R. G. N 2010/AB/742 le feuillet. COUR DU TRA VAIL DE BRUXELLES ARRET AUDIENCE PUBLIQUE DU 03 JANVIER 2012 4 ème Chambre DROIT DU rra vail - contrats de travail-employé Arrêt contradictoire Définitif En cause de: Madame Bi G Appelante, comparaît en personne assistée par Maître Marie Kokot, avocat à Bruxelles.. Contre: VA.S.B.L. ASSOCIATION NATIONALE.BELGE CONTRE LA TUBERCULOSE, dont le siège social est établi à 1170 Bruxelles, rue A. Solvay, 5 ; Intimée, représentée par Maître Jean-Jacques Peckel, avocat à Bruxelles. *
R,G, W2010/AB1742 2 éme feuillet La Cour du travail, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant: Vu le jugement prononcé le 25 février 2010, Vu la requête d'appel du 9 août 2010, Vu i'ordonnance du 8 septembre 2010 actant les délais de conclusions et fixant la date de l'audience sur la base de l'article 747, ~ l, du Code judiciaire, Vu les conclusions d'appel déposées pour l'asbl le 24 novembre 2010 et pour Madame G le 8 mars 2011, Vu les dossiers des parties, Entendu les conseils des parties à l'audience du 22 novembre 2011. * * * J. LES ANTECEDENTS DU LITIGE 1. Le 1er septembre 1986, Madame G du Docteur Dersheid dont l' ASBL d'infirmière. est entrée au service de la Clinique est le pouvoir organisateur, en qualité Les 5 et 6 septembre 2006, elle était de service de nuit. Elle devait débuter sa prestation à 20 h pour la terminer à 7 h 30 du matin, 2. Elle a été licenciée pour motif grave par lettre du 8 septembre 2006, rédigée comme suit: «Ce mercredi 6 septembre, à 3hOO du matin, alors que vous étiez en service de nuit, Monsieur V. adjoint de la directrice du nursing Madame G a constaté que le bureau infirmier qui vous était attribué, était allumé, fermé à clef et vide. Après vous avoir cherchée dans les locaux de l'unité (dont la salle de bain et le réfectoire) Monsieur V a poursuivi ses recherches avec Madame G, dans le reste du bâtiment. De retour au PV3 après plusieurs minutes, ils ont ensuite tenté d'ouvrir le local de rangement qui se trouve juste enface du bureau infirmier. La porte de ce local était visiblement entrouverte et bloquée par vousmême qui vous trouviez couchée et endormie. Vous vous êtes réveillée lors de la tentative d'ouverture. Monsieur V et Madame fi ont constaté que vous n'étiez pas en tenue de travail mais en sous-vêtements, ceux-ci étaient recouverts d'une chemise de nuit appartenant à l'institution et destinée aux patients. Alors que vous aviez la responsabilité de ce service (PV3), vous étiez manifestement ni en état ni en tenue adéquate permettant de répondre à toute demande d'un patient et/ou de réagir de manière appropriée face à un problème potentiel,
R.G. W2010/AB1742 3 ème feuillet. Vous n'étiez pas. à votre poste de travail et aucune information claire ne permettait de vous localiser rapidement en cas de nécessité. La tenue dans laquelle les personnes susmentionnées vous ont découverte. ainsi Hue l'installation d'un lit de fortune dans un local non prévu à cet effet et danslequel vous n'étiez pas censée vous trouver laisse en oùtre apparaître que vous aviezdélibérément décidé de vous isoler et de vous installer confortablement pour la nuit, au mépris des responsabilités qui vous incombaient..nous considérons que ces faits sont très graves et qù 'ils rendent définitivement et' immédiatement. impossible la poursuite de toute collaboration professionnelle. Nous vous notifions par conséquent notre décision de mettre fin avec effet immédiat,;} votre contrat de travail pour motif grave...». 3. Madame Qi novembre 2006. a contesté son licenciement par lettre de son conseil du 2 Elle a cité l'asbl en paiement d'une indemnité compensatoire de préavis et de dommages et intérêts"pour licenciement abusif. Par jugement du 25 février 2010, le tribunal du travail de Nivelles a déclaré la demande recevable mais"non fondée. 4. "MadameG 9 août 2010. a fait appel du jugement par une requête reçue au greffe le II. OBJET DE L'APPEL 5. Madame G demande à la Cour du travail de réformer le jugement et de condamner]' ASBL à lui verser: la somme de 103.177,36 Euros à titre d'indemnité compensatoire de préavis, à majorer des intérêts légaux et judiciaires à dater du 8 septembre 2006, la somme de 2.000 Euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif, à majorer des intérêts légaux et judiciaires à dilter du 8 septembre 2006. L'ASBL demande la confirmation du jugement. A titre subsidiaire, elle demande à Iii Cour de réduire l'iridemnité compensatoire de préavis sur base du salaire correspondant au mi-temps médical.
R.G. W2010/AB1742 4 ème feuillet III. DISCUSSION A. Réalité et gravité des faits reprochés 6. Les parties présentent la réalité des faits de manière fort différente. Selon l'asbl, Madame G se trouvait endormie le 6 septembre 2006 à 3 h du matin et n'était pas en mesure de répondre aux éventuels appels imprévus des patients. Selon l'asbl, elle s'était installée pour «passer confortablement la nuit». Madame G ~xpose qu'elle était en pause, n'était pas endormie et était en mesure de donner suite aux appels éventuels. Elle précise qu'elle s'était retirée dans le local de rangement pour faire quelques exercices de kinésithérapie destinés à soulager son épaule droit atteinte d'une PSH calcifiante. Elle fait valoir que la porte du local était entrouverte et qu'elle était parfaitement identifiable. 7. Il est établi que lorsque Monsieur y, présentés dans le service, Madame G rangement et n'était pas en tenue de travail. et Madame G se sont se trouvait dans le local de Les déclarations de Monsieur y, et Madame G selon lesquelles Madame G se trouvait endormie, sont contestées et ne sont confirmées par aucun élément objectif du dossier. C'est ainsi que selon les photos déposées, Madame G était éveillée: il paraît aléatoire de vouloir déduire de l'expression et des traits apparaissant sur cette photo que peu de temps avant qu'elle ait été prise, Madame G dormait. Par ailleurs, comme une intervention de Madame G a été nécessaire pour permettre l'ouverture de la porte, Monsieur V et Madame G n'ont pas pu constater que Madame G était effectivement endormie. 8. L'explication selon laquelle Madame G était en pause paraît plausible. Selon l'horaire repris en annexe au règlement de travail, en cas de prestation de nuit entre 20 h et 7 h du matin, le membre du personnel a droit à une demi-heure de table à prendre entre 23 h et 1 h 30 ainsi qu'à une pause à prendre «selon les impératifs organisationnels du service». Aucune directive n'ayant été donnée, il appartenait au membre du personnel de déterminer lui-même le moment de la pause en fonction de son appréciation des impératifs organisationnels. Le choix de Madame G de faire une pause vers 3 heures du matin, soit aux deux tiers environ de la prestation, a pu paraître approprié. Pendant cette période, Madame G était libre de s'installer où elle le souhaitait et ne devait pas être en mesure de répondre aux appels des patients.
R.G. N 201O/ABI742 Sème feuillet Contrairement à ce qu'affirme l'asbl, Madame (, n'avait donc pas «à se trouver dans le bureau de son service ou dans une chambre de patient». Elle pouvait se trouver dans le local de rangement. Il peut sembler curieux que pour une brève pause de IS minutes, Madame G ait ôté sa blouse de travail. Ce fait ne suffit pas, néanmoins, à établir, comme l'affirme l'asbl, qu'en réalité, elle avait décidé «de (s') installer co,?!ortablement pour la nuit li. Pour le reste, le fait que Madame G se soit rendue chez son médecin le lendemain de l'incident et que ce dernier atteste qu'elle aurait pu être reconnue en incapacité complète de travail est sans incidence sur l'appréciation de la réalité et de la gravité des faits. De même, la circonstance que par le passé, Madame G serait déjà restée en défaut de répondre aux appels des patients, n'est pas démontrée. Si de tels faits ont été précédemment constatés au sein de la Clinique, il n'est pas établi que ces autres faits étaient imputables à Madame G 9. L'existence d'une faute présentant un caractère suffisant de gravité et de nature à justifier le licenciement pour motif grave d'une travailleuse occupée depuis plus de 20 ans, sans reproche, n'est donc pas établie. B. Conséquences Indemnité compensatoire de préavis 10. MadameG a droit à une indemnité compensatoire de préavis. Cette indemnité doit être calculée sur base d'une rémunération à temps plein et non pas en fonction de la rémunération perçue dans le cadre de l'activité réduite autorisée par le médecin-conseil de la mutuelle de Madame G La Cour constitutionnelle a décidé en ce sens: «L'article 39, f 1er, de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail viole les articles 10 et Il de la Constitution s'il est interprété en ce sens que le travailleur en incapacité de travail qui reprend partiellement le travail avec l'accord du médecin-conseil de sa mutuelle a seulement droit à une indemnité de congé dont le montant est calculé sur la base de la rémunération en cours à laquelle il a droit pour ses prestations de travail réduites. La même disposition ne viole pas les articles 10 et Il de la Constitution si elle est interprétée en ce sens que le travailleur en incapacité de travail qui reprend partiellement le travail avec l'accord du médecin-conseil de sa mutuelle a droit à une indemnité de congé dont le montant est calculé sur la base de la rémunération en cours pour des prestations de travail complètes, à laquelle il a droit en vertu de son contrat de travail au moment du préavis» (C. Const., arrêt no89/2009 du 28 mai 2009).
R.G. W2010/AB1742 6 ème feuillet 11. La durée du préavis convenable doit être déterminée «eu égard à la possibilité existant pour l'employé de trouver rapidement un emploi adéquat et convenable, compte tenu de son ancienneté, de son âge, de ses fonctions et de sa rémunérl:ltion, en fonction des éléments propres à la cause» (cft notamment, Casso 2 décembre 2002, www.juridat.be. S. 020060N ; Casso 4 février 1991, Pas. 1991, p. 536; Casso 3 février 1986, J.T.T.1987, p. 58; Casso 17 septembre 1975, Pas. 1976, 1,p. 76). 12., En l'espèce, compte tenu de son âge (52 ans), de sa rémunération (56.278,56 Euros) et de son ancienneté (20 ans), Madame G pouvait prétendre à un préavis de 20 mois. 13. Madame,G a donc droit à une indemnité compensatoire de préavis égale 20/12 x 56.278,56 Euros = 93.797,60 Euros bruts à majorer des intérêts au taux légal depuis la date du licenciement.. Dommages et intérêts pour licenciement abusif, 14. Le licenciement d'un employé n'est abusif qu'en présence d'une faute, d'un dommage et d'un lien de causalité. En ce qui concerne l'existence d'une faute, il est admis que le droit de mettre fin au contrat de travail peut être exercé par chacune des parties de manière discrétionnaire: sauf protections particulières, la loi ne limite pas les circonstances dans lesquelles ce droit peut être exercé. Le droit de licencier ne peut toutefois être exercé de manière abusive. Selon la Cour de cassation, constitue un abus de droit, l'exercice de droits d'une manière qui excède manifestement les limités de l'exercice normal de ces droits par une personne prudente et diligente (Cass. 8 février 2001, RG n C. 980470N; Cass., 1 er février 1996, Pas. 1996, l, n 66). De même, il peut y avoir abus de droit, lorsqu'un droit est exercé sans intérêt raisonnable et suffisant, notamment lorsque le préjudice causé est sans proportion avec l'avantage recherché ou obtenu par le titulaire du droit (Cass. 30 janvier 1992, Pas" 1992, J, p. 546; Casso 20 février 1992, Pas. 1992, J, n 325). En ce qui concerne le dommage, il est admis que le préjudice doit être distinct, en tous ses éléments, de celui que l'indemnité compensatoire de préavis est destinée à réparer (voir Casso 19 février 1975, Pas., p. 622) et que l'existence d'un préjudice distinct doit être vérifiée en tenant compte de ce qu'en principe l'indemnité compensatoire de préavis couvre tant le préjudice matériel que le préjudice moral découlant de la rupture (voir Casso 7 mai 2001, J.T.T., 2001, p. 410) ; 15. En l'espècè, la demande de dommages et intérêts n'est pas fondée. Il est exact que compte tenu de l'absence de preuves suffisantes, le motif grave a été invoqué avec" une certaine légèreté. En l'absence d'atteinte à l'honneur ou de
".-.. :" ~,...,... R.G. N"201 0/AB1742 7 èrnc feuillet publicité préjudiciable donnée au licenciement, celui-ci ne peut toutefois être. considéré comme. ayant généré un dommage distinct de celui que l'indemnité compensatoire de préavis est destinée à réparer. PAR CES MOTIFS, LA COUR DU TRAVAIL, Statuant contradictoirement, Vu la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire, notamment l'article 24 ; Déclare l'appel recevable et largement fondé, Condamne]' ASBL à verser une indemnité compensatoire de préavis égale à 93.797,60 Euros bruts à majorer des intérêts légaux et judiciaires à dater du 8 septem bre 2006, Réforme en conséquence le jugement, Déboute Madame G _ du surplus de ses demandes, Condamne l'asbl aux dépens des deux instances liquidés à 187,28 Euros à tire de frais de citation + (5.000 + 5.500 Euros à titre d'indemnités de procédure) = 10.687,28 Euros et lui délaisse les siens propres..
R.G. W201O/AB1742 gème feuillet f Ainsi arrêté par: J.-F. NEVEN, Y.GAUTHY, A. VAN DE WEYER, Assistés de G. ORTOLANI, Consei ller, Conseiller social au titre d'employeur, Conseiller social au titre d'employé, Greffier A. VAN DE WEYER, J.'N \/ ' et prononcé, en langue française à ('audience PUbliqu?d{ Cour du travail de Bruxelles, le 03 janvier 2012, où /,étaient présents: i.- a 4 ème Chambre de la J.-F. NEVEN, G ORTOLANI, Conseiller, Greffier