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Pour une politique publique de soutien A la formation professionnelle continue dependante de l Age Novembre 2014 avec le soutien financier de

TABLE DES MATIèRES 1. Introduction> P.05 2. Externalités des dépenses de formation professionnelle continue et politiques publiques optimales> P.09 3. L âge au centre du design des politiques d incitation à la formation professionnelle continue> P.15 4. Conclusion> P.21 Annexe technique : un cadre d analyse des choix de formation continue en fonction de l âge> P.23 Références> P.29 Ce rapport a bénéficié d un financier dans le cadre de la Chaire «Transitions Démographiques Transitions Economiques». Ce document constitue une synthèse de travaux scientifiques conduits au sein de l EDHEC. Pour plus d informations, nous vous prions de vous adresser à la direction de la recherche de l EDHEC : research@drd.edhec.edu Les opinions exprimées sont celles des auteurs et n engagent pas la responsabilité de l EDHEC. 2

RéSUMé Cette étude suggère qu il serait souhaitable de mettre en œuvre un dispositif d incitation à la formation professionnelle continue non monotone avec l âge. Il s agirait d utiliser une partie des sommes actuellement collectées dans le cadre du système français de formation professionnelle continue pour les reverser sous la forme de subventions à la formation des chômeurs, conditionnelles à l embauche, et caractérisées par un taux de subvention croissant jusqu à un certain âge, puis décroissant ensuite. Plus précisément, nous montrons que, conditionnellement à un âge de la retraite à 62 ans, il n est pas pertinent de soutenir la formation professionnelle continue audelà d un âge environ égal à 57 ans, alors qu en revanche il serait nécessaire que les entreprises accroissent sensiblement leur effort de formation à destination des travailleurs précédant cet âge seuil, typiquement pour les 50-57 ans. Ces résultats reposent sur une approche structurelle du marché du travail, prenant en considération le phénomène de dépréciation des compétences subie par les travailleurs pendant les périodes de chômage, explicitant les choix de formation professionnelle continue des travailleurs par les employeurs, ainsi que les externalités y afférant. Le rendement privé des dépenses de formation engagées par un employeur est en effet inférieur à son rendement social, car (i) des compétences transférables acquises peuvent être valorisées par le travailleur chez d autres employeurs ; et (ii) le bénéfice de dépenses de formation professionnelle continue peut également permettre à un travailleur, s il connaît un épisode de chômage, de réduire sa durée moyenne de reprise d emploi. Ces externalités suggèrent que, à tous niveaux d âge, les employeurs ne dépensent pas spontanément assez pour la formation professionnelle de leurs travailleurs. Mais au-delà de ce premier constat, cette étude met particulièrement l accent sur le fait que l ampleur de ce sous-investissement dépend de l âge des travailleurs concernés. Tout d abord, à proximité de la retraite, l horizon de rentabilisation des investissements en formation peut être trop faible de sorte que, y compris sur la base du rendement social, il n est pas optimal de dépenser en formation professionnelle continue des seniors. Les simulations quantitatives effectuées indiquent que tel serait le cas autour de 57 ans, pour une retraite calibrée à 62 ans. En revanche, si l existence d une sélection plus importante à l entrée en formation à mesure que l âge augmente (que la retraite approche) est justifiée, cette élévation de la sélection pratiquée par les entreprises intervient trop précocement et trop abruptement au regard de ce qu il est socialement souhaitable de faire. Quantitativement parlant, on peut ainsi noter une diminution importante des dépenses de formation engagées par les employeurs dès 50 ans, alors que du point de vue social, cela devrait intervenir plus tardivement. En termes de politiques publiques, ceci signifie qu il est nécessaire d inciter les employeurs à plus particulièrement former les travailleurs entre 50 et 57 ans. 3

A propos de L auteur Arnaud Chéron est professeur des Universités en Sciences Economiques (Le Mans) et directeur du pôle de recherche en économie de l EDHEC Business School. Ancien chercheur à l EUREQua et au CEPREMAP, il a obtenu son doctorat en 2000 à l Université de Paris I Panthéon- Sorbonne. Il a effectué des recherches dans les domaines de l économie de l emploi, les politiques publiques et les cycles économiques, donnant lieu à de nombreuses publications dans des revues académiques françaises et internationales (Annales d Economie et Statistiques, Revue Française d Economie, Journal of Economic Theory, Review of Economic Dynamics) ainsi qu à des réalisations professionnelles (contrats avec le Ministère du Travail, le Commissariat Général au Plan et la Commission européenne). 4

1. introduction 5

1. introduction 1.1 Eléments de cadrage Le diagnostic du non emploi des seniors, particulièrement élevé en France, est bien établi : les taux d emploi des 55-59 ans et 60-64 ans équivalent respectivement 67,5% et 23,3%, contre 80,8% par exemple pour les 25-49 ans. Comme l ont déjà souligné Chéron, Hairault et Langot [2011, 2013], les effets d horizon associés à un âge de la retraite, relativement plus faible en France par rapport à la moyenne OCDE, sont en partie responsable de ce diagnostic. Depuis 2003, les réformes successives du système de retraite français 1 ont conduit à un relèvement de l âge effectif de départ qui, à l inverse, a favorisé l emploi des seniors, avec un relèvement de plus de 12 points du taux d emploi des 55-59 ans, et supérieur à 8 points pour les 60-64 ans. De façon complémentaire, la problématique générale de cette étude s inscrit dans la détermination des politiques optimales de l emploi susceptibles de requérir un design spécifique selon l âge, et donc notamment à destination des seniors. Plus précisément, cette étude propose d examiner la question des politiques de soutien à la formation professionnelle continue. Les seniors (comme les moins qualifiés) ont relativement moins accès à la formation professionnelle : selon les données de l INSEE (enquête sur la formation des adultes 2012), le taux annuel d accès à une formation professionnelle (quelle que soit sa durée) équivaut 20% pour les 55-64 ans, contre près de 40% pour les 25-44 ans. 2 Les évaluations empiriques fournies par Lignon [2014], sur la base du modèle de microsimulation GAMEO des trajectoires professionnelles, estimé conjointement sur les données de l Enquête Emploi 2003-2010 de l INSEE et son complément «formation continue» 2006 3 confirment ce diagnostic (Figure 1) : le pic de l accès à la formation professionnelle continue se situe entre 30 et 45 ans, et on note un décrochage très marqué au-delà de 50 ans, et ce, quels que soient le sexe et le niveau de diplôme des travailleurs. 1.2 Problématique de l étude Ce constat général soulève deux interrogations. La première concerne les raisons de ce décrochage en fin de carrière. Les travaux de Dos Santos [2014] 4, qui s intéresse à la question de l efficience des dépenses de formation, soulignent notamment que le déclin de l accès à la formation continue des seniors pourrait s expliquer conjointement par l effet d horizon de la retraite, mais aussi la diminution des capacités d apprentissage des plus de 50 ans. La deuxième, qui constitue le cœur de la problématique et l originalité de la présente étude, est d ordre normatif : faut-il nécessairement aller contre ce déclin de l accès à la formation professionnelle avec l âge? Jusqu à quel âge soutenir la formation continue? Sous quelle forme? Y a-t-il une classe d âge «prioritaire»? Répondre à ces questions rend nécessaire une analyse en termes d efficacité économique, au sens de la prise en considération des externalités sociales, éventuellement dépendantes de l âge. Le rendement privé (en termes de productivité) de la formation continue des salariés par les 1 - On pense notamment à l augmentation de l äge minimum légal et la libéralisation du dispositif de cumul emploi-retraite. 2 - Sur l ensemble des tranches d âge, le taux d accès moyen pour les ouvriers est de 37%, 43% pour les employés, 61% pour les professions intermédiaires, et 68% pour les cadres. 3 - Ce modèle de microsimulation dynamique a été développé au sein du pôole de recherche en économie de l EDHEC par Pierre Courtioux (voir http://professoral.edhec.com/ poles-de-recherche/pole-economie/, pour une présentation synthétique de ce modèle). 4 - Voir notamment le support de la présentation Faut-il former les seniors?, dans le cadre du s eminaire Les seniors face à l emploi pour la chaire TDTE. 6

Figure 1 : Taux d accés à la formation continue par âge et diplôme 5 employeurs - qui constituent le premier financeur de la formation continue des actifs occupés 6 - est typiquement inférieur à son rendement social, qui intègre son impact sur la productivité dans des emplois ultérieurs mais aussi les bienfaits en termes d employabilité si le travailleur se trouve ultérieurement concerné par le chômage. Nous le verrons, ces externalités impliquent qu il existe un écart entre les décisions des entreprises et les décisions optimales socialement, cet écart évoluant selon l âge des travailleurs. À cette fin, nous sommes amenés à développer une analyse structurelle explicitant les choix de formation professionnelle continue en fonction de l âge et intégrant la diversité des externalités induites au niveau social par ces dépenses de formation. Nous proposerons ainsi différentes évaluations quantitatives (simulations) basées sur un modèle frictionnel du marché du travail où la formation est un moyen d accroître le capital humain des travailleurs, mais où les périodes de chômage constituent un facteur de dégradation éventuelle des compétences accumulées. Notre analyse propose un faisceau d éléments suggérant qu il est souhaitable de mettre en œuvre des incitations financières à destination des entreprises (conditionnelles à l embauche des chômeurs) pour qu elles forment prioritairement les travailleurs de la tranche d âge 50-57 ans, ce qui peut s opérer par une mobilisation d une partie des sommes collectées par le système de formation professionnelle. En revanche, audelà de 57 ans, il n est pas souhaitable d avoir une politique publique dédiée en matière de formation professionnelle. 1.3 Les principaux résultats de l étude La sélection à l entrée en formation professionnelle est croissante avec l âge : ceci constitue une propriété des choix effectués par les employeurs, mais également une caractéristique optimale. Il existe un effet d horizon de rentabilisation des coûts de formation en fonction de l éloignement à la retraite qui, y compris du point de vue du rendement social, justifie des moindres dépenses de formation professionnelle en fin de carrière. 5 - Source : modèle GAMEO (EDHEC); module formation continue (Lignon [2014]). 6 - D après les données de la DARES, les entreprises supportent plus de 85% des dépenses de formation professionnelle continue à destination des actifs occupés du secteur privé. 7

Pour autant, il existe un écart entre les choix des entreprises et les choix optimaux, du fait de la présence d externalités de formation : le rendement privé des investissements en formation est inférieur à leur rendement social car (i), les compétences transférables acquises peuvent être valorisées par le travailleur chez d autres employeurs (externalités dites de débauchage) ; et (ii), le bénéfice de dépenses de formation professionnelle continue peut également permettre à un travailleur, s il connaît un épisode de chômage, de réduire sa durée moyenne de reprise d emploi, durée pendant laquelle sa production domestique est inférieure à sa production marchande (externalités dites de chômage). Il y a peu d intérêt à soutenir la formation au delà de 57 ans (pour un âge de retraite à 62 ans), car la proximité de la retraite fait que, y compris en internalisant l ensemble des externalités, l horizon de rentabilisation des coûts de formation est trop faible. En d autres termes, passé un certain âge, l effet d horizon est tel que les externalités de formation sont négligeables et la sélection optimale à l entrée en formation professionnelle coïncide avec celle pratiquée par les entreprises. Même si on considère une probabilité de reprise d emploi indépendante de l âge, l externalité de chômage pèse relativement plus sur les seniors, jusqu à un certain âge : l élévation de la sélection à l entrée en formation pratiquée par les entreprises intervient trop précocement et trop abruptement au regard de ce que suggère de faire la prise en compte du rendement social de la formation. Si a fortiori on considère que les seniors de plus de 50 ans, qui n ont pas accès à la formation, subissent une perte d employabilité additionnelle, alors ceci ne fait qu accentuer l intérêt de subventionner prioritairement la formation professionnelle continue des 50-57 ans. Quantitativement parlant, on peut ainsi noter qu il serait souhaitable d inciter plus particulièrement les employeurs à former les travailleurs entre 50 et 57 ans. 8

2. 2. Les Externalités expériences des dépenses étrangères de formation : les modalités professionnelle des PARC continue et de l endettement et politiques publiques étudiant optimales 9

2. Externalités des dépenses de formation professionnelle continue et politiques publiques optimales Le déclin avec l âge des taux d emploi, mais aussi de l accès à la formation professionnelle continue, ne constitue pas, en tant que tel, un motif d intervention publique. De manière générale, c est la notion d externalités qui est au centre de la définition des politiques publiques optimales, en particulier s agissant du soutien à la formation professionnelle continue. En l occurrence, la décision de formation d un travailleur par un employeur engendre un impact social qui dépasse le seul «retour sur investissement» pour l entreprise, financeur des dépenses engendrées. Autrement dit, il existe un écart entre le rendement privé des dépenses de formation engagées par les entreprises et leur rendement social. Nous soulignerons, ce qui constitue la particularité de l analyse proposée, que cet écart est dépendant de l âge du travailleur. Indépendamment de la question de l âge, dans le contexte d un marché du travail frictionnel caractérisé par des délais d embauche et un mode de fixation des salaires non concurrentiel, la sousoptimalité (ou encore l inefficacité économique) des décisions de formation en capital humain général est un résultat bien établi. 7 Les employeurs investissent insuffisamment dans des compétences et savoirs transférables de leurs salariés, au regard de ce qui serait socialement souhaitable. L écart entre le rendement privé et le rendement collectif des dépenses de formation professionnelle continue résulte notamment de l existence de deux types d externalités, sur lesquelles il convient de revenir. 2.1 L externalité de débauchage Les travaux de Daron Acemoglu ont (à la fin des années quatre-vingt-dix) 8 proposé de réévaluer l approche traditionnelle des investissements en capital humain dans le cadre d une représentation frictionnelle du marché du travail. Jusque-là, les travaux de Becker [1964] suggéraient que, sur un marché du travail concurrentiel (caractérisé notamment par l absence de chômage), les investissements en capital humain général étaient financés de manière optimale par les travailleurs, au travers de baisses de salaires (ou de modérations salariales). Partant néanmoins du constat que les employeurs sont disposés à contribuer aux dépenses de formation professionnelle, ces auteurs ont souligné que, du fait d une mobilité imparfaite des salariés entre les emplois, et d un pouvoir de négociation salariale significatif des employeurs, ces derniers sont disposés à engager des dépenses, même s ils ne sont en mesure d en capter qu une partie du rendement. En effet, ce rendement en termes de productivité dépasse le seul cadre de l entreprise financeur, dès lors qu il s agit de compétences transférables. Le travailleur est susceptible de mobiliser les savoirs acquis dans des emplois ultérieurs. Acemoglu et Pischke [1999] font ainsi référence à l existence d externalités de débauchage (poaching externality), qui rend nécessaire l intervention de l Etat. Si les entreprises sont bel et bien disposées à dépenser pour la formation professionnelle continue de leurs salariés, y compris pour de la formation générale, elles ne le font donc pas 7 - Notre étude se concentre sur l accumulation du capital humain général (associé à des compétences transférables d une entreprise à une autre). Les investissements en capital humain spécifique, qui renvoie à des savoirs exclusivement valorisables dans l entreprise qui engage ces dépenses, peuvent donner lieu à d autres formes d inefficacité, qui dépassent le champ d analyse de cette étude. 8 - Voir notamment Acemoglu [1997] et Acemoglu et Pischke [1999]. 10

suffisamment au regard du véritable rendement social de ces dépenses en termes de productivité, car seuls les travailleurs intègrent la valorisation du capital humain dans les emplois ultérieurs. Par conséquent, il en résulte un sous-investissement des entreprises dans la formation professionnelle de leurs salariés. On comprend alors que le pouvoir de négociation des travailleurs, qui financent indirectement leur formation via des salaires moindres, jouent un rôle crucial : plus il est important, plus les travailleurs sont disposés à contribuer au financement de leur formation, alors même qu eux seuls internalisent le rendement social de ces investissements. A mesure que le pouvoir de négociation des salariés s élève, il apparaît ainsi que les dépenses de formation s approchent de leur contrepartie optimale. 2.2 L externalité de chômage Les travaux de Belan et Chéron [2011, 2014] (BC) mettent pour leur part en évidence l existence d une source additionnelle d externalités sociales liées aux dépenses de formation professionnelle continue. Ceci s inscrit dans une approche où les répercussions de la dépréciation du capital humain général pendant les épisodes de chômage sont étudiées, notamment en matière de (sous) optimalité des investissements en formation. Pour contrecarrer les effets de l obsolescence éventuelle des compétences induites par le chômage, les entreprises ont la possibilité d investir dans la formation professionnelle des travailleurs qu elles embauchent, pour en quelque sorte remettre à jour le capital humain du chômeur si le besoin s en fait sentir. Dans ce contexte, Belan et Chéron soulignent que, si les individus ne bénéficiant pas de formation professionnelle sont confrontés à des durées de chômage relativement plus longues, le refus par les employeurs de former certains travailleurs est à l origine d une externalité sociale négative : pendant l épisode de chômage, d une durée relativement rallongée, le travailleur a un niveau de production «domestique» inférieur à sa production marchande potentielle, ce qui «coûte» à la société. Evidemment, dès lors que la question de l indemnisation du chômage et de son financement via la fiscalité du travail est prise en considération, ceci ne fait qu accentuer l impact défavorable d une absence de formation continue. L augmentation des délais de reprise d emploi pour les travailleurs non formés implique non seulement un manque à gagner en termes de production, mais en contribuant à élever la fiscalité du travail, pèse aussi indirectement sur la création de richesse. In fine, Belan et Chéron montrent que cette forme d externalités de chômage se combine à celle de débauchage, de sorte que certains travailleurs sont exclus de la formation professionnelle continue, à tort du point de vue de ce qui serait socialement souhaitable. A cet égard, il est donc légitime de réfléchir à un système conduisant les entreprises à investir dans la formation professionnelle de ces travailleurs, avec des modalités sur lesquelles nous reviendrons. Par ailleurs, la particularité de la présente étude sera d introduire, au sein de cette analyse des externalités de la formation continue et des politiques publiques optimales, la question du cycle de vie sur le marché du travail qui, on le verra, nous conduira à moduler les instruments utilisés selon l âge des individus. 11

2.3 L accélération du phénomène d obsolescence des compétences au chômage Avant d aborder en détail cette problématique de l âge, il nous semble important de préciser que, s il faut mettre en place un système conduisant les employeurs à former certains travailleurs aujourd hui exclus, ceci ne signifie pas pour autant qu il faille globalement dépenser plus pour la formation professionnelle continue. Là aussi les travaux de Belan et Chéron [2014] proposent un premier éclairage sur cette question. Il est notamment fait écho à l accélération du phénomène d obsolescence des compétences auquel sont confrontés les travailleurs quand ils connaissent le chômage, phénomène invoqué par Ljungqvist et Sargent [2007] pour expliquer, en interaction avec les institutions du marché du travail, la progression structurelle du chômage en Europe. Au cours des deux dernières décennies, les changements industriels et technologiques ont pu induire un accroissement de la fréquence et du rythme de cette dépréciation du capital humain au chômage. 9 Selon Ljungqvist et Sargent, la persistance du chômage en Europe par comparaison aux Etats-Unis s expliquerait par l interaction entre, d un côté, la plus grande générosité du système d assurance chômage et de protection des emplois en Europe et, de l autre, l occurrence d un choc macroéconomique commun, correspondant précisément à un accroissement de la probabilité de perte du capital humain pendant les épisodes de chômage. Une indemnisation relativement généreuse conduirait notamment les travailleurs à être plus sélectifs dans leur reprise d emploi, ce qui les exposerait à des périodes de chômage plus longues et donc à un risque plus élevé de dépréciation de leur capital humain qui, s il se réalise, les fait basculer dans une sorte de «trappe à chômage». L originalité des travaux de Belan et Chéron [2014] est en particulier d introduire, au sein de cette problématique, l étude de la (sous) optimalité des dépenses de formation continue. Ceci permet de souligner que l accélération du processus de dépréciation du capital humain au chômage a des effets contrastés selon le type d externalité considéré. Cette accélération tend à réduire l externalité de débauchage et, à l inverse, à augmenter celle de chômage. S agissant de l externalité de débauchage, l augmentation de la probabilité de dépréciation du capital humain traduit une réduction de la «transférabilité» des compétences acquises durant les formations en emploi. Il y a un plus grand risque, pour le travailleur, de perdre les bénéfices de la formation continue quand il connaît une période de chômage. Ceci caractérise une réduction de la taille des externalités positives de débauchage, et implique donc que le sous-investissement des employeurs en dépenses de formation est relativement plus faible dans ces circonstances. S agissant à présent de l externalité de chômage, la valeur sociale de la formation continue diminue. La dépréciation des compétences au chômage intervenant plus fréquemment, les bénéfices de la formation en matière de réduction des délais de reprise d emploi deviennent relativement plus faibles. Néanmoins, Belan et Chéron montrent que, s il est optimal de devenir plus sélectif dans la formation professionnelle des travailleurs, les entreprises «sur-réagissent» en augmentant avec excès leur degré de sélection. En effet, là aussi elles n intègrent pas l incidence de cette sélection accrue en matière de durée de chômage pour 9 - Ljungqvist et Sargent [1998, 2007] qualifient ce phénomène de turbulence économique. Celui-ci est indirectement mesuré par les auteurs en observant, d une part, l occurrence de pertes salariales plus conséquentes qu auparavant pour les chômeurs qui reprennent un emploi et, d autre part, une augmentation de la dispersion des salaires et de la volatilité intertemporelle des rémunérations individuelles. 12

leurs salariés qui, un jour, pourront s y trouver confrontés. Par conséquent, de ce point de vue, il serait optimal de renforcer les incitations publiques à la formation continue. Au total, on comprend donc que l accélération du processus de dépréciation des compétences au chômage, qui renforce l externalité de chômage mais réduit l externalité de débauchage, a théoriquement un impact ambigu sur le besoin de soutenir la formation continue. Ceci souligne que les termes du débat entourant le système de formation professionnelle continue en France ne doivent pas tant concerner le niveau des dépenses à y consacrer, que la question des modalités de soutien ou d incitation au financement de la formation continue par les employeurs. 2.4 Quelle politique publique en faveur de la formation professionnelle continue? S agissant justement de la politique publique régulant la formation professionnelle continue en France, un certain nombre d enseignements peuvent d ores et déjà être tirés des études existantes. Les limites du système français obligeant à «former ou payer», héritage des dispositions mises en œuvre au début des années soixante-dix, ont largement déjà été évoquées. Bien qu ayant été à de multiples reprises amendé, ce système repose encore aujourd hui principalement sur la ponction d une partie de la masse salariale, ramenée à 1% pour les entreprises de 10 salariés ou plus par la réforme de cette année (contre 1,6% auparavant), pour financer via les OPCA la formation continue. L employeur est ensuite susceptible de solliciter ces financements collectés, en fonction de ses besoins, pour former ses salariés. Dès lors, le constat avéré est que ces dépenses profitent prioritairement à certains travailleurs, les plus qualifiés (plus diplômés) et les moins de 50 ans, ce qui pose question toujours du point de vue de l optimalité sociale de ces choix individuels. Les dernières réformes du système de formation professionnelle à la française ont cherché à contrecarrer cette observation, c est-à-dire à homogénéiser l accès à la formation continue, en mettant l accent sur l individualisation des droits; on pense en particulier au «Droit Individuel à la Formation», ou encore plus récemment au «Compte Personnel Formation» instauré par la dernière réforme. Toutefois, si les progrès en la matière sont notables, le système reste encore largement assis sur ses modalités originelles, puisque par exemple seul 0,2% de la masse salariale sera dévolu au financement du «Compte Personnel Formation». Différents travaux ont pourtant déjà souligné l intérêt de repenser en profondeur le système actuel, en lui substituant un système principalement fondé sur des subventions à la formation; voir par exemple, Cahuc, Ferraci et Zylberberg [2011]. Les contributions de Chéron et Rouland [2011], Chéron [2012] et Belan et Chéron [2014] mettent également en avant l intérêt d instaurer une politique publique favorisant la formation continue, par le biais de taux de subvention. Sont également soulignés les bienfaits d une modulation de ces taux, afin d inciter les entreprises à orienter leurs dépenses de formation professionnelle vers les travailleurs pour lesquels ces dépenses engendrent des externalités sociales relativement plus élevées. Chéron [2012] souligne en particulier qu un raisonnement par CSP peut se justifier, et qu au sein de chaque CSP, un taux de 13

subvention décroissant avec le salaire permettrait de favoriser le maintien en emploi de salariés dont les aptitudes peuvent être relativement plus faibles que la moyenne, et dont l éventuel licenciement entraînerait un coût social plus important. Enfin, Belan et Chéron [2014] soulignent également que, du fait du risque de dépréciation du capital humain pendant les périodes de chômage, il est préférable de mettre en œuvre des subventions à la formation professionnelle continue à destination des entreprises, conditionnelles aux embauches, plutôt que directement soutenir la formation des travailleurs pendant leurs périodes de chômage. Il existe en effet un risque non nul que les dépenses consacrées directement aux chômeurs ne se traduisent pas par un rendement positif en termes de productivité en emploi. Dans cette étude, nous nous inscrivons dans la lignée de cette approche du soutien à la formation professionnelle, privilégiant donc l utilisation de subventions à la formation professionnelle continue, conditionnelles à l embauche, mais avec comme problématique spécifique : faut-il moduler les subventions en fonction de l âge des travailleurs, et si oui, quel doit être le design des taux de subvention en fonction de l âge? 14

3. L âge au centre du design des politiques d incitation à la formation professionnelle continue 15

3. L âge au centre du design des politiques d incitation à la formation professionnelle continue La particularité de la présente étude est donc d inscrire la problématique des politiques publiques en faveur de la formation continue dans une perspective de cycle de vie (de carrière professionnelle). Ceci nous amène à développer une modélisation originale dont le principal objectif est d évaluer s il est nécessaire de mettre en place une politique qui soit dépendante de l âge, et si oui sous quelle forme. 3.1 Le cadre analyse de référence Notre analyse repose sur une modélisation théorique du marché du travail explicitant les fondements microéconomiques des décisions de formation, et les interactions entre les offreurs et les demandeurs de travail (entre les travailleurs et les entreprises). Il s agit d une extension à un cadre avec cycle de vie sur le marché du travail du modèle proposé par Belan et Chéron [2014], dont on peut trouver une présentation extensive dans Chéron et Terriau [2014]. Ce support théorique est utilisé pour procéder aux évaluations quantitatives qui seront discutées ci-après. Nous nous limitons ici à une brève présentation des grandes lignes de cette modélisation et de ses hypothèses sous-jacentes, et renvoyons le lecteur à l annexe technique qui présente en détail les différents arbitrages économiques, et caractérise de manière théorique l évolution avec l âge des dépenses de formation professionnelle, d une part choisies par les employeurs, et d autre part optimales socialement. La dimension frictionnelle du marché du travail est notamment considérée, se traduisant par la prise en compte des délais d embauche, à l origine d un certain niveau de chômage persistant. Concernant la dimension «capital humain» de notre approche, le chômage dépend également du phénomène d obsolescence des compétences auquel peuvent être confrontés les travailleurs lorsqu ils perdent leur emploi. Du point de vue des employeurs, la décision de formation continue revient à déterminer si, une fois observé l état des connaissances du chômeur rencontré dans le cadre du processus d embauche, elle procède le cas échéant à une «mise à jour» de ses compétences; il s agit ici de dépenses permettant d accroître le capital humain général de l individu, c est-à-dire de lui octroyer une «mise à jour» qui lui permette d accroître sa productivité dans l emploi actuel, mais également éventuellement dans de futurs emplois. Chaque travailleur est caractérisé par un «effet individuel», au travers d une aptitude (d une performance intrinsèque) qu observe l employeur, notée. La décision de formation par l employeur revient alors à déterminer une aptitude minimale en deçà de laquelle il choisit de ne pas engager le coût de formation lié à la mise à jour des connaissances de l individu, notamment si le chômage a engendré une dépréciation de son capital humain. Cette sélection à l entrée en formation continue opérée par l employeur apparaît comme une fonction de l âge du travailleur; nous notons l aptitude minimale requise pour un travailleur d âge t afin qu il soit éligible à la formation professionnelle. On définit aussi sa contrepartie optimale, au sens où ce seuil d aptitude intègre l ensemble des externalités liées à la formation continue, c est-à- 16

dire l externalité de débauchage et l externalité de chômage définies précédemment. Les questions posées sont alors : comment évolue cette sélection avec l âge, et comment évolue l écart de sélection entre ce que font les entreprises et ce qu il serait optimal de faire du point de vue du rendement social de la formation? Les figures discutées ci-après représenteront l évolution avec l âge de ces différents seuils d aptitude requis pour être formé. On synthétisera cette évolution jointe en examinant l écart entre les seuils, exprimé en pourcentage de l aptitude minimale (notée ); ceci est précisément donné par l indicateur 100. Toute élévation (diminution) de cet indicateur traduit une hausse (baisse) de l écart entre la sélection à l entrée en formation pratiquée par les entreprises et celle qu il serait souhaitable de mettre en place. En d autres termes, plus cet indicateur est grand, plus il est nécessaire de soutenir la formation continue des travailleurs concernés. Le modèle est étalonné sur données françaises (voir l annexe technique) et nous procédons à différentes simulations quantitatives du modèle afin d en discuter les implications. considérons que les performances individuelles en termes de productivité (aptitudes) peuvent varier de 1 à 3 selon les travailleurs. De même, à ce stade, il n est pas supposé que les seniors sont confrontés à un problème spécifique d employabilité, c est à dire confrontés à des délais de reprise d emploi relativement plus longs s ils ne sont pas formés. Nous le verrons par la suite, la prise en considération de ce phénomène avéré ne fera que renforcer nos principales conclusions. Figure 2 : L évolution avec l âge des seuils de performance individuelle requis pour être formé (étalonnage de référence) 3.2 L évolution en fonction de l âge de la sélection à l entrée en formation continue, et de son écart par rapport à la sélection optimale La figure 2 retrace la dynamique des seuils d aptitude requis pour accéder à la formation professionnelle, telle que l implique notre étalonnage de référence. Nous supposons notamment ici un départ à la retraite à 62 ans, et Cette figure indique tout d abord (graphique de gauche) que, selon les simulations de notre modèle, la sélection à l entrée en formation continue augmente avec l âge, avec une pente 17

qui s accentue fortement au-delà de 50 ans. Eu égard aux données présentées en introduction (figure 1), ceci souligne évidemment la pertinence empirique de notre approche. Mais au-delà de ce diagnostic positif, il en ressort également des résultats normatifs que notre analyse structurelle permet de bien identifier. La sélection optimale à l entrée en formation suit en effet un profil dynamique avec l âge similaire, mais avec un écart vis-à-vis de la sélection pratiquée par les entreprises qui évolue de façon non monotone - particularité sur laquelle nous reviendrons dans un instant -, et qui chute à zéro au-delà d un certain âge, ici évalué à 57 ans (graphique de droite). 10 Cet écart entre la sélection pratiquée par les entreprises et la sélection optimale résulte, on l a déjà évoqué, de la présence de deux types d externalités, de débauchage et de chômage, faisant que le rendement social de la formation continue est supérieur à son rendement privé. Ceci est responsable d une insuffisance d accès à la formation professionnelle. Néanmoins, nous notons donc ici que la prise en considération de la sortie du marché du travail vers la retraite est à l origine d une convergence du rendement social de la formation vers son rendement privé en fin de carrière, l écart entre les deux rendements devenant même nul au-delà d un certain âge. Les externalités deviennent en effet trop faibles à l approche de la retraite, de sorte qu il n est plus rentable d engager des dépenses de formation professionnelle pour les travailleurs de plus de 57 ans, y compris sur la base du rendement social de ces dépenses. 3.3 L impact relatif de l externalité de chômage et la question de l employabilité des seniors Il est important de souligner une seconde propriété mise en évidence par cette évaluation quantitative; elle renvoie à l évolution non monotone avec l âge de l écart entre la sélection effectuée par les entreprises et la sélection optimale à l entrée en formation continue. Ce phénomène, qui intervient modestement sur la figure 2 entre 50 et 57 ans (graphique de droite), se trouve renforcé s il est a fortiori tenu compte du problème spécifique d employabilité rencontré par les seniors. La figure 3 considère ainsi trois variantes de notre étalonnage de référence: (i) sur le graphique de gauche, on suppose que la formation n a pas d incidence sur l employabilité ultérieure du travailleur, c est à dire que les probabilités de reprise d emploi sont ici supposées indépendantes du capital humain (noté p=p₀), et (ii) à l inverse sur le graphique de droite, il est considéré que les seniors, soit de plus de 55 ans, soit de plus de 50 ans, ont une probabilité nulle de reprise d emploi quand ils n ont pas un capital humain «à jour», ce qui est noté respectivement p₀(55-62)=0 et p₀(50-62)=0. L intérêt d examiner ces différentes variantes est qu elles permettent d évaluer le rôle de l externalité de chômage, qui se trouve renforcée quand on considère la perte d employabilité des seniors non formés, et à l inverse évincée s il est supposé que le capital humain n a pas d impact sur les probabilités de reprise d emploi. 10 - Si on considère une discribution continue sur un support infini des aptitudes, des propriétés qualitativement similaires peuvent être obtenues, avec un écart de sélection entre les choix des entreprises et les choix optimaux qui tend vers zéro, sans jamais l atteindre, contrairement à ce que nous obtenons ici puisque nous avons considéré une distribution discrète et bornée des aptitudes individuelles. 18

Figure 3: Seuils minimum requis pour être formé et le rôle de l externalité de chômage au regard de ce que suggère de faire la prise en compte du rendement social de la formation. Evidemment, si les seniors sont a fortiori concernés par une perte d employabilité faisant que, s il ne bénéficient plus de formation, leur probabilité de reprise d emploi tend vers zéro, on comprend que le poids de l externalité de chômage augmente. C est ce qui apparaît sur le graphique de droite de la figure 3. On peut notamment observer que pour les travailleurs de 53-57 ans l excès de sélection à l entrée en formation continue devient plus important que pour les plus jeunes. Ceci plaide donc très clairement pour la mise en œuvre d une politique ciblée en faveur de cette tranche d âge, alors qu au delà de 57 ans, il ne semble pas souhaitable de chercher à réguler, ou contrecarrer la pratique des entreprises qui ne proposent pas de formation à ces travailleurs. Sur le graphique de gauche de la figure 3, on notera donc tout d abord que c est bien l existence d une externalité de chômage (absente a contrario si p=p₀) qui est responsable de la dynamique non monotone de l écart de sélection à l entrée en formation : l effet d horizon court, qui tend à accroître cette sélection à mesure que la retraite approche, apparaît en effet décalé à l optimum, du fait de l externalité de chômage. En d autres termes, l élévation de la sélection à l entrée en formation pratiquée par les entreprises intervient trop précocement et trop abruptement 3.4 A propos de l âge critique autour duquel il faut différencier les politiques d incitation à la formation continue Evidemment, on peut s interroger sur la «robustesse» de l âge seuil, 57 ans, autour duquel nos simulations indiquent qu il faut différencier fortement la politique de soutien à la formation continue : pas d incitation au-delà de 57 ans et, à l inverse, une politique très «pro-active» juste en dessous, c est-à-dire pour les 50-57 ans. Au préalable, il est important de noter que, si cette différentiation autour d un âge «critique» constitue un résultat robuste, celui-ci est, par construction, dépendant de l âge de départ à la retraite, supposé égal à 62 ans dans nos simulations 19

(en ligne avec l âge minimum légal). L ensemble des comportements identifiés ne se définissent pas en effet en fonction de l âge biologique, mais bien de la distance à la sortie du marché du travail. Figure 4 : Seuils minimum requis pour être formé : test de sensibilité à l hétérogénéité des travailleurs notamment l amplitude de l hétérogénéité des individus en termes de performance productive, de 1 à 3 dans notre étalonnage de référence, vs. 1 à 2 ou 1 à 4 dans nos variantes. On montre ainsi que l âge seuil au-delà duquel il n est pas nécessaire d inciter les employeurs à dépenser pour la formation continue de leurs salariés va de 55 ans dans le cas d une distribution plus concentrée, à un peu plus de 58 ans pour la configuration où une hétérogénéité plus grande est considérée (figure 4). Finalement, nous proposons également d examiner la sensibilité de ce résultat à la taille du coût de formation supposée (voir l annexe pour une discussion de l étalonnage de référence). Les simulations indiquent que cette sensibilité reste modeste puisque, en réduisant de 50% le coût de formation, l âge seuil mesuré est simplement décalé de 57 à 58 ans (figure 5). Figure 5 : Seuils minimum requis pour être formé : test de sensibilité au coût de formation Ceci étant dit, on peut considérer différentes variantes de notre étalonnage, afin d évaluer la sensibilité de l âge autour duquel doit se faire cette différenciation en matière de soutien à la formation professionnelle continue. Ces variantes concernent 20

4. Conclusion 21

4. Conclusion Le principal enseignement de cette étude est donc double : (i) au-delà d un certain âge, il n est pas souhaitable de mettre en œuvre une politique publique de soutien à la formation professionnelle, car les effets d horizon court liés à la proximité de la retraite sont tels que, y compris dans une perspective où l ensemble des externalités de formation sont prises en considération, le coût de la formation est trop important au regard de son rendement social; en revanche, (ii) il est souhaitable d instaurer un dispositif incitant les entreprises à accentuer très sensiblement leur effort de formation pour les travailleurs de la tranche d âge précédent cet âge critique. Finalement, il reste à attirer de nouveau l attention sur le fait que de telles mesures visant à soutenir la formation continue doivent être pensées conjointement à la régulation des départs en retraite. Tout relèvement de l âge effectif de liquidation des droits à la retraite (via l âge minimum légal par exemple) nécessiterait en effet un ajustement adéquat des dispositions évoquées pour réguler la formation professionnelle. Nos simulations indiquent ainsi que, pour un âge de départ en retraite égal à 62 ans, il ne serait pas utile de soutenir la formation professionnelle au-delà de 57 ans, mais qu en revanche il serait souhaitable qu un dispositif incitatif conduise effectivement les entreprises à dépenser plus pour la formation continue des 50 à 57 ans. S agissant de la nature du dispositif à mettre en œuvre, nous faisons ici écho aux travaux de Belan et Chéron [2011, 2014], qu il faut moduler en fonction de l âge. Ces travaux soulignent en effet l intérêt d utiliser les subventions à la formation à destination des entreprises, conditionnelles à l embauche des travailleurs, pour introduire les incitations appropriées. Dans cette étude, notre approche en termes de cycle de vie suggère que ce taux de subvention devrait être modulé avec l âge, croissant entre 50 et 57 ans, et décroissant ensuite. 22

Annexe technique : un cadre d analyse des choix de formation continue en fonction de l âge 23

Annexe technique : un cadre d analyse des choix de formation continue en fonction de l âge On considère un modèle à la Belan-Chéron [2014] (BC) étendu pour rendre compte de la dynamique par âge de l accès à la formation. Chaque travailleur est caractérisé par un niveau d aptitude a qui détermine sa productivité en emploi. La politique de formation professionnelle continue revient à définir un seuil minimal d aptitude ouvrant accès à une formation, qui consiste en «une mise à jour» des connaissances, postérieure à l embauche, et permettant un supplément de productivité durant toute la durée de l emploi. Cette formation engendre un coût, γ ƒ, supposé payé une fois pour toute à l embauche. Pendant les éventuelles périodes de chômage, cette mise à jour est susceptible de se déprécier, traduisant une obsolescence des compétences acquises. Le seuil d aptitude au-dessus duquel le travailleur a accès à la formation, noté, évolue au cours du cycle de vie. L analyse vise à caractériser les niveaux et la dynamique de ce seuil, d une part résultant des choix des employeurs, et d autre part défini optimalement en raisonnant sur la valeur sociale des dépenses de formation professionnelle continue. L environnement économique de référence Comme dans BC, les travailleurs se distinguent par leur type j {0; 1; 2} qui dépend de leur niveau d aptitude (diplôme), noté, et de l état de leurs connaissances : type 0 : individus dont l aptitude est trop faible pour qu une entreprise juge rentable de les former (individus d aptitude < ) type 1 : individus dont l aptitude est suffisante pour être éligible à une formation et dont les connaissances ont été déclassées (individus d aptitude et de productivité pré-formation égale à ) type 2 : individus ayant déjà été formés et qui n ont pas subi de dépréciation de leur capital humain acquis au cours de leur formation en entreprise (individus d aptitude a et de productivité égale à [1 + ] ) La probabilité qu un chômeur d âge t soit employé à la période t +1 est supposée conditionnée par son aptitude et l état de ses connaissances : p 0,t pour les individus dont les connaissances sont dépréciées (type 0 ou 1) et ayant un niveau d aptitude trop faible pour être formé à la période suivante en cas d embauche. p t pour les individus de type 2 ou de type 1 et un niveau d aptitude suffisant pour être formé en cas d embauche à la période suivante. Chaque individu entre sur le marché du travail à l âge t =0 en tant que chômeur et le quitte à un âge déterministe noté T, interprété comme l âge de départ à la retraite. Le modèle est en temps discret et on suppose qu à chaque période la génération de travailleurs la plus ancienne se retire du marché 24

du travail et est remplacée par une nouvelle génération de même taille, de sorte que la population sur le marché du travail reste constante. Par conséquent, les travailleurs se distinguent par leur niveau d aptitude, l état de leurs connaissances (à jour ou non) et par la distance qui les sépare de la retraite. En toute généralité, les individus recrutés à la période t ne deviennent productifs qu à la période suivante. La firme décide alors de former le travailleur nouvellement embauché si son aptitude est telle que l espérance des gains issus de la formation permet, au minimum, de couvrir son coût. Définition des espérances de gains intertemporels sur le marché du travail Soient w le salaire δ, la probabilité de destruction des emplois, β le facteur d escompte psychologique, et b la production domestique en cas de chômage. On détermine les fonctions de gains intertemporels au cours du cycle de vie sur le marché du travail, pour les employés, notées, et pour les chômeurs, notés, de la manière suivante, t < T - 1 : 11 type 0 : type 1 : type 2 : 11 - En T - 1, on fait l hypothèse que tous les individus sont certains de percevoir à la période suivante une pension de retraite universelle d un montant unique, notée R. 25

De même, du point de vue des employeurs on peut définir les fonctions-valeur des postes de travail,, de la façon suivante, t < T - 1 : 12 Les salaires sont pour leur part solution d un jeu de négociation, satisfaisant les règles de partage suivantes : avec α le pouvoir de négociation des travailleurs. Caractérisation des décisions de formation par les employeurs La politique de formation des entreprises consiste à choisir tel que. Il est alors possible de montrer que : Caractérisation des décisions optimales de formation A l optimum, on raisonne sur les valeurs sociales du travailleur selon son âge, son niveau d aptitude et son statut 0, 1 ou 2 vis à vis de la formation : La valeur sociale d un travailleur occupant un emploi, et dont les compétences professionnelles sont maximales du fait d avoir bénéficié d une formation professionnelle qui ne s est pas dépréciée : La valeur sociale d un travailleur qui n est pas en emploi, produit domestiquement, et est de type 2, c est-à-dire avec des compétences professionnelles non dépréciées, issues de sa formation passée : 12 - On a également. 26

Pour un travailleur de type 1 sans emploi, la valeur sociale fait intervenir le coût de formation qu il faut payer à la période suivante en cas de réemploi : où définit la valeur sociale d un emploi occupé par un travailleur qui n est pas apte à être formé (et ne le sera jamais sous l hypothèse ) donnée par : Pour le travailleur de type 0 sans emploi, on a finalement : La détermination du seuil d aptitude optimal,, vérifie. On est alors en mesure de montrer que : Choix des employeurs vs. choix optimaux La comparaison des choix des employeurs et des décisions optimales de formation mettent en évidence une généralisation à un cadre avec cycle de vie des résultats de BC : si, et seulement si, α =1, c est à dire si les salariés ont tout le pouvoir de fixation des salaires, les décisions des employeurs sont optimales. Dans le cas contraire, les employeurs ne forment pas assez, c est à dire qu il sont trop exigeants en termes d aptitude minimale. On notera en particulier que, pour t = T- 3, cette expression vérifie : 27