2. Les éléments retenus à charge ou à décharge



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ÉTUDE DROIT BANCAIRE ET FINANCIER ÉTUDES ET COMMENTAIRES AFFAIRES 1339 COMMISSAIRE AUX COMPTES La mise en cause des commisaires aux comptes par l AMF à la suite d un manquement à la bonne information du public est déterminée à la suite de la prise en compte d éléments à charge et à décharge. 1339 La mise en cause des commissaires aux comptes par l AMF pour diffusion de fausse information 2. Les éléments retenus à charge ou à décharge L Étude rédigée par Frédéric Peltier Frédéric Peltier est docteur en droit, avocat associé Dethomas Peltier Kopf Juvigny 1 - La responsabilité des commissaires aux comptes devant la commission des sanctions de l AMF dépend de deux séries de critères qui trouvent application de manière cumulative. Tout d abord cette mise en cause dépendra de la nature des travaux qu il leur appartient d effectuer sur l information «contestable» diffusée par l émetteur, laquelle est variable en fonction des documents ou informations communiqués par l émetteur, mais qui demeure, en application de normes professionnelles, dans le strict champ d une obligation de moyens 1. Elle résultera également des conditions concrètes de mise en œuvre de leurs travaux qui permettent de mesurer la qualité des diligences accomplies par rapport au référentiel applicable, c est-à- 1 1 re partie de cette étude, V. JCP E 2014, 1324. LA SEMAINE JURIDIQUE - ENTREPRISE ET AFFAIRES - N 25-19 JUIN 2014 Page 39

1339 ÉTUDES ET COMMENTAIRES AFFAIRES dire aux normes d exercice professionnel, et qui permettent de distinguer des éléments à charge ou à décharge. 2 - Nous nous attacherons dans ce qui suit à tenter de recenser les différents éléments à charge et à décharge retenus par la commission des sanctions de l AMF et la cour d appel de Paris, pour déterminer s il y a lieu ou non de sanctionner les commissaires aux comptes dans le cadre de la mise en œuvre de leur mission. Nous verrons que les décisions assez nombreuses 2 ont permis l émergence d une jurisprudence désormais claire. Il existe donc pour les commissaires aux comptes une réelle possibilité d anticipation de certains points-clés sur lesquels l AMF fonde ses décisions. Il est ainsi possible d opérer une sélection des éléments à charge et des éléments à décharge sur lesquels sont fondées les décisions à l encontre des commissaires aux comptes. 3 - Au préalable, il convient de rappeler que dans sa décision du 29 juin 2012 3 la commission des sanctions de l AMF a jugé que la communication faite par les commissaires aux comptes ne porte pas sur les comptes eux-mêmes «mais sur leur régularité et leur sincérité, ainsi que sur la fidélité de l image que ces comptes donnent du résultat des opérations de l exercice, de la situation financière de la société et de son patrimoine ; que cette régularité, cette sincérité et fidélité s apprécient globalement et peuvent faire l objet d une attestation délivrée sans réserve si le contrôle opéré selon les normes de la profession n a pas révélé d anomalies significatives par leur montant ou par leur nature». Or lesdites anomalies doivent être décelées et signalées par un contrôle suffisamment diligent, ainsi qu évoqué précédemment. 4 - Si la certification vaut en quelque sorte «bon à tirer» pour l information contenue dans les comptes, il reste que ce «bon à tirer» ne saurait se confondre, une fois encore, avec un certificat d exactitude. La certification signifie seulement que des diligences approfondies ont été effectuées et que les comptes dans leur ensemble, établis en conformité avec le référentiel comptable annoncé, sont sincères et donnent une image fidèle de la situation des opérations et de la situation de l émetteur. 5 - Le régime de responsabilité des commissaires aux comptes en matière de diffusion de fausse information repose dès lors, d une part, sur une présomption forte de connaissance par ces derniers des anomalies significatives retenues comme fait générateur de la diffusion d une fausse information, car les contrôles qu ils effectuent sont censés les détecter, et, d autre part, en cas d ignorance de ces anomalies, sur une décharge de responsabilité très limitée, car l inefficacité des contrôles ne saurait être qu exceptionnelle. Les éléments à décharge ne sont pourtant pas dénués d efficacité. 1. Les éléments à charge 6 - Les décisions de la commission des sanctions de l AMF de ces dernières années retiennent deux grandes catégories de griefs à l encontre des commissaires aux comptes. Il leur est reproché d avoir certifié des comptes sans réserve, alors qu ils savaient ou auraient dû savoir que ceux-ci contenaient une information incomplète, inexacte ou trompeuse, et par voie de conséquence de n avoir pas attiré l attention du lecteur par une observation appropriée ou émis une réserve sur l insuffisance d une information en annexe. A. - Les commissaires aux comptes «savaient ou auraient dû savoir» 7 - Le reproche fait à l encontre des commissaires aux comptes résulte directement de la rédaction de l article 632-1, alinéa 1 du règlement général de l AMF selon lequel la diffusion d informations inexactes ou trompeuses a été effectuée alors que le mis en cause savait ou aurait dû savoir que celles-ci étaient inexactes ou trompeuses. La connaissance du caractère inexact ou trompeur d une information publiée au travers des comptes s apprécie strictement au regard des diligences attendues des commissaires aux comptes, en application de leurs normes. Ce n est que s il est établi que l application de ces normes aurait permis d identifier la diffusion d une fausse information que le commissaire aux comptes sera jugé comme fautif. En d autres termes, l application des normes est censée permettre au commissaire aux comptes de déterminer le caractère fautif d une information sur lequel il émettra une réserve dans son opinion. Le régulateur boursier part du principe que les diligences des commissaires aux comptes, si elles sont mises en œuvre conformément aux normes d exercice professionnel, doivent permettre à ces derniers de «savoir» le caractère faux et trompeur de l information. 8 - La jurisprudence n apporte que de rares cas où il est avéré que les commissaires aux comptes auraient dû savoir que l information litigieuse était incomplète ou trompeuse, et des cas encore plus isolés où il est avéré que les commissaires aux comptes savaient que l information était incomplète ou trompeuse et qu ils ont, malgré cela, participé à la délivrance de cette information en certifiant les comptes sans émettre de réserves. Il en va ainsi notamment lorsque les commissaires aux comptes certifient sans réserve des comptes consolidés alors qu ils savaient que le chiffre d affaires et les résultats de la société étaient majorés à tort par des contrats dont l avancement réel n avait pas été justifié 4. Dans cette affaire, il était fait grief aux commissaires aux comptes d avoir certifié sans réserve des comptes alors que les travaux effectués ne leur avaient pas permis d obtenir l assurance que 2 Un peu plus d une vingtaine. 3 À l égard de la société Bricorama SA, de MM. Jean Claude Bourrelier, A, B et du cabinet X. 4 AMF, Société C2D, MM. A, B et C, 18 nov. 2004 et CA Paris, 17 déc. 2008. Page 40 LA SEMAINE JURIDIQUE - ENTREPRISE ET AFFAIRES - N 25-19 JUIN 2014

ÉTUDES ET COMMENTAIRES AFFAIRES 1339 le chiffre d affaires d un contrat significatif (représentant 61 % du chiffre d affaires consolidé) était comptabilisé conformément aux normes comptables applicables, selon la méthode de l avancement 5 (le pourcentage d avancement du contrat ayant été majoré à tort par la direction). 9 - L imputabilité aux commissaires aux comptes des faits constitutifs d un manquement à l information du public a été exposée par la commission des sanctions dans une décision du 28 février 2008 6 dans les termes suivants : «Considérant que les commissaires aux comptes n encourent une sanction que s il est établi, soit qu ils savaient que les informations communiquées par la société avec leur aval étaient inexactes, imprécises ou trompeuses, soit que l accomplissement des diligences normales prévues par les textes leur auraient permis de savoir». Dans cette affaire, la notification de griefs reprochait aux commissaires aux comptes d avoir délivré au marché une information inexacte, imprécise ou trompeuse dans l avis formulé à l occasion de la note d opération lors du lancement de l émission d actions à bons de souscription d action, et, en particulier, de ne pas avoir formulé de réserves sur la dette de TVA comptabilisée. Le manquement n a finalement pas été retenu à l encontre des commissaires aux comptes puisque, d une part, ceux-ci ne «savaient pas» (s agissant d une fraude qui leur avait été dissimulée par la direction) et, d autre part, que les diligences effectivement mises en œuvre conformément aux normes d exercice professionnel ne leur avaient pas permis d identifier les anomalies (les rapprochements de TVA examinés lors des précédents audits n avaient pas révélé d anomalies et ce rapprochement de TVA n était pas une diligence requise dans le cadre d un contrôle d une note d opération). 10 - Il existe un risque de décalage entre le régulateur boursier et les professionnels du chiffre qui revendiquent le principe de «l assurance raisonnable» pour demeurer dans les critères d une obligation de moyens. Certes, dans la décision de la commission des sanctions de l AMF du 21 février 2008 7, où le grief tiré d un manquement à l obligation d une bonne information du public était fondé sur le fait que les commissaires aux comptes avaient, d une part, certifié sans réserves les comptes consolidés du groupe et, d autre part, attesté sur la base d un examen limité, ne pas avoir relevé d anomalie significative alors qu ils auraient dû savoir que ces comptes étaient inexacts compte tenu de la comptabilisation à tort de factures à établir non justifiées, ils ont été mis hors de cause en considérant que les procédures de confirmation des clients mises en œuvre permettaient aux commissaires aux comptes de leur fournir une Les commissaires aux comptes doivent adapter leurs contrôles au secteur d activité concerné «assurance raisonnable» sur la réalité des factures à établir. Mais cette appréciation du caractère exonératoire de l assurance raisonnable peut être variable. Ainsi dans l affaire Carrere la commission des sanctions de l AMF a sanctionné les commissaires aux comptes dans une décision du 19 juillet 2012, alors que la cour d appel de Paris a annulé cette sanction en précisant que le contrôle des commissaires aux comptes : «doit s opérer selon les normes de la profession ; que la norme d exercice professionnel ( ) NEP 320 exige que les commissaires aux comptes, afin de formuler leur opinion, mettent en œuvre un audit leur permettant d obtenir l assurance, élevée mais non absolue, qualifiée d assurance raisonnable que les comptes pris dans leur ensemble ne comportent pas d anomalies significatives par leur montant ou par leur nature». En se référant aux normes d exercice professionnel pour apprécier les diligences des commissaires aux comptes, la commission des sanctions de l AMF doit rester dans les limites établies par les normes d exercice professionnel ayant valeur réglementaire et qui s inscrivent avant tout dans la logique d une obligation de moyens. Ainsi à partir du moment où le professionnel met en œuvre des diligences requises par les normes, il n est pas systématiquement sanctionnable. 11 - Il reste bien entendu une marge d appréciation sur les moyens à mettre en œuvre en fonction des situations. L AMF tient également compte des spécificités propres au secteur d activité de la société contrôlée, les commissaires aux comptes devant adapter leur contrôle au secteur d activité de l entité contrôlée. 12 - Dans l affaire Marionnaud Parfumeries 8, l AMF a pu retenir que le secteur en question, celui de la distribution, aurait dû inciter les commissaires aux comptes à recourir à davantage de diligences en ce qui concerne les données relatives aux marges arrière. Selon l AMF en effet «les marges arrières constituent une notion clef dans les sociétés de distribution dans la mesure où elles ont une incidence directe et importante sur le niveau des résultats et du chiffre d affaires, et appellent, en conséquence, une vigilance et une rigueur particulières du contrôle exercé par les commissaires aux comptes sur ces postes» et que dès lors, ils «ont communiqué une information dont ils auraient dû savoir qu elle était incomplète». B. - Certification à tort sans réserve et/ou observations et justifications insuffisantes 13 - La lecture des décisions de la commission des sanctions met en évidence que les griefs reprochés aux commissaires aux comptes résident dans environ 60 % des cas dans une certification des 5 Méthode qui consiste à enregistrer le résultat sur un contrat au fur et à mesure de l avancement des travaux. 6 Sociétés Prologue Software, S&W Associés, Ernst &Young Audit, Euroland Finance et MM. Vincent Young, François Sorel, Christian Léonetti, Thierry Boutin, Jacques Rouvroy, Marc Fiorentino, Laurent Pfeiffer. 7 Expertise et Services, France Audit, ODDO & CIE ( ). 8 AMF, Marionnaud Parfumeries, 5 juill. 2007. LA SEMAINE JURIDIQUE - ENTREPRISE ET AFFAIRES - N 25-19 JUIN 2014 Page 41

1339 ÉTUDES ET COMMENTAIRES AFFAIRES comptes dont les bilans et/ou les résultats sont erronés et dans 40 % des cas de comptes dont les annexes sont soit incomplètes soit erronées. Il est alors reproché au professionnel d avoir certifié à tort des comptes qui auraient dû faire l objet d une réserve. Mais il peut être simplement reproché, dans certains cas, au commissaire aux comptes de ne pas avoir attiré l attention du lecteur par une observation sur une information en annexe ou de ne pas avoir justifié de ses appréciations. Il convient donc de souligner le rôle essentiel des observations du commissaire aux comptes permettant d attirer l attention du lecteur des comptes sur des informations déterminantes pour leur compréhension. 14 - Le silence du commissaire aux comptes ne sera coupable que s il ne respecte pas ses normes d exercice professionnel. Selon l AMF, de telles carences ou omissions portent en elles-mêmes atteinte à la complète information des investisseurs, car l opinion indépendante des commissaires aux comptes sur les éventuelles erreurs ou insuffisances des états financiers est une information essentielle pour apprécier la solidité des informations qu ils contiennent. Si c est à l émetteur qu il revient de mentionner en annexe l information requise par les textes comptables, afin que le public dispose de l information la plus pertinente sur l émetteur, les commissaires aux comptes doivent, dans le cadre de la certification des comptes annuels ou consolidés, justifier de leur appréciation des éléments qu ils estiment déterminants pour la compréhension des comptes dont il assure le contrôle. Rappelons toutefois que, sauf en cas d incertitude sur la continuité de l exploitation ou de changement de méthode comptable, la formulation d une observation ne constitue pas une obligation, mais une possibilité si le commissaire aux comptes l estime utile, notamment sur le fondement de son jugement professionnel. 15 - La commission des sanctions 9 a eu l occasion de rappeler que lors de la certification des comptes, les commissaires aux comptes ont commis un manquement à la bonne information du public notamment en ne motivant pas leur appréciation de l enregistrement des actifs d impôts différés sur déficits reportables. Comme l indique le paragraphe 8 de la NEP 705 10, «les appréciations de nature à faire l objet d une justification se rapportent généralement à des éléments déterminants pour la compréhension des comptes», comme par exemple : dans leurs modalités de mise en œuvre lorsqu elles ont des incidences majeures sur le résultat, la situation financière ou la présentation d ensemble des comptes de l entité ; quant de données objectives et impliquant un jugement professionnel dans leur appréciation ; qu il s agisse du contenu de l annexe ou de la présentation des états de synthèse. 16 - Toutefois comme l illustre l annulation de la décision de la commission des sanctions du 19 juillet 2012 11 par la cour d appel de Paris 12, pour justifier la faute des commissaires aux comptes et caractériser un grief sur le fondement de l article 632-1 du règlement général de l AMF alors qu ils ont formulé une observation, il convient de faire preuve de cohérence. Pour mettre hors de cause les commissaires aux comptes, la cour d appel de Paris a observé que : «la Commission a estimé insuffisantes les observations émises par les commissaires aux comptes, et retenu un manque de diligences, au motif que les normes de leur exercice professionnel leur imposait de justifier leurs appréciations en vérifiant le caractère raisonnable des hypothèses sur lesquelles étaient fondées les estimations comptables, alors que dans le même temps, elle ne constatait pas que les comptes de l exercice 2006 certifiés sans réserve, pris dans leur ensemble, ne répondaient pas aux exigences de régularité et de sincérité appréciées au regard des anomalies significatives par leur montant ou leur nature, qu un contrôle diligent aurait permis de déceler, ni qu ils ne reflétaient pas une image fidèle du résultat des opérations de l exercice, de sorte que l opinion qu ils avaient émise dans le cadre de leur mission n était pas remise en cause». L arrêt de la cour d appel effectue la distinction entre le caractère complet de l information en annexe et une information qui serait erronée ou incomplète au regard de l article 632-1 du règlement général de l AMF qui aurait justifié une réserve en application des normes d exercice professionnel. Or l information était donnée en annexe sans que les comptes pris dans leur ensemble soient non réguliers non sincères ou ne donnant pas une image fidèle. Certaines décisions de mise hors de cause de commissaires aux comptes par la commission des sanctions de l AMF avaient déjà ouvert cette voie. 17 - Dans une décision du 24 mai 2007 13 où il était fait grief aux commissaires aux comptes d avoir insuffisamment attiré l attention du public sur la note de l annexe expliquant les principales hypothèses et la méthodologie retenues pour la valorisation de l écart d acquisition au regard de la forte sensibilité des hypothèses retenues et de n avoir pas émis de réserves sur les comptes, la commission des sanctions a finalement jugé : «Si les commissaires aux comptes ont certifié sans réserve les comptes 2002 de la société, ils ont assorti leur certification d observations dont l objectif est d attirer l attention du lecteur ( ) ; que ces observations renvoient elles-mêmes à la note 4 de l annexe des comptes consolidés ; que cette note permet d apprécier ( )». 18 - Dans une autre affaire 14, elle a souligné, également pour mettre hors de cause les commissaires aux comptes, que ces der- 9 AMF, Sté X, 20 mai 2010. 10 Norme d Exercice Professionnel 705 Justification des appréciations. 11 AMF, Carrere Group, 19 juill. 2012. 12 CA Paris, 30 janv. 2014. 13 Rhodia. 14 23 févr. 2006, décision anonymisée. Page 42 LA SEMAINE JURIDIQUE - ENTREPRISE ET AFFAIRES - N 25-19 JUIN 2014

ÉTUDES ET COMMENTAIRES AFFAIRES 1339 niers avaient à juste titre attiré l attention du lecteur sur la note de l annexe relative à la correction d erreur : «ont pour leur part attiré l attention du lecteur du rapport annuel 2002 sans remettre en cause l opinion exprimée ci-dessus ( ) sur le point ( )». 2. Les éléments à décharge 19 - Les décisions de mise hors de cause des commissaires aux comptes sont fréquentes 15, mais ce grand nombre ne signifie nullement la clémence de la commission des sanctions à leur égard. En réalité la plupart des mises hors de cause des contrôleurs des comptes est la conséquence d une mise hors de cause de l émetteur ou de ses dirigeants, car les éléments qualificatifs du manquement à l information du public ne sont pas réunis. Il est clair en effet qu il ne saurait y avoir de mise en cause des commissaires aux comptes, sans mise en cause, à titre principal, de l émetteur et des dirigeants responsables en son sein de la diffusion de l information. 20 - Seules donc les mises hors de cause des commissaires aux comptes alors que l émetteur est condamné sont éclairantes sur les moyens de défense qui peuvent être retenus par la commission des sanctions. 21 - Deux types d éléments à décharge semblent efficaces : l attitude dolosive de la direction de l émetteur envers les commissaires aux comptes, l absence d impact significatif de l information erronée ou manquante sur la lecture des comptes dans leur ensemble. A. - Dol de la direction Le comportement dolosif des dirigeants peut permettre une mise hors de cause des CAC 22 - Un nombre significatif de décisions de la commission des sanctions relatent des faits de dol commis par les membres de la direction de l émetteur en contact avec les commissaires aux comptes. La tromperie de l émetteur et/ou de ses représentants légaux est de nature à exonérer les commissaires aux comptes de leur responsabilité pour diffusion d une information incomplète ou trompeuse, s ils ont par ailleurs effectué toutes les diligences requises pour leur mission 16. Rappelons que cet élément à décharge doit toutefois s apprécier dans le cadre d une obligation faite aux commissaires aux comptes de prendre en considération les risques de fraudes et erreurs dans l organisation de leur mission, en application d une norme d exercice professionnel spécifique 17. Là encore donc, en face de la possibilité d invoquer le comportement dolosif de la société et de ses dirigeants, la prise en compte des diligences opérées par les commissaires aux comptes est essentielle pour prouver l absence de comportement fautif. Dans une affaire jugée par la commission des sanctions 18, les commissaires aux comptes poursuivis pour n avoir pas relevé l existence dans les comptes annuels de factures non justifiées ont finalement été mis hors de cause, parce qu ils avaient dûment adressé des demandes de confirmation aux clients de l émetteur et avaient demandé la communication des bons de commande et de transport ainsi qu une déclaration écrite de la direction (prenant la forme d une «lettre d affirmation»). B. - Le caractère non significatif de l information inexacte/manquante 23 - Dans une décision de 2007 19 l absence de caractère significatif des chiffres litigieux avait été retenue par la commission des sanctions pour écarter l application de l article 632-1 du règlement général de l AMF. La notification de griefs indiquait qu «aurait faussé les comptes de manière significative la remise à l encaissement ( ) d effets non échus d un montant de 1,6 million d euros, qui n auraient pas dû être comptabilisés en disponibilités et qui représentaient 30 % et 26 % de la trésorerie comptabilisée respectivement dans les comptes sociaux et les comptes consolidés». Considérant que les effets dont l échéance est très proche de la date de clôture pouvaient valablement être comptabilisés en disponibilités, la commission des sanctions a jugé que la proportion des effets dont l échéance est très proche de la clôture et remis à l encaissement par rapport à l ensemble des disponibilités n était plus que de 18 % pour les comptes sociaux et de 15 % pour les comptes consolidés ; or ces chiffres n étaient pas significatifs puisqu ils étaient semblables à ceux de l année suivante qui, eux, n avaient pas été considérés suffisamment significatifs pour justifier une notification de griefs. L AMF rappelait au surplus que l impact sur la trésorerie était évalué à 3 % du bilan et était donc «mineur». 24 - Désormais la commission des sanctions s en réfère directement à la norme d exercice professionnel 320 qui impose que dans le cadre de leur audit, les commissaires aux comptes déterminent un seuil de signification, comme étant «le montant audelà duquel les décisions économiques ou le jugement fondé sur les comptes sont susceptibles d être influencés». La détermination de ce seuil de signification, précise la NEP 320, relève du jugement professionnel du commissaire aux comptes. C est clairement le raisonnement que la cour d appel de Paris a adopté pour annuler la sanction à l encontre des commissaires aux comptes dans l affaire Carrere 20, dès lors que l information incriminée n est pas 15 14 juin 2007, 21 novembre 2007, 29 novembre 2007, 21 février 2008, 3 septembre 2009, 10 décembre 2009, 31 mars 2011, 29 juin 2012. 16 Part. CA Paris, 1 er ch. H, 27 mai 2008, Sté Altran Technologies et a. 17 NEP 240 : «Prise en considération de la possibilité de fraudes lors de l audit des comptes». 18 AMF, Gespac, 21 févr 2008. 19 AMF, Paul Prédault, 14 juin 2007. 20 V. supra. LA SEMAINE JURIDIQUE - ENTREPRISE ET AFFAIRES - N 25-19 JUIN 2014 Page 43

1339 ÉTUDES ET COMMENTAIRES AFFAIRES susceptible de remettre en cause la régularité et la sincérité des comptes appréciées au regard des anomalies significatives par leur montant ou par leur nature, la responsabilité des commissaires aux comptes ne saurait être retenue pour diffusion de fausse information. 25 - À cet égard, dans une décision de 2009 21, la commission des sanctions a retenu que les commissaires aux comptes avaient pu valablement fixer un seuil de signification à 5% du résultat net avant impôt et qu en l espèce, puisque ce seuil n avait pas été dépassé, ils devaient être mis hors de cause. Il avait en effet été reproché aux commissaires aux comptes d avoir «permis la communication d informations financières inexactes, imprécises ou trompeuses sur la situation financière de la société X ( ), alors qu en leur qualité de commissaires aux comptes ils avaient connaissance des anomalies comptables significatives», ces anomalies portant sur le caractère erroné de la comptabilisation des subventions de recherche et développement. Ce grief n a finalement pas été retenu car, en application de la NEP 320, le montant de cette anomalie n excédait pas le seuil de signification et ne justifiait pas une réserve ou un refus de certifier de la part des commissaires aux comptes. 26 - La décision de la commission des sanctions du 29 juin 2012 22 n avait également fait qu appliquer les principes posés par la norme d exercice professionnel relative au seuil de signification. Les commissaires aux comptes de la société Bricorama avaient certifié les comptes consolidés sans réserve, alors qu il y manquait des informations sur les engagements de la société au titre de contrats de location et des informations relatives aux parties liées. La commission des sanctions a jugé que l absence de ces informations n était pas significative au regard de la norme d exercice professionnel 320. La régularité et la sincérité des comptes, la fidélité de l image que ceux-ci donnent du résultat des opérations de l exercice n étaient donc pas remises en cause, la commission des sanctions a ainsi précisé : «Considérant que la sincérité de ces comptes, «pris dans leur ensemble», doit, quant à elle, s apprécier au regard des «anomalies significatives par leur montant ou par leur nature» qu un contrôle suffisamment diligent aurait permis de déceler et de signaler ;». Elle a ajouté : «Considérant que l absence de mention, dans les documents annexés aux comptes consolidés ( ) aussi regrettable soit elle, est sans effet sur le contenu et, dès lors, sur le montant et la nature de ces comptes». Conclusion 27 - L élément matériel central du manquement à l information du public fondé sur les dispositions de l article 632-1 du règlement général de l AMF, lorsque le grief repose sur une irrégularité comptable affectant la régularité des comptes dans leur ensemble, peut être constitué par l absence d une réserve pour désaccord (par exemple sur le traitement comptable d un poste du bilan ou du compte de résultat) ou pour insuffisance de l information en annexe, ou, cas extrême du refus de certifier. L observation est réservée aux cas où le commissaire aux comptes estime nécessaire d attirer l attention du lecteur des comptes sur une information fournie dans l annexe, elle ne peut caractériser la diffusion d une information fausse ou trompeuse par le commissaire aux comptes. 28 - Les critères de mise en cause des commissaires aux comptes pour diffusion de fausse information sont donc, au final, en cohérence avec le régime général de la responsabilité civile en matière de certification des comptes. Les diligences des commissaires aux comptes, quelle que soit la nature de la responsabilité recherchée, ne sauraient être appréciées sans référence à leurs normes d exercice professionnel qui encadrent l identification et l appréciation des erreurs dans les comptes dans leur ensemble, en tenant compte de leur importance relative sur les agrégats financiers et de leur nature et sans mesurer tout aussi objectivement les conditions d exercice du contrôle des comptes. C est d ailleurs bien ce qu il faut comprendre de la décision de la commission des sanctions du 29 juin 2012 qui concluait ainsi : «nonobstant les réserves que l on peut avoir sur la qualité des diligences accomplies 23, il demeure que le fait d avoir certifié les comptes de chacun des exercices ( ) de la société Bricorama ne constitue pas la communication d informations inexactes ou imprécises sur la régularité des opérations de l exercice, non plus que sur la fidélité de l image que ceux-ci donnent du résultat des opérations de l exercice, de la situation financière de la société et de son patrimoine ; que dès lors aucun des manquements reprochés aux commissaires aux comptes sur le fondement des certifications qu ils ont données n est caractérisé». 29 - Ainsi cette responsabilité des commissaires aux comptes s agissant de la lisibilité des comptes au regard du principe de l image fidèle est-elle en grande partie une déclinaison d un des principes fondamentaux de cette profession qui doit exercer son esprit critique en toute indépendance vis-à-vis de son client, dans un cadre normatif qui n assimile pas la certification à une garantie absolue d exactitude. 21 AMF, Sté X, 10 déc. 2009. 22 AMF, Bricorama, 29 juin 2012. 23 Dont on observera qu elles ont été en l espèce jugées conformes à la norme d exercice professionnel en vigueur. Page 44 LA SEMAINE JURIDIQUE - ENTREPRISE ET AFFAIRES - N 25-19 JUIN 2014