Dermatoses du voyageur



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Transcription:

Dermatoses du voyageur! E. Caumes* RÉSUMÉ. Les dermatoses sont l une des principales causes de morbidité en voyage. Elles sont dominées par des dermatoses tropicales comme la larva migrans cutanée ankylostomienne, la leishmaniose cutanée localisée, la tungose et les myiases furonculeuses. Mais elles sont tout aussi fréquemment liées à des dermatoses cosmopolites : dermatite des nageurs, dermatite cercarienne, envenimation, dermatoses solaires, pyodermites, gale, piqûres ou morsures d arthropodes et maladies sexuellement transmissibles. Mots-clés : Larva migrans cutanée - Leishmaniose cutanée - Tungose - Myiases - Voyage. DONNÉES ÉPIDÉMIOLOGIQUES Les dermatoses sont la cinquième cause de morbidité en voyage, représentant 1,2 % des problèmes de santé dans une cohorte de 7 886 voyageurs suisses dans les pays en voie de développement (1). Les études de terrain confirment que les dermatoses sont un des premiers motifs de consultation chez le voyageur. Au Népal, elles représentent la troisième cause de consultation dans deux cohortes prospectives : 12 % parmi 860 problèmes de santé chez 838 touristes français (2) et 10 % parmi 19 616 consultations dans une clinique privée canadienne (3). Les principales dermatoses observées dans ce contexte sont la gale, les pyodermites et les mycoses superficielles. Aux Fidji et aux Maldives, les dermatoses sont la première cause de consultation des touristes, les principales d entre elles étant les pyodermites, les brûlures solaires et les plaies marines (4, 5). Au retour de voyage, les dermatoses représentent la troisième cause de consultation après la fièvre et la diarrhée. Une étude prospective de 269 patients consultant au retour de voyage pour des dermatoses a montré que 53 % d entre elles étaient liées à une maladie tropicale d importation (tableau I) (6). Les dermatoses du voyageur sont étroitement liées au pays visité et à leur délai de survenue. Les brûlures solaires, les blessures accidentelles (notamment marines) et les piqûres (ou morsures) d insecte sont plus souvent observées pendant le voyage qu au retour, et prédominent lors des séjours en bord de mer. Les pyodermites sont ubiquitaires et représentent une cause majeure de consultation. Les dermatoses observées au retour sont souvent des maladies tropicales. * Service des maladies infectieuses et tropicales (Pr F. Bricaire), Groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, 75651 Paris Cedex 13. Tableau I. Dermatoses observées au retour de voyage chez 269 voyageurs français consultant à Paris de 1991 à 1993 (6). Diagnostic n (%) Larva migrans cutanée 67 (24,9 %) Pyodermites 48 (17,8 %) Prurigo 26 (9,7 %) Myiases furonculoïdes 25 (9,3 %) Tungose (puce-chique) 17 (6,3 %) Urticaire aiguë 16 (5,9 %) Exanthème fébrile 11 (4,1 %) Leishmaniose cutanée localisée 8 (3 %) Gale 6 (2,2 %) Blessures superficielles* 5 (1,9 %) Mycoses cutanées 5 (1,9 %) Exacerbation dermatose préexistante 5 (1,9 %) Maladies sexuellement transmissibles 4 (1,5 %) Divers 17 (6,3 %) Indéterminé 9 (3,3 %) Total 269 (100 %) * Les blessures superficielles incluent une envenimation, deux blessures marines et deux réactions allergiques à des piqûres ou morsures d arthropodes. DERMATOSES TROPICALES DU VOYAGEUR Larva migrans cutanée ankylostomienne La larva migrans cutanée (LMC) est la plus fréquente des dermatoses observées en milieu hospitalier au retour de voyage (6). La maladie s acquiert sur les plages tropicales infestées par les déjections canines. La période d incubation est courte. Dans deux séries de 67 voyageurs français (6) et de 60 voyageurs canadiens (7), les signes cliniques apparaissent dans 51 % et dans 55 % des cas après le retour, les durées médianes d apparition étant respectivement de 8 jours (0-28 jours) et 5 jours (0-30 jours) après le retour. Les signes cliniques sont le prurit, une (ou plusieurs) lésion(s) cutanée(s) serpigineuse(s) (d évolution chronique), parfois compliquée(s) de lésions vésiculobulleuses ou impétiginisées 298 La Lettre de l Infectiologue - Tome XIV - n 7 - septembre 1999

(photo 1). Les sites habituels de localisation sont les pieds et les fesses. Une forme clinique particulière est la folliculite ankylostomienne, qui se présente comme une folliculite superficielle au sein de laquelle on peut distinguer des lésions serpigineuses (photo 2). Photo 1. Sillon serpigineux souscutané d une larva migrans cutanée ankylostomienne (Thaïlande). La présentation clinique est très variable du fait du grand polymorphisme clinique de la LCL : papule, nodule, plaque érythémato-croûteuse (photo 3), ulcération cutanée (photo 4). Les lésions sont peu nombreuses : de 1 à 3 dans le nouveau monde, de 1 à 10 dans l ancien monde. Les principaux arguments qui doivent faire évoquer le diagnostic sont épidémiologiques (retour d une région d endémie, cas multiples dans un même groupe de voyageurs), cliniques (localisation sur des zones découvertes accessibles aux piqûres de phlébotomes, chronicité, absence de douleur) et thérapeutiques (résistance aux antibiotiques souvent prescrits en pratique de ville). Photo 2. Folliculite superficielle (associée à des sillons sous-cutanés serpigineux) liée à une folliculite ankylostomienne (Martinique). Photo 3. Plaque érythématocroûteuse révélant une leishmaniose cutanée localisée de l ancien monde (Algérie). Photo 4. Nodule ulcéré de la cheville révélant une leishmaniose cutanée du nouveau monde (Guyane). Le diagnostic est clinique. Les principaux diagnostics différentiels sont les autres causes de dermatite serpigineuse : dracunculose, gnathostomiase, strongyloïdose (larva currens), loase et certaines myiases. Le traitement fait appel au thiabendazole par voie locale (pommade à 10-15 %) ou générale (50 mg/kg/j x 2 jours), à l albendazole (400 mg/j x3jours) ou à l ivermectine (12 mg en une prise) (8). Une étude prospective randomisée a montré qu une dose de 12 mg d ivermectine était significativement plus efficace qu une dose de 400 mg d albendazole (100 % versus 46 % ; p = 0,017) (9). La prévention de la larva migrans cutanée consiste à interposer entre soi et le sable de plages infestées une natte ou un tissu épais, à ne pas marcher pieds nus, ou à privilégier l endroit de la plage où le sable est régulièrement nettoyé par le flux des marées. Leishmaniose cutanée localisée Les leishmanioses cutanées localisées (LCL) peuvent s acquérir dans l ancien monde (Maghreb principalement) et le nouveau monde (Amérique latine, notamment forêt amazonienne). Des épidémies sont possibles dans un même groupe de voyageurs, avec des taux d attaque qui peuvent dépasser 50 % (10). Le délai médian d apparition des signes cliniques après le retour est de 15 jours (7-30 jours) dans une étude (11) et de 30 jours (1 jour à 5 mois) dans une autre étude américaine (10). Le diagnostic repose sur l examen parasitologique direct d un frottis de la lésion cutanée colorée au Giemsa et éventuellement sur la culture. Les causes de faux négatif sont liées à l inexpérience de l examinateur ou à une surinfection bactérienne ; dans ce dernier cas, il peut être nécessaire de refaire un frottis cutané après une cure d antibiotiques de 7 jours. Les principaux diagnostics différentiels sont les pyodermites, les myiases furonculoïdes, un ulcère tropical, une morsure d araignée, une morsure de tique. Le traitement varie en fonction du lieu de contamination, de la forme clinique de la LCL et de sa localisation. Il fait appel aux dérivés pentavalents de l antimoine par voie locale ou générale, aux sels de pentamidine, rarement à l amphotéricine B (12). La prévention des leishmanioses repose sur la lutte antivectorielle, avec des mesures identiques à celles prises contre le paludisme : application de répulsifs sur la peau, port de vêtements à manches longues et imprégnés de perméthrine, usage de la moustiquaire la nuit, dehors. Myiases furonculoïdes Les myiases furonculoïdes résultent de l infestation des tissus sous-cutanés par des larves de diptères : Cordylobia anthropophaga (ver de Cayor) en Afrique noire, Dermatobia hominis (ver macaque) en Amérique latine. La durée d incubation est courte : de 7 à 10 jours pour le ver de Cayor, de 15 à 45 jours pour le ver macaque. La Lettre de l Infectiologue - Tome XIV - n 7 - septembre 1999 299

Cliniquement, la lésion se présente comme une papule centrée par un point au travers duquel filtre un liquide sérohématique ou puriforme. Cette papule peut évoquer un furoncle, d où son nom, mais en fait elle est bien différente : absence de signes inflammatoires locaux ou régionaux, présence d une ulcération punctiforme centrale au travers de laquelle l extrémité caudale de l asticot est parfois visible (photo 5), surtout existence d un prurit local avec sensation de mouvements internes ressentis par le malade. Les lésions de myiase africaine sont volontiers multiples (de 1 à 94) et localisées aux zones couvertes. Les lésions de myiase américaine sont beaucoup moins nombreuses (de 1 à 3) et localisées aux zones découvertes (accessibles aux piqûres d insecte vecteur). Le diagnostic de myiase repose sur l examen anatomique de l asticot extrait de la lésion, cette extraction, quand elle est complète (il peut y avoir deux asticots présents), faisant office de guérison. La prévention de la myiase américaine fait appel à la lutte antivectorielle, et celle de la myiase africaine consiste à faire sécher le linge à l intérieur des maisons, ou, si celui-ci a été séché à l extérieur, à le repasser avec un fer chaud. Tungose (ou puce-chique) La tungose, ou puce-chique, est l infestation par une puce Tunga penetrans (13). Elle est acquise en Amérique latine, en Afrique et en Asie, jusqu à la côte Est de l Inde. La durée d incubation est courte (7 à 15 jours), et la puce peut survivre jusqu à un mois, en grossissant progressivement. Cliniquement, elle se présente comme une papule ou un nodule, le plus souvent unique, localisé à une extrémité de pied, souvent dans la zone périunguéale (photo 6). Ce nodule est particulier, en raison de l existence d un point noir central, qui correspond à l orifice de ponte de la femelle. Le diagnostic et le traitement sont assurés par l extraction de la puce en entier. La prévention se limite à ne pas marcher pieds nus. DERMATOSES COSMOPOLITES D INTÉRÊT POUR LE VOYAGEUR Dermatoses marines On distingue deux sortes de dermatoses marines. Les premières (dermatite cercarienne, dermatite du baigneur) sont acquises en se baignant (en eau douce, en eau de mer) dans une eau contaminée (par des cercaires de schistosomes animaux, par des larves urticantes d anémones de mer ou de méduses). Elles se présentent comme une éruption polymorphe très prurigineuse faite de macules, papules, vésicules et lésions urticariennes qui débutent dans les 24 heures suivant le bain (14). Les lésions cutanées sont localisées aux zones découvertes dans la dermatite cercarienne, aux zones couvertes par le maillot et aux zones de frottement dans la dermatite du baigneur. Dans les deux cas, le diagnostic est évoqué sur les données épidémiologiques et cliniques. Le traitement fait appel aux antihistaminiques et aux corticoïdes locaux. Photo 5. Myiase furonculoïde due à Cordylobia anthropophaga (ver de Cayor) (Congo). D autres dermatoses marines sont dues à un accident marin par envenimation (15). Les plus graves d entre elles sont liées aux méduses (photo 7) et aux poissons-pierres (photo 8), sans oublier les morsures animales (requin, murène, vive), les piqûres (poisson-scorpion, raie armée), les brûlures (corail, anémone de mer), les corps étrangers (oursin, corail). Certaines de ces envenimations peuvent être mortelles, le décès étant plus souvent lié à la noyade (douleur syncopale) qu à l envenimation proprement dite, sauf dans les cas liés à une méduse particulière, Chironex flexneri, pour lesquels il existe (au moins en Australie) un sérum antivenimeux. Photo 6. Nodule sous-cutané du gros orteil lié à une puce-chique (tungose) (Kenya). Photo 7. Stries de flagellation secondaires à une envenimation marine par une méduse (Thaïlande). Photo 8. Cellulite nécrosante concentrique compliquant une piqûre de poisson-pierre (Tahiti). 300 La Lettre de l Infectiologue - Tome XIV - n 7 - septembre 1999

Dermatoses solaires Les rayons ultraviolets sont la source d accidents cutanés aigus et chroniques. Les principales dermatoses solaires aiguës sont le coup de soleil, les photosensibilisations (phototoxiques et photo-allergiques), les phytophotodermatoses (photo 9), l urticaire solaire, le prurigo actinique et la lucite estivale bénigne. Leur prévention repose sur l éviction des médicaments phototoxiques et/ou photo-allergiques, et certaines d entre elles peuvent être prévenues par des médicaments (4-aminoquinoléines). Photo 10. Prurigo aigu secondaire à une piqûre de puce (Maroc). Photo 9. Plaques érythémateuses hyperpigmentées révélant une phytophotodermatose (Brésil). Mais les principaux dangers du soleil sont liés aux expositions chroniques et répétées qui, à la longue, aboutiront au vieillissement cutané actinique (ou héliodermie) marqué par la présence de rides profondes, d une élastose solaire, de lentigines, de kératoses actiniques et finalement de carcinomes de la peau (un carcinome spinocellulaire surviendrait annuellement pour 1 000 kératoses actiniques). Enfin, de nombreuses dermatoses (porphyries, lupus discoïde, lupus érythémateux systémique, rosacée...) peuvent être aggravées par le soleil, tandis que d autres (prurigo, eczéma, psoriasis, acné...) peuvent bénéficier (au moins initialement) d un ensoleillement non excessif. Dermatoses prurigineuses Un prurit localisé fait évoquer une réaction cutanée à une piqûre ou morsure d arthropode. La lésion élémentaire est une papule érythémateuse et excoriée (prurigo) (photo 10). Les lésions cutanées sont souvent groupées localement ou régionalement. L intensité du prurit explique la lichénification et la surinfection fréquente des piqûres ou morsures d arthropodes : puces, punaises, phlébotomes, moins souvent moustiques, poux. Parfois, la lésion élémentaire peut être une vésicule (dermatite vésicante à Paederus sabaeus) ou une bulle (prurigo strophulus). Il est difficile de définir l arthropode responsable, car un même arthropode peut donner des lésions cliniques différentes, et une même lésion élémentaire peut être causée par différents arthropodes (16). Les circonstances épidémiologiques, la localisation et le regroupement des lésions cutanées peuvent suggérer un arthropode donné. Le traitement associe antihistaminiques oraux et dermocorticoïdes locaux. Un prurit généralisé fait évoquer systématiquement une gale, qui est une des dix plus fréquentes dermatoses observées au retour de voyage (6). Le diagnostic est évoqué sur les circonstances épidémiologiques (prurit sexuellement transmissible), la durée d incubation prolongée (environ un mois, mais quelques jours en cas de réinfection), la prédominance nocturne du prurit et sa localisation préférentielle aux emmanchures, aux ceintures, aux aisselles, aux fesses et aux organes génitaux externes, avec épargne de la tête. Outre les lésions induites par le grattage (excoriations linéaires, prurigo, lichénification, impétiginisation), on peut parfois observer des lésions plus caractéristiques : sillon sous-cutané, vésicules perlées, chancre scabieux. Le diagnostic se fait par examen parasitologique direct d une lésion cutanée. Si l examen parasitologique est négatif, un traitement d épreuve est justifié en cas de forte présomption diagnostique. Une autre cause de prurit généralisé, sans lésion élémentaire cutanée, est la ciguatera, intoxication par la chair de certains poissons tropicaux coraliens (ichtyosarcotoxisme). Le diagnostic peut être évoqué sur les données épidémiologiques (épidémie familiale), la durée très brève de l incubation (de quelques minutes à quelques heures) et sur la coexistence d autres signes cliniques gastro-intestinaux, neurologiques, voire cardiaques dans les cas graves. Une urticaire aiguë doit systématiquement faire évoquer une helminthiase invasive : bilharziose, trichinellose, ascaridiase, ankylostomiase, anguillulose. Une urticaire peut aussi correspondre à une toxidermie aux antipaludéens. Pyodermites Les pyodermites sont probablement les plus fréquentes des dermatoses du voyageur (6). Elles sont banales. Elles compliquent souvent une piqûre ou morsure d insecte. Elles sont avant tout dues au streptocoque ou au staphylocoque doré. Toutes les formes cliniques de pyodermite peuvent être rencontrées : impétigo, ecthyma, érysipèle, cellulite infectieuse, folliculite, furoncle, anthrax, abcès sous-cutané, intertrigo. Le traitement doit couvrir le staphylocoque et le streptocoque. La Lettre de l Infectiologue - Tome XIV - n 7 - septembre 1999 301

Maladies sexuellement transmissibles Une ulcération génitale fait évoquer la syphilis primaire, un chancre mou, un herpès génital et une donovanose, parfois une maladie de Nicolas-Favre. Un bubon inguinal fait évoquer un chancre mou et une maladie de Nicolas-Favre. Un écoulement génital révèle en général une gonococcie dont l origine tropicale fait suspecter une résistance aux antibiotiques les plus anciens et indique le prélèvement local. Exanthème fébrile Un exanthème maculo-papuleux fébrile apparu dans les jours qui suivent le retour fait évoquer une virose éruptive. Dans un contexte tropical, le diagnostic d arbovirose, notamment la dengue, est le premier à envisager. Mais il peut tout aussi bien s agir d une virose cosmopolite comme une infection par le VIH, qui doit être aussi recherchée. Un exanthème fébrile se rencontre aussi au cours d infections bactériennes (rickettsioses, bartonelloses, leptospiroses, infections à streptocoques, staphylocoques et méningocoques...), et parfois parasitaires (trichinellose, trypanosomiase africaine en phase lymphaticosanguine). Une toxidermie, notamment aux antipaludéens, peut aussi se révéler par un exanthème fébrile, qui disparaîtra à l arrêt du médicament. APPROCHE DIAGNOSTIQUE L évaluation d un voyageur avec une dermatose comprend, en plus de l examen dermatologique, un examen clinique complet et un interrogatoire précis à la recherche d une possible exposition épidémiologique (17). L examen dermatologique précise le type de la lésion élémentaire (macule, papule, nodule, vésicule, bulle, ulcère...), sa couleur, sa forme (annulaire, serpigineuse, arrondie, ovalaire) et sa localisation (face, membre, tronc, disposition lymphangitique...). Parfois, des examens complémentaires (examen microscopique direct, culture, examens biologiques standard, sérologies, histologie) peuvent être nécessaires. Les plus fréquentes des dermatoses rencontrées chez le voyageur figurent dans le tableau II,groupées en fonction de la lésion élémentaire. Les dermatoses du voyageur sont fréquentes et le plus souvent cosmopolites, mais certaines d entre elles sont tropicales et peuvent relever d un avis spécialisé. Leur prévention fait appel à l information du voyageur : hygiène cutanée, protection antisolaire, effets indésirables cutanés des médicaments habituels ou prophylactiques, protection antivectorielle (répulsifs, vêtements imprégnés de perméthrine), mise à disposition d une antibiothérapie antistreptococcique et antistaphylococcique notamment chez les personnes à risque. " R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Steffen R., Rickenbach M., Wilhelm U., Helminger A., Schar M. 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Dermatoses observées chez les voyageurs en fonction de la lésion élémentaire dermatologique et du type de voyageur (17). Présentation clinique Touriste Immigré, résident Papules, nodules # Toxidermie, bourbouille, dermatite # Lèpre, tuberculose, tréponématose des nageurs, granulome à corps étranger non vénérienne, mycétomes # Arthropode, tungose, myiase # Orf # Pyodermite, mycobactérie # Onchocercose, cysticercose, # Leishmaniose cutanée, gale, bilharziose cutanée tardive, dirofilariose, gnathostomiase, dermatite cercarienne sparganose, trypanosomiases # Sporotrichose # Mycoses profondes Plaque érythémateuse # Cellulite infectieuse, pyodermite, maladie de Lyme # Leishmaniose, trypanosomiase africaine Vésicules, bulles # Brûlures solaires, dermatite de contact, # Varicelle phytophotodermatose, bourbouille, # Dracunculose érythème pigmenté fixe, dermatite des nageurs # Piqûre/morsure d arthropode # Impétigo bulleux # Herpès cutané # Larva migrans cutanée ankylostomienne, dermatite cercarienne Ulcération cutanée # Envenimation # Mycétomes, ulcère tropical, tuberculose # Ecthyma, pyodermite, tache noire cutanée, charbon, peste, pian, tularémie, # Herpès cutané mycobactérie, diphtérie cutanée, mélioïdose # Leishmaniose # Amibiase cutanée, dracunculose # Sporotrichose # Mycoses tropicales Ulcération génitale # Syphilis, chancre mou # Donovanose, chancre (éphémère) # Herpès génital de la maladie de Nicolas-Favre Lymphangite nodulaire # Lymphangite, mycobactériose, tularémie, maladie des griffes du chat # Leishmaniose # Sporotrichose Sillon sous-cutané # Larva migrans cutanée ankylostomienne, # Anguillulose (larva currens), linéaire ou serpigineux myiase (due à Gasterophilus ou Hypoderma spp), loase, dracunculose gnathostomiase Lésions migratrices # Larva migrans cutanée ankylostomienne, # Anguillulose (larva currens), loase, gnathostomose, myiase (Gasterophilus ankylostomiase (gourme des mineurs), et Hypoderma spp) sparganose, trypanosomiase américaine (chagomes) Oedème du visage # Cellulite infectieuse # Onchocercose, trypanosomiase américaine # Trichinellose Oedème de membre # Cellulite infectieuse # Filariose lymphatique, loase # Onchocercose Prurit localisé # Dermite de contact, piqûre/morsure d arthropode # Anguillulose (larva currens) # Larva migrans cutanée ankylostomienne, oxyure (péri-anale), gnathostomose Prurit généralisé # Ciguatera, toxidermies, eczéma # Varicelle # Gale # Loase, onchocercose, trypanosomiase africaine # Helminthiase invasive Urticaire aiguë # Toxidermie # Distomatose hépatique à Fasciola hepatica # Hépatite préictérique # Helminthiase invasive : bilharziose, ascaridiase, ankylostomiase, trichinellose, anguillulose, anisakiase, toxocarose, distomatose Exanthème fébrile # Toxidermie # Brucellose # Méningococcémie, typhoïde, rickettsioses, # Trypanosomiase africaine, trichinellose syphilis, leptospirose... # Rougeole et autres viroses éruptives, dengue et autres arboviroses, fièvre hémorragique virale NB. Les dermatoses observées varient en fonction du type de voyageur, mais une dermatose censée être plus fréquente chez le touriste peut s observer chez un immigré, et vice-versa. La Lettre de l Infectiologue - Tome XIV - n 7 - septembre 1999 303