Mission Création et Internet. Patrick ZELNIK, Jacques Toubon, Guillaume CERUTTI



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Transcription:

Mission Création et Internet Patrick ZELNIK, Jacques Toubon, Guillaume CERUTTI Réponse de l UFC Que Choisir 28 Septembre 2009

1. Comment répondre aux attentes des internautes en matière de développement de l offre culturelle légale sur internet (notamment musique, cinéma, livre et presse) Nous maintenons que l offre légale n est toujours pas attractive et il ne s agit pas seulement d un problème quantitatif (disponibilité des œuvres sur supports numériques). Concernant la musique, l industrie du disque et notamment le SNEP, arguent régulièrement que l offre est là car plus de 10 millions de morceaux de musique ont été numérisés. Cet argument oblitère que ce qui fait l attractivité d une offre c est avant tout sa qualité. Ce qui signifie que bien que la disponibilité est très importante elle n a pas de sens si elle ne s accompagne pas de modes de commercialisation adaptés aux préférences et aux usages des consommateurs. Tout d abord, on peut mettre en évidence l indisponibilité d offres (illimitées) par abonnement de qualité. En effet, les offres existantes sont, d une part, uniquement avec des DRMs (par exemple les offres d Orange, d Alice mais aussi de Music-me). D autre part, aucune d entre elles ne disposent de l ensemble des catalogues. Ce qui signifie que pour un tarif allant de 10 à 15 euros le consommateur n aura jamais accès à l ensemble de la musique qu il aime mais aussi qu il ne pourra pas l écouter sur le support de son choix. En effet, dans la majorité des cas, il s agit de DRMs Microsoft incompatibles, entre autres, avec le matériel Apple qui représente environ 70 % du marché des lecteurs MP3. Ces contraintes sont plus que rédhibitoires et expliquent le faible engouement des consommateurs pour le numérique payant. Les forfaits illimités doivent donc être sans DRMs et sans restrictions en terme de catalogues. Se pose également la question du prix. Il est évident que le prix ne correspond absolument pas à la disposition à payer du consommateur. Ce prix (0,99 euros) est d autant plus discutable qu il semble calqué sur celui des CDs alors même que les coûts ne sont pas ou ne devraient pas (beaucoup d intermédiaires deviennent redondants) être les mêmes. En effet, la production et la distribution d un CD représente 1/3 de son prix. Le coût de reproduction et de diffusion d un fichier numérique est quasi nul. La production et la distribution d œuvres numériques fonctionnent à coûts fixes (le coût marginal est quasi nul), chaque vente est un revenu et lorsque l investissement de départ est couvert, chaque vente est un profit. Par conséquent, il peut être très profitable de baisser drastiquement le prix des fichiers. La différence sera alors largement compensée par le volume. En effet, plus le consommateur aura l impression que l offre est bon marchée plus il sera susceptible de consommer. Cela est d autant plus vrai s il a le sentiment que le prix est un prix de marché et non un prix artificiel. Car il ne faut pas en douter, les consommateurs perçoivent que 0,99 euros est un prix bien trop élevé pour un fichier musical. On peut dire de même pour un fichier à 0,69 euros, prix proposé sur certaines plateformes, d autant plus qu il s applique aux catalogues plus anciens amortis depuis très longtemps. La structure des coûts de production et de distribution des œuvres numériques en fait un terrain favorable pour les offres illimitées. En effet, comme le coût marginal est quasi nul, l abondance constitue un modèle économique adapté, notamment car il permet de modifier les préférences des consommateurs en termes d allocation du revenu total disponible. Pour faire simple, l abondance, ce que l on appelle l illimité, parce qu elle apporte au consommateur plus de satisfaction, à pour lui un prix. Le consommateur accordera alors une plus grande partie de son revenu à la consommation de fichiers musicaux si l utilité marginale pour X 28 Septembre 2009 2

euro de plus dépensés est significativement supérieure à celle obtenue en achetant n titres à l unité. Concernant le cinéma nous pouvons faire des remarques similaires sur l opportunité des offres aux forfaits. Certes, le cinéma implique des investissements bien plus importants. Mais le film a l avantage d être commercialisé sur différents supports. Il est amortie, voir largement rentabilisé, une première fois en salle. Puis, ils génèrent d autres revenus notamment via les accords «d exclusivité» avec certaines chaines télévisées (principalement Canal Plus). Par conséquent, pour la VOD, nous pouvons développer la même analyse que celle présentée ex-ante avec les fichiers musicaux. Dans le domaine de la VOD, qui est le mode de consommation le plus adapté aux usages des consommateurs, l offre actuelle est particulièrement indigente. Peu d acteurs ont une vraie diversité de l offre que ce soit à l unité ou au forfait. Et au forfait, l offre est particulièrement scandaleuse puisque, depuis la loi création et internet, seuls les films sortis en salles depuis 36 mois et plus seront disponibles. Cette politique empêche le développement de ce type de marchés et prive l industrie du film de nouveaux revenus. 3. Comment favoriser le développement des offres culturelles légales sur internet. Le développement d une offre d œuvres numérisées a mis en évidence un réel problème : l existence de barrières à l entrée sur le marché des contenus. En effet, l industrie du disque, comme l industrie du film, semble faire preuve d une réelle volonté de tenir les distributeurs et les diffuseurs à l écart. La grande majorité des distributeurs de contenus est incapable d avoir accès à l ensemble des catalogues 1. De leurs cotés, les plateformes d hébergement ont toutes les peines du monde à négocier des accords permettant aux utilisateurs d utiliser librement leurs services. Dans cette perspective, il nous semble essentiel d encadrer un minimum ces deux types de marchés. a. Pour une régulation favorable au développement de l activité de distribution de fichiers numériques Pour avoir les faveurs du consommateur, un détaillant doit avoir une offre variée et proposer un certain nombre d œuvres clés (les hits, les blockbusters, etc ). Cela est encore plus vrai lorsqu il s agit d offres spécialisées. Par exemple, que vaut un site dédié au jazz sans une partie des albums de Chet Baker ou de Duke Ellington ou un site spécialisé dans les films de science fiction sans les œuvres de Steven Spielberg? Nous estimons que les catalogues de films ou de musiques constituent une facilité essentielle. L accès à ces derniers doit donc être permis, à des conditions raisonnables (prix) et parfaitement transparentes, à tous. Comme pour une infrastructure physique, ces conditions doivent être garanties par un régulateur (le CSA?) : soit de manière ex-ante en encadrant les conditions d accès aux 1 Voir par exemple l article de S. Maul, Are the major labels sandbagging online music? An antitrust analysis of strategic licensing practices?. New York University Journal of Legislation and Public Policy, 2003; 7: 365. 28 Septembre 2009 3

catalogues, comme le fait, par exemple, l Autorité de Régulation des Communications Electroniques et des Postes (ARCEP) pour la boucle locale de téléphonie fixe, soit de manière ex-post, en cas d abus, avec un pouvoir similaire à celui relatif au règlement de différents dont bénéficie l ARCEP. Notre proposition s appuie sur différentes analyses qui reconnaissent que les détenteurs de droits sont en mesure de bénéficier d un pouvoir de monopole, de manière individuelle ou collective. L U.S. Department of Justice (DOJ), saisi dans l affaire Kazaa, Napster vs RIAA 2, ou la Federal Trade Commission (FTC), ont, à plusieurs reprises, fait une analyse similaire 3. Robert Pitofsky, ancien président de la FTC, a, de son coté, déclaré que la jurisprudence a étendu le concept de facilité essentielle à la propriété intellectuelle, notamment le copyright 4. En Europe, avec la jurisprudence «Magill» du 5 octobre 1995 5, la Cour de Justice des Communautés Européennes a intégré le droit d auteur dans le droit de la concurrence. Cet arrêté reconnait qu une base de données détenue par une entreprise spécifique et protégée par le droit d auteur peut constituer un actif critique pour d autres acteurs. En l occurrence l entreprise détenant cette base de données doit permettre l accès de cette dernière à des acteurs tiers. La Cour de Justice des Communautés Européennes ouvre ainsi la voie à un encadrement des entreprises potentiellement en monopole sur un actif intangible protégé par le droit d auteur. En France, le même type de problématiques a conduit l Autorité de concurrence, dans sa décision n 09-D-29 du 31 juillet 2009 relative à une demande de mesures conservatoires présentée par la société Euris, à admettre qu un actif intangible couvert par le droit d auteur peut constituer une facilité essentielle s il est non reproductible et nécessaire à la compétitivité d une autre entreprise 6. Ne pas donner un droit d accès à ce type d actifs constitue donc un abus de position dominante. Il ne s agit pas d exemples isolés. De multiples décisions de justice (nationales ou européennes) mettent en évidence que le droit de la concurrence peut s appliquer à la propriété intellectuelle et notamment au copyright 7. 2 Voir S. Maul (2003), cité précédemment. 3 Voir par exemple le dossier No. 971-0070 sur le site de la FTC, qui regroupe un certain nombre de cas impliquant les majors du disque. 4 ROBERT PITOFSKY, The essential facilities doctrine under United States antitrust Law, 8 9, http://www.ftc.gov/os/comments/intelpropertycomments/ pitofskyrobert.pdf 5 JUDGMENT OF THE COURT of 6 April 1996 in Joined Cases C-241/91 P and C-242/91 P: Radio Telefis Eireann (RTE) and Independent Television Publications Ltd (ITP) v. Commission of the European Communities (Competition - Abuse of a dominant position - Copyright) http://eurlex.europa.eu/result.do?arg0=radio+telefis+eireann&arg1=&arg2=&titre=titre&chlang=en&rechtype=rech_ mot&submit=search 6 «A ce stade de la procédure, les éléments contenus au dossier ne permettent pas d apprécier si la base de données de Cegedim est reproductible, et à quelles conditions, par un concurrent, et si elle constitue une «facilité essentielle» à laquelle son détenteur devrait donner accès sous peine de commettre un abus de position dominante, sauf raison légitime. Seule une enquête dans le cadre de l instruction au fond pourrait permettre d obtenir des éclaircissements sur ce point» Paragraphe 53, décision n 09-D-29 du 31 juillet 2009 de l Autorité de Concurrence. 7 Pour un recensement, voir par exemple les articles de F. Marty et J. Pillot «Divergences transatlantiques en matière d application de la théorie des facilités essentielles aux actifs immatériels», à paraître dans la revue d économie industrielle, ou «L application de la théorie des facilités essentielles dans la décision du Conseil de la Concurrence voyages-sncf.com : une analyse économique», Revue Lamy de la Concurrence, n 19, avril - juin 2009, pp. 20-26. 28 Septembre 2009 4

En l occurrence compte tenu de ces éléments, il apparait que les catalogues doivent être accessibles à tous dans des conditions transparentes et raisonnables. Ce qui signifie qu un encadrement de leur accès se justifie mais aussi qu une entreprise détenant un catalogue de films ou de musiques et qui refuse cet accès s expose au risque d une procédure pour abus de position dominante. b. Création d un régime de gestion collective, pour les plateformes d hébergement et les sites de streaming audio et vidéo Les plateformes de diffusion de contenus numériques et les sites de streaming constituent un accès privilégié pour le consommateur à un certain nombre de contenus audio et vidéo. Cependant, l usage de ces plateformes est toujours limité notamment à cause des conflits qui opposent constamment leurs dirigeants aux détenteurs de droits. Les premiers déplorent le difficile accès aux contenus (prix de gros élevés, catalogues verrouillés), les seconds regrettent de ne pas être (ou pas suffisamment) rémunérés pour l usage de leurs œuvres, qu ils considèrent parfois être de la contrefaçon. Notre expérience, notamment au sein du CSPLA, nous conduit à penser qu il sera difficile de créer un dialogue entre certaines de ces parties (hébergeurs et ayant droits) et que nous sommes dans une impasse. Pourtant, une solution assez simple pourrait mettre toutes les parties d accord. Il s agit de la mise en place d un régime de gestion collective semblable à ce qui peut exister pour la radio. Fonctionnement de ce régime de gestion collective : Pour une plateforme qui héberge des contenus protégés (Dailymotion, You tube, etc ): 1. Lors de la mise en ligne d une œuvre, un utilisateur d un hébergeur qui respecte le point 2, n a pas à demander l autorisation de chaque partie impliquée. Il est admis qu il a l autorisation de fait. 2. Les plateformes acceptent de s acquitter d une contribution proportionnelle au chiffre d affaire généré dans le territoire considéré pour l activité d hébergement pour toute utilisation d un contenu protégé. Le niveau de la contribution sera déterminé (en %) par négociation au sein d une commission équilibrée comprenant tous les acteurs impliqués. 3. L hébergeur se charge d identifier les œuvres pour lesquelles il dispose des empreintes et des métadonnées requises, et de communiquer les données relatives à l usage de ces œuvres à l organisme chargé de la perception des revenus versés par les hébergeurs et distribués aux artistes, créateurs et détenteurs de droits voisins. 4. L organisme chargé de la redistribution de la contribution des hébergeurs applique un principe d équité : 1/3 pour les artistes, 1/3 pour les auteurs/compositeurs et 1/3 pour les détenteurs de droits voisins. Pour les diffuseurs de contenus en streaming (Jiwa, Deezer, etc ) 28 Septembre 2009 5

5. Un diffuseur de contenus en streaming, qui respecte le point 2, peut diffuser l œuvre de son choix sans avoir à demander l autorisation de chaque partie impliquée. Il est admis qu il a l autorisation de fait. 6. Les diffuseurs de contenus en streaming s acquittent également d une contribution proportionnelle au chiffre d affaire généré dans le territoire considéré pour l activité de diffusion en cause. Le niveau de la contribution sera déterminé (en %) par négociation au sein d une commission équilibrée comprenant tous les acteurs impliqués. 7. Les diffuseurs de contenus en streaming ont le devoir de communiquer les données relatives à l usage des œuvres à l organisme chargé de la perception des revenus versés par les diffuseurs de contenus en streaming et distribués aux artistes, créateurs et détenteurs de droits voisins. 8. Pour éviter tout gaspillage le même organisme sera chargé de la perception et redistribution des revenus versés par les diffuseurs de contenus en streaming et par les plateformes d hébergement. 9. L organisme chargé de la perception et de la redistribution de la contribution des diffuseurs de contenus en streaming et par les plateformes d hébergement applique un principe d équité : 1/3 pour les artistes, 1/3 pour les auteurs/compositeurs et 1/3 pour les détenteurs de droits voisins. Sont exclus du régime de gestion collective obligatoire : 1. Les œuvres n ayant pas fait l objet d une commercialisation ou d une mise à disposition préalable par les créateurs eux même (musique et cinéma libre). 2. Les œuvres cinématographiques n ayant pas été mise à disposition par les créateurs ou commercialisées sur des supports autres que les salles de cinéma. Dispositifs techniques Les plateformes d hébergement s engagent à déployer des dispositifs techniques permettant : - L identification des œuvres, pour en garantir leur comptabilisation et leur rémunération par l organisme idoine. - de prévenir la mise en ligne d œuvres non autorisées (exceptions citées précédemment) - lorsque de tels contenus sont présents sur le site, de procéder à leur retrait et d empêcher toute nouvelle remise en ligne. 4. Comment garantir la diversité de ces offres et assurer l émergence de nouveaux talents? 28 Septembre 2009 6

Voir réponse à la question 6. 5. Quelles actions incitatives les pouvoirs publics peuvent-ils mettre en œuvre dans ce domaine Voir réponse à la question 6 6. Quelles sont les modèles possibles de financement des industries culturelles Les membres de la plateforme Création Public et Internet ont fait une proposition concrète pour parvenir, par le dialogue et la concertation, à un modèle de diffusion des œuvres qui assure à la fois un accès pour tous à une culture diverse et un financement équitable pour les artistes/créateurs. Pour atteindre cet objectif, nous proposons comme préalable, la légalisation et l encadrement des échanges hors marché contre une contribution payée par les internautes. Les créateurs bénéficieront ainsi d une rémunération pour l usage de leurs œuvres et de nouvelles sources de financement pour la création. Ce modus operandi permet également au consommateur, notamment à une large fraction de la population qui n a pas de revenus suffisants pour financer ce type de loisirs 8, de bénéficier d un accès élargi à la diversité culturelle. Notre proposition reste ouverte sur l ensemble des aspects relatifs à la perception et à la redistribution des revenus collectés. Cependant, pour amorcer le débat nous proposons de débattre d une proposition concrète : un financement mutualisé adossé à une licence collective autorisant les échanges d œuvres numériques entre individus. Le nom exact qui sera donné à ce dispositif n'est pas arrêté. Quels droits, quels devoirs? Nous proposons un droit au partage de fichiers, hors marché, accordé au consommateur. Pour bénéficier de ce droit, le consommateur doit s acquitter d une contribution financière chaque mois. Pour que le produit de cette contribution soit prévisible et acceptable par le monde de la création, elle doit être obligatoire. Pour qu'elle soit acceptable pour les consommateurs, son niveau doit être raisonnable. Nous sommes convaincus que cela est possible tout en garantissant des ressources suffisantes. Comment percevoir cette contribution? Nous proposons que cette contribution soit payée par le consommateur mais prélevée par les opérateurs télécoms. Il est très important que cette contribution apparaisse de manière distincte sur la facture du consommateur pour que ce dernier ait conscience qu il y a une contrepartie à ce nouveau droit, et que les œuvres de l esprit ne sont pas gratuites. De plus, ce 8 Une récente étude de l IFOP révèle que 37% de la population déclare ne pas être allée au cinéma en 2008. La principale raison évoquée est le prix de la place de cinéma. On peut aisément comprendre que les 50% de ménages français qui vivent avec moins de 16 910 euros/ans (source INSEE, 2008) peinent à intégrer ce type de dépenses (soit environ 10 euros par personnes) dans leur budgets. 28 Septembre 2009 7

mécanisme évite de polluer la stratégie prix des opérateurs, d introduire une opacité tarifaire ou des distorsions concurrentielles. Quel montant? Il doit faire l objet d une concertation entre les différents acteurs impliqués. La somme de 5 euros par mois semble être une bonne base de discussion. Il pourrait alors être dégagé chaque année autour de 1,2 milliard d euros de revenus pour la création. Ce montant semble raisonnable dans la mesure où parmi les 1,2 milliard d euros redistribués chaque année par la gestion collective pour la musique, l audiovisuel et le multimédia, moins de 20% concernent des ventes ou des licences directes aux usagers finaux, soit 240 millions d euros. Comment répartir? Nous proposons qu'une partie des sommes collectées soient affectée à la rémunération des contributeurs à la création des œuvres échangées sur internet (auteurs, détenteurs de droits voisins comme les interprètes et les producteurs de phonogrammes et vidéogrammes) et une partie à l'environnement de la création à venir. La répartition entre ces deux parts est à débattre et ne doit pas forcément être identique selon les médias. La répartition des sommes allouées à la rémunération liée aux œuvres existantes soulève plusieurs questions : 1. Quel partage entre les acteurs de la création? Il doit faire l objet d un débat. Faut-il suivre les modèles utilisés pour la copie privée avec, par exemple, un partage en 3 pour la musique, 1/3 pour les droits voisins des producteurs, 1/3 pour les auteurs/compositeurs et 1/3 pour les artistes-interprètes? 2. Comment identifier et comptabiliser les œuvres téléchargées pour assurer une redistribution des revenus qui soit la plus juste et la plus équitable possible? Différentes propositions existent dont les bénéfices ou les défauts devront être discutés. Sociétés de gestion collective, internautes et analystes sont tous d'accord sur la possibilité d'une répartition équitable. Les différences ne portent que sur le mode de mesure et devront faire l'objet d'un débat ouvert et d'expertises. 3. Comment rémunérer en fonction d'un usage donné? Dans la sphère numérique, il est injustifié de favoriser les ventes les plus importantes comme c'est le cas pour les ventes de supports. Il faudra donc prendre soin que les sommes non-réparties ne soient pas distribuées à un nombre limité de gros gagnants. Toutes les œuvres sont-elles concernées? Non, n entrent pas dans le champ de la licence : 1. Les œuvres n ayant pas fait l objet d une commercialisation ou d une mise à disposition préalable numérique par les créateurs eux-mêmes. 2. Une chronologie des médias minimale (celle qui sépare la projection en salles de la diffusion télévisuelle ou sur supports de films, le concert et sa diffusion numérique, le livre et sa diffusion sur internet) reste ainsi protégée. Bien sûr, les créateurs resteront libres de faire le choix d'une diffusion simultanée s'ils l'estiment utile. Par exemple pour la promotion des films, comme cela s'est déjà fait dans plusieurs cas. 28 Septembre 2009 8

La reproduction et diffusion non autorisée dans le cadre du dispositif doit rester sujette à la poursuite pour contrefaçon et celle-ci peut être efficace lorsqu'un ensemble de droits importants aura été reconnu pour les internautes. 7. Comment assurer une juste rémunération des artistes et des producteurs de contenus culturels Voir réponses aux questions 3 et 6. 9. Tout autre point que vous souhaiteriez porter à la connaissance de la mission. L UFC Que Choisir tient à souligner qu une nouvelle contribution des consommateurs à la création sans contrepartie serait inacceptable. L association rejette également une nouvelle taxation des fournisseurs d accès à internet (FAI) et cela pour deux raisons : 1. La présente mission vient en complément des lois sur la «protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur Internet» et «favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet» qui sont sensées supprimer les échanges sur internet. Ce qui signifie que seuls les échanges marchands perdureraient. Dans cette perspective, il devient difficile de justifier la participation des FAIs au financement de la création. En effet, cela aurait pu être discutée lorsque les FAIs vendaient l accès à internet en promettant de disposer librement des œuvres musicales et cinématographiques (et donc faisaient la promotion des échanges entre consommateurs). Avec les lois citées précédemment le consommateur ne pourra accéder qu aux œuvres disponibles sur des plateformes payantes ou sur des plateformes «gratuites» mais ayant acquis le droit de diffuser ces œuvres. L accès à ces plateformes constitue donc pour le consommateur un service aussi utile que l accès à des sites de vente par correspondance ou des comparateurs de prix. L opérateur ne peut donc pas valoriser ce service plus qu un autre. Il ne représente donc pas pour lui une prestation critique qui justifierait un paiement supplémentaire. Par ailleurs, les fournisseurs d accès à internet qui distribuent du contenu paient, très chèrement, des droits sans forcément parvenir à le rentabiliser. 2. Ensuite, l UFC Que Choisir s oppose à une nouvelle taxation qui pourrait être répercutée sur les prix et donc payée par le consommateur. Cela est d autant plus contestable si cette augmentation des prix est sans aucune contrepartie. Il ne serait pas admissible de pénaliser une fois de plus le consommateur qui prend déjà en charge, via les prélèvements obligatoires, la mise en place de dispositifs visant à enrayer les échanges de contenus sur internet. L association tient d ailleurs à attirer l attention de la commission sur un point. A l heure actuelle, la France dispose d une des meilleures offres haut débit du monde. Notamment, grâce au prix de 30 euros/mois pour le «triple play» imposé par Illiad/Free. Ce prix de 30 euros est devenu une marque de fabrique mais aussi une référence sur laquelle l ensemble des opérateurs doit s aligner. Si les prélèvements viennent à contraindre ces derniers à augmenter leurs prix ce repère pourrait disparaître et les prix évoluer de manière erratique. Le secteur des 28 Septembre 2009 9

communications filaires pourrait alors devenir comme celui du mobile un des moins compétitifs au monde. Dans cette perspective, la commission porterait une grave responsabilité dans les dommages subits par les consommateurs. Le seul prélèvement que l UFC Que Choisir admettra est celui qui pèserait directement sur le consommateur final en contrepartie d une légalisation des échanges. Il s agit de la proposition faite à la question 6. 28 Septembre 2009 10