PARTIE 1 Origines et principes du Trade Finance Dans cette première partie, nous définirons les activités de Trade Finance et les enjeux de ce métier pour les banques. Nous montrerons son rôle dans le commerce international et comment cette activité a su résister aux effets de la crise financière de 2008. Nous expliquerons les liens du Trade Finance et des acteurs de la chaîne d approvisionnement et à quoi servent les documents dans une transaction internationale. Enfin, dans un environnement réglementaire de plus en plus contraignant, comment le Trade Finance peut-il relever ces défis?
Après avoir brièvement retracé quelques marqueurs historiques, nous montrerons quels sont les liens entre le Trade Finance et le commerce international ; à quels besoins le Trade Finance correspond ; pourquoi les banques s y intéressent et comment elles l ont progressivement intégré dans leurs activités? CHAPITRE 1 L environnement du Trade Finance 1. Une activité historiquement au cœur du commerce international C est le développement des échanges commerciaux en Europe, entre le XII e et le XV e siècle, sous l impulsion des nombreux marchands de la Hanse, de Gênes ou de Venise, pour citer les plus connus qui, sont à l origine des premières formes de financement du commerce international. L élément constitutif de l émergence de cette finance est l apparition de la lettre de change, innovation financière fondamentale à cette époque médiévale. Elle fut créée et développée par les banquiers génois et diffusée ensuite à travers l Europe. Elle favorisa le développement des grandes foires, qui devinrent rapidement des lieux de rencontre entre les marchands et les banquiers. Le principe était le suivant : le commerçant remettait de l argent à un banquier pour que celui-ci puisse effectuer un paiement sur une autre place. Le banquier s engageait alors à faire ce paiement soit en personne soit par l intermédiaire d un correspondant situé sur le lieu de paiement (cambium). À partir du XII e siècle, afin de matérialiser le contrat de change, le banquier rédige une lettre dite lettera di pagamento qu il confie au client déposant afin qu il puisse se faire verser les fonds
i. origines et principes du trade finance 19 par le correspondant de la banque sur le lieu de paiement 6. Conçu à l origine comme une alternative au transport des métaux précieux, cet instrument financier va permettre d obtenir à la fois un paiement et un crédit afin de s acquitter du prix de la marchandise. Ce qui est d ores et déjà à noter, c est l imbrication entre le sousjacent commercial constitué par la marchandise, les documents et l intermédiation des banques. Ces piliers vont devenir le socle du développement futur de ces métiers de financement du commerce international et donneront naissance, par la suite, au Trade Finance. L évolution des transports, avec l apparition des premiers clippers, va bouleverser la donne économique. Ces voiliers très rapides devaient acheminer en un temps record des marchandises comme le thé, le coton des empires coloniaux vers l Europe. En moins de deux siècles, la capacité de transport par navire va passer de 200 tonneaux à 800 tonneaux 7 et le temps de transport se réduire par deux. La seconde moitié du XIX e siècle voit ainsi l émergence d une finance tournée vers le commerce colonial. Nantes, Bordeaux, Marseille, Le Havre figurent parmi les places les plus actives, où commencent à se structurer des équipes documentaires spécialisées au sein des banques de la place. À l image du port du Havre, où grâce au commerce du coton, du café, du cacao, des banques comme la Société Générale et la Banque de Mulhouse se font une spécialité de financer ces transactions. La Banque de Mulhouse en est un bon exemple. Fondée en 1871, elle exerce son activité dans le Haut-Rhin, le Bas-Rhin, le Territoire de Belfort, les Vosges, la Haute-Saône, le Doubs, Paris et Le Havre. Cette banque s installe au Havre pour mieux suivre les financements avancés à leurs nombreux clients des filatures de l Est de la France et, par extension, aux négociants havrais. Ainsi, entre 1860 et la veille de la première guerre mondiale, le commerce de coton au Havre passe de 500 000 à 1 000 000 balles par an 8. En se rapprochant ainsi des négociants et des armateurs, la banque disposait d un meilleur contrôle sur la marchandise en assistant à son déchargement et en la 6. Jacques Branger, Traité d économie bancaire, Tome I, Chapitre II, Presses Universitaires de France, p. 38 à 42 (1965). 7. Ancienne unité internationale utilisée dans la marine pour évaluer le volume d un navire et équivalant à 2,83 m 3. 8. Pour en savoir plus sur le développement du port du Havre à cette époque, se référer au livre de Tristan Gaston-Breton, Deux siècles d aventure économique, Le Cherche Midi (2002), et à l ouvrage de Claude Malon, Le Havre colonial de 1880 à 1960, Publications des Universités de Rouen et du Havre, Presses universitaires de Caen (2005).
20 trade finance faisant stocker. Par une ironie de l histoire, la Banque de Mulhouse fut rachetée par le Crédit Commercial de France (CCF) en janvier 1929 9. Le CCF allait se faire racheter beaucoup plus tard (avril 2000) par une autre banque qui s était développée grâce au commerce colonial de l Empire britannique, la Hong Kong and Shanghai Bank, devenue HSBC. D autres banques connaissent aussi des croissances spectaculaires par leur participation au commerce colonial, comme la Société Générale, la CNEP, ancêtre de l actuelle BNP Paribas ou la Banque de l Indochine 10. Les banques françaises étaient peu disposées à financer les opérations de commerce international. En effet, ces banques ne voulaient pas financer des transactions qui ne comportaient pas d instruments de mobilisation ou de recours cambiaire. C est l État qui, au lendemain de la première guerre mondiale, va montrer la voie en favorisant la création d un établissement ad hoc, inspiré par Étienne Clémentel 11 en juin 1919, et qui verra le jour le 4 mars 1920, sous le nom de Banque Nationale Française du Commerce Extérieur (BNFCE). Cette banque avait pour vocation de financer les opérations «ayant trait au commerce d importation et d exportation». La crise de 1929 et la baisse du volume des opérations de commerce extérieur réduisirent son activité. Il faut attendre le lendemain de la seconde guerre mondiale et la loi du 2 décembre 1945 pour voir de nouveau apparaître un établissement destiné à financer le commerce extérieur, la Banque Française du Commerce Extérieur (BFCE). Contrairement à son ancêtre, la BNFCE, ce nouvel établissement, dans lequel les grandes banques de l époque devinrent plus tard actionnaires (Caisse Nationale du Crédit Agricole, Banque Nationale pour le Commerce et l Industrie, Comptoir National 9. Jean-Pierre Daviet et Michel Germain, 1894-1994 Crédit Commercial de France, une banque dans le siècle, Les Éditions Textuel (1994). 10. Extrait des articles d Hubert Bonin, professeur d histoire à l IEP Bordeaux : «French overseas banking as an imperial system: a background for Asian development» et «Le Comptoir National d Escompte de Paris, une banque impériale (1848-1940)», Revue française d histoire d outre-mer, Tome 78, n 293, 1991, p. 477-499. Hubert Bonin a par ailleurs écrit des ouvrages spécifiques sur ces banques : The French banks in the Pacific area (1860-1945), East meets West. 11. Étienne Clémentel (1864-1936), homme politique français de la III e République. Dans les domaines qui touchent au commerce extérieur, il est un des initiateurs de la Chambre de Commerce Internationale en 1919, dont il est le premier Président. Il est également le Président des Conseillers du Commerce Extérieur dont il organise le Conseil national. Pour plus d information, se référer aux sites suivants http://www.economie.gouv.fr/ caef/etienne-clementel et http://www.histoire-politique.fr/index.php?numero=16&ru b=dossier&item=154.
i. origines et principes du trade finance 21 d Escompte de Paris, Crédit Lyonnais, Société Générale), avait pour vocation de travailler conjointement avec les banques pour promouvoir le commerce extérieur et non pas les concurrencer 12. Parallèlement, les banques françaises ont continué de financer les transactions commerciales de leurs clients entreprises. À la fin des années 1980, cette activité était devenue un métier de niche développé par quelques réseaux bancaires comme la BFCE ou le Crédit Lyonnais. Ces deux réseaux s étaient notamment spécialisés dans ces métiers de financement du commerce extérieur. À cette époque, pas d anglicisme dans la banque, il y avait des Directions du Commerce Extérieur (DCE) ou Direction de l International. Pas de plateforme administrative centralisée : les équipes de traitement des crédits documentaires étaient dispersées dans le réseau bancaire et les remises documentaires étaient souvent traitées dans les agences. Dans les années 1990, les banques ont trouvé de plus grandes sources de revenus dans leurs métiers de banque d investissement accordant ainsi moins d intérêt pour les métiers transactionnels. Il a fallu attendre les retombées de la crise de 2008 pour voir le Trade Finance être reconnu comme un acteur important dans le financement du commerce international. Sur la période 1990-2008, la croissance moyenne du commerce mondial a été de l ordre de 6,5 % par an en termes réels. La crise financière et bancaire, en asséchant les crédits bancaires, a contribué au ralentissement du commerce international (voir Graphique 1). 12. Les références de ce paragraphe sont extraites de l ouvrage de Jacques Branger, op. cit., Tome I, Chapitre XIV, p. 278-284.