NOTES METHODOLOGIQUES ECOLE ENFANTINE MATHEMATIQUES DEPARTEMENT DE L EDUCATION, DE LA CULTURE ET DU SPORT



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Transcription:

NOTES METHODOLOGIQUES ECOLE ENFANTINE MATHEMATIQUES Edition 2003 DEPARTEMENT DE L EDUCATION, DE LA CULTURE ET DU SPORT DU CANTON DU VALAIS

TABLE DES MATIERES Avant-propos... 3 CHAPITRE 1 APPRENDRE ET ENSEIGNER LES MATHÉMATIQUES... 5 1.1 Des mathématiques à l école enfantine... 6 1.2 Les dernières évolutions de l enseignement des mathématiques.. 7 1.3 Les modèles de l apprentissage... 13 1.4 Apprendre c est donner du sens... 18 1.5 La psychologie du développement cognitif... 23 1.6 La résolution de problèmes... 25 1.7 Le jeu... 31 1.8 La gestion des activités... 33 1.9 Une gestion différenciée des apprentissages... 34 1.10 L évaluation formative à l école enfantine... 37 CHAPITRE 2 PLAN D ÉTUDES DE MATHÉMATIQUES ÉCOLE ENFANTINE... 39 2.1 Intentions générales... 40 2.2 Intentions des activités mathématiques... 41 CHAPITRE 3 LES DOMAINES MATHÉMATIQUES... 42 3.1 Logique et raisonnement... 43 3.2 Le nombre... 47 3.3 Espace et géométrie... 53 3.4 La mesure... 60 Sources et références bibliographiques... 64 Editeur Etat du Valais Dépôt des Livres scolaires, Sion Edition 2003 2

AVANT-PROPOS «La connaissance, disait Piaget, est construite petit à petit par le sujet, grâce à son activité. Elle est le résultat d une interaction continuelle entre le sujet et son milieu». Parallèlement à l entrée en vigueur, en 1997, du nouveau plan d études romand et des nouveaux moyens d enseignement des mathématiques à l école obligatoire, cet enseignement a évolué dans un sens semblable à l école enfantine en Valais. En effet, dès l année scolaire 1998-1999, un grand nombre de maîtresses enfantines ont pu participer à des cours de formation continue. Elles ont eu accès à l ouvrage de Mme Androula Henriques «Jouer et Comprendre» ainsi qu à des activités décrites dans «Les apprentissages numériques» à la Grande section de maternelle d Ermel. D un côté, les conditions de l enseignement des mathématiques s enrichissent, les enseignantes disposent de nouvelles sources pour alimenter leur enseignement. D un autre côté, elles renvoient à des cadres théoriques différents. Cet état de fait n est pas à déplorer en soi, mais l enseignement des mathématiques gagnerait à ce que les praticiennes soient au clair avec les concepts d apprentissage et d enseignement sous-jacents aux moyens qu elles utilisent dans leur classe. Par ailleurs, les enseignantes enfantines se demandant s il n y a pas lieu de les redéfinir dans un souci d adaptation au nouveau plan d études romand. Ensuite, et ce point constitue un problème récurrent pour les maîtresses enfantines, elles éprouvent le besoin que le DECS rende officiels les objectifs, les moyens d enseignement, le matériel de classe par publication d un document de référence et inscription dans le catalogue des ouvrages scolaires du Valais romand. Le présent ouvrage tient lieu de document officiel relatif à l enseignement des mathématiques à l école enfantine. Le DECS l édite à l intention des enseignantes des classes enfantines et des enseignantes de première primaire. 3

Son rôle est triple: En tant que document officiel, il définit le plan d études des mathématiques pour l école enfantine. Il abroge la page 20 du document «L école enfantine. Objectifs et suggestions pédagogiques» (juin 1994). Pour respecter la verticalité avec le plan d études romand 1-6P (1997) et dans un souci d adaptation, il explicite les intentions générales par des objectifs spécifiques liés aux différents domaines d apprentissage. Il se veut également ouvrage de référence présentant la synthèse des aspects théoriques et didactiques de l enseignement des mathématiques à l école enfantine. Il constitue aussi un outil de travail fournissant des propositions d activités mathématiques stimulantes dans les quatre domaines de l enseignement des mathématiques à l école enfantine. En conclusion, il n y a pas pénurie de moyens, mais plutôt besoin d établir des références officielles, claires et communes, tâche que le DECS s est chargé d accomplir en mandatant le groupe de travail «Moyens pédagogiques pour l enseignement des mathématiques à l école enfantine». Mesdames Marie-Madeleine Luy, inspectrice scolaire, Hedwige Aymon, responsable de la didactique des mathématiques à la HEP, Marie-Hélène Sauthier, animatrice de mathématiques pour les degrés -2 à +2, Françoise Haefliger, Françoise Koopmann, Nicole Magnin et Bernadette Vuignier, enseignantes à l école enfantine, ont réalisé ce document. Ce document sera appliqué dans les classes enfantines dès l année scolaire 2003-2004. Nous espérons qu il contribuera à donner aux plus jeunes de nos élèves le goût des mathématiques. Claude ROCH Chef du Département de l éducation, de la culture et du sport Mars 2003 4

CHAPITRE 1 APPRENDRE ET ENSEIGNER LES MATHÉMATIQUES 5

1.1 DES MATHÉMATIQUES À L ÉCOLE ENFANTINE Parler des mathématiques peut sembler bien présomptueux lorsqu on se situe dans le cadre de l école enfantine. Pourtant, ces enfants ont déjà eu la possibilité de se livrer à un grand nombre d expériences à composantes mathématiques. Par exemple, un enfant de quatre ans a déjà comparé des formes, il a effectué des correspondances terme à terme, il sait identifier et désigner des objets, il a acquis un certain nombre de connaissances dans le domaine spatial, il compte probablement jusqu à cinq ou six. Il peut, tout au moins partiellement, trier des objets et constituer des collections d éléments semblables (même forme, même couleur) ou correspondant à un même champ sémantique (les animaux, les jouets), il est capable d établir un certain nombre de relations entre des objets, des faits ou des énoncés. Le rôle de l enseignant, à l école enfantine, consiste à: proposer à l élève des situations lui permettant à la fois de mobiliser ses connaissances et d acquérir de nouveaux savoirs. Le choix de ces situations résulte de son analyse du contexte pédagogique; s appuyer sur ces connaissances de base pour amener l enfant à les préciser, à en élargir le champ, à les structurer en une totalité harmonieuse et cohérente. Mais il est bien évident, est-il besoin de le rappeler, que les différences entre les enfants d une même classe sont considérables pour toutes sortes de raisons; pour n en citer qu une, certains enfants entrent en première année enfantine après un, voire deux ans de jardin d enfants tandis que d autres en sont à leur première expérience en dehors du milieu familial. Il faut aussi relever que les compétences regroupées par les plans d études dans le chapitre consacré aux mathématiques s appliquent en fait bien audelà de cette discipline pour intervenir dans la quasi totalité des activités qui constituent une journée d école. A l école enfantine, les diverses activités sont souvent fortement imbriquées; l approche du langage parlé et écrit, le dessin, le geste constituent les parties d un tout dont les composantes sont parfois difficiles à isoler. C est pourquoi il semble important de préciser quand et comment on fait réellement des mathématiques ou, plus exactement, quand l enfant met en œuvre et exerce son raisonnement logico-mathématique. 6

1.2 LES DERNIÈRES ÉVOLUTIONS DE L ENSEIGNEMENT DES MATHÉMATIQUES 1.2.1 Introduction Pour percevoir les enjeux d une innovation, il est nécessaire de la situer dans une perspective historique et d analyser les changements qu elle apporte par rapport aux réformes précédentes. Dans les années 50 à 60, les pratiques étaient fort diverses d un canton à l autre. La réforme des années 70, accompagnée d un plan d études romand, a conduit à une plus grande uniformisation des pratiques. Les grandes innovations de cette époque concernent: les contenus à enseigner: les diagrammes ensemblistes, la numération dans des bases autres que la base dix, l espace, l implication de l élève dans ses apprentissages: la transmission des connaissances ne suffit pas, l activité propre de l élève est nécessaire pour apprendre, la définition des finalités de l enseignement des mathématiques: cet enseignement n est plus limité à une stricte préparation à la vie active. Parallèlement à la mise en place de cette réforme, s est développé un mouvement de recherche sur l enseignement, un nouveau champ scientifique: la didactique des mathématiques. Cette nouvelle science a essayé de comprendre pourquoi les méthodes pédagogiques préconisées étaient si difficiles à mettre en œuvre, pourquoi les élèves rencontraient des difficultés dans leurs apprentissages, pourquoi les nouveaux contenus proposés ne convenaient pas? Ainsi, dès les années 90, de nouvelles propositions ont pu être élaborées. Les apports de la recherche en didactique des mathématiques ainsi que d autres disciplines comme la psychologie avec ses études sur l intelligence artificielle, sur la mémoire, sur l apprentissage, sur le fonctionnement du cerveau, sur l aspect social de l apprentissage,, ont offert des pistes intéressantes pour l enseignement. La nature de l innovation concerne: pour les contenus à enseigner: la notion de problème (situation problème, problème ouvert, ) pour les modèles d apprentissage: le socio-constructivisme, pour la définition des finalités de l enseignement des mathématiques: cet enseignement inclut le développement de l imagination, de la curiosité, d une pensée autonome, de l argumentation, de la confiance en soi, 7

1.2.2 Les contenus à enseigner Le symbolisme ensembliste Les années 70 Les ensembles et les relations sont caractéristiques de ce qu on a appelé les «maths modernes». Les plans d études de 1972 définissaient les objectifs suivants: Jeux et manipulations mathématiques Ensembles Formation d ensembles: classifications libres, classifications selon des critères donnés Notion de propriété Approche de la négation. Relations Mise en correspondance Notions d équivalence Sériations Si l on ne se soucie pas constamment des finalités et du sens des activités de classement, on prend l habitude de travailler sur les aspects formels de leurs représentations. On développe ainsi l aptitude des élèves à remplir des diagrammes et à utiliser des symboles, activités recouvrant des notions dont la complexité leur échappe, plutôt que de développer leurs capacités de classer, d ordonner ou de représenter une situation. L exemple de la figure 1 montre bien que la difficulté de la tâche ne réside pas dans l organisation du classement mais dans le formalisme: décoder les symboles, relier par un trait, Les années 90 En 1992, le document «Objectifs et activités préscolaires» confirme: Trier, inventer des classements (familles, collections), imaginer des symboles, étiqueter, sérier, fig. 1 Dans les moyens d enseignement, sont proposées des activités visant à enseigner les diagrammes avec le vocabulaire et les notations qui s y rapportent. On assiste ainsi à un «glissement des savoirs», les notions fondamentales cèdent le pas à quelques-unes de leurs illustrations. 8

En conséquence, dans les nouveaux moyens d enseignement, on renonce à enseigner le formalisme ensembliste au profit de problèmes qui, pour être résolus, nécessitent d élaborer un classement, de trier, d organiser, de noter,... La pertinence de certains «outils» Les années 70 Certaines connaissances enseignées aux élèves dès l école enfantine étaient censées prendre, plus tard, un statut d outils leur permettant de résoudre des problèmes. Ainsi, par exemple: le diagramme en arbre est un outil intéressant pour résoudre des problèmes de combinatoire. Mais l évaluation du programme des années 70 montre que les élèves n ont pas perçu ces objets d enseignement comme des outils. Ils utilisent d autres méthodes pour résoudre les problèmes proposés. Certains de ces outils peuvent même être une difficulté supplémentaire et artificielle du problème d origine. L exemple de la figure 2 montre comment la correspondance terme à terme devient un passage obligé alors qu elle n est qu une procédure possible pour résoudre un problème de comparaison de quantités. On fait abstraction des connaissances extra-scolaires de l élève comme le comptage qui est ici un bon moyen de répondre à la question. Il y a absence de sens dans ces activités destinées à inculquer certaines connaissances qui ne peuvent ainsi accéder au statut d outil. Les années 90 En conséquence, on renonce à enseigner des procédures comme si elles étaient des notions mathématiques au profit de problèmes ou l élève devra lui-même élaborer des procédures. fig 2 9

Géométrie Les années 70 Le plan d études de 1972 indique les objectifs suivants: Espace notion de position lignes ouvertes et fermées notions d intérieur et d extérieur Formes quelques formes géométriques Ces notions appartiennent au domaine de la topologie. Elles ont été transposées à l école enfantine car elles sont apparues comme «premières» dans la construction de l édifice des mathématiques et dans la genèse de l espace pour l enfant. Une fois encore, on cherche à mettre en évidence les structures. On travaille ainsi ces notions au niveau du vocabulaire: ouvert / fermé, intérieur / extérieur, sur / sous, devant / derrière L exemple de la figure 3 illustre bien le fait que l on enseigne des «mots», en tant que mots de vocabulaire, voire même des conventions: dans un dessin, ce qui est caché est «derrière». Les années 90 Le document «Objectifs et activités préscolaires» marque déjà une évolution: découvrir, explorer l espace et s y orienter en variant les points de référence: son propre corps, d autres personnes, d autres objets (positions relatives, déplacements, parcours, ). En conséquence, on renonce à enseigner des notions de position en termes de vocabulaire au profit de problèmes où il est indispensable, pour les résoudre, de communiquer des positions d objets verbalement ou sur un plan. fig. 3 10

Les problèmes Les années 70 Avant les années 70, on enseignait une règle puis on s exerçait à faire fonctionner la règle à travers des problèmes. La réforme des années 70 a remplacé les problèmes par des activités orientées vers la construction des savoirs et des notions, selon une conception structuraliste de l édifice mathématique. Dans cette optique, on considère les problèmes comme des applications de connaissances préalablement construites et maîtrisées. Ils sont donc repoussés jusqu au moment où l élève dispose des outils mathématiques nécessaires. Les années 90 Aujourd hui, on considère les problèmes comme étant à l origine de la construction de connaissances nouvelles. Ce sont eux qui donnent du sens aux notions mathématiques. En conséquence, on enseigne d abord les problèmes pour découvrir les outils qui permettent de les résoudre. Et seulement dans un deuxième temps, on s intéresse aux notions mathématiques en tant qu objets d étude: comment fonctionnent-elles? pourquoi? quelles sont les propriétés de ces notions? 11

1.2.3 Conclusion La réforme des années 70 est partie d idées généreuses, comme, par exemple, permettre à chacun de bénéficier d un enseignement considéré comme fondamental dans la formation de l individu. Une double volonté se dégageait à l époque: modifier les contenus enseignés en accordant une large place au langage des ensembles et des relations ET mettre en œuvre de nouvelles méthodes pédagogiques donnant davantage de place à l activité des élèves. Malgré ses erreurs, elle a été une étape indispensable de l évolution de l enseignement des mathématiques. Aujourd hui, nous pouvons franchir une nouvelle étape. Quelques contenus sont modifiés, mais le principal intérêt se situe dans la clarification des conceptions de l apprentissage et de l enseignement. En accordant une place centrale à l activité de résolution de problèmes, cette nouvelle conception de l enseignement accorde une place privilégiée aux productions des élèves. On vise ainsi à développer chez lui une plus grande capacité à mobiliser des connaissances à bon escient, car ces connaissances auront pris sens dans une situation où elles permettent de résoudre le problème posé. «Finalement, c est en entrant pleinement dans le jeu de l activité mathématique, activité intellectuelle dont le sens et l intérêt essentiels se trouvent dans son exercice même, dont la finalité se trouve à l intérieur du savoir et non dans ses applications éventuelles, que les élèves auront le plus de chances de donner du sens aux éléments de ce savoir et donc aux concepts qui le constituent. Pour entrer dans un tel jeu, l élève doit accepter une nouvelle responsabilité, qui n est plus seulement de mémoriser, de réciter et d appliquer des connaissances, mais bien de les fabriquer, de les discuter, d en contrôler le fonctionnement et l usage.» (Charnay, R., 1996, p.62-63) 12

1.3 LES MODÈLES DE L APPRENTISSAGE Il y a de nombreux modèles de l apprentissage, qui se sont développés au cours des siècles, avec plus ou moins de bonheur. Les décrire tous serait une tâche trop ambitieuse. Actuellement, de nombreux didacticiens s accordent pour les regrouper en trois courants qui se côtoient dans notre enseignement. Les lignes suivantes vont tenter de les distinguer, tout en prenant le risque d en donner une description un peu trop schématique. Elles s inspirent d Arsac, Germain, Mante (1988), de Charnay, Mante (1995) et de Ragot (1991). Le modèle transmissif La conception transmissive est très ancienne et traditionnelle. Selon elle, les objets mathématiques ont une existence propre, différente de la réalité physique, indépendante de l espace, du temps et de l homme qui les évoque. Faire des mathématiques, c est accéder à l ordre théorique qui fonde la rationalité du monde, indépendamment de nos systèmes de raisonnement. Dans ce type de conception, on accède aux vérités mathématiques par le discours, par l exposé, par la démonstration. «Le rôle de l enseignant est de présenter les connaissances comme un enchaînement de propositions vraies, de telle façon que, au terme de la transmission, l élève ne puisse pas ne pas reconnaître comme une évidence le savoir auquel on aboutit.» (Ragot, 1991) L apprenant est le destinataire du message qui vient s imprimer dans sa tête. On évoque aussi à ce propos, de façon très schématique, le modèle de la «tête vide» (Arsac et al., 1988). Pour apprendre, l élève doit être attentif, écouter, suivre, imiter, répéter et appliquer. Le schéma de cet apprentissage est souvent représenté par un des modèles de la communication. Le modèle transmissif peut laisser croire qu on gagne du temps mais n assure pas les acquisitions ni leur transfert, car l élève reste peu actif, et on ne sait pas comment il reçoit le message du maître. 13

Le modèle béhavioriste La conception béhavioriste repose sur l idée que, pour faire passer l élève d un niveau de connaissance à un autre, il faut stimuler les comportements attendus et renforcer les réponses positives. On définit précisément les étapes par lesquelles doit passer l élève, objectif par objectif, puis on met en place des situations au cours desquelles il sera conduit à découvrir le nouveau comportement, qu on renforce aussitôt. Enfin, une fois l objectif atteint, on propose des entraînements systématiques pour automatiser le comportement nouveau, avant de passer à l objectif suivant. Cette conception est parfois comparée à une progression par «petites marches» et représentée par le modèle suivant. Ce modèle se pratique en enseignement programmé, en «pédagogie par objectifs» et dans toutes les séquences de fiches progressives dites de «découverte» où la tâche de l élève est induite par des questions nombreuses et faciles. Le modèle béhavioriste convient bien à un travail individuel et à des apprentissages très séquentiels. Tout est fait pour que l élève ne soit jamais en situation d échec, mais celui-ci n a aucune autonomie dans ses apprentissages. La maîtrise de chacune des étapes ou des sous-objectifs n assure en rien la maîtrise de la tâche complète. 14

Le modèle socioconstructiviste Selon cette conception, apprendre ne consiste pas à recevoir le savoir d une manière passive, mais à agir sur les informations reçues de la situation en les transformant. Les connaissances nouvelles sont construites à partir de ce que l on sait déjà. Le premier moment de tout apprentissage est un temps d «assimilation», au cours duquel on établit des analogies, on compare, on cherche des ressemblances et des différences avec ses anciennes connaissances. Si les informations reçues et réorganisées pour être appropriées sont jugées conformes à ce qu on sait déjà, on n apprend rien de nouveau. On exerce, confirme, renforce ses anciens savoirs. Si, au contraire, on se rend compte que les anciennes conceptions ne permettent pas d assimiler les nouvelles données de la situation ou qu elles se révèlent insuffisantes, il y a déséquilibre. Les anciennes connaissances constituent un obstacle, il faudra en éliminer, transformer celles qui sont encore efficaces et les réorganiser. Comme le dit Bachelard (1938), «on connaît contre une connaissance antérieure en détruisant des connaissances qui sont mal faites». C est par exemple le cas lorsqu on se rend compte que «la multiplication n agrandit pas toujours», mais qu elle peut aussi «diminuer» l un des facteurs si l autre est inférieur à 1. Ce déséquilibre est représenté traditionnellement par le schéma suivant: 15

Le nouvel équilibre est créé par une «accommodation» du sujet, contraint d intégrer les nouvelles données sous la pression du milieu. C est le modèle de l apprentissage par déséquilibration et rééquilibration proposé par Piaget. Pour construire une connaissance nouvelle, il faut qu on reconnaisse sa nécessité, en d autres termes, qu elle serve à quelque chose. on est ici dans la recherche du sens qu on peut donner à une connaissance nouvelle, pour se donner la peine de renoncer aux anciennes qui se révèlent dépassées. Et ce sens se trouve dans les situations de conflit, de déstabilisation et en particulier dans les «situations-problèmes». Un apprentissage d une nouvelle connaissance, organisé autour d un problème, se caractérise par une activité de recherche, de production d hypothèses, d explorations, d essais, de vérifications, propre à toute démarche mathématique. Il est encore suivi d une phase importante de structuration, au cours de laquelle la connaissance est décontextualisée et formulée (dite ou écrite). Les interactions sociales y jouent un rôle important (débats, mise en commun, communication). Cette conception socio-constructiviste se distingue d autres modèles de l apprentissage, fort répandus, sur lesquels l enseignement des mathématiques s est longtemps appuyé au cours de son histoire: le cours magistral, l enseignement programmé, la pédagogie par objectifs. Le modèle socio-constructiviste prend en compte les erreurs de l élève, ses représentations, le sens, les interactions sociales. Il est en revanche plus délicat à gérer, tant pour l organisation de la classe que pour les aspects affectifs qu il met en jeu. Il n est pas sûr non plus qu il convienne pour toutes les connaissances. En guise de synthèse de ces trois conceptions, voici une grille proposée par Charnay et Mante (1996) qui doit permettre de repérer si une séquence, dont l objectif est d introduire une connaissance nouvelle, se réfère à l une ou à l autre des conceptions décrites précédemment. 16

Vers une approche transmissive Vers une approche béhavioriste Vers une approche socio-constructiviste Activité principale des élèves Ecouter et être attentifs: il n y a pas de travail de recherche de la part des lèves. Résoudre une succession de tâches, guidés par l enseignant soit oralement, soit à travers une succession de questions écrites (fiches). Résoudre une situation-problème. Les élèves doivent prendre en charge la responsabilité de la résolution de ce problème et la validation de sa production. Rôle principal du maître en classe Communiquer ou montrer le savoir. Aider les élèves à résoudre les tâches proposées en aplanissant les difficultés. Institutionnaliser des connaissances. Assurer la dévotion du problème à la classe. Animer la phase de confrontation des résultats. Institutionnaliser des connaissances. Rôle des erreurs Les erreurs sont des manques. Elles doivent être évitées surtout pour gagner du temps Ce sont des manques, elles doivent être évitées, car elles laissent des traces indélébiles. La prise de conscience et le dépassement de certaines erreurs sont essentiels pour l acquisition de concepts. Ainsi, certaines erreurs sont provoquées volontairement de façon que les élèves puissent les dépasser après les avoir reconnues comme étant des erreurs. Position du savoir Le savoir est transmis par l enseignant. Le savoir est découvert par l élève. Le savoir est construit par l élève. Qui contrôle la production des élèves? L enseignant. L enseignant. L élève, soit à l aide du milieu, soit à la suite d un débat. La présentation bien schématique de ces trois modèles de l apprentissage respecte l ordre chronologique de leur apparition dans l histoire de la pédagogie. Le premier remonte aux temps les plus anciens, au point que certains le qualifient parfois de «platonicien». Le deuxième est issu du courant qui a largement dominé les recherches en psychologie de la première moitié de ce siècle et, en particulier, des travaux de Skinner (1904 1990), dont la théorie est à l origine de l enseignement programmé. Le troisième prend en compte le développement de la psychologie cognitive qui, à partir des années soixante, a progressivement détrôné la théorie béhavioriste. Il s appuie également sur les apports récents de la psychologie génétique, de l étude des interactions sociales et de la recherche en didactique des mathématiques. 17

1.4 APPRENDRE, C EST DONNER DU SENS L enfant a besoin de savoir «à quoi ça sert» pour pouvoir apprendre et comprendre. On propose un enseignement par résolution de problèmes, essentiel dans la recherche du sens, car il présente une consigne qui contraint l élève à agir, à mettre en œuvre ce qu il sait, à se poser des questions et à envisager des solutions. Cette phase de tâtonnements peut durer. C est le temps qu il faut pour apprivoiser la tâche. Apprendre, c est agir dans un but Pour engager une activité mathématique, il faut qu un problème se présente (problème surgissant dans le vécu de l enfant ou problème proposé par l enseignant à la classe), que l enfant soit amené, spontanément ou avec le concours de l adulte, à émettre une hypothèse et à chercher les moyens de la vérifier. Dans ce sens, l activité mathématique proprement dite se distingue de la libre exploration d un matériel. Quand l enfant joue à faire des châteaux avec des plots ou des Légo, il n est pas en situation de résolution de problème s il conduit ses assemblages sans but et/ou s il modifie sa construction en changeant de projet en cours de route. C est seulement lorsque l enfant se donnera un objectif précis, par exemple effectuer une construction d un certain type, et qu il s y reprendra à plusieurs reprises pour parvenir au but qu il s est donné à lui-même, que l on pourra réellement parler de situation-problème. Pour prendre un autre exemple, dans la réalisation d un puzzle, l enfant connaît le but de la tâche, il cherche des repères et des indices qui lui permettent de la réaliser. La validation de l action est fournie par la mise en place de toutes les pièces. Les deux exemples précédents sont très simples. Ils montrent cependant que, dès la 1 E, les attitudes nécessaires à la résolution de problèmes sont présentes chez l enfant. Pour une part, il les a déjà construites dans ses expériences extra-scolaires. Le rôle de l enseignant sera donc, tout au long de la scolarité, de fournir des occasions d aborder et de résoudre avec succès des problèmes qui deviendront de plus en plus complexes. Bien entendu, ces situations complexes seront choisies dans un répertoire accessible à l enfant, feront appel à des domaines qui lui sont familiers et qui suscitent son intérêt. L important, pourtant, est qu elles offrent un ensemble de possibilités d actions et de recherches dont le degré de difficulté est variable. Ainsi tous les élèves d une même classe, quel que soit leur niveau de développement du moment, peuvent se livrer à des expériences qui à la fois suscitent de leur part une réflexion intense et sont, au bout du compte, accompagnées d un sentiment de réussite. Conséquence pour l enseignement L enseignant proposera de préférence, le plus souvent possible, des activités finalisées. 18

Apprendre, c est manipuler, verbaliser, représenter A l école enfantine, et bien au-delà aussi, l apprentissage de la mathématique passe en grande partie par la manipulation d objets concrets, indispensable à la construction des connaissances mathématiques. Cette manipulation ne prend toute sa signification que lorsqu elle s associe au langage et à la notation écrite. Une des difficultés rencontrées dans le fonctionnement des classes se situe précisément dans la dissociation de ces trois aspects à prendre en compte. Une tendance existe de conduire des leçons au cours desquelles les enfants manipulent et verbalisent sans recours à l écrit; puis, dans un second temps, ils sont invités à passer à l écrit, à remplir des fiches, sans que cette activité d écriture soit soutenue et vérifiée par la manipulation des objets. La notation écrite consiste, à l école enfantine, à représenter par le dessin une configuration d objets manipulés concrètement. Cette étape semble indispensable afin que l écriture symbolique habituelle prenne réellement sens dans la pensée de l enfant. Et tout ceci ne saurait se concevoir sans le «dire», sans la verbalisation qui permet d échanger son point de vue avec d autres enfants et de préciser sa pensée. Conséquences pour l enseignement Il est nécessaire d actualiser la connaissance en train de s élaborer en demandant aux élèves de parler de ce qu ils font. Les engager à reformuler, avec leurs propres mots peut constituer un premier pas dans la recherche du sens. Il convient de demander aux élèves de représenter graphiquement ce qu ils font. Cette activité leur permet, à la fois, de mettre en forme leur conception de la tâche et de créer un support à la communication de leurs observations. Manipulation, verbalisation, représentation graphique et codage symbolique constituent donc quatre volets d une même activité de prise de conscience du réel et de construction d un système symbolique. C est en grande partie au travers d un va-et-vient entre ces différents modes d expression que se constitue peu à peu la connaissance. 19

Apprendre, c est coopérer et communiquer La coopération entre élèves est essentielle en mathématiques, car c est le besoin de communiquer qui contraint à trouver et à utiliser des représentations compréhensibles et décodables par autrui, à accepter la nécessité d un langage conventionnel. Un grand nombre de recherches mettent en évidence le rôle des interactions entre élèves et des conflits socio-cognitifs dans les apprentissages: face à un problème, la confrontation entre élèves de niveaux intellectuels proches est très bénéfique pour l apprentissage. Communiquer, c est être capable de s exprimer de manière que l autre puisse participer à ce qu on est en train de construire. C est aussi pouvoir décoder ce que l autre a dit ou a représenté. Lorsqu un élève écrit ou représente quelque chose, il s attend à ce que l enseignant saisisse ce qu il a voulu exprimer. En revanche, écrire pour être décodé par ses pairs exige une plus grande précision, car les autres enfants veulent pouvoir comprendre rapidement. Communiquer et coopérer, c est aussi prendre conscience que les autres ont des points de vue différents, pas seulement en ce qui concerne les idées, mais aussi sur un plan perceptif: un objet n est pas vu sous le même angle suivant la position qu il occupe par rapport aux spectateurs. Cette prise de conscience joue un rôle dans la relativisation des jugements et des représentations mentales. Ce double aspect de la communication ne va pas de soi, il doit être l enjeu de situations scolaires. On insiste beaucoup, à juste titre, sur l expression des élèves, en oubliant encore trop souvent l activité de décodage, ou alors en travaillant ces deux aspects à des moments différents sans les coordonner. Conséquences pour l enseignement On favorisera dans la mesure du possible les interactions entre élèves et les situations de communication: travail par groupes, mises en commun, transmission de messages, exposés de démarches, verbalisation de stratégies à propos d un jeu, etc. 20

1.5 LA PSYCHOLOGIE DU DÉVELOPPEMENT COGNITIF PIAGET Elisabeth Bostelmann HEP / St Maurice La théorie piagétienne du développement cognitif de l enfant reste la référence de base nous permettant de comprendre l évolution de l intelligence chez l enfant. Pour Piaget, la progression cognitive serait due à la capacité de coordination toujours plus complexe entre les schèmes, les actions, les opérations, qui aboutirait à la construction des structures opératoires. Cette théorie est présentée de manière très claire et synthétique par A.C. Henriques dans «Jouer et comprendre» (p.185 à 236). Là sont abordés les concepts centraux de l approche piagétienne à savoir: l enfant construit sa connaissance de manière active; l activité intellectuelle qui va lui permettre d élaborer ses connaissances est sous-tendue par deux mécanismes fondamentaux, l assimilation et l accommodation; le développement cognitif de l enfant passe par différents stades qui sont les mêmes pour tous les individus, se succèdent dans le même ordre et sont caractérisés par des structures mentales différentes (intelligence sensori-motrice, pensée symbolique ou pré-opératoire, pensée opératoire concrète puis formelle). La dernière partie de cette présentation aborde la notion d activité du sujet, élément central de cette théorie. En tant qu enseignant(e), bien comprendre ce que signifie «l activité du sujet» pour Piaget, est vraiment primordial, car cela nous amène à réévaluer et redéfinir notre rôle en tant que personne qui stimule, analyse et respecte le développement intellectuel de chaque enfant (Jouer et comprendre, p.236): «De tout ce qui vient d être dit, il en ressort que l activité du sujet responsable de la construction d instruments intellectuels et des connaissances tant physiques que logico-mathématiques, n est pas l activité observable, mais bien entendu l activité mentale qui la sous-tend. Ainsi, s il est souhaitable de permettre aux enfants et non seulement aux plus jeunes de manipuler des objets concrets, des choses, il faut choisir les situations en fonction de l activité mentale qu elles suscitent. La tâche n est point facile. Mais elle est indispensable si on veut faire de l éducation active, et surtout, si on veut élaborer une pratique pédagogique inspirée de la théorie de Jean Piaget. Une telle pratique exigerait, par ailleurs, une redéfinition du rôle de l enseignant et une réorganisation de sa formation. Car, ce n est pas parce que l élève construit lui-même son savoir que l enseignant peut se reposer ou se cantonner dans son rôle d observateur. Il doit, non seulement proposer à ses élèves des situations qui les incitent à être actifs, mais également pouvoir suivre ses élèves dans leur cheminement personnel et intervenir de manière 21

adéquate. Il doit aussi accepter que son pouvoir d intervention soit limité puisqu il ne peut pas faire des mises en relation et des coordinations à la place de l enfant. Il peut, tout au plus, indiquer quelques données pertinentes ignorées et, lorsque ses suggestions n ont aucun effet, il doit pouvoir l interpréter, non pas comme de la mauvaise volonté de la part de son élève, mais comme une impossibilité momentanée de celui-ci d assimiler la donnée suggérée; en d autres termes, l impossibilité de lui attribuer une signification qui la rendrait pertinente.» L APRÈS PIAGET Approches socioconstructives du développement cognitif Les approches socio-constructives du développement cognitif mettent l accent sur l origine sociale de l intelligence (cet aspect a été négligé par Piaget). A la suite de Vygotsky, Bruner (1983) affirme qu il est impossible de concevoir le développement humain comme autre chose qu un processus d assistance, de collaboration entre enfant et adulte, l adulte agissant comme médiateur de la culture. Il va développer les notions d interaction de tutelle et de relation d étayage pour désigner l ensemble des interventions d assistance de l adulte permettant à l enfant d apprendre à organiser ses conduites afin de pouvoir résoudre seul un problème qu il ne savait pas résoudre au départ. Il distingue également un certain nombre de composantes liées à cet étayage (aménagement de la tâche en réduisant les difficultés - par exemple, décomposer l objectif principal en sous-buts, signaler les caractéristiques déterminantes de la tâche - soutien de l attention, contrôle de la frustration,...). D autre part, les recherches désormais classiques de Doise et Mugny (1981) et de A.N. Perret-Clermont (1979) insistent également sur l aspect social du développement cognitif mais on analyse ici, non plus les interactions entre l adulte et l enfant, mais les interactions entre pairs. On parle alors de conflit socio-cognitif. La présence de conflits liés à des points de vue différents sur un même objet favorise la décentration intellectuelle et génère 22

donc un progrès cognitif. Ce progrès cognitif dépend cependant largement du niveau initial de l enfant et se réalisera plus facilement si les niveaux cognitifs des enfants réunis ne sont pas trop différents. Approches néo-piagétiennes Les approches néo-piagétiennes se réfèrent à la psychologie cognitive, plus particulièrement aux théories du traitement de l information et, si elles ne remettent pas fondamentalement en question l évolution du raisonnement chez l enfant et des principales étapes de cette évolution décrite par Piaget, elles proposent de nouvelles interprétations du développement cognitif dans le cadre des concepts issus de la psychologie cognitive. Elles accordent une place déterminante à l évolution des capacités de traitement de l information en mémoire de travail et proposent également une redescription du système cognitif et des stades de développement. 1. Pour Piaget, les représentations sont toujours dépendantes des actions et des opérations tandis que les théories cognitives postulent l existence en mémoire de représentations mentales du monde préexistantes à toute action ou opération du sujet. On s intéresse dès lors à la manière dont les connaissances sont représentées en mémoire (formats: images, mots ; types: connaissances déclaratives, procédurales ; mode d organisation: structure, réseau ) et comment ces connaissances sont utilisées dans des situations-problèmes (processus mis en jeu lors de résolutions de problèmes). En lien avec la description de ces connaissances représentées en mémoire, on analyse l augmentation des capacités de cette mémoire avec l âge (Case et Okamoto, 1996) ainsi que l automatisation des échanges entre les anciennes informations et les nouvelles informations. Les recherches dans ce domaine montrent qu il est difficile d expliquer le développement cognitif par une augmentation globale des capacités mnésiques qui résulterait de la maturation. En effet, ces capacités se développent surtout en lien avec un domaine précis. Ainsi, l expertise acquise dans un domaine produit à la fois une évolution des compétences et un accroissement des capacités mnésiques dans ce domaine ( un joueur d échecs avec une mémoire très performante dans son domaine n aura pas pour autant une mémoire aussi performante dans un autre domaine). On précise également un certain nombre de contraintes liées à ces systèmes de représentations en mémoire comme par exemple la capacité limitée de la mémoire de travail. De manière générale, le développement cognitif de l enfant est expliqué, d une part, par un accroissement des capacités de traitement des informations et, d autre part, par un accroissement des connaissances. 2. Alors que Piaget concevait un cheminement identique pour tous les enfants au cours de leur développement avec seulement des vitesses de développement différentes, un certain nombre de recherches, dont Rieben, de Ribeaupierre et Lautrey (1983) ou Lautrey (1990) avancent l idée d une pluralité de voies de développement dépendantes d orientations cognitives différentes. A part la variabilité interindividuelle du développe- 23

ment (tous les enfants ne progressent pas au même rythme), il y aurait aussi une variabilité intra-individuelle, c est-à-dire qu un enfant peut progresser de manière plus rapide dans un domaine en privilégiant un mode de fonctionnement (figuratif ou opératif), pour lequel il a une préférence, et qui s avère justement plus efficace dans ce domaine. Certains modèles néo-piagétiens (Pascual Leone (1970), Case (1978), Fischer (1980), Siegler (1978) ) proposent de nouveaux modèles de développement de la pensée. La théorie des habilités de Fischer, par exemple, donne une vue d ensemble du développement de l enfant en se basant sur le développement progressif d habilités cognitives, sociales, linguistiques et perceptivo-motrices. On retrouve l idée de stades ou d étapes qui se construiraient de manière progressive par transformation graduelle des habilités. On passerait, ainsi, des organisations sensori-motrices aux représentations symboliques, puis aux opérations et, enfin, aux abstractions. Mais chaque personne se développe de manière différente pour chaque domaine d activité et à l intérieur d un même domaine. On insiste donc à nouveau sur la variabilité individuelle du développement. Dans ce modèle, on montre également que le sujet n est jamais dissocié du contexte dans lequel il se trouve. On parle alors d un développement cognitif contextualisé, c est-à-dire que les évolutions que l on constate n apparaissent pas en même temps dans tous les domaines (domaine des connaissances scientifiques: logico-mathématique, physique, infra-logique ; domaine des connaissances sociales ; domaine des connaissances liées à la construction de la personnalité). Les organisations cognitives se construisent donc domaine par domaine. Conclusion Cette vision d ensemble de l évolution des théories du développement cognitif de l enfant nous montre toute la complexité et la richesse des recherches dans ce domaine. Le risque est grand, dès lors, de vouloir appliquer directement à l enseignement les découvertes issues de ces recherches et de nombreux auteurs dont Vergnaud (1989-1990) et Brun (1994) se sont élevés contre cette tendance qui aboutit souvent à une impasse. En effet, c est le rôle de la didactique d intégrer les concepts élaborés en psychologie du développement cognitif mais en les remaniant selon sa propre logique, en tenant compte des contraintes liées à l enseignement. Si l on veut approfondir les liens entre découvertes en psychologie du développement cognitif de l enfant et découvertes en didactique des mathématiques, on peut se référer soit à Henriques (1998), soit à Ermel (1997), soit à Gaonac h (1995). 24

1.6 LA RÉSOLUTION DE PROBLÈME 1.6.1 Introduction Qu est-ce qu un problème? Une définition simple: «c est une situation qui fait «problème», pour laquelle on ne dispose pas de solution toute prête.» (Charnay, R., 1996, p.67) Une définition plus complète: «un problème est généralement défini comme une situation initiale avec un but à atteindre, demandant à un sujet d élaborer une suite d actions ou d opérations pour atteindre ce but. Il n y a de problème que dans un rapport sujet / situation, que si la solution n est pas disponible d emblée, mais possible à construire. C est dire aussi que le problème pour un sujet donné peut ne pas être un problème pour un autre sujet en fonction de leur niveau de développement intellectuel par exemple». (Jean Brun) Dans un «vrai» problème, on ne peut pas trouver tout de suite, il faut chercher! Des catégories de problèmes? Trois types d activités correspondent à des moments de résolutions de problèmes: des problèmes pour construire des connaissances appelés situationsproblèmes; des problèmes pour le plaisir de chercher, pour relever des sortes de défis intellectuels dont l objet se trouve dans l activité plus que dans son résultat, appelés problèmes ouverts; des problèmes d application qui donnent aux élèves l occasion de faire fonctionner les connaissances étudiées dans un contexte nouveau ou en relation avec d autres connaissances. 25

1.6.2 La situation-problème La situation-problème est une situation d enseignement qui a pour objectif de permettre aux élèves d acquérir une connaissance nouvelle et qui s appuie sur une conception socio-constructiviste de l apprentissage. Voici les caractéristiques d une situation-problème: les élèves doivent facilement pouvoir s engager dans la résolution du problème en mobilisant leurs conceptions erronées pour prendre conscience de leur insuffisance; les connaissances des élèves doivent être insuffisantes ou peu économiques de manière à ce que la connaissance nouvelle leur apparaisse comme un réel progrès; les élèves doivent avoir un moyen de contrôler eux-mêmes leurs résultat; la connaissance que l on désire voir acquérir par les élèves doit être l outil le plus adapté pour la résolution du problème à leur niveau. Ainsi, pour être efficace, la situation-problème doit être suffisamment complexe, pour d abord mettre en échec les conceptions initiales des élèves, mais ne pas l être trop, pour ensuite leur permettre d élaborer une solution au problème posé. On peut distinguer deux types de situations problèmes: celles pour lesquelles l acquisition de connaissances passe par la confrontation à un obstacle en vue de la remise en cause d une conception erronée; celles pour lesquelles l acquisition de connaissances passe par la prise de conscience qu une procédure, qui jusqu à présent s était avérée correcte et performante, devient insuffisante parce qu elle est très peu économique ou source d erreurs, sans pour autant être fausse. La situation-problème vise à élaborer une connaissance de portée plus générale et destinée à être institutionnalisée, maîtrisée par chacun. Un exemple de situation-problème à l école enfantine: LES MATHOEUFS, (ERMEL, Apprentissages numériques). En effet, il s agit bien d un «vrai» problème: la solution n est pas immédiate. Il sera nécessaire de reconduire plusieurs fois l activité; les élèves peuvent s engager facilement dans l activité avec leurs procédures personnelles, même si leurs connaissances sont insuffisantes ou peu économiques, on peut même aller chercher les objets nécessaires un par un; 26

ils peuvent contrôler eux-mêmes leurs résultats: chacun voit bien lorsqu il a terminé l activité et si celle-ci est réussie ou non; la connaissance à construire est bien l outil le plus adapté pour résoudre le problème à leur niveau: il faut compter avant d aller chercher les objets. Dans cette situation, il est indispensable que l élève s approprie le problème. Le maître doit donc choisir une organisation qui permette aux élèves d être pleinement responsables de la solution du problème et autonomes dans la recherche de cette solution. 1.6.3 Le problème ouvert Le problème ouvert a pour objectif de mettre en route, avec les élèves, une démarche scientifique: faire des essais, conjecturer, tester, prouver. Le problème ouvert s inscrit également dans une conception socio-constructiviste de l apprentissage. Voici les caractéristiques d un problème ouvert: l énoncé est court; l énoncé n induit ni la méthode, ni la solution; les élèves doivent pouvoir facilement prendre possession de la situation et s engager dans des essais, des conjectures, des projets de résolution. Le problème ouvert permet de proposer à l élève une activité comparable à celle du mathématicien confronté à des problèmes qu il n a pas appris à résoudre. Il permet ainsi de mettre l accent sur des objectifs d ordre méthodologique: par exemple, essayer, organiser sa démarche, formuler des hypothèses, les vérifier, argumenter pour défendre sa solution. C est un bon moyen pour l enseignant de faire connaître aux élèves ses attentes en matière de résolution de problème. Le problème ouvert permet de prendre en compte et d exploiter les différences entre les élèves. L énoncé est le même pour tous mais les solutions peuvent être diverses. C est cette diversité qui est intéressante et permet des échanges enrichissants. Un exemple de problème ouvert à l école enfantine: CLOWN, (Activités mathématiques pour le cycle initial, VD, p.17) 27

En effet, il s agit bien d un «vrai» problème: la solution n est pas immédiate. Plusieurs périodes de recherche risquent d être nécessaires; l énoncé est court tout en définissant de manière précise l activité à mener: construire le plus de clowns et des clowns qui doivent être différents; rien n est dit sur la méthode de travail ni sur la solution. Les élèves doivent donc trouver par eux-mêmes comment organiser leur recherche et proposer une solution originale; grâce au matériel, les élèves peuvent entrer facilement dans la situation. Petit à petit pourtant, ils vont devoir s organiser pour ne pas construire deux fois le même clown, émettre des hypothèses sur la suite du travail, La mise en commun sera un moment d échange à propos des différentes procédures utilisées par les élèves. Le maître peut mettre en évidence et même valoriser l originalité des différents modes de pensée employés pour arriver à une solution. Il doit organiser la présentation de manière à ne pas tomber dans un inventaire long et fastidieux durant lequel les élèves s ennuient. 1.6.4 Les problèmes d application Ces problèmes donnent l occasion aux élèves de faire fonctionner les connaissances étudiées dans un contexte nouveau ou en relation avec d autres connaissances. Les élèves peuvent ainsi apprivoiser ces savoirs nouveaux, s entraîner à les utiliser. Un exemple de problème d application à l école enfantine: LE JEU DES PIS- TES (ERMEL, Apprentissages numériques, p.78) Ce jeu est proposé en phase de réinvestissement après le jeu des boîtes alignées par lequel les élèves apprennent à structurer la file numérique et à élaborer une stratégie qui va permettre de gagner. Dans cette nouvelle activité, les enfants peuvent réinvestir les mêmes connaissances et les mêmes procédures tout en ayant la possibilité de progresser encore dans l un et l autre domaine. 28