Le marché français des services énergétiques Etat des lieux et analyse SYNTHESE Etude réalisée pour l ADEME par CODA STRATEGIES Pilotage : Elodie TRAUCHESSEC Service Climat Juin 2014
1 Contexte, objectifs et méthode de réalisation de l étude La Directive européenne relative à l efficacité énergétique (2012/27/UE), entrée en vigueur fin 2012, impose aux Etats membres d inclure dans leur PNAEE 1 une étude du marché des services énergétiques 2 dans leur pays (article 18). Dans la continuité de la directive 2006/32/CE relative à l efficacité énergétique dans les utilisations finales et aux services énergétiques, elle réaffirme l importance du développement de ces services pour l atteinte des objectifs européens et nationaux d efficacité énergétique. Afin d analyser le développement actuel des services énergétiques et d identifier les soutiens nécessaires à leur essor, l ADEME a réalisé une étude intégrant un état des lieux quantitatif et qualitatif du marché des services énergétiques français, et une analyse des évolutions récentes de ce marché, de ses derniers développements, de ses facteurs de succès et des barrières restantes. Pour réaliser cette étude, le cabinet CODA Stratégies, mandaté par l ADEME, s est appuyé sur sa connaissance des marchés, sur les données statistiques officielles et professionnelles disponibles et sur une recherche bibliographique. Plus de 80 entretiens semi directifs avec des offreurs, des représentants de maîtres d ouvrage et de l administration et des experts ont par ailleurs été conduits. La chaîne de valeur des services énergétiques Une première phase de réflexion sur la nature et le champ des services énergétiques a permis de mettre en évidence l existence d une filière structurée de l amont (audit, étude, ingénierie ) vers l aval (exploitation des équipements, mesure de performance ). Elle a conduit à formaliser une chaîne de valeur permettant d établir une distinction entre les services intervenant directement sur les consommations énergétiques (services énergétiques) et les services annexes contribuant à l efficacité énergétique (services techniques amont/aval contributeurs, services financiers). Au sein du marché des services énergétiques, les services dits d efficacité énergétique recoupent les activités conçues pour aboutir à une amélioration de l efficacité énergétique définie et garantie contractuellement, sur la base d un diagnostic initial et de mesures et vérification. Le Contrat de Performance Energétique (CPE) apparaît comme une forme contractuelle transverse par rapport à la chaîne de valeur ainsi définie. Source : CODA Stratégies d après entretiens et travaux du COPIL 1 PNAEE : Plan National d Action en matière d Efficacité Energétique, remis tous les 3 ans à la Commission Européenne (2008, 2011, 2014). 2 Services énergétiques : «le bien résultant de la combinaison d'une énergie avec une technologie et/ou une action à bon rendement énergétique qui est fourni sur la base d'un contrat et dont il est démontré que, dans des circonstances normales, il donne lieu à une amélioration vérifiable et mesurable ou estimable de l'efficacité énergétique et/ou des économies d'énergie», d après la Directive Efficacité Energétique. 2
2 Evaluation du marché des services énergétiques Le cadre d analyse précédemment décrit conduit à évaluer le marché des services énergétiques à près de 12 Md, fourniture d énergie incluse. Avec 9,9 Md, les services d exploitation et de maintenance des équipements thermiques représentent la majeure partie du marché et précèdent largement les services d étude et d ingénierie (1,5 Md ) et les services d analyse du patrimoine (362 M ). Le seul marché des services énergétiques et d efficacité énergétique (hors fourniture d énergie) s élève à 7,2 Md. Le marché des services énergétiques (2013) Par marché et stade de la filière (M ) Services Catégorie Valeur 2013 Analyse du patrimoine 362 Diagnostic de performance énergétique SCEE 130 Conseil en orientation énergétique SCEE 40 Pré diagnostics et audits SCEE 183 dont industrie 40 dont tertiaire 80 dont résidentiel 60 dont agriculture 3 Assistance à la certification (HQE, BREEAM ) SCEE 9 Etude ingénierie SCEE 1 530 Etude thermique et ingénierie orientée efficacité énergétique 1 450 Contrôle technique 74 Commissionning 6 Exploitation 9 887 Exploitation de chaufferies collectives 3 990 Approvisionnement énergétique (P1) FE 979 Services énergétiques SE 2 582 Dont contrats de moyens 1551 Dont contrats de résultats sans intéressement 1031 Services efficacité énergétique SEE 429 Exploitation des réseaux de chaleur 1 875 Coût énergie entrante (GN, Biomasse ) FE 1 000 Coût exploitation réseau et chaufferie SE 875 Exploitation des cogénérations industrielles 917 Coût approvisionnement combustible FE 682 Valeur ajoutée sur approvisionnement combustible SE 235 Contrats de performance énergétique SEE 133 Maintenance chauffage individuel SE 1 088 Maintenance et pilotage des systèmes de GTB SEE 50 Exploitation de l'éclairage public 461 Prestation de maintenance (hors incluses dans PPP - CPE) SE 405 PPP - CPE Eclairage public SEE 56 Maintenance des installations électriques avec impact énergétique SE 1 200 Assistance à l'exploitation - AMO SE 25 Assistance à la mise en place de SME SE 2 Comptage, supervision de sites, coaching Comptage résidentiel SEE 105 Comptage tertiaire et industriel SEE 39 Coaching SEE 2 TOTAL 11 779 Par secteur utilisateur (M ) Résidentiel Tertiaire & collectivités Industrie Agriculture 3 2309 4491 4976 Par type de service (M ) Services d'efficacité énergétique Services contributeurs à l'ee Services énergétiques Fourniture d'énergie 814 1892 2661 6411 SCEE : Services Contributeurs à l Efficacité Energétique SEE : Services d Efficacité Energétique SE : Services Energétiques FE : Fourniture d Energie Source : CODA Stratégies, d après statistiques officielles et entretiens La catégorie «services d efficacité énergétique» apportant le plus de valeur ajoutée dans le cadre des objectifs de la transition énergétique représente à ce jour une part limitée de la valeur de ces marchés. L un des enjeux essentiels des années à venir est donc de favoriser un transfert important des services énergétiques vers les services d efficacité énergétique. 3
3 Facteurs et freins au développement des services énergétiques en France En France, la réglementation a évolué, d une part pour transposer les directives européennes, et d autre part sous l impulsion des pouvoirs publics, laquelle s est traduite par l adoption des lois Grenelle I et II, et prochainement, par l adoption d une loi de Transition Energétique. L ensemble de ces dispositions a joué un rôle déterminant, en conduisant à l émergence de nouvelles activités ou en accélérant le développement de certains services (par exemple, les audits énergétiques). Les règles de la commande publique ont également été modifiées afin de permettre aux administrations et collectivités de recourir à des formules contractuelles globales de type CPE, et déroger ainsi au principe d allotissement. Le dispositif des Certificats d Economies d Energie (CEE) a par ailleurs joué un rôle clef, tant pour structurer et multiplier les offres de services d efficacité énergétique, que pour améliorer la solvabilité de la demande en introduisant une monétarisation de l efficacité énergétique. Parallèlement, l augmentation attendue des coûts énergétiques devrait permettre, sur le moyen terme, de mieux rentabiliser les investissements en efficacité énergétique et les services associés. Cependant, des effets d aubaines sont apparus sur certains marchés et la qualité de certaines des prestations délivrées a fait l objet de critiques (par exemple, pour le DPE). Par ailleurs, les CPE ne connaissent pas encore l essor escompté, du fait de leur complexité et des précisions à apporter aux modalités des garanties de performance énergétique. 4 Dynamiques de marché Dynamique côté demande : Dans le secteur tertiaire, des activités comme le commerce ou la santé perçoivent la diminution des consommations énergétiques comme un levier significatif de réduction de leurs coûts de fonctionnement. Pour le secteur des bureaux, une évolution à deux vitesses se dessine : le grand tertiaire améliore rapidement ses performances énergétiques à la demande des grandes entreprises locataires et des investisseurs désireux de pérenniser la valeur de leur investissement, tandis que l évolution pourrait être beaucoup plus lente dans le petit et moyen tertiaire. L Etat et les collectivités, qui doivent afficher leur exemplarité, participent au dynamisme du marché des SEE, notamment s agissant des prestations d audit et du développement des CPE. Dans le secteur résidentiel, les évolutions réglementaires (DPE, études thermiques, offres liées aux CEE) permettent aux particuliers d accéder à des offres plus riches. Les bailleurs sociaux, engagés dans une large rénovation énergétique de leur parc, recourent de manière importante aux SEE, en amont pour les diagnostics de parc, et en aval pour le suivi des performances et l information des locataires. Les évolutions réglementaires à venir, et notamment les obligations d audits énergétiques dans les copropriétés, devraient renforcer la dynamique en cours. Cependant, la conjoncture dans le domaine de la construction et les lourdeurs de décision en copropriété demeurent des freins importants. Le secteur industriel présente une grande diversité d attitudes selon le poids des consommations énergétiques dans les charges d exploitation et la volonté, affichée ou non, d inscrire la société dans une démarche de développement durable. La demande en services de type audit ou sous-comptage se développe et devrait connaître un essor certain, notamment du fait de l obligation d audit énergétique dans les grandes entreprises héritée de la Directive Efficacité Energétique. Dans l agriculture, le Plan de Performance Energétique lancé par le Ministère de l Agriculture en 2009 a contribué au développement et à la diffusion des diagnostics énergie des exploitations agricoles. Globalement, maîtres d ouvrage et investisseurs demeurent confrontés à la complexité de certains contrats. Le marché des CPE souffre ainsi de la difficulté des maîtres d ouvrage à maîtriser les conditions juridiques de ces contrats, ainsi que de l asymétrie d information et de compétences persistant entre maîtres d œuvre et prestataires, laquelle rend difficile le contrôle des engagements de 4
performance contractés. Par ailleurs, la rentabilité à court terme de certains investissements, notamment les plus lourds, et des services associés, est difficile à démontrer. Dynamique côté offre : L offre de services énergétiques s est enrichie au cours des dernières années. D une part, de grands acteurs (fournisseurs d énergie, sociétés d installation électrique, équipementiers électriques, fabricants d équipements thermiques, grandes ingénieries, bureaux de contrôle et exploitants thermiques) perçoivent les services énergétiques comme une opportunité de diversification de leur activité traditionnelle ou comme un nécessaire approfondissement de leurs métiers de base. D autre part, de nouvelles sociétés se créent et proposent des services innovants dans le domaine du comptage, de la supervision de sites, de l audit ou de la production de CEE. Cette dynamique se heurte néanmoins à de nombreux freins. Sur certains marchés (DPE, études thermiques pour maisons individuelles ), une intense concurrence orientée sur les prix mène à des prestations de faible qualité. Par ailleurs, certains marchés, s ils connaissent un réel développement, n offrent pas les débouchés escomptés il y a quelques années par les offreurs (cas des CPE). Conclusions et recommandations Le marché français des services énergétiques affiche un réel dynamisme, porté par les incitations des pouvoirs publics, la prise de conscience des maîtres d ouvrage et l émergence d offres innovantes. Dans ce contexte globalement favorable, des blocages demeurent, principalement liés à la faible rentabilité perçue de ces services, à la nécessité d améliorer la qualité de certaines prestations et à la maîtrise technique et juridique encore insuffisante des maîtres d ouvrage. L analyse conduite se conclut en conséquence par un certain nombre de recommandations. Accompagner l évolution de la demande suppose une action visant à simplifier certains contrats et à rendre immédiatement intelligible leur contenu en termes d amélioration de l efficacité énergétique. Le partage d expérience entre maîtres d ouvrage et la diffusion de bonnes pratiques pourraient également faciliter le développement des services énergétiques. Le renforcement du pouvoir de négociation des utilisateurs, dans un contexte de forte asymétrie des compétences, constitue également une priorité. Cet objectif peut passer par le soutien aux dispositifs de formation des maîtres d ouvrage ou par le développement de tiers de confiance. Enfin, les pouvoirs publics doivent réfléchir aux conditions de développement des services énergétiques dans des secteurs qui en sont peu consommateurs (logements équipés de chauffage individuel, petit et moyen tertiaire ). Un second axe d action est relatif à l amélioration de l environnement de l offre. D ores et déjà, dans un certain nombre de domaines, les pouvoirs publics ont entrepris une démarche visant à accroître la qualité des prestations délivrées («nouveau DPE»). Ce précédent doit constituer un point de départ pour optimiser les conditions de développement de certains marchés liés à la réglementation (audits obligatoires par exemple). Parallèlement, le niveau de concurrence sur le marché doit sans doute faire l objet d une attention particulière, dans un contexte qui voit les fournisseurs énergétiques historiques occuper, via le contrôle des groupes leaders, une position dominante sur les marchés de l exploitation des équipements de chauffage et des services énergétiques associés. Par ailleurs, une réflexion pourrait être engagée avec les professionnels afin d envisager les conditions d une évolution de leur portefeuille de contrats vers les formules les plus performantes, incluant des engagements de réduction des consommations énergétiques. Enfin, la reconnaissance d une pluralité de formes d offres est sans doute un facteur important pour permettre l accès des PME à ce marché. A côté des CPE, d autres modes d organisations sont en effet possibles (par exemple, gestion de la performance énergétique par le maître d ouvrage assisté d un bureau d étude technique). Enfin, ajuster le dispositif réglementaire permettra de garantir le respect des dispositions en vigueur, d inciter à l amélioration de la qualité des prestations, mais également de pousser les acteurs du marché à favoriser les formes de services les plus vertueuses (par exemple, en contraignant les prestataires à proposer systématiquement des services portant des garanties de résultat énergétique). 5
Réf ér enc eade ME: 8241 I S BN9782358387255