Évolution de la qualité du paysage de la plaine du Rhône valaisan (Suisse) sur la base de cartes historiques



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Transcription:

DE LA FORÊT À L EAU Évolution de la qualité du paysage de la plaine du Rhône valaisan (Suisse) sur la base de cartes historiques Walter Rosselli -Élodie Paulmier DES MILIEUX ÀPROTÉGER Pourquoi protéger les cours d eau, les zones alluviales et les milieux humides en général?parce que l on ne peut guère imaginer nos paysages sans eau. Sous la forme de lacs, rivières, torrents, bisses, meunières, l eau structure les paysages naturels et anthropiques. Les ruisseaux et les torrents de tête de bassin animent le paysage alpin. Les bisses et les meunières, canaux d irrigation témoignant de l ingéniosité et des activités humaines ancestrales en accord avec la nature, enrichissent le patrimoine historique. Les cours d eau de plaine égayent et embellissent les campagnes et les localités pourvu qu il y coule suffisamment d eau et qu ils aient un aspect encore proche du naturel Les zones humides abritent des espèces faunistiques et floristiques rares et hautement spécialisées. Et combien de moments de loisirs et de détente se déroulent au bord de l eau, au fil de l eau ou dans l eau : pêche, observation, promenade à pied, àbicyclette, àcheval, voile, canoë, aviron, natation Indissociable dumilieu alluvial, la forêt riveraine structure lepaysage, consolide les berges et contribue au contrôle des crues. Elle constitue une zone de transition entre le cours d eau et les terrains environnants, fonctionne comme filtre biologique et intervient dans les processus d apport de carbone organique et d énergie au cours d eau. Du point de vue écologique, elle offre des habitats diversifiés à la faune et à la flore (réservoir de biodiversité) et revêt un rôle important de corridor biologique. De la même façon qu un paysage sans cours d eau est difficilement concevable en Suisse, il est impossible d imaginer un paysage de plaine ou de basse altitude dépourvu de forêt. Même les paysages urbains, pourtant fortement marqués par la présence du bâti etembellis par les monuments, ne peuvent pas se passer de la touche cosmétique etsalutaire des parcs boisés, d arbres majestueux ou de haies buissonnantes. Comme l eau, la forêt offre des espaces de loisirs et de détente et se prête fort bien à l éducation à l environnement. Dans le courant des deux siècles passés, d importantes corrections fluviales ont été entreprises en Suisse, afin de satisfaire la recherche de nouveaux terrains agricoles ou à bâtir. En même temps, ilaété nécessaire deprotéger ces nouveaux terrains contre les dégâts dus aux inondations. Il en est résulté, certes, un gain de terrains utilisables, mais malheureusement aussi une banalisation du paysage alluvial. Aujourd hui, il n est plus question, pour le Rhône valaisan, de modeler la plaine alluviale, de divaguer, d éroder les berges par-ci, de déposer des bancs de sable et de gravier par-là ni d influencer les successions et la zonation des communautés végétales riveraines. Le fleuve doit désormais se discipliner à rester dans des berges artificielles, Rev. For. Fr. LVIII -4-2006 361

W ALTER R OSSELLI -ÉLODIE P AULMIER dimensionnées pour contenir des débits standard, bref se limiter à couler de haut en bas, sans entretenir d échanges avec les milieux environnants Idem pour les rôles de corridor biologique et de filtre épurateur que joue l écotone riverain. Le fleuve subit en direct les apports, par ruissellement ou par percolation, de polluants et de nutriments en excès provenant des terrains exploités (trop) proches. Ainsi, la fonction du cours d eau est désormais, la plupart du temps, résumée à celle d amener au plus vite les eaux en aval, tel un simple égout! Endigué, canalisé, domestiqué (jusqu à la prochaine crue ) et relégué aumilieu de la plaine, loin des yeux, loin du cœur, dans un corset qui le prive de toute fonction écologique etde toute dynamique, hormis un bref tronçon encore naturel à la hauteur de la forêt de Finges zone alluviale d importance nationale entre la ville de Sierre etle village de Loèche. En plus de la perte biologique et paysagère au niveau de l écosystème fluvial, la plaine alluviale naturelle et les milieux riverains, notamment de forêts et de zones humides, ont fait les frais des grandes corrections fluviales auxquelles a été soumise la plaine du Rhône : perte de surface naturelle, accompagnée de la fragmentation des milieux. Une étude menée récemment au sein de notre institut, en collaboration avec le Service des routes et des cours d eau du canton du Valais, a mis en évidence la diminution du nombre et de la surface des milieux naturels, ainsi que l artificialisation du fleuve dans la plaine du Rhône, en amont du lac Léman, depuis 1850 (Paulmier, 2004). OBJECTIF DE L ANALYSE DU PAYSAGE DE LA PLAINE DU RHÔNE Notre étude avait pour but d analyser et d interpréter l évolution des paysages de la plaine du Rhône à partir des cartes historiques de 1850, 1900, 1950 et 2003, récupérées, numérisées au scanner, géoréférencées et digitalisées à l écran. Elle visait à développer une méthode et un indice pour évaluer l évolution temporelle de la qualité écologique des paysages de la plaine du Rhône valaisan. L analyse qualitative etquantitative de cette évolution devait permettre d identifier et de localiser les déficits écologiques du paysage, par des méthodes d analyse spatiale, ainsi que d évaluer le potentiel écologique de la plaine du Rhône valaisan. Ce travail s inscrivait dans une vision vouée à mettre en place une conception d évolution paysagère (CEP), notamment par la création (ou la restauration) d un réseau écologique au niveau cantonal (REC), inspiré du modèle national (REN). Le vaste projet de la 3 e correction du Rhône valaisan démarche visant à redonner de l espace au fleuve (renaturation de l espace riverain) et à sécuriser les terrains et le bâti environnants par des mesures d aménagement du territoire plutôt que par des interventions techniques (www.vs.ch/rhone.vs/) est également partie intégrante de cette vision. L interprétation de l évolution du paysage de la plaine durant les 150 dernières années à l aide de ces outils devra permettre aux décideurs d établir un mode de restauration et de gestion du paysage de la plaine, notamment par la mise en place de la CEP, du REC et par la 3 e correction du Rhône. MÉTHODOLOGIE La période choisie correspondait au laps de temps durant lequel la plaine est passée d un milieu alluvial naturel à un territoire fortement marqué par les activités humaines, suite à deux grandes campagnes de corrections du fleuve (1863-1893 et 1930-1960). La zone d étude, d une surface totale de 240 km 2,comprenait toute laplaine du Rhône de Brigue (680 md altitude) àl embouchure du fleuve dans le lac Léman (372 m d altitude), y compris le Chablais vaudois (territoire dans la partie Est du canton de Vaud voisin). 362 Rev. For. Fr. LVIII -4-2006

De la forêt àl eau FIGURE 1 CARTES DE L OCCUPATION DU SOL DANS LA PLAINE VALAISANNE EN 1850 ET EN 2003 Carte d occupation du sol de la plaine du Rhône en 1850 Aigle Sierre Susten Brigue St-Léonard St-Maurice Sion Chippis N Riddes Martigny 0 15 30 kilomètres Rhône naturel (5,5 %) Zone alluviale affluent (0,1 %) Zone alluviale Rhône (5,3 %) Forêt (10 %) Zone marécageuse (8,2 %) Zone urbaine (1,8 %) Dune (0,2 %) Zone agricole (69 %) %delaclasse par rapport à la surface totale de la plaine Carte d occupation du sol de la plaine du Rhône en 2003 Aigle St-Léonard Sierre Susten Brigue Sion St-Maurice Chippis N Riddes Martigny 0 15 30 kilomètres Rhône canalisé (2,4 %) Rhône naturel (0,3 %) Zone alluviale Rhône (0,2 %) Forêt (5,2 %) Zone marécageuse (0,6 %) Zone urbaine (13,8 %) Dune (0,1 %) Zone urbaine (76,7 %) Marais et forêt (0,7 %) %de la classe par rapport à la surface totale de la plaine Rev. For. Fr. LVIII -4-2006 363

W ALTER R OSSELLI -ÉLODIE P AULMIER L analyse de l évolution paysagère a été réalisée en trois étapes. La première a consisté en la collecte de données et en la création de cartes de l utilisation du territoire aux quatre périodes concernées (1850, 1900, 1950 et 2003) à partir de cartes historiques et actuelles (figure 1, p. 363). Cela a abouti à plusieurs jeux d éléments surfaciques, linéaires et ponctuels relatifs aux différentes époques, digitalisés et caractérisés à l aide des logiciels de SIG MapInfo et ArcGis. Ces données de base consistaient en quatorze éléments d occupation du sol :neuf catégories d objets surfaciques, quatre d objets linéaires et une d objets ponctuels. Cela a permis d établir les cartes de l occupation du sol aux quatre périodes choisies. Les méthodes d analyse qu offraient les données de base étaient basées sur les statistiques de l occupation du sol par les différentes catégories d éléments. Pour les objets surfaciques, on a considéré l aire totale de chaque classe en hectares, le pourcentage de paysage occupé par chaque classe, le nombre d unités paysagères (patchs) constituant chaque classe, ainsi que la surface moyenne des patchs de chaque classe. Pour les éléments linéaires, il s agissait de la longueur totale des objets de chaque classe en kilomètres et pour les objets ponctuels, de leur nombre. La deuxième étape consistait en l élaboration de matrices de transition pour les changements d utilisation ou d occupation du sol. Cela a été effectué à l aide du logiciel de SIG Manifold. Les matrices et les cartes de transition ont permis de quantifier et de localiser les modifications dans les classes d utilisation du sol au fil du temps, en unités de surface et en pourcentage. Elles étaient les outils de départ pour calculer le bilan écologique, qui a constitué la troisième étape du projet. Celle-ci a été divisée en deux parties : la première, une description qualitative et quantitative des changements. La deuxième, le calcul dubilan écologique, ainsi que l identification des sites où les changements paysagers ont été les plus mauvais du point de vue écologique. Le bilan écologique B dépend de la valeur écologique de l occupation du sol aux différentes époques. Il est notamment calculé par la différence des valeurs écologiques totales des milieux entre deux moments (dans notre cas 1900 et 2003). La valeur écologique, quant à elle, est calculée sur la base de l évaluation d experts. Le bilan écologique est compris entre une fourchette allant de + 10 à 10. Une valeur négative de B indique une perte de valeur écologique (déficit), B nul indique le statu quo et B positif dénote un gain écologique. CE QUE MONTRENT LES RÉSULTATS Il est connu que, en 1850, la plaine du Rhône était riche en milieux naturels, surtout zones humides et forêt alluviale, le cours du Rhône n ayant pas encore été corrigé. Les pratiques agricoles dans la plaine se résumaient essentiellement à la pâture et à la fauche pour la récolte de litière. Les cultures avaient leur place sur les pentes ensoleillées des coteaux. Les deux campagnes de correction du fleuve ont profondément modifié le paysage original. L analyse de l évolution du paysage de 1850 à 2003 montre de façon claire la disparition quasi totale des milieux humides, la perte de la moitié de la surface forestière, et l augmentation des zones urbaines (figure 2, p.365). La forêt alluviale, élément paysager et biologique essentiel du cours d eau, a été supprimée sur la plus grande part de la plaine du Rhône. La surface forestière sur l ensemble de la plaine du Rhône valaisan a diminué d environ 50 % entre 1850 et 2003. La perte de milieux forestiers au profit de l agriculture représente 70 % de la surface perdue, comparée à celle de 1850. L urbanisation, pour sa part, a bénéficié de 3%de la surface qui était à l origine forestière. Les patchs forestiers ont subi une diminution de 91 %de leur surface moyenne d origine, tandis que leur nombre a augmenté de 6fois de 1850 à 2003. Réduite à un simple rideau homogène d arbres le long de la digue souvent composé d essences plantées, la végétation riveraine ne 364 Rev. For. Fr. LVIII -4-2006

De la forêt àl eau FIGURE 2 POURCENTAGES DE L OCCUPATION DU SOL DANS LA PLAINE DU RHÔNE VALAISAN ENTRE 1850 ET 2003. ÉVOLUTION DE LA RÉPARTITION DU NOMBRE DE PATCHS PAYSAGERS ENTRE 1850 ET 2003 % 69 % 82% 85 % 77% 16 12 8 4 Rhône canalisé Rhône naturel Zone alluviale affluent Forêt Zone marécageuse Marais et forêt Zone urbaine Dune Zone agricole 0 1850 1900 1950 2003 500 400 Rhône canalisé Rhône naturel Zone alluviale affluent Zone alluviale Rhône Forêt Zone marécageuse Marais et forêt Zone urbaine Dune Zone agricole Nombre depatchs 300 200 100 0 1850 1900 1950 2003 ressemble pas à la structure forestière de l écotone riverain naturel et ne peut pas remplir ses nombreuses fonctions. Ce manque de transition entre le cours d eau et les terrains limitrophes où se déroulent les activités humaines porte préjudice à l écosystème fluvial, mais met également en péril la sécurité des localités, des exploitations agricoles et des installations proches du cours d eau. Les milieux humides riverains constituent une autre catégorie d éléments naturels qui fait désormais défaut dans la plaine du Rhône. La perte de ces milieux entre 1850 et 2003, suite à l assainissement de la plaine alluviale drainages, comblements de dépressions, canalisation du fleuve et de ses affluents, représente la presque totalité des zones humides anciennement présentes. En effet, les milieux marécageux ont perdu 92 % de leur surface moyenne depuis 1850 Rev. For. Fr. LVIII -4-2006 365

W ALTER R OSSELLI -ÉLODIE P AULMIER dont 80 %en faveur de l agriculture et 7%pour l urbanisation et les milieux alluviaux près de 95 %. Nonobstant la diminution de taille des milieux marécageux, leur nombre est resté à peu près constant durant la période étudiée. Cependant, il ne reste aujourd hui plus que deux zones marécageuses de taille respectable dans la plaine du Rhône (figure 1, p. 363) : Puta Fontana, sur les communes de Bramois et de Grône, et les Grangettes, à l embouchure du fleuve dans le lac Léman, à cheval entre les cantons du Valais et de Vaud. La carte des transitions pour le seul Chablais (vaudois et valaisan) montre que 30 %de la plaine a changé de type d utilisation du sol entre 1900 et 2003 (figure 3, ci-dessous). FIGURE 3 CARTE DES TRANSITIONS DANS LA BASSE PLAINE DU RHÔNE (CHABLAIS VALAISAN ET VAUDOIS) ENTRE 1900 ET 2003 Aigle de Forêt àzone agricole de Rhône canalisé àzone agricole de Zone agricole àforêt de Zone agricole àrhône canalisé de Zone agricole àzone urbaine de Zone alluviale Rhône àforêt de Zone marécageuse àzone agricole St-Maurice Le trait marquant de ces changements d utilisations est la disparition massive des zones naturelles au profit de l agriculture : 80 % des zones marécageuses sont devenues agricoles. De son côté, l agriculture a fortement reculé devant l urbanisation, car 15 % de la surface agricole est devenue urbaine. Le bilan écologique entre 1900 et 2003 indique que 96%de surface de la plaine a connu une perte écologique. La carte du bilan écologique de la plaine en 2003 par rapport à 1900 localise les régions où les transformations des 100 dernières années ont été les plus néfastes (figure 4,p.367). EN CONCLUSION Sur la base des cartes historiques de la plaine du Rhône aux différentes années, il est possible d effectuer une analyse quantitative des changements d utilisation du sol, ainsi qu une étude qualitative en développant un indice traduisant l évolution de la qualité écologique dans le temps. Ainsi, l analyse spatiale à l aide du logiciel Manifold est un excellent outil de communication et d aide à la décision. Elle permet de sélectionner les sites sur lesquels les interventions vouées à restaurer la qualité écologique dupaysage devront être effectuées de façon prioritaire. 366 Rev. For. Fr. LVIII -4-2006

De la forêt àl eau FIGURE 4 CARTE DU BILAN ÉCOLOGIQUE DANS LA BASSE PLAINE DU RHÔNE (CHABLAIS VALAISAN ET VAUDOIS) ENTRE 1900 ET 2003 Aigle 10à 8 8 à 6 6à 4 4 à 2 2à0 0à2 2à4 4à6 6à8 St-Maurice Depuis quelques années, l approche àl aménagement des cours d eau achangé, car les endiguements ont montré leurs limites lors d inondations particulièrement importantes et catastrophiques (1978, 1987, 1993, 2000, pour n en citer que quelques-unes). Le respect de l espace nécessaire au cours d eau par un aménagement proche du naturel, afin qu il garantisse la sécurité des terres, des biens et de l habitat, tout en remplissant ses fonctions écologiques, hydrologiques et paysagères, est désormais un fait établi et accepté. Cette tendance est confirmée par les bases légales et les recommandations de la Confédération suisse en la matière (OFEG, 2000). Parallèlement, la protection des milieux n est plus conçue au niveau des habitats pris individuellement, mais selon le principe de leur mise en réseau (Berthoud et al.,2005). La conception d évolution paysagère (CEP), la mise en place du réseau écologique cantonal et le projet de troisième correction du Rhône qui l accompagne se conforment parfaitement à ces principes. Walter ROSSELLI INSTITUT FÉDÉRAL DE RECHERCHES SUR LA FORÊT, LA NEIGE ET LE PAYSAGE WSL Antenne romande, Boîte postale 96 CH-1015 LAUSANNE (SUISSE) Actuellement Secrétariat de la Commission fédérale pour la protection de la Nature et du Paysage (CFNP) c/o OFEV CH-3003 BERNE (SUISSE) (wrossell@bluewin.ch) Élodie PAULMIER INSTITUT FÉDÉRAL DE RECHERCHES SUR LA FORÊT, LA NEIGE ET LE PAYSAGE WSL Antenne romande, Boîte postale 96 CH-1015 LAUSANNE (SUISSE) Actuellement Idealp Ingéniers sarl Rue de la Marjorie 8 CH-1950 SION (SUISSE) Rev. For. Fr. LVIII -4-2006 367

W ALTER R OSSELLI -ÉLODIE P AULMIER Remerciements Les auteurs remercient Abram Pointet, Christine Weber, Flavio Zanini, Raymond Delarze, Régis Caloz, Romaine Perraudin Kalbermatter d avoir contribué à la réussite de ce projet par leurs précieux conseils, leur apport technique, leur collaboration, leurs remarques et discussions, leurs intéressants conseils et en mettant à disposition les données de base. BIBLIOGRAPHIE PAULMIER (E.). Évolution de la qualité écologique des paysages de la plaine du Rhône sur la base d une analyse spatiale de cartes historiques. Mémoire de recherche présenté pour l obtention du diplôme d études postgrade EPFL en environnement :sciences, ingénierie et management. 2004. OFFICE FÉDÉRAL DES EAUX ET DE LA GÉOLOGIE (OFEG). Réserver de l espace pour les cours d eau. OFEG, 2000. BERTHOUD (G.), LEBEAU (R.P.), RIGHETTI (A.). Réseau écologique national REN. Rapport final. Cahier de l environnement n 373. Berne : Office fédéral de l Environnement, des Forêts et du Paysage, 2004. 132 p. ÉVOLUTION DE LA QUALITÉ DU PAYSAGE DE LA PLAINE DU RHÔNE VALAISAN (SUISSE) SUR LA BASE DE CARTES HISTO- RIQUES (Résumé) Cet article traite des changements paysagers dans la plaine alluviale du Rhône valaisan, en Suisse, entre la ville de Brigue etle lac Léman, soit 240 km 2 ycompris le territoire duchablais vaudois. Par le passé, le paysage de la plaine valaisanne, modelé par la dynamique dufleuve, avait un aspect essentiellement naturel. De grands changements sont survenus dans la deuxième moitié du XIX e siècle, avec une première correction du fleuve, son endiguement et le drainage des marais. Le paysage a alors commencé à prendre l aspect rural qu il a conservé jusqu à la moitié du XX e siècle, lorsqu une deuxième correction du fleuve, mais surtout l urbanisation et les infrastructures, en ont à nouveau changé la face. L évolution des changements paysagers montre la diminution nette, voire la disparition, et la fragmentation des éléments naturels et géomorphologiques en faveur de l urbanisation et de l agriculture. Cette dernière est restée assez stable nonobstant quelques remaniements. CHANGES IN THE QUALITY OF THE VALAIS RHONE PLAIN LANDSCAPE (SWITZERLAND) BASED ON HISTORICAL MAPS (Abstract) This article deals with landscape changes in the alluvial plain of the Rhone River in the Valais area of Switzerland, between the city of Brigue and Lake Léman, i.e., 240 km 2 that includes the Chablais region of the canton of Vaud. In the past, the landscape in this plain was shaped by the movements of the river giving it avery natural appearance. Major changes occurred in the second half of the 19 th century when the river s course was first altered, dams built and the marshes drained. The landscape therefore began to take on a rural appearance and maintained it until the middle of the 20 th century, when asecond phase ofalignment works was conducted and, more importantly, urbanisation and infrastructures once again altered the landscape. Landscape changes have gone along with a noticeable increase and sometimes disappearance and fragmentation of the natural and geomorphologic elements to the benefit of urbanisation and farming. The latter has remained fairly stable in spite of some rearrangements. 368 Rev. For. Fr. LVIII -4-2006