à progression, d un traitement par thérapies ciblées anti-egfr en association avec la chimiothérapie chez les patients KRAS de type sauvage et chimiothérapie seule pour les patients KRAS muté. Mots clés : cancer colorectal, bévacizumab, cétuximab, panitumumab, angiogenèse,, EGFR, blocage continu Abstract. Current therapeutic strategies used in the treatment of metastatic colorectal cancer (mcrc) include the use of targeted therapies acting either on the (bevacizumab) or on the EGFR (cetuximab) pathways. These therapies, combined with chemotherapy, are used sequentially, the first association in first line until progression, followed by the second association in second line, until progression to third line. The results of the TML study show that a continuous blockade of angiogenesis with bevacizumab in 1 st and 2 nd line, while changing the associated chemotherapy at the time of progression, significantly prolongs both progression-free and overall survival. This new approach, called continuous angiogenesis blockade beyond progression enriches the therapeutic armamentarium with the possibility to offer a targeted therapy-based treatment from 1 st to 3 rd line: continuous blockade of angiogenesis by bevacizumab in first and second line, followed by a treatment with anti-egfr therapy in combination with chemotherapy in third line for KRAS wild type patients, and chemotherapy alone when KRAS mutations exist. Key words: colorectal cancer, bevacizumab, cetuximab, panitumumab, angiogenesis,, EGFR, continuous blockade Tirés à part : V. Launay-Vacher Pour citer cet article : Launay-Vacher V, Bouché O, Rioufol C, Rey JB. Blocage continu de l angiogenèse dans le cancer colorectal métastatique : bénéfices et nouvelles stratégies thérapeutiques. J Pharm Clin 212 ; 31(4) : 213-23 doi:1.1684/jpc.212.232 213

V. Launay-Vacher, et al. La chimiothérapie cytotoxique (alkylants, intercalants, inhibiteurs de topo-isomérases, inhibiteurs du fuseau mitotique...) cible les mécanismes impliqués dans la multiplication cellulaire avec comme principales «cibles» la molécule d ADN et la tubuline. Ces mécanismes n étant pas propres à la cellule néoplasique, ces agents agissent aussi sur les cellules normales entraînant ainsi d importants effets secondaires. Les théra- peutiques ciblées visent les mécanismes de l oncogenèse, les processus de migration et d invasion, les facteurs présents dans l environnement immédiat de la cellule tumorale. Ces agents présentent une relative spécificité d action vis-à-vis de la cellule tumorale ou vis-à-vis du micro-environnement, et plus particulièrement de la cellule endothéliale [1] (figure 1). Dans le cancer colorectal métastatique, trois thérapeutiques ciblées ont démontré Cellule endothéliale Cibles : - -R (1,2 et/ou 3) -R -mtor PTEN PI3K mtor GSK3-β BAD AKT Pro PTEN Pro PKC pathway Pro Pro Activation des Gènes cibles de HIF Prolifération Perméabilité vasculaire PLCY Pro AKT NOS pathway IP3 PLCY NOSIII Co ++ Co ++ Co ++ P P Co ++ R NO PI3K P P AKT pathway She RAS Survie Cellule tumorale Cibles : Angiogenèse Prolifération Expression gènes MAPK pathway Prolifération R -EGFR, HER-1 -mtor -PI3K -Voie PI3K/AKT -Voie PI3K/AKT/mTOR -Voie RAF-MEK-ERK (MAPK) -HSP9 -HDAC -AURORA -PARP FOXO S6K mtor Ras AURORA Survie p27 ERK Grb2 Sos MEK Raf Cycline D1 E1k PARP1 HDAC HSP9 Prolifération Figure 1. Voies de signalisation. 214 J Pharm Clin, vol. 31 n 4, décembre 212

Blocage de l angiogenèse dans le cancer colorectal métastatique leur intérêt et sont indiquées : le bévacizumab, le cétuximab et le panitumumab. Ce sont toutes trois des anticorps monoclonaux ciblant le facteur de croissance vasculaire endothélial (vascular endothelial growth factor) pour le bévacizumab et le récepteur au facteur de croissance épidermique (ou épithélial) EGFR (epithelial growth factor receptor) pour le cétuximab et le panitumumab. Leur fixation sur leur cible entraîne un blocage de la voie de signalisation intracellulaire et l inhibition de la croissance et de la prolifération tumorales. Associés à la chimiothérapie, le bévacizumab (toutes les 2 ou 3 semaines suivant le protocole), le cétuximab (toutes les semaines) et le panitumumab (toutes les 2 semaines) sont indiqués dans le traitement des cancers colorectaux métastatiques, uniquement chez les patients présentant un cancer avec gène KRAS de type sauvage pour le cétuximab et le panitumumab [2-4]. À noter que le cétuximab est, en pratique, souvent administré tous les 15 jours pour synchroniser le rythme d administration avec celui de la chimiothérapie [5]. L autorisation de mise sur le marché (AMM) du bévacizumab permet de l associer à toutes les chimiothérapies classiques de ce type de cancer (fluoropyrimidines, oxaliplatine, irinotécan), en première ou en deuxième ligne métastatique. Le cétuximab et le panitumumab sont préférentiellement utilisés en deuxième ou troisième ligne métastatique car une exposition préalable à une chimiothérapie permettrait d amplifier leur effet. Spécificités des thérapeutiques ciblées indiquées dans le cancer colorectal métastatique (CCRm) La prise en charge par thérapie ciblée des patients atteints de CCRm repose sur les spécificités de ces molécules en fonction : 1) du type de CCRm ; 2) des bénéfices démontrés par les essais cliniques selon la ligne de traitement et 3) de la chimiothérapie associée. Choix de la thérapie ciblée selon le type de CCRm Le cétuximab et le panitumumab ne présentent une efficacité que sur les cancers avec un gène KRAS (kirsten rat sarcoma viral oncogene homolog) de type sauvage. Les cancers présentant une mutation sur ce gène sont résistants à ces anti-egfr et il est indispensable (AMM) de rechercher et d identifier le statut KRAS des patients avant d envisager un traitement par cétuximab ou panitumumab. De telles mutations ne sont pas rares. L incidence des mutations du gène KRAS étant comprise entre 3 et 5 % [3]. Choix de la thérapie ciblée selon les résultats des essais cliniques en fonction de la ligne de traitement Les bénéfices démontrés dans les études cliniques en fonction de la ligne de traitement doivent être pris en compte. En première ligne métastatique, les trois thérapeutiques augmentent significativement la survie sans progression (SSP), mais seuls le bévacizumab et le cétuximab pour les patients KRAS sauvage, augmentent significativement la survie globale (SG). En deuxième ligne, les trois anticorps démontrent un bénéfice sur la SSP, mais seul le bévacizumab augmente significativement la SG. En troisième ligne, le cétuximab et le panitumumab ont tous deux démontré un bénéfice significatif à la fois sur la SSP et la SG dans des études de phase III (tableau 1) alors qu il n existe qu une étude de phase II, négative, pour le bévacizumab [6-18]. Choix de la thérapie ciblée et chimiothérapie associée Ces trois thérapeutiques ciblées présentent des spécificités en termes de chimiothérapie associée. En effet, toutes les combinaisons ne sont pas autorisées par les AMM de ces médicaments (tableau 2). Blocage continu de l angiogenèse dans le cancer colorectal métastatique : étude TML La poursuite d un traitement au-delà de la progression a été explorée dans le CCRm, mais également dans d autres types de cancers : cancers du poumon avancés avec le pemetrexed, myélomes multiples avec le lénalidomide, lymphomes avec le rituximab, cancers de l ovaire avec le bévacizumab et cancers du sein avec le trastuzumab. En effet, dans les cancers du sein HER2 positifs, il a été démontré que les patientes traitées par trastuzumab en première ligne métastatique bénéficient d un blocage Tableau 1. Bénéfices des différentes thérapeutiques ciblées sur la survie globale et/ou la survie sans progression en 1 re,2 e,et3 e ligne du cancer colorectal métastatique. 1 re ligne 2 e ligne 3 e ligne SG SSP SG SSP SG SSP Bévacizumab Oui Oui Oui Oui Non Non Cétuximab* Oui Oui Non Oui Oui Oui Panitumumab* Non Oui Non Oui Oui Oui SG : survie globale ; SSP : survie sans progression ; «-» : non étudié ; *Chez les patients présentant un cancer colorectal métastatique avec gène KRAS de type sauvage. J Pharm Clin, vol. 31 n 4, décembre 212 215

V. Launay-Vacher, et al. Tableau 2. Chimiothérapies autorisées en association avec le bévacizumab, le cétuximab et le panitumumab dans le traitement du cancer colorectal métastatique (KRAS sauvage pour cétuximab et panitumumab) dans le cadre des AMM. Bévacizumab Cétuximab* Panitumumab* 1 re ligne 5FU Oui Non Non Xeliri Oui Non Non Xelox Oui Non Non Folfiri Oui Oui Non Folfox Oui Oui Oui 2 e ligne 3 e ligne 5FU Oui Non Non Xeliri Oui Non Non Xelox Oui Non Non Folfiri Oui Oui Oui Folfox Oui Non Non Xeliri - Non Non Folfiri - Non Non Irinotécan - Oui Non Xelox - Non Non Folfox - Non Non Monothérapie TC Non Oui Oui Oui : association autorisée ; Non : association non autorisée ; «-» : pas de données permettant de statuer ; TC : thérapie ciblée ; *Chez les patients présentant un cancer colorectal métastatique avec gène KRAS de type sauvage. continu de la voie HER2 à progression, soit avec le lapatinib après une première ligne de trastuzumab, ou bien en poursuivant le trastuzumab, avec un impact significatif sur la SSP et la SG [19]. Le concept de blocage continu de l angiogenèse dans le CCRm a émergé tout d abord en pratique clinique et celui-ci est rapidement testé dans le cadre, notamment, de deux études observationnelles : BRiTE (bevacizumab regimens : investigation of treatment effects and safety) et ARIES (avastin registry : investigation of effectiveness and safety). Dans ces deux études observationnelles, les investigateurs ont testé l impact de la poursuite du bévacizumab après progression chez des patients traités pour un CCRm, en modifiant la chimithérapie associée. Etude BRiTE [2] Cette étude américaine a inclus 1 953 patients présentant un CCRm traités en première ligne par chimiothérapie en association avec le bévacizumab. A progression, 1 445 patients ont été répartis en trois groupes, à la discrétion du médecin en charge du patient : un groupe abstention thérapeutique, un groupe chimiothérapie sans bévacizumab et un groupe chimiothérapie avec maintien du bévacizumab. Les SG médianes dans ces trois groupes étaient respectivement de 12,6, 19,9 et 31,8 mois. En analyse multivariée, le blocage continu de l angiogenèse avec le bévacizumab était indépendamment et significativement associé à un prolongement de la SG, avec un hazard ratio (HR) de,48, p <,1. Étude ARIES [21] L étude américaine ARIES, similaire à BRiTE en termes de méthodologie, a inclus 1 546 patients présentant un CCRm traités par chimiothérapie + bévacizumab en première ligne. A progression, 1 97 patients ont été répartis en trois groupes, comme précédemment décrit pour l étude BRiTE. Les auteurs ont étudié la SG, la SSP, et la survie post-progression (SPP). La SPP médiane était de 5,2, 8,5 et 16,3 mois respectivement pour les groupes sans traitement après progression, chimiothérapie, et chimiothérapie avec blocage continu de la voie du avec le bévacizumab. Ces deux études observationnelles, prospectives, ont démontré l association entre le blocage continu de l angiogenèse par le bévacizumab tout au long des première et deuxième lignes métastatiques et un allongement de la SPP, de la SSP, et de la SG. L étude TML, de phase III prospective randomisée, visait à tester cette hypothèse, renforcée par ces deux études observationnelles. Étude TML (traitement multi-ligne) [22] L étude TML est une étude de phase III randomisée multicentrique internationale dont l objectif est d étudier le 216 J Pharm Clin, vol. 31 n 4, décembre 212

Blocage de l angiogenèse dans le cancer colorectal métastatique bénéfice d un blocage continu de l angiogenèse par le bévacizumab tout au long des deux premières lignes de traitement du CCRm, en modifiant la chimiothérapie associée lors de la progression. L étude a inclus 82 patients traités en première ligne métastatique par bévacizumab en association avec l oxaliplatine ou l irinotécan couplés à une fluoropyrimidine. À progression, les patients débutaient un traitement de deuxième ligne par chimiothérapie (oxaliplatine pour les patients qui avaient reçu l irinotécan en première ligne, et inversement, irinotécan pour les patients qui avaient reçu l oxaliplatine, associés au 5FU intraveineux ou à la capécitabine orale). La randomisation s effectuait en deux bras : un bras chimiothérapie avec bévacizumab et un bras chimiothérapie sans bévacizumab. Le schéma de l étude est présenté sur la figure 2. Le critère principal était la SG. Les critères secondaires étaient la SSP, le taux de réponse objective et la tolérance. Les patients avaient un âge médian de 63 ans et étaient majoritairement des hommes avec un état général OMS ou 1 dans 95 % des cas. Parmi la population de l étude, 6 % des patients avaient reçu une chimiothérapie à base d oxaliplatine et 4 % à base d irinotécan. Les résultats montrent une augmentation significative de la SG qui passe de 9,8 mois pour le bras sans bévacizumab après progression, à 11,2 mois pour le bras dans lequel le bévacizumab a été maintenu en deuxième ligne (HR,81 ; Intervalle de confiance à 95 % [,69,94] ; p =,62), ce qui correspond à une réduction du risque de décès de près de 2 % (figure 3A). De même, la SSP est significativement augmentée, avec une réduction du risque de progression de 32 % (HR,68 ; Intervalle de confiance à 95 % [,59,78] ; p =,1) (figure 3B). Les taux de réponse objective n étaient pas statistiquement différents entre les 2 bras (5,4 % avec le bévacizumab vs. 3,9 % dans le bras chimiothérapie seule ; BEV + CT de 1 re ligne standard (oxaliplatine ou irinotécan) (n = 82) P Randomisation 1:1 Changement de CT : Oxaliplatine Irinotécan Irinotécan Oxaliplatine Critère principal Survie globale après randomisation Critères secondaires Survie sans progression (SSP) Taux de réponse objective Tolérance p =,3113 en non stratifié et p =,4315 en stratifié). Le taux de contrôle de la maladie était en revanche significativement plus élevé : 68 % vs. 54 %. La tolérance globale (effets secondaires de grade3à5) était comparable dans les deux groupes (tableau 3). Certains effets secondaires étaient plus fréquents dans le bras bévacizumab + chimiothérapie mais sans différence significative : neutropénies (16 % vs. 13 %), diarrhées (1 % vs. 8 %), asthénie (6 % vs. 4 %), fatigue (4 % vs. 2 %), et mucites (3 % vs. 1 %). Les effets indésirables liés au bévacizumab étaient l hypertension artérielle (12 % vs. 7% tous grades, 2 % vs. 1 % grades 3-5), la protéinurie (5 % vs. 1 % tous grades, < 1%vs. % grades 3-5), les saignements/hémorragies (26 % vs. 9 % tous grades, 2 % vs. < 1 grades 3-5), et les perforations digestives (3 % vs. < 1 tous grades, 2 % vs. < 1 grades 3-5). Le profil de tolérance dans le bras bévacizumab + chimiothérapie était acceptable et les effets indésirables d intensité relativement modérée par rapport au bras chimiothérapie seule. Aucun nouveau signal n a été rapporté et les effets secondaires étaient plutôt moins fréquents qu à l accoutumée, ceux-ci apparaissant plutôt en début de traitement. Ces résultats positifs de l étude TML ont été confirmés dans différents sous-groupes par trois analyses exploratoires selon l âge et la chimiothérapie dont les résultats ont été présentés lors du dernier congrès de l Esmo 212 (European society of medical oncology) [23-25]. Etude BEBYP Une quatrième étude, l étude BEBYP, également présentée au congrès de l Esmo 212, renforce la validation du concept en rapportant des résultats positifs d un traitement par bévacizumab + chimiothérapie en deuxième ligne après une progression en première ligne sous bévacizumab + chimiothérapie [26]. Dans cette étude italienne, Chimiothérapie standard de deuxième ligne (oxaliplatine ou irinotécan) jusqu à progression BEV (2,5 mg/kg/sem.) + Chimiothérapie standard de deuxième ligne (oxaliplatine ou irinotécan) jusqu à progression Figure 2. Schéma du protocole de l étude TML (ML18147). BEV : bévacizumab ; CT : chimiothérapie; P: progression. J Pharm Clin, vol. 31 n 4, décembre 212 217

V. Launay-Vacher, et al. A 1,,6 Survie globale (ITT, intention de traiter) CT (n = 41) BEV + CT (n = 49) Survie globale,4,4,2 HR non stratifié :,81(IC 95% [,69 -,94]) p =,62 (test log-rank) HR stratifié a :,83 (IC 95% [,71 -,97]) p =,211 (test log-rank) N. CT BEV + CT B 1,,6,4,4,2 6 41 49 9,8 mois 11,2 mois 293 328 12 18 24 3 36 42 48 Temps (mois) 162 188 Médiane de suivi : CT : 9,6 mois ( - 45,5) ; BEV + CT : 11,1 mois (,3-44,) a Stratifié suivant la CT de 1 re ligne (à base d'oxaliplatine ou d'irinotécan), la SSP en 1 re ligne ( 9 mois, > 9 mois), temps depuis la dernière dose de BEV ( 42 jours, > 42 jours), le performance status ECOG à baseline (, 1) Survie sans progression N. CT BEV + CT 51 64 24 29 Survie sans progression (ITT, intention de traiter) 6 12 18 24 3 36 42 41 49 119 189 2 45 Temps (mois) 6 12 4 5 7 13 2 3 4 2 1 2 CT (n = 41) BEV + CT (n = 49) HR non stratifié :,68 (IC 95% [,59 -,78]) p <,1 (test log-rank) HR stratifié a :,67 (IC 95% [,58 -,78]) p <,1 (test log-rank) a Stratifié suivant la CT de 1 re ligne (à base d'oxaliplatine ou d'irinotécan), la SSP en 1 re ligne ( 9 mois, > 9 mois), temps depuis la dernière dose de BEV ( 42 jours, > 42 jours), le performance status ECOG à baseline (, 1) Figure 3. Survie globale (SG) et survie sans progression (SSP) dans l étude TML (ML18147). planifiée pour inclure 262 patients, la sélection était moins stricte que pour l étude TML, portant sur des patients éligibles en cas de progression précoce (dans les 3 mois) en première ligne. L étude a été clôturée prématurément (du fait de la publication des résultats de TML), avec 92 patients inclus dans chaque bras : chimiothérapie + maintien du bévacizumab vs. chimiothérapie seule. L étude est positive sur son critère principal avec une SSP significativement augmentée chez les patients pour lesquels le bévacizumab a été maintenu (6,77 mois vs. 4,97, p =,62, HR,65). L étude TML valide donc le concept du bénéfice du blocage continu de l angiogenèse par le bévacizumab en première et deuxième ligne métastatique du traitement du CCRm et confirme les hypothèses posées dans les études observationnelles. Les conséquences sur la prise 218 J Pharm Clin, vol. 31 n 4, décembre 212

Blocage de l angiogenèse dans le cancer colorectal métastatique en charge des patients sont importantes mais nécessitent d être anticipées et intégrées dans de nouvelles stratégies thérapeutiques. Stratégies thérapeutiques dans la prise en charge du cancer CCRm : comment intégrer les résultats de l étude TML pour optimiser le bénéfice pour les patients? L intérêt d un blocage continu de la voie de l EGFR, que ce soit par le cétuximab ou le panitumumab, n a pas été étudié, quelle que soit la ligne de traitement. De plus, le blocage continu de l angiogenèse en deuxième et troisième ligne par le bévacizumab n a pas été étudié et seul le blocage continu de l angiogenèse en première et deuxième lignes métastatiques a aujourd hui démontré un bénéfice sur la survie, selon les études observationnelles BRiTE et ARIES, l étude BEBYP, et l étude de phase III randomisée TML (ML18141) publiée en ligne le 16 novembre 212 dans la revue Lancet Oncology [27]. Le choix de la thérapie ciblée pour la première ligne de traitement impacte donc fortement les deux lignes de traitement suivantes/ultérieures. Si la thérapie ciblée retenue pour la première ligne de traitement est un anti-egfr, le patient ne pourra bénéficier que de deux lignes de traitement par thérapie ciblée au total. Si le traitement de première ligne inclut le bévacizumab et qu à progression celui-ci est remplacé par une thérapeutique anti-egfr, le traitement de troisième ligne ne pourra pas comporter de thérapeutique ciblée, en l absence de preuve d un bénéfice éventuel à maintenir le blocage de la voie de l EGFR, et du fait des résultats négatifs de la phase II du bévacizumab en troisième ligne. Enfin, si le traitement de première ligne inclut le bévacizumab et que celui-ci est maintenu lors de la progression de façon à bloquer de façon continue l angiogenèse en première et deuxième ligne, comme démontré dans l étude TML, le patient pourra recevoir une thérapeutique anti- EGFR en troisième ligne, s il présente un KRAS Sauvage. En effet, le cétuximab et le panitumumab ont tous deux démontré leur intérêt en troisième ligne, en monothérapie ou en association avec l irinotécan pour le cétuximab. Parallèlement, il est également indispensable de changer la chimiothérapie associée et d alterner l oxaliplatine et l irinotécan. Si ces deux chimiothérapies peuvent être associées avec deux des thérapeutiques ciblées (bévacizumab, cétuximab) en première ligne (tableau 2), l oxaliplatine ne peut être utilisé en deuxième ligne qu avec le bévacizumab. En revanche, si l irinotécan est Tableau 3. Effets indésirables de grade 3 à 5(incidence 2 % dans l un des 2 bras) dans les bras chimiothérapie seule (CT) et chimiothérapie + bévacizumab (BEV + CT) dans l étude TML (ML18147). Effet indésirable (grade 3-5, %) CT (n = 49) Neutropénie 13 16 Leucopénie 3 4 Diarrhée 8 1 Vomissements 3 4 Nausées 3 3 Douleur abdominale 3 4 Subileus < 1 2 Asthénie 4 6 Fatigue 2 4 Mucites 1 3 Dyspnée 3 2 Embolie pulmonaire 2 3 Polyneuropathie 2 3 Neuropathie périphérique 2 1 Hypokaliémie 2 2 Réduction de l appétit 2 1 BEV+CT (n = 41) utilisé en deuxième ligne, des données de la littérature suggèrent qu il est éventuellement possible de l utiliser à nouveau en troisième ligne, en association avec le cétuximab chez les patients KRAS sauvage, ce dernier pouvant également être utilisé en monothérapie [28]. En combinant ces différents éléments, basés sur les preuves des études de phase III et des AMM, il est possible de dresser un schéma simple des stratégies thérapeutiques possibles, et d identifier celles qui permettent de transposer dans la pratique clinique, les bénéfices démontrés dans l étude TML en intégrant le concept de blocage continu de l angiogenèse en première et deuxième ligne (tableau 4). Conséquences pratiques et économiques Si l intérêt d un blocage continu de l angiogenèse par le bévacizumab dans le CCRm est validé par les études de phase III, et notamment l étude TML, il implique une modification des pratiques dans les centres hospitaliers qui prennent en charge les patients atteints de J Pharm Clin, vol. 31 n 4, décembre 212 219

V. Launay-Vacher, et al. Tableau 4. Stratégies thérapeutiques incluant une thérapeutique ciblée dans le CCRm : intégration des résultats de l étude TML et du concept de blocage continu de l angiogenèse en 1 re et 2 e lignes. Stratégies Stratégie 1 Stratégie 2 Stratégie 3 Stratégie 4 Stratégie 5 Stratégie 6 Stratégie 7 Stratégie 8 Stratégie 9 1 re ligne OX OX IRI IRI FOLFIRI FOLFOX FOLFOX OX OX + + + + + + + + + BEV BEV BEV BEV CETUX CETUX PMAB BEV BEV 2 e ligne IRI IRI OX OX OX IRI IRI FOLFIRI FOLFIRI + + + + + + + + + BEV BEV BEV BEV BEV BEV BEV CETUX PMAB 3 e ligne CETUX PMAB CETUX PMAB +/- +/- CPT11 CPT11 Le blocage continu de l angiogenèse en 1 re et 2 e lignes permet de disposer d un traitement standard en 3 e ligne. OX : chimiothérapie à base d oxaliplatine (XELOX, FOLFOX) ; BEV : bévacizumab ; IRI : chimiothérapie à base d irinotécan ( FOLFIRI, XELIRI) ; CETUX : cétuximab ; PMAB : panitumumab. cancer colorectal. Celle-ci passe par l implémentation d un protocole de blocage continu de l angiogenèse par le bévacizumab dans les référentiels, régionaux et nationaux, ainsi que par une réflexion collégiale sur les conséquences pharmaco-économiques induites par ce changement de pratiques. Il est évident que proposer trois lignes de traitement associant chimiothérapie et thérapie ciblée augmente le coût global de la prise en charge des patients atteints de CCRm. La question du financement de cette nouvelle stratégie thérapeutique reste entière, bien que son bénéfice clinique ne soit plus à démontrer : en troisième ligne métastatique, les anti-egfr permettent de réduire le risque de progression de 46 à 6 %, et il existe un intérêt réel à pouvoir proposer ces traitements en troisième ligne métastatique [13, 15, 28]. Or aucune étude à notre connaissance ne permet d objectiver cette augmentation du coût de la prise en charge liée à l intégration des données de l étude TML dans les pratiques. Dans une étude pharmacoéconomique publiée dans le Journal de Pharmacie Clinique cette année sur le coût des thérapies ciblées dans le CCRm, Jean-Jacques Zambrowski montrait dans son analyse que le bévacizumab était la thérapeutique ciblée la moins onéreuse dans le CCRm [29], avec des coûts de traitements mensuels (hors chimiothérapie) de 1 95 D pour le bévacizumab, 3 213 D pour le cétuximab et 3 612 D pour le panitumumab. Par conséquent, chez un patient ayant reçu un traitement comportant du bévacizumab en première ligne, le fait de remplacer l anti-egfr de deuxième ligne (ère pré-tml ) par du bévacizumab en post progression (ère post-tml ) devrait générer des économies sur cette deuxième ligne, et donc sur l ensemble des coûts liés aux deux premières lignes (figure 4). Bien entendu, la durée du traitement en deuxième ligne doit être prise en compte, bien que les médianes de SSP soient strictement comparables en deuxième ligne entre les trois thérapeutiques ciblées : respectivement 5,7, 4, et 5,9 mois pour le bévacizumab dans l étude TML [22], le cétuximab [3], et le panitumumab [31]. Une première approche consistant à multiplier les SSP (mois) par les coûts mensuels pré-cités permettrait d évaluer le coût de traitement de la thérapie ciblée en deuxième ligne à 1 86,7 D pour le bévacizumab L1-L2, 12 852 D pour le cétuximab, et de 21 31,8 D pour le panitumumab, soit une dépense moindre pour le bévacizumab de 15,5 % vs. cétuximab et de 49, % vs. panitumumab. Enfin, il est légitime de penser que le coût supplémentaire généré par l ajout d une troisième ligne de thérapeutique ciblée serait en partie compensé par l économie générée par l utilisation du bévacizumab en deuxième ligne vs. une thérapeutique anti-egfr (figure 4). Il est important de noter que dans l hypothèse précédente, les SSP utilisées pour le cétuximab et le panitumumab sont celles des études de phase III de ces produits en deuxième ligne, dont les patients n avaient été traités par bévacizumab en première ligne que dans 13 % et 18 % des cas, respectivement, en l absence de données plus précises. À l inverse, la SSP utilisée pour le bévacizumab est celle rapportée dans l étude TML, donc strictement dans le contexte de la simulation : maintien du bévacizumab en première et deuxième ligne métastatique. 22 J Pharm Clin, vol. 31 n 4, décembre 212

Blocage de l angiogenèse dans le cancer colorectal métastatique Par ailleurs, l ajout d une troisième ligne de traitement par une thérapeutique ciblée dans les stratégies thérapeutiques générera des dépenses supplémentaires pour l établissement et la société, même si celles-ci sont minorées par l économie générée sur les deux premières lignes. Celles-ci ne sont pas évoquées dans cette simulation mais devront être évaluées précisément dans l analyse pharmaco-économique qui s impose. Enfin, il est indispensable de rappeler que dans le cadre du suivi des molécules inscrites sur la liste des médicaments remboursés en sus des GHS par la caisse d assurance-maladie, chaque établissement de santé se doit de respecter les termes du Contrat de bon usage qu il a signé avec l Agence régionale de santé de tutelle : utiliser des médicaments (et dispositifs médicaux) dans le respect des AMM, des Protocoles thérapeutiques temporaires (PTT) validés par l Institut du cancer, des Autorisations temporaires d utilisation accordées par l ANSM ou des publications validant telle ou telle autre pratique [Décret n 25-123 du 24 août 25 relatif au contrat de bon usage des médicaments et des produits et prestations mentionné à l article L. 162-22-7 du Code de la sécurité sociale]. Ces pratiques de Bon usage conditionnent le taux de remboursement de ces produits inscrits sur la liste des prestations remboursées en sus des GHS, fixé par l Agence régionale de santé au vu des rapports d étape transmis par les établissements tous les ans. Le remboursement à 1 % des molécules onéreuses par l assurance-maladie est conditionné à leur utilisation dans le cadre d un usage strictement conforme aux recommandations. Si des 1 re ligne Bevacizumab + CT 2 e ligne Bevacizumab + CT dérives de pratiques sont constatées, un taux de remboursement inférieur (compris entre 7 et 1 %) peut être appliqué à l ensemble de l établissement pour l année suivante, ce qui constituerait un danger financier pour les établissements concernés puisque l utilisation (l achat) des produits onéreux représenterait, dans ce cas, une dépense supplémentaire dans le budget de ceux-ci, alors même qu il est fragilisé par la baisse des crédits Migac accordés, notamment. Ces dispositions sont des arguments forts pour l intégration sans délai des nouvelles stratégies thérapeutiques validées par les études cliniques dans les thésaurus locaux de chaque établissement ainsi que dans les référentiels régionaux, dans l attente de la version 213 du Thésaurus national de cancérologie digestive (TNCD), en sachant que le maintien en 2 e ligne du bévacizumab était déjà une option dans la version 211 du TNCD [5]. Ainsi, l utilisation du bévacizumab au-delà de la progression dans le CCRm est-elle «justifiée» par l étude TML. Conclusion Les bénéfices cliniques des thérapeutiques ciblées dans le traitement du CCRm sont clairement démontrés. L étude TML, phase III multicentrique internationale, conduite sur plus de 8 patients, présentée dans les congrès de référence de la discipline, et publiée en ligne dans la revue Lancet Oncology [27], possède la puissance et la robustesse nécessaires pour justifier son intégration dans les référentiels de prise en charge des patients atteints de CCRm dans l attente du TNCD 213, en tant que référentiel Cetuximab + CT Panitumumab + CT SSP 5,7 mois SSP 4 mois KRAS sauvage SSP 5,9 mois KRAS sauvage Coût de la TC en 2 e ligne 1 86,7 12 852, 21 31,8 Différentiels de coût de la TC en 2 e ligne - 1 991,3 (- 15,5 %) - 1 45,1 (- 49, %) Figure 4. Coûts de traitement sur les deux premières lignes métastatiques : ères Pré-TML et Post-TML. CT : chimiothérapie ; SSP : survie sans progression ; TC : thérapeutique ciblée. J Pharm Clin, vol. 31 n 4, décembre 212 221

V. Launay-Vacher, et al. national reconnu, et de l intégration de ces nouvelles données dans l AMM du bévacizumab, le CHMP (Committee for medicinal products for human use) de l Agence européenne du médicament ayant donné un avis favorable le 16 novembre 212. Cette étude TML valide le concept de blocage continu de l angiogenèse par le bévacizumab en première et deuxième lignes métastatiques avec une amélioration significative de la SG, et une amélioration de la SSP supérieure à celle du cétuximab et du même ordre que celle du panitumumab en deuxième ligne. Le blocage continu de l angiogenèse par le bévacizumab en première et deuxième lignes métastatiques, non seulement n entraîne pas de diminution du bénéfice pour les patients, mais permet de plus l utilisation d une thérapeutique anti-egfr en troisième ligne métastatique, dont le bénéfice a également été démontré. Par ailleurs, le coût supplémentaire de la prise en charge lié à l ajout d une troisième ligne de traitement par thérapeutique ciblée pourrait être en partie atténué par l économie potentiellement générée par l utilisation continue du bévacizumab en première et deuxième lignes métastatiques. Ces éléments démontrent que cette nouvelle stratégie thérapeutique doit et va être mise en place en pratique clinique quotidienne très rapidement, du fait de preuves scientifiques robustes (étude de phase III randomisée significativement positive notamment) et de référentiels nationaux qui vont très prochainement intégrer ce concept. Conflits d intérêts : V. Launay-Vacher : liens personnels et partenariats avec des associations dans lesquelles je suis impliqué, 3 dernières années : Industriels : Amgen, Bayer- Schering, Boehringer-Ingelheim, Celgene, Fresenius Medical Care, Gilead, Ipsen, Janssen, Leo Pharma, Pfizer, Roche, Vifor Pharma. Agences : ANSM, HAS, INCa. O. Bouché : Amgen, Merck, Roche. C. Rioufol : Novartis, Roche. J.-B. Rey : Industriels : Amgen, Boehringer- Ingelheim, B-Braun, Celgene, Janssen, Leo Pharma, Merck Sharpe&Dohme, Merck Serono, Mundipharma, Pfizer, Roche, Sandoz ; Tutelles : ARS Champagne- Ardenne, CPAM de Reims, Unicancer (GIE Achats) ; Agences : Institut national du cancer. Références 1. Paci A, Launay-Vacher V. Actualités sur les thérapeutiques ciblées en oncologie. J Pharm Clin 21 ; 29 : 35-4. 2. Avastin. Résumé des caractéristiques du produit. European medicines agency. http://www.ema.europa.eu/docs/fr_fr/document_ library/epar_-_product_information/human/582/wc529271. pdf.(accédé le 12 octobre 212). 3. Erbitux. Résumé des caractéristiques du produit. European medicines agency. http://www.ema.europa.eu/docs/fr_fr/ document_library/epar_-_product_information/human/558/ WC529119.pdf.(accédé le 12 octobre 212). 4. Vectibix. Résumé des caractéristiques du produit. 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Blocage de l angiogenèse dans le cancer colorectal métastatique 19. Bennouna J, André T. L apport du blocage continu de l angiogenèse dans le traitement des cancers colorectaux métastatiques (CCRm) : introduction au concept de maintenance au-delà de la progression. Hépato-Gastro et Oncologie Digestive 212 ; 19 : 526-33. 2. Grothey A, Sugrue MM, Purdie DM, et al. Bevacizumab beyond first progression is associated with prolonged overall survival in metastatic colorectal cancer : results from a large observational cohort study (BRiTE). J Clin Oncol 28 ; 26 : 5326-34. 21. Cohn AL, Bekaii-Saab T, Bendell JC, et al. Clinical outcomes in bevacizumab (BV)-treated patients (pts) with metastatic colorectal cancer (mcrc) : results from ARIES observational cohort study (OCS) and confirmation of BRiTE data on BV beyond progression (BBP). J Clin Oncol 21 ; 28 (15s) : abst 3596. 22. Arnold D, Andre T, Bennouna J, et al. Bevacizumab (BEV) plus chemotherapy (CT) continued beyond first progression in patients with metastatic colorectal cancer (mcrc) previously treated with BEV plus CT : results of a randomized phase III intergroup study (TML study). J Clin Oncol 212 ; 3 (Suppl.) : abst CRA 353. 23. Bouche O, Steffens C, André T, et al. Efficacy and safety of treatment with bevacizumab (BEV) + chemotherapy (CT) beyond first progression in patients (pts) with metastatic colorectal cancer (mcrc) previously treated with BEV + CT : age subgroup analysis from a randomised phase III intergroup study (ML18147). Ann Oncol 212 ; 23 (Suppl. 9) : abst 559P : ix19. 24. Vieitez de Prado JM, Borg C, Arnold D, et al. Bevacizumab (BEV) + chemotherapy (CT) beyond first progression in patients (pts) with metastatic colorectal cancer (mcrc) previously treated with BEVbased therapy : overall survival subgroup findings from ML18147. Ann Oncol 212 ; 23 (Suppl. 9) : abst 565P : ix193. 25. Österlund P, Alonso-Orduna V, Schlichting C, et al. Bevacizumab (BEV) + chemotherapy (CT) beyond first progression in patients (pts) with metastatic colorectal cancer (mcrc) previously treated with first-line BEV + CT (ML18147) : efficacy and safety analyses by oxaliplatin vs. Irinotecan based CT. Ann Oncol 212 ; 23 (Suppl. 9) ; abst 571P : ix195. 26. Masi G, Loupakis F, Salvatore L, etal.a randomized phase III study evaluating the continuation of bevacizumab (BV) beyond progression in metastatic colorectal cancer (mcrc) patients (pts) who received BV as part of first-line treatment : results of the BEBYP trial by the Gruppo oncologico nord ovest (Gono). Esmo 212 Vienna Congress ; late breaking abst (LBA) 17. 27. Bennouna J, Sastre J, Arnold D, et al. Continuation of bevacizumab after first progression in metastatic colorectal cancer (ML18147) : a randomised phase 3 trial. Lancet Oncol 212 ; Epub ahead of print, November 16, 212. 28. Cunningham D, Humblet Y, Siena S, et al. Cetuximab monotherapy and cetuximab plus irinotecan in irinotecan-refractory metastatic colorectal cancer. N Engl J Med 24 ; 351 : 337-45. 29. Zambrowski JJ. Coût des thérapies ciblées dans le cancer colorectal métastatique. J Pharm Clin 212 ; 31 : 5-9. 3. Sobrero AF, Maurel J, Fehrenbacher L, et al. Epic : phase III trial of cetuximab plus irinotecan after fluoropyrimidine and oxaliplatin failure in patients with metastatic colorectal cancer. J Clin Oncol 28 ; 26 : 2311-9. 31. Peeters M, Price TJ, Cervantes A, et al. Randomized phase III study of panitumumab with fluorouracil, leucovorin, and irinotecan (Folfiri) compared with Folfiri alone as second-line treatment in patients with metastatic colorectal cancer. J Clin Oncol 21 ; 28 : 476-13. J Pharm Clin, vol. 31 n 4, décembre 212 223