I nformer la population Est-il possible de créer un nouveau média pour l ensemble de la Bretagne? 1 Si la Bretagne est la deuxième région française en termes d emplois pour les télécommunications, elle se singularise pour l instant par une approche plus «technophile» que de contenu. Le paradoxe est alors le suivant. D un côté, la région est incontournable dans le registre des télécoms et vient d être labellisée par l État avec le pôle mondial «Images et Réseaux» centré sur Lannion. De l autre, la région ne dispose pas de réel média lui permettant de faire sa promotion ou de faire connaître efficacement les différentes activités qui s y développent. L ambition du groupe était alors de se placer dans une réflexion stratégique pour suivre les tendances lourdes et décisives de l évolution des médias. Il s agissait ensuite de déterminer, avec lucidité, les points faibles et les points forts du secteur médias et télécoms en Bretagne. Enfin et surtout, le groupe a choisi une démarche très volontariste et décidé de «prendre le taureau par les cornes», afin non pas de «rattraper notre retard» (création 1. Vers la création et la mise en œuvre d un portail Internet et mobiles «Style de vie Bretagne». Nom de code «3B.com» (Bretagne-Breizh-Brittany) (Copyright Bretagne Prospective/mars 2007) 53
d une radio bretonne par exemple) mais d avancer sur la création d un nouveau média breton. L originalité du groupe Média est donc d avoir avancé très vite vers l action, avec la formulation d un projet d entreprise allant jusqu à la création d un compte d exploitation. Les réflexions suivantes ont débouché sur la création d une SCOP lancée en juillet 2007, dont l objet est de tenter de mettre en œuvre le projet décrit à la fin de cette synthèse. Tendances lourdes Il est peu dire que les médias vont être au XXI e siècle un secteur stratégique et réaliser sur le sujet une réflexion prospective revient souvent à fonctionner à six mois ou à un an, tant les évolutions techniques sont fulgurantes. Nous sommes en effet confrontés à une révolution permanente des techniques, des vitesses et des usages. Au plan technique, le règne de l ORTF et des médias descendants est désormais achevé. À présent, ce sont les Internautes qui vont chercher l information désirée sur le Web, et surtout participent de façon ascendante à la construction des «savoirs» (succès des sites You Tube, Second Life ou Myspace par exemple). Même si les usages sont plus orientés qu on ne le croit généralement, la révolution numérique clôt un règne d un siècle d une pensée médiatique descendante et parachutée, confinée à quelques horaires et diffusée dans des lieux précis. Désormais, la convergence numérique multiplie les interférences médiatiques. La télévision se connecte au Web, et Internet diffuse les radios ou émissions (podcast) à l heure souhaitée. Les «mobiles» sont des ordinateurs portables qui permettent une immense liberté 54 Le livre blanc de la Bretagne. Enjeux et perspectives
d accès, que ce soit dans l espace ou dans le temps. La généralisation des systèmes Wifi ou Wimax permettra prochainement un accès généralisé, et de plus en plus gratuit, d informations plurielles. En effet, les progrès des vitesses de transmission et les diminutions des coûts (des équipements, des communications) sont fulgurants. On évolue aussi vers une démocratisation incessante des pratiques et peut-être à terme vers un coût marginal, voire une gratuité des usages. La célérité croissante des communications et l essor des recettes publicitaires suscitent une explosion de l offre, et les médias classiques se redéfinissent pour investir aujourd hui à vitesse accélérée l univers des nouveaux médias. Nous assistons à une révolution des pratiques et usages. Alors que jadis, l information était payante, diffusée à heure fixe et patiemment construite, elle devient progressivement gratuite, instantanée et consultable à n importe quelle heure. Alors que quelques acteurs construisaient des «grilles de programme», l information pour le meilleur et parfois pour le pire est de moins en moins «en cage» et de plus en plus élaborée de façon participative (émissions interactives, forums, talkshows...). Alors que l accès aux médias s effectuait dans des lieux circonscrits et avec des fils, l information se diffuse désormais par les ondes et ne connaît plus beaucoup de frontières. L essor des bien nommés «mobiles» et de l électronique embarquée renforce les interférences entre les mobilités numériques et mécaniques. Des individus dans le métro consultent leur messagerie, jouent en ligne, regardent la télévision, vont sur le portail local pour y consulter les programmes de cinéma. Une société interactive, instantanée et ouverte Informer la population 55
remplace un univers médiatique descendant, étriqué et destiné à des captifs. Bien entendu, l évolution n est pas sans contrainte et l on observe la course-poursuite, individualisée par différents théoriciens, entre «le réseau qui libère et le réseau qui contrôle». La multiplication des caméras de surveillance (plus de 350 000 en France), le repérage des pratiques, l essor de la biométrie ou l espionnage de la vie privée sont des pratiques régulièrement mises sur la sellette par des chercheurs ou la Commission nationale de l informatique et des libertés (CNIL). Malgré tout, le bouleversement est aujourd hui tel qu il impose une réflexion décomplexée dans une région qui est certes la deuxième de France dans le registre des télécommunications, mais qui a paradoxalement plus privilégié les contenants que les contenus. Comment, en Bretagne, franchir une nouvelle étape pour «affirmer notre patte» dans ce domaine en plein bouleversement, qui sera déterminant dans le devenir des sociétés? Les points faibles de la Bretagne En 2007, il n existe toujours pas une seule radio bretonne fonctionnant sur les cinq départements bretons. Actuellement, non seulement nous ne sommes pas présents sur les médias classiques, mais encore absents des médias en devenir. Il ne s agit pas de faire fi du foisonnement d initiatives qui indiquent que les Bretons tentent de s inscrire dans cette nouvelle réalité médiatique. Les sites An Tour Tan, Breizhoo (portail breton), l existence de l Agence Bretagne 56 Le livre blanc de la Bretagne. Enjeux et perspectives
Presse, qui réalise un travail considérable, ou la diffusion de musiques celtiques sur Internet (radio Arvorig, radio Bro Gwened ) prouvent que les Bretons ont perçu la nouvelle fenêtre des médias comme une aubaine pour affirmer leur spécificité et leur identité. Toutefois, les réalisations demeurent pour lors atomisées et synthétisent cette propension bretonne à fonctionner davantage en termes de «Plou et de Lan» qu en force constituée. Face aux géants mondiaux qui contrôlent le marché, que peut représenter un pays de 4,2 millions d habitants? Comment faire pour exister? Être représenté? Comment agir pour créer un portail véritablement intégré utilisant les savoirs techniques bretons pour créer et libérer un contenu attractif, rentable, qui soient à la fois utile à la construction du pays et à la diffusion d informations stratégiques. Les options concernant les médias classiques se sont heurtés aux dogmes jacobins d un autre âge ou ont freiné l essor des médias de pays : TV Breizh n a pas obtenu l aval du CSA (trois refus successifs) pour être diffusé en hertzien et a dû diffuser des séries américaines pour être rentable. Les radios bretonnes sont pour l essentiel issues de décrochages de radios nationales et fonctionnent de façon atomisée (Breizh Izel en Basse Bretagne, Radio France Armorique en Haute Bretagne ). Les radios locales diffusant en langue bretonne réalisent un travail immense mais ne bénéficient que d un périmètre restreint de rayonnement (radio Arvorig, radio Kreiz Breizh ) ou sur Internet de recettes publicitaires modiques. Il faut à l évidence investir de manière professionnelle le champ des nouvelles technologies. Toutefois comment faire, alors que la Bretagne a relativement peu d expé- Informer la population 57
riences dans le domaine, qu elle dispose d un pouvoir de décision squelettique au regard des autres régions européennes, que sa «tradition» telecom est plus orientée vers la construction d outils que de savoirs? Comment transformer cette carence en un atout, à une époque où la valeur ajoutée de l information se situe précisément de plus en plus dans les contenus et non dans les contenants? De quels leviers d action dispose-t-on pour créer un média breton capable de diffuser notre culture, nos savoirs, certaines informations qui actuellement ne sont pas disponibles et intéressent de plus en plus l ensemble de la société? Les points forts de la Bretagne Si la mondialisation tend progressivement et inéluctablement à niveler et à gommer les particularismes des sociétés des pays développés, on constate paradoxalement la recherche par un nombre certain de consommateurs, attachés à la différence, de «produits durables», de services et produits «de niche», spécialisés et typés. Ainsi, dans le cadre de l organisation progressive de l Europe, les régions tendent de plus en plus à devenir des pôles éducatifs, économiques et sociaux «de référence». La mise en place de supports de communication actifs, fédérateurs et moteurs de leurs activités s avère indispensable et l adoption par différentes régions de suffixes participant à leur promotion (le.cat pour les Catalans) traduit cette évolution à laquelle les Bretons sont loin d être insensibles (la pétition pour le.bzh recueille actuellement plus de 15 000 signatures 1 ). 1. http://bzh.geobreizh.com/www/bzh/ 58 Le livre blanc de la Bretagne. Enjeux et perspectives