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Transcription:

Les Usages Dans Les Contrats Internationaux Submitted By Pierre MOUSSERON Professeur à la Faculté de Droit de Montpellier Directeur du Master Droit du Commerce International Définition. Les usages reçoivent des définitions variées. Pour notre part, nous les définirons ici comme des pratiques répétées dotées d une force juridique contraignante. Ces pratiques peuvent être observées entre les parties à un contrat ou sur le marché sur lequel ces parties opèrent. Avantages. Les usages ont toujours présenté des avantages par rapport aux sources écrites du Droit. Ils sont notamment plus rapides dans leur adoption, plus précis dans leur contenu et plus efficaces dans leur application que des lois parfois fragilisées par un contrôle judiciaire a posteriori. Ces avantages sont accrus aujourd hui dans le cadre du mouvement de résistance à une mondialisation des échanges qui aurait pu laisser penser à une homogénéisation des comportements et des règlementations sur le modèle américain. Les ratées de ce modèle et l émergence de certaines économies conduisent à une résistance des traditions juridiques nationales (1). La norme coutumière est particulièrement adaptée à la protection de ces traditions locales qu il s agisse de l islamic finance ou de certains modèles de corporate governance spécifiques à certains pays (2). La malléabilité de ces normes coutumières leur (1) Dans ce sens : G. Corm, Le nouveau gouvernement du monde, Ed. La Découverte, 2010. (2) Les textes favorisant la place faite aux femmes dans les -435-

confère une plus grande force d adaptation et une plus forte solidité que les lois nationales. Particularisme de la matière internationale. Un débat classique divise la doctrine quant à la particularité des usages dans les contrats internationaux par rapport aux usages applicables en matière purement interne. En le simplifiant, ce débat oppose les traditionalistes et les modernistes. Les premiers pensent que les usages ne présentent pas une originalité en matière de contrats internationaux et ne devraient s appliquer que par l effet de la volonté des parties (3). Pour le courant plus moderniste, les usages présentent une originalité en matière internationale et devraient s appliquer dès lors qu ils existent sur le marché sans recourir à la fiction de la volonté des parties (4). Cette opposition nous paraît devoir aboutir à un compromis. D une part, au crédit des traditionalistes, il faut observer que les usages connaissent le même régime de formation en matière interne et internationale. Dans les deux cas, il faut établir la preuve de pratiques répétées sur un territoire, dans un secteur d activité et dans une période déterminés. En outre, le rôle de la volonté ne peut être totalement écarté. En revanche, au crédit des modernistes, il est incontestable que certains textes confèrent une particularité à l application des usages dans un contexte international. Ainsi, l article 1496 alinéa 2 du code de procédure civile français renforce le rôle des usages en disposant que l arbitre «tient compte dans tous les cas des usages du commerce». On conseils d administration des grandes sociétés françaises est une préoccupation de corporate governance particulière à la France. (3) A. Kassis, Théorie générale des usages du commerce, droit comparé, contrats et arbitrage internationaux, lex mercatoria, LGDJ 1984. (4) E. Loquin, Les règles matérielles du commerce international, Rev. arb. 2005.443. -436-

retrouve une formule équivalente dans le règlement d arbitrage de la Chambre de commerce internationale (5). Intérêt de l étude. La tendance à la standardisation des contrats commerciaux internationaux notamment en matière financière accroît le rôle des usages qui sont tout à la fois intégrés dans ces contrats et nécessaires à leur interprétation. Les juristes ne peuvent ignorer ces règles coutumières en se focalisant sur les seules règles écrites. Cela est particulièrement vrai en matière internationale. Un investisseur étranger peut de moins en moins identifier le régime juridique du pays dans lequel il souhaite investir aux seules normes écrites. Un rédacteur de contrats internationaux serait tout particulièrement négligent s il ne couvrait pas l effet de ces usages sur la convention dont il doit assurer l efficacité. Perspective. L étude des usages dans les contrats internationaux sera ici menée du point de vue d un juriste de tradition civiliste. Cette approche impose deux précisions. D une part, elle pourrait laisser penser que le régime des usages est identique dans chacun des pays de tradition civiliste et pour tous les types de contrats. Ceci est inexact. Des différences existent ainsi au sein même du Droit français entre le régime des usages dans les contrats de travail et les contrats de distribution. En dépit de ces différences, des règles communes émergent et orienteront notre propos. D autre part, cette perspective paraît laisser dans l ombre d autres traditions juridiques et notamment celles issues du monde musulman ou de la common law. Observons que ces régimes juridiques ne confèrent pas une originalité forte aux (5) L article 17-2 de sa version en vigueur à compter du 1 er janvier 1998 énonce : «Dans tous les cas, le tribunal arbitral tient compte des dispositions du contrat et des usages du commerce pertinents». -437-

usages (6). Ce consensus a notamment permis la mise au point d un régime des usages dans des instruments internationaux comme la Convention de Vienne sur la vente internationale de marchandises en vigueur dans des pays de traditions juridiques très différentes. Plan. Dans cette perspective civiliste, nous pourrons étudier le régime des usages en l absence (I) et en présence (II) d un aménagement conventionnel. I LE REGIME LEGAL DES USAGES DANS LES CONTRATS INTERNATIONAUX Il importe de définir les pratiques susceptibles de constituer des usages (A) avant de définir leur rôle (B). A Le contenu des usages On peut ranger les usages relatifs à des contrats internationaux dans deux catégories. La première inclut les pratiques suivies établies entre les parties à une relation contractuelle ; nous désignerons cette première famille d usage comme les «usages des parties». La seconde catégorie comprend les pratiques suivies sur un marché. Nous désignerons les usages appartenant à cette seconde catégorie comme les «usages du marché». L article 9 de la convention de Vienne sur la vente internationale de marchandises rend bien compte de cette distinction. Son alinéa 1 énonce : «Les parties sont liées par les usages auxquels elles ont consenti et par les habitudes qui se sont établies entre elles.». Son alinéa 2 dispose : «Sauf convention contraire des parties, celles-ci sont réputées s être tacitement référées dans le contrat et pour sa formation à tout usage dont elles avaient connaissance ou auraient dû avoir connaissance et qui, dans le commerce international, est (6) Les usages en droit de l entreprise, Actualités de droit de l entreprise, Lexis Nexis 2010, sp. p. 215 et s. -438-

largement connu et régulièrement observé par les parties à des contrats de même type dans la branche commerciale observée». B Le rôle des usages En matière contractuelle, les usages ont une triple fonction. Ils peuvent faciliter la négociation (1), la détermination du contenu (2) et l interprétation (3) des contrats. 1 Les usages facilitent la négociation des contrats Les usages constituent une masse de pratiques habituelles. La répétition de ces pratiques est un gage d efficacité et de neutralité (7). Ainsi, les usages afférents à des contrats standardisés accélèreront la négociation ou à tout le moins proposeront un point de départ pour celle-ci. Pour certains contrats internationaux comme les contrats électroniques (8) pour lesquels la définition du droit applicable sera complexe, l existence d usages codifiés sera aussi un facteur de sécurité contractuelle notamment au moment de la formation du contrat en offrant un exemple de règles de référence. 2 Les usages facilitent la détermination du contenu des contrats L application d un contrat suppose que l on délimite son contenu. Cette définition est parfois simple lorsque l intégralité de l accord entre les parties est contenue dans un seul document. Dans ce cas, l interprétation portera seulement sur (7) R. A. Epstein, Confusion about Custom: Disentangling Informal Customs from Standard Contractual Provisions, The University of Chicago Law Review, Vol. 66, n 3, pp. 821-835. (8) R. Bhala, Self-Regulation in Global Electronic Markets through Reinvigorated Trade Usages (1995), 31 Idaho L. Rev. 863. -439-

ce document. L identification du contenu d un contrat est souvent plus complexe. Une complexité d origine matérielle peut découler du fait que le document soumis au juge comporte des annexes, fait référence à d autres documents ou vise des contrats d application. En outre, une complexité d origine légale peut découler du fait que la loi ajoute au contenu des documents contractuels des «suites» juridiques. Tel est l objet de l article 1135 du code civil qui dispose : «Les conventions obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que l équité, l usage ou la loi donnent à l obligation d après sa nature». Cette disposition conduit notamment à l intégration d usages dans le contenu du contrat. Les tribunaux n exigent plus une référence explicite aux usages pour que ceux-ci soient invocables (9). Cette jurisprudence est conforme à la lettre de l article 1135 du Code civil qui ne pose pas cette exigence. En outre, la doctrine (10) estime que les usages ne peuvent être écartés que par une clause spéciale à cet effet. Cette extension du contenu contractuel à des règles coutumières est une tentation particulièrement séduisante en matière internationale. En matière de vente internationale de marchandises, des auteurs ont ainsi proposé de rattacher à des usages l obligation de renégocier les contrats en cas de changement dans l environnement économique (11). Cette (9) Cass. com. 9 janvier 2001, Contrats conc. consommation, mai 2001, p. 10, n 70 ; Cass. com. 19 février 2002, Contrats conc. consommation, juin 2002, p. 19, n 91 ; Cette jurisprudence fait suite à des arrêts antérieurs en sens contraire. (10) J.-M. Jacquet, Ph. Delebecque et S. Corneloup, Droit du commerce international, Précis Dalloz 1 ère éd., 2007, n 37. (11) P. Schlechtriem et C. Witz, Convention de Vienne sur les -440-

proposition nous semble excessive. Rien ne permet en effet de penser qu il existe dans un secteur d activité aussi vaste que la vente internationale de marchandises une pratique de renégociation «largement connue et régulièrement observée» pour reprendre les termes de la Convention de Vienne. Cette introduction des usages dans le contenu contractuel dépasse le seul rôle interprétatif. Elle permet de conférer une efficacité aux usages sans qu il soit nécessaire d étirer le sens d une clause d un contrat pour les rendre applicables. Comme les stipulations écrites du contrat, les usages ainsi introduits pourront donner lieu à une interprétation. 3 Les usages facilitent l interprétation des contrats A supposer que le Droit français soit applicable au contrat international, le rôle interprétatif des usages découlera des articles 1159 et 1160 du code civil qui disposent: «Ce qui est ambigu s interprète par ce qui est d usage dans le pays où le contrat est passé» et «On doit suppléer dans le contrat les clauses qui y sont d usage, quoiqu elles n y soient pas exprimées». a En premier lieu, les juges interprètent principalement le contrat en recherchant la commune intention des parties. Les auteurs désignent l analyse de la commune intention des parties comme la «méthode subjective». Le code civil pose la priorité de cette analyse. Son article 1156 dispose : «On doit dans les conventions rechercher quelle a été la commune intention des parties contractantes, plutôt que de s arrêter au sens littéral des termes». b En second lieu, les juges interprètent le contrat en observant des éléments tels que les usages ou le comportement des parties. Les auteurs désignent cette étape complémentaire contrats de vente internationale de marchandises, Dalloz 2008, n 377. -441-

comme la «méthode objective». Ce rôle des usages se vérifie particulièrement en matière de contrats standardisés (12). Il se justifie particulièrement en matière internationale pour compenser le caractère excessivement mécanique de certaines solutions pouvant découler de la pratique généralisée du crédit documentaire («commercial letter of credit»). La situation très favorable du bénéficiaire de ce type d instrument pourra être utilement équilibrée par la prise en compte d usages favorables au débiteur du prix. L article 8.3 de la Convention de Vienne sur la vente internationale de marchandises dispose ainsi : «Pour déterminer l intention d une partie ou ce qu aurait compris une personne raisonnable, il doit être tenu compte des circonstances pertinentes, notamment des négociations qui ont pu avoir lieu entre les parties, des habitudes qui se sont établies entre elles, des usages et de tout comportement ultérieur des parties». L analyse du comportement des parties avant ou après la conclusion du contrat est aussi pertinente pour interpréter le contrat (13). Les tribunaux et les auteurs français soulignent de façon croissante le recours à ces techniques d interprétation objective. En matière commerciale, ils tendent même à leur donner priorité. Comme l a résumé l un des plus grands juristes français : ««L opinion tend à se répandre que chacune des deux méthodes devrait avoir son domaine : à la méthode (12) B. Gelot, Finalités et méthodes objectives d interprétation des actes juridiques, Aspects théoriques et pratiques, Bibl. Dr. Privé, t. 403, LGDJ 2003, n 164 et s. (13) Ph. Simler, Juris Classeur Civil, Art. 1156 à 1164, Fasc. 20, Contrats et Obligations, Interprétation des contrats, La mise en oeuvre: rôle respectif des juges du fond et de la Cour de cassation, n 21. -442-

subjective, les contrats ordinaires, du type individualiste ; à la méthode objective, les contrats commerciaux (influencés par les usages). Peut-être faudrait-il avoir le courage de reconnaître que l interprétation du contrat, comme celle de la loi, a des limites, et qu à un certain point d obscurité et de contradiction, la commune intention des parties (s il y en a jamais eu une) ne pourra être retrouvée : c est un pouvoir de réfection qu exerce alors le juge. Il essaie de refaire le contrat tel que l aurait fait un homme raisonnable et équitable..» (14). Compte tenu de l importance du rôle des usages et des incertitudes qui existent, un aménagement du rôle des usages paraît nécessaire. II L AMENAGEMENT CONVENTIONNEL DES USAGES DANS LES CONTRATS INTERNATIONAUX Les parties pourront utilement améliorer leurs accords internationaux en y introduisant des clauses identifiant le contenu (A) et le rôle (B) des usages. A L identification du contenu des usages La définition du contenu des usages du marché sera particulièrement utile dans un contexte international. De nombreux usages sont en effet invoqués dans ce secteur sans une grande rigueur probatoire. Certains de ces usages sont assez limités dans leur objet. Une juridiction argentine a ainsi admis l existence d un usage international pour déterminer le point de départ des intérêts de retard coïncidant avec l échéance de la créance (15). D autres sont plus larges ; il en est (14) J. Carbonnier, Droit civil, t. 4. Les obligations, 22 ème éd. PUF 2000, n 146. (15) CISG online, n 46 cité par P. Schlechtriem et C. Witz, Convention de Vienne sur les contrats de vente internationale de marchandises, Dalloz 2008, n 103. -443-

ainsi de l obligation de renégocier ou de l obligation de dénonciation diligente des défauts qui ferait obligation au créancier d une obligation inexécutée de dénoncer le défaut constaté sous peine de déchéance de ses droits attachés à cette inexécution. Tirant argument de l existence de cette obligation dans la convention de Vienne, certains tribunaux arbitraux en ont conclu à l existence du caractère coutumier de cette obligation (16). Comme l a observé Monsieur Hotte, «la qualification d usage n est peut-être pas la plus exacte car le caractère spécial de l usage fait défaut à la Convention de Vienne. C est dans un milieu professionnel déterminé que les usages prennent naissance et s épanouissent» (17). La référence à la seule applicabilité de la lex mercatoria ou aux usages du commerce international apparaît une formule bien trop vague. Il sera d abord nécessaire de définir les usages applicables géographiquement. Retiendra-t-on les usages du pays de conclusion ou seulement ceux du lieu d exécution du contrat? Retiendra-on les usages du pays dont la loi est applicable ou admettra-t-on des usages d un autre for? Il conviendra aussi de définir les usages applicables matériellement. Ainsi dans un contrat de réassurance, il sera prudent d indiquer si les usages en matière d assurance seront invocables ou seulement ceux en vigueur dans le monde de la réassurance. Certains usages relatifs à des points particuliers de (16) «There is no better source to determine the prevailing trade usages than the terms of the United Nations Convention on the International Sale of Goods of 11 April 1980 : Sentence CCI n 5713 de 1989, YCA 19990.70,73 cité par S. Hotte, La rupture du contrat international, Contribution à l étude du droit transnational des contrats, Collection de thèses Defrénois, t. 28, 2007, n 57. (17) S. Hotte, op. cit, loc. cit. -444-

l exécution du contrat pourront être neutralisés. L article XIX des Règles et Usages pour le commerce international des graines de semences potagères prévoit ainsi une conciliation ou un arbitrage qui n apparaîtra pas toujours opportun aux contractants. Il conviendra en outre de définir temporellement les usages applicables. Les pratiques changent en effet de façon progressive et appellent la référence à des usages d une période la plus déterminée possible. B L identification du rôle des usages Les parties pourront préciser le rôle qu elles entendent réserver aux usages. 1 Les parties pourront écarter le rôle des usages Une exclusion totale des usages est compréhensible. Compte tenu du flou qui entoure la définition des usages, une exclusion pure et simple peut être une mesure prudente pour réserver aux seules stipulations expresses du contrat la définition des droits et obligations des parties. Cette exclusion est parfois réalisée par la clause dite «des quatre coins» (18) ou dans des clauses parfois intitulées «Renonciation» ou «Tolérances». Ces clauses excluent du champ contractuel certains comportements des parties (19). Elles pourront ainsi stipuler : This Agreement constitutes the entire Agreement between the parties concerning the subject matter hereof. It supersedes any proposal or prior agreement, oral or written, explicit or implicit and any prior usage established during previous dealings. (18) J.M. Mousseron, Technique contractuelle, 4 ème éd. 2010, par P. Mousseron, J. Raynard et J.-B. Seube, Editions Francis Lefebvre n 1607 (19) A propos de ces clauses, M. Fontaine et F. DE LY, Droit des contrats internationaux, Bruylant 2003, p. 145 et s. -445-

Cette exclusion totale est cependant susceptible d exclure des références à des solutions très raisonnables qui seraient intégrées dans ces usages. Moins radicalement, les parties pourront alors n exclure que certaines fonctions. Les parties pourront ainsi prévoir que les usages ne pourront pas être invoqués pour définir les caractéristiques des produits vendus ou les modalités de paiement. Cette dernière clause permet notamment en cas de transferts de fonds internationaux que le prix ne soit majoré de commissions d usage prélevées par des banques impliquées dans le maniement des fonds. 2 Les parties pourront préciser le rôle des usages Positivement, les parties pourront explicitement prévoir les domaines d invocabilité des usages. Elles pourront ainsi expressément prévoir que les usages gouverneront certaines questions contractuelles; on rencontre ainsi des contrats énonçant que certaines prestations sont assurées «selon les garanties d usage». Les parties seront ici attentives à ce que les usages ne peuvent pas tout réglementer de façon efficace. La jurisprudence française juge ainsi que les usages ne peuvent permettre de rendre le prix déterminable dans une vente (20). Compte tenu de l éventuelle application de plusieurs types d usages (des parties ou du marché, locaux ou nationaux, du pays de conclusion ou des pays d exécution), les parties pourront prévoir une clause relative à la hiérarchie entre les différents types d usages applicables. Les parties seront bien inspirées de définir les modalités de preuve de ces usages. Ce type de disposition pourra notamment éviter ou tout au moins limiter un trop long débat d experts sur la question des usages du marché. (20) Cass. com. 19 décembre 2006, n 05-10197 ; Cass. com. 11 juin 1991, RJDA 10/91, p. 703, n 804; CA Paris 5ème ch. 3 décembre 1982, Juris Data n 1982-028915. -446-

Les rédacteurs pourront aussi utilement prévoir selon quelles modalités de forme et de délai de préavis ces usages pourront faire l objet d une dénonciation. Certaines des clauses évoquées ci-dessus sont déjà courantes en pratique. Elles sont cependant dispersées dans le préambule, dans la clause de droit applicable ou dans des clauses d interprétation. On pourrait s interroger sur l opportunité d introduire une clause spécifique relative aux usages rassemblant dans une seule clause toutes les questions liées à l impact des usages sur le contrat. En dépit de la synthèse qu elle offrirait, cette clause nous paraît dangereuse dans la mesure où elle risquerait de devenir une clause de style de fin de contrat alors que les usages posent des difficultés particulières à des moments très différents des contrats, qu il s agisse de leur formation, de leur application arbitrale ou de leur dénonciation (21). Tout au moins, dans les contrats rédigés «sur mesure», chacun de ces points nous paraît mériter une attention et une clause particulière. (21) L article L.442-6-1, 5 du code de commerce applicable dans l ordre international sanctionne ainsi le fait «de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce». -447-