BLANCHIMENT d argent: Art. 305bis-305ter CPS et LBA Notes de cours du Prof. Nicolas QUELOZ (Avril 2011) 1. Introduction Le blanchiment d argent constitue le symbole par excellence à la fois du phénomène de la criminalité économique et financière (CEF) et des efforts nationaux et internationaux pour mettre en œuvre un contrôle et une sanction plus efficaces des diverses facettes de ce phénomène. Aujourd hui, le blanchiment est considéré comme une activité criminelle: - en aval des actes de criminalité organisée, de CEF et de criminalités transnationales (voir la figure 1); - stratégique: comme le «nerf de la guerre» contre les CEF ou comme le «talon d Achille» des organisations criminelles selon l analyse célèbre du juge antimafia Giovanni Falcone 1 ; - spécialisée, voire complexe et composée de diverses étapes; - grave ( serious crime ), mais indolore ou en douceur ( soft crime ): «les activités de blanchiment, cloisonnées en aval, mobilisent des opérateurs puissants et reconnus socialement, sans créer de violences ni de victimes évidentes» 2. Ainsi, pour la justice pénale, la confiscation des fonds et la recherche des traces de leur origine criminelle sont des conditions et outils essentiels de la lutte contre les CEF et transnationales 3 : cela s impose particulièrement dans une société globalisée, marquée surtout par une économie mondiale libéralisée. 1 FALCONE G., La criminalité organisée: un problème mondial, Revue internationale de criminologie et de police technique, 1992, 4, 391-398. 2 FABRE G., Les prospérités du crime. Trafic de stupéfiants, blanchiment et crise financière dans l après-guerre froide. Paris, éditions de l Aube, 1999 (citation: p. 75). 3 CASSANI U., Combattre le crime en confisquant les profits: nouvelles perspectives d une justice transnationale, in BAUHOFER S., QUELOZ N., WYSS E. (Eds.), Wirtschaftskriminalität - Criminalité économique. Coire/Zurich, Verlag Rüegger, 1999, 257-288. 1
En ce qui concerne la Suisse, le contrôle du blanchiment d argent constitue un défi particulièrement important puisque la place financière suisse gère (en Suisse ou à l étranger mais sous contrôle de banques suisses) plus du quart (27%) des avoirs privés gérés dans le monde, ce qui en fait le 1 er acteur mondial de «private banking». Figure 1: Le blanchiment: un acte d entrave, en aval d activités criminelles préalables En AMONT: Trafics illicites et autres actes de criminalité organisée Criminalités transnationales Criminalités économiques et financières Corruption En AVAL: //==> Blanchiment Liens avec dissimulation et recyclage des produits l économie légale d activités criminelles Continuation d'activités criminelles L art. 305bis CPS (Blanchiment d argent) a donc ainsi érigé en infraction autonome un comportement illégal dont la spécificité est d être un acte subséquent à une infraction préalable qui, en droit pénal suisse, doit être un crime, comme p. ex. un trafic aggravé de stupéfiants (art. 19 ch. 2 LStup), un acte de corruption (art. 322quater ou 322septies al. 2 CPS) ou de participation à une organisation criminelle (art. 260ter CPS). Sous cet angle de politique criminelle, la comparaison (des points communs et des différences) avec l art. 160 CPS (Recel) est intéressante: cf. pages suivantes. 2
2. Recel et blanchiment: points communs et différences Définition du RECEL Définition du BLANCHIMENT - acte intentionnel - acte intentionnel - de perpétuation d une situation patrimoniale illégale - d entrave à l administration de la justice - par la rétention ou l écoulement - par la dissimulation - par le placement - ou par le recyclage - d une chose (matérielle, corporelle) - de valeurs patrimoniales - constituant le produit direct - constituant le produit - d une infraction préalable contre le patrimoine commise par un tiers - d un crime préalable Cf. schéma de la page suivante: Question: peut-on être à la fois L auteur de l infraction préalable contre le patrimoine et le receleur de son produit? Réponse NON: 1) cf. la lettre précise de l art. 160 ch. 1 al. 1 CPS (qui parle de chose obtenue par un tiers) + 2) BJ identique! L auteur du crime préalable et le blanchisseur de son produit? Réponse OUI: 1) la lettre de l art. 305bis ch. 1 ne l exclut pas + 2) BJ différents = jurisprudence du TF (ATF 120 IV 323 / 122 IV 211 TF 6B_742-2007) 3
[ Points communs ] et différences entre: Le recel et le blanchiment d'argent (160 CPS) (305bis CPS) [ sont des actes d entrave ] - au rétablissement d une situation - au travail de la justice patrimoniale légale - au rétablissement d une situation (Théorie de la perpétuation) juridique légale [ = actes de facilitation matérielle ou réelle ex post ] - par la rétention du produit d une - par dissimulation de traces infraction préalable contre - par placement ou recyclage le patrimoine, constitué par une chose de valeurs patrimoniales [ dont l auteur savait ou devait présumer (le dol éventuel suffit) que ce butin ] [ provenait d une infraction antérieure ] (délit précurseur ) contre le patrimoine (la chose doit en être le produit direct) qui doit être un crime (au sens de l art. 10 al. 2 CPS) [ sans qu il soit nécessaire qu il sache exactement de quel type d infraction spécifique il s agit ] Le recel est un crime (sauf cas de 160 ch. 1 al. 2 CPS) contre un BJ individuel Le blanchiment est un délit (sauf cas graves: 305bis ch. 2 CPS) d entrave à l administration de la justice (BJ collectif) 4
3. Bref historique du dispositif suisse anti-blanchiment - 1990: 10 recommandations du GAFI 4 (dont la Suisse fait partie) de lutte contre le blanchiment de capitaux - 1990: Convention no 141 du Conseil de l Europe relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits d un crime (que la Suisse a ratifiée) - 1990: art. 305bis ( Blanchissage ) et 305ter ( Défaut de vigilance ) CPS, adoptés en mars et entrés en vigueur le 1.08.1990-1994: art. 305ter al. 2 CPS, adopté en mars et entré en vigueur le 1.08.1994, qui introduit un droit de communication de soupçons de blanchiment par les intermédiaires financiers (surtout bancaires) aux autorités de poursuite pénale (= dérogation au secret professionnel / bancaire) - 1997: adoption le 10.10.1997 de la LBA (loi sur le blanchiment d argent) ou LF concernant la lutte contre le blanchiment d argent dans le secteur financier (RS 955.0) - 1998: la LBA entre en vigueur le 1.04.1998 pour les intermédiaires financiers bancaires - 2000: la LBA entre totalement en vigueur le 1.04.2000, aussi pour les intermédiaires financiers non bancaires C est donc depuis le 1 er avril 2000 que l ensemble du dispositif suisse antiblanchiment (cf. ci-dessous) est en vigueur. - 2003: 40 recommandations actualisées du GAFI relatives à la lutte contre le blanchiment de capitaux et contre le financement du terrorisme, combinées avec 8 recommandations spéciales sur ce dernier sujet de haute priorité politique Conséquences en Suisse: 1) 2003: Adoption de l art. 260quinquies CPS (2003) 2) 2007: Adoption de la loi fédérale sur la surveillance des marchés financiers (LFINMA, du 22.06.2007, RS 956.1) 4 GAFI: Groupe d action financière sur le blanchiment de capitaux (en anglais, FATF: Financial Action Task Force on Money Laundering); créé à Paris en 1989 dans le cadre d un sommet du G7 en raison de préoccupations croissantes au sujet du blanchiment de capitaux d origine illégale. Pour plus de détails, cf. http://www.fatf-gafi.org/index.htm 5
3) 2008: Adoption de la loi fédérale (le 3.10.2008) sur la mise en œuvre des recommandations du GAFI (entrée en vigueur le 1.02.2009) 4) 2009: entrée en activité, le 1.01.2009, de la FINMA, à savoir l Autorité de surveillance des marchés financiers, qui regroupe l Autorité de contrôle en matière de blanchiment d argent (ACB), la Commission fédérale des banques (CFB) et l Office fédéral des assurances privées (OFAP). 4. Le dispositif suisse anti-blanchiment: structure et normes légales 4.1 Structure du dispositif Depuis la fin des années 1980, la Suisse a donc mené une vaste entreprise politique et législative, d abord pour créer (avec des normes pénales), puis pour améliorer (par des dispositions administratives) son dispositif de contrôle anti-blanchiment. Elle l a fait aussi bien à la suite d une prise de conscience interne du problème (image de la place financière suisse) que sous la pression internationale (notamment des USA, du GAFI ou de l OCDE 5 ). A la suite d un long travail de négociations et de difficile façonnement du dispositif anti-blanchiment, le Gouvernement (Conseil fédéral) et le Parlement fédéral, suite à un constant travail de lobbying des grandes associations d intérêts économiques, bancaires et financiers, ont finalement accordé la priorité à l autorégulation privée: - il appartient donc d abord (1 ère étape) aux acteurs économiques concernés, les intermédiaires financiers, de s organiser afin de répondre aux devoirs de vigilance qui leur sont imposés par la LBA (cf. plus loin); - le contrôle étatique n intervient pas en premier lieu, mais seulement lorsque les organismes de surveillance privés ou internes à un secteur d activités saisissent les autorités administratives (2 ème étape), en exerçant leur devoir de communication et en leur faisant part de leurs «soupçons fondés de blanchiment»; - il appartient ensuite à ces instances administratives surtout le MROS 6, d examiner les communications reçues (3 ème étape), 5 OCDE: Organisation de coopération et de développement économique, créée en 1961 et dont le siège principal est à Paris. Cf. http://www.oecd.org/home/ 6 L appellation en anglais est la plus usitée: MROS (Money laundering Reporting Office Switzerland) ou, en français Bureau de communication en matière de blanchiment, qui fait partie de l Office fédéral de la police (Berne); cf. http://www.fedpol.ch/f/themen/index.htm 6
- puis éventuellement de renvoyer aux autorités judiciaires pénales les cas qui leur semblent justifier une enquête pénale (4 ème étape). En matière de contrôle et de sanction du blanchiment d argent en Suisse, les agences de surveillance de l Etat sont donc très rarement «self starting»: elles découvrent rarement d elles mêmes les cas de blanchiment (parfois grâce à d autres poursuites relatives aux CEF), mais sont essentiellement approvisionnées par des annonces (communications) ou des renvois de la part des acteurs privés, les intermédiaires financiers (voir la Figure 2 ci-après). La Suisse ne connaît donc pas le système de déclaration automatique, à une entité étatique, de toute transaction financière supérieure à un certain montant (comme par exemple dès 10'000 $ aux USA ou au Canada) 7. 4.2 Art. 305bis CPS: infraction de Blanchiment d argent - C est une infraction ordinaire, pouvant être réalisée par quiconque (pas besoin d être un intermédiaire financier, comme c est le cas en revanche à l art. 305ter CPS), y compris par l auteur du crime préalable; - qui consiste (au moins à titre de dol éventuel): a) déjà seulement à viser à entraver le travail de la justice (suisse ou étrangère): = phase dite d enfouissement entrave à l identification de l origine criminelle des valeurs patrimoniales ou à la découverte des valeurs patrimoniales ou à la confiscation des valeurs patrimoniales (cf. le lien important avec l art. 70 CPS!) Ex: ATF 119 IV 59, où le TF a confirmé la condamnation de celui qui avait caché sur son balcon de l argent provenant d un trafic de stupéfiants (= simple enfouissement ); ou ATF 127 IV 20: il y a blanchiment de fonds provenant d un trafic de stupéfiants lorsque ces derniers sont dissimulés dans un véhicule et transportés de l autre côté de la frontière; b) ou à brouiller systématiquement la trace des valeurs patrimoniales d origine criminelle = phase dite d effacement ou de placement même si l opération de placement n est pas très sophistiquée, exemple: envoyer à sa sœur à l étranger, via la Western Union, 1'000.- fr. qui proviennent d un 7 cf. CAPUS N., Selbstregulierung als neue Steuerungsmethode der schweizerischen Geldwäschebekämpfung, Zeitschrift für die gesamte Strafrechtswissenschaft, 2002, 114, 696-718. 7
trafic de cocaïne, constitue un cas de blanchiment d argent (en concours réel avec un trafic aggravé de stupéfiants) = TF 6B_742/2007; c) ou à les recycler ou réinvestir dans d autres activités, légales ou illégales = phase dite de réinvestissement ou de recyclage ou de blanchissage proprement dit. // L intitulé marginal Blanchiment est donc trop restrictif par rapport au texte même de l art. 305bis ch. 1, qui incrimine des comportements plus larges que le blanchissage ( Geldwäscherei, Riciclaggio di denaro, Money laundering ) au sens strict (ce qu une partie de la doctrine critique)! NB: Le texte légal n exige pas qu il y ait eu effectivement entrave, mais seulement que l auteur ait adopté un comportement propre à entraver : il s agit donc d une infraction formelle, de mise en danger abstrait du BJ collectif (à savoir la bonne marche de la justice)! ATF 136 IV 188: En cas d infraction de commission par omission, il faut rechercher si la personne à laquelle l'infraction est imputée se trouvait dans une situation de garant. La question de savoir si un intermédiaire financier peut, de par sa seule passivité et indépendamment de tout autre acte, se rendre coupable d'une violation de l'art. 305bis CPS n'a encore jamais été tranchée par le TF et est controversée en doctrine. Il convient d'admettre, avec la doctrine minoritaire ( ) que les intermédiaires financiers se trouvent, depuis l'entrée en vigueur de la LBA, dans une situation juridique particulière qui les oblige notamment à clarifier l'arrière-plan économique et le but d'une relation d'affaires lorsque des indices laissent supposer que des valeurs patrimoniales proviennent d'un crime et à informer immédiatement le Bureau de communication en matière de blanchiment d'argent s'ils savent ou présument, sur la base de soupçons fondés, que les valeurs patrimoniales impliquées dans la relation d'affaires ont un rapport avec un acte de blanchiment ou proviennent d'un crime, ce en application des art. 6 et 9 LBA et des directives de la CFB. Il résulte désormais des normes concernant la lutte contre le blanchiment d'argent que les intermédiaires financiers doivent, dans les limites fixées par la loi (cf. art. 3 à 10 LBA), collaborer avec les autorités compétentes. Ces obligations légales créent une position de garant. - Valeurs patrimoniales: biens matériels (mobiliers, immobiliers) et immatériels (comme des droits ou des créances); dans le cas où ces valeurs patrimoniales proviennent d un crime contre des intérêts individuels, l art. 305bis CPS protège aussi les intérêts patrimoniaux de ceux qui sont lésés par ce crime préalable: ATF 129 IV 322; il est donc faux de dire que le blanchiment d argent serait un acte de criminalité sans victime! - Ces valeurs patrimoniales doivent provenir d un crime au sens strict de l art. 10 al. 2 CPS! Mais il n y a plus de possibilité de poursuite pénale pour blanchiment si le crime préalable est prescrit (au sens de l art. 97 CPS) ou si le droit de procéder à une confiscation des valeurs patrimoniales (art. 70 CPS) est prescrit: ATF 126 IV 255. 8
- Cas aggravés de blanchiment d argent (art. 305bis ch. 2 CPS): parmi les cas graves, le fait de réaliser «un chiffre d affaires ou un gain importants en faisant métier de blanchir de l argent» (art. 305bis ch. 2 lit. c CPS) constitue une circonstance aggravante spéciale. Ainsi, le blanchiment par métier, en plus des conditions de définition du métier (précisées dans l ATF 116 IV 335, JdT 1992 IV 169) suppose que l auteur ait réalisé un chiffre d'affaires ou un gain important: ce sont donc soit le revenu brut de l opération de blanchiment, soit le bénéfice net obtenu par elle qui doivent être pris en considération. Dans l ATF 129 IV 188 8, le TF a estimé qu il y a effectivement un chiffre d affaires important lorsque: - objectivement, le chiffre d affaires réalisé illégalement atteint au moins 100'000.- Sfr. - et subjectivement, l auteur visait un tel chiffre d affaires. Et dans l ATF 129 IV 253 8, le TF a estimé qu il y a effectivement un gain (ou bénéfice) important lorsque: - objectivement, le bénéfice obtenu illégalement atteint au moins 10'000.- Sfr. - et subjectivement, l auteur visait un tel bénéfice. - En cas de concours entre les art. 260ter et 305bis CPS, il est exclu, dans les cas où le blanchiment, respectivement l'organisation criminelle, présentent des aspects transnationaux, que le juge suisse puisse appliquer son droit national à un acte de blanchiment constitué à l'étranger en se fondant sur l'art. 260ter ch. 3 CPS, au motif que le blanchiment en question a été effectué au profit d'une organisation exerçant ou devant exercer son activité criminelle en Suisse. Si l'art. 260ter ch. 3 CPS a permis une extension du champ d'application territorial du Code pénal en matière d'organisation criminelle, rien n'indique que le législateur entendait, simultanément, étendre ce champ d'application en matière de blanchiment d'argent commis à l'étranger. La conception du concours entre les deux normes choisie par le législateur démontre, bien au contraire, que tel n'était pas le cas (TF 6B_731 à 734/2009, publication ATF prévue). 8 Les ATF 129 IV 188 et 253 concernaient des cas aggravés de trafic de stupéfiants (art. 19 ch. 2 lit. c LStup), mais cette jurisprudence définissant les notions de «chiffre d affaires ou gain importants» vaut également pleinement dans le cas du blanchiment par métier. 9
4.3 Art. 305ter CPS: infraction de Défaut de vigilance en matière d opérations financières - Il s agit d une infraction objectivement spéciale, qui ne peut être commise que par une personne professionnelle du monde financier, bancaire ou non bancaire (cf. ci-dessous: LBA et définition du cercle des intermédiaires financiers + ATF 129 IV 338) - qui sanctionne la violation intentionnelle d un devoir de vigilance (ATF 134 IV 307) - par omission proprement dite: l auteur, avec conscience et volonté, doit avoir, dans le cadre de sa profession, accepté en dépôt ou placé ou transféré des valeurs patrimoniales (= action licite) mais, et c est ce qui lui est reproché, en omettant de vérifier comme le requièrent les règles de sa profession (en particulier les obligations prévues par la LBA: cf. ci-dessous) l identité de l ayant droit économique de ces valeurs patrimoniales, c est-à-dire sans se renseigner sur l arrière-plan juridique et économique du (ou des) titulaire(s) de droits sur ces fonds. TF 6B_140/2010: Sur le plan objectif, l infraction de l art. 305ter CPS suppose la réalisation de trois conditions. 1) L'auteur doit avoir agi dans l'exercice d'une profession en rapport avec la gestion du patrimoine d'autrui; il s'agit d'une notion large, englobant toute activité exercée régulièrement dans le secteur financier. 2) Il faut en outre qu'il ait accompli un acte de gestion du patrimoine d'autrui; à cet égard, l'art. 305ter CPS mentionne la réception, la conservation ainsi que l'aide au placement ou au transfert de valeurs patrimoniales, mais cette liste n'est pas exhaustive. 3) Il faut encore qu'il ait omis de vérifier l'identité de l'ayant droit économique, malgré l'existence d'indices donnant à penser que le contractant n'est pas l'ayant droit économique des valeurs patrimoniales. Du point de vue subjectif, l'infraction est intentionnelle, le dol éventuel étant toutefois suffisant. ATF 134 IV 307: L'intermédiaire financier qui, dans le cadre d'une relation d'affaires durable, effectue des actes de gestion sans identifier l'ayant droit économique agit en permanence de manière illicite. La violation de l'obligation de diligence dans les opérations financières se caractérise alors comme un délit continu. Dans cette hypothèse, la prescription court du jour où s'éteint la relation d'affaires. ATF 136 IV 127: L'obligation de documentation concrétise le devoir de vérification et son manquement constitue une violation de l'art. 305 ter al. 1 CPS. En revanche, les modalités de cette documentation relèvent de la compétence des établissements bancaires et ne sauraient constituer une violation de la disposition précitée. La notion de «vigilance requise par les circonstances» impose au financier un devoir d'identification dont les limites résident dans le principe de la proportionnalité. ( ) Aujourd'hui, les devoirs de diligence des intermédiaires financiers sont ancrés dans la Loi fédérale concernant la lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme dans le secteur financier du 10 octobre 1997. 10
Pour ce faire, l'intermédiaire financier doit conserver une trace écrite de l'identité de ses clients et des ayants droit économiques des comptes, de manière à pouvoir communiquer ces renseignements aux autorités compétentes en cas de demande. ( ) Cette obligation de documentation constitue la concrétisation du devoir de vérification et son manquement constitue par conséquent une violation de l'art. 305ter CPS. ( ) Les modalités de la documentation restent donc de la compétence des établissements bancaires et ne sauraient par conséquent constituer une violation de l'art. 305ter CPS. ( ) L'objectif visé par l'art. 305ter CPS est atteint lorsque l'ayant droit économique est identifié, le résultat important plus que la manière. - L art. 305ter al. 2 CPS institue un fait justificatif légal dans le cas où l intermédiaire financier exerce son devoir de communication (au MROS, selon l art. 9 LBA ci-dessous): il ne peut donc pas lui être alors reproché une violation du secret professionnel (p. ex. du secret bancaire). 4.4 La LBA (RS 955.0) et les obligations qu elle impose - Ce n est pas une loi pénale, mais une loi de droit administratif (qui contient toutefois quelques dispositions pénales, les art. 36 à 39, sanctionnant la violation des devoirs qu elle impose), - dont le but (art. 1) est précisément de régir «la vigilance requise en matière d opérations financières» afin de lutter contre le blanchiment d argent au sens de l art. 305bis CPS et le financement du terrorisme au sens de l art. 260quinquis CPS. - Elle définit (art. 2) le cercle des intermédiaires financiers (des définitions plus précises, par secteurs d activités financières, ayant ensuite été données par voie d ordonnances (OBA) et d arrêtés fédéraux), à savoir en résumé: a) les institutions financières: banques, fonds de placement, assurances, bourses b) les sociétés, entreprises c) et les particuliers d) qui, à titre professionnel, acceptent, gardent en dépôt, aident à placer ou à transférer des valeurs patrimoniales appartenant à des tiers (pour un chiffre d affaires d au moins 20'000 Sfr. par an). - Les principales obligations de vigilance requises des intermédiaires financiers par la LBA sont les suivantes: a) art. 3: vérifier l identité du co-contractant, c est-à-dire de l interlocuteur direct qui confie les valeurs patrimoniales à l intermédiaire financier 11
b) art. 4: vérifier l identité de l ayant droit économique si le co-contractant n est pas l ayant droit économique des valeurs confiées c) art. 6: clarifier l arrière-plan économique et le but de la transaction ou relation financière si elle paraît inhabituelle ou illégale d) art. 7: établir et conserver des documents (dossier) relatifs aux transactions effectuées e) art. 8: veiller à la formation de leur personnel et à établir des contrôles internes f) art. 9: communiquer (ce qui est un devoir ou une obligation et non plus seulement un droit au sens de 305ter al. 2 CPS 9 ) sans tarder au Bureau de communication (MROS, police fédérale à Berne) les soupçons fondés selon lesquels les valeurs patrimoniales en jeu ont un rapport avec un crime de blanchiment (au sens de 305bis CPS), avec une organisation criminelle (260ter CPS) ou servent au financement du terrorisme (260quinquies CPS). g) art. 10: dans le cas de tels soupçons, l intermédiaire financier a l obligation de bloquer immédiatement les valeurs patrimoniales qui lui sont confiées, sans en informer les personnes concernées ni des tiers (= devoir de secret). h) En outre, la LBA et l OBA ont introduit et précisé le système de l obligation d auto-régulation des intermédiaires financiers (règles d autorisation d exercer, de diligence, d organisation et de contrôle), autorégulation prioritairement privée et éventuellement (subsidiairement) assumée par l Autorité fédérale de contrôle en matière de blanchiment d argent (ACBA, FINMA, Berne). Les dispositions pénales de la LBA incriminent (art. 37) la violation, par un intermédiaire financier, du devoir de communiquer au MROS des soupçons fondés de blanchiment (obligation instaurée par l art. 9 LBA): c est une contravention, passible d une amende (jusqu à 500'000 Sfr. si la violation est intentionnelle, jusqu à 150'000 Sfr. si elle est due à la négligence). 9 L intermédiaire financier qui exerce son devoir de communication est alors déchargé de responsabilité pénale et civile et ne peut pas être poursuivi pour violation du secret (de fonction, ou de profession, ou d affaires) ni être rendu responsable de violation de contrat (cf. art. 11 LBA). 12
5. Condamnations pénales CPS 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 Total Infractions contre l'administration de la justice 1'026 911 976 1'004 999 1'028 1'082 1'033 1'062 1'137 303 Dénonciation calomnieuse 262 230 262 273 303 337 370 334 333 394 304 Induire la justice en erreur 451 413 421 429 415 429 443 402 411 445 305 Entrave à l'action pénale 140 139 153 170 133 135 136 148 152 171 305bis Blanchiment d'argent (en vigueur: 1.8.1990) 143 128 116 149 142 138 148 159 184 172 305ter Défaut de vigilance en matière d'opérations financières et droit de communication (en vigueur: 1.8.1990) 1 2 13 5 5 2 0 6 5 2 306 Fausse déclaration d'une partie en justice 5 3 4 9 9 3 5 8 7 2 307 Faux témoignage, faux rapport, fausse traduction en justice 97 69 63 49 66 54 60 67 53 70 310 Faire évader des détenus 8 1 4 3 3 3 1 0 1 1 311 Mutinerie de détenus 10 4 9 2 1 3 1 0 3 0 Office fédéral de la statistique, état de la banque de données au 30.06.2010 NB: Les chiffres des années 2008 et 2009 sont encore incomplets. Le nombre de condamnations pénales prononcées à l encontre d auteurs de blanchiment d argent (en application de l art. 305bis CPS) a connu une forte augmentation en Suisse et cela en 3 phases successives: cette norme pénale étant entrée en vigueur en août 1990, les condamnations ont d abord passé d une moyenne de 10 par année entre 1991 et 1993 à une moyenne de 59 condamnations par année entre 1995 et 1997 (soit une augmentation de 510%); puis cette moyenne de 59 condamnations par an (entre 1995-97) s est encore accrue, passant à une moyenne de 127 condamnations par année entre 1998 et 2000 (soit une augmentation de 115%). Après un fléchissement en 2001 et 2002, l augmentation s est encore poursuivie au cours des années 2003 à 2009 (avec une moyenne de 156 condamnations par an), l année 2008 ayant jusqu ici marqué le pic maximal des condamnations pour blanchiment (avec 184 condamnations déjà enregistrées). 13
Figure 2: Le dispositif anti-blanchiment en Suisse 1. Dispositifs privés: 1.1. Internes aux intermédiaires financiers («private or corporate security») 1.2. Organismes d auto régulation (OAR) par secteurs d activités et par régions: a) Intermédiaires bancaires: env. 1'000 intermédiaires enregistrés - notamment: Association suisse des banquiers (ASB) b) Intermédiaires non bancaires: - 2 OAR institués par des lois spéciales : OAR de l Association suisse d assurances (ASA) OAR de la Fédération suisse des casinos - 11 OAR avec env. 6'000 intermédiaires affiliés, par exemple: - La Poste Suisse - les CFF - Association suisse des gérants de fortune (ASG) - Fédération suisse des avocats et des notaires (FSA/FSN) - etc. 1.3. Sociétés de révision (120 accréditées) Une part de communications 2. Dispositifs de contrôle publics organes administratifs, en particulier: - CFB (FINMA): Commission fédérale des banques - CFMJ: Commiss. féd. des maisons de jeu - OFAP (FINMA): Office féd. des assurances privées - ACBA (FINMA): Autorité de contrôle en matière de blanchiment d argent (381 intermédiaires y étaient assujettis en 2005) - MROS (Office fédéral de la police): Bureau de communication en matière de blanchiment Une part de renvois 3. Dispositifs de contrôle publics: organes judiciaires (pénaux) des 26 cantons et de la Confédération 14
Figure 3: L entonnoir du dispositif suisse de contrôle du blanchiment d argent, ses étapes et ses produits (moyenne annuelle sur une période de 5 ans: 2000-2004) 10 (1) Total des transactions financières:??? Fonds privés gérés par des intermédiaires financiers suisses: env. 3'500 milliards de Sfr. (2) Intermédiaires financiers assujettis à la LBA: de 7 500 à 8 000 (3) Communications de soupçons transmises au MROS: 615 (4) Sommes suspectes bloquées : 1,07 milliard de Sfr. (5) Dossiers transmis à la justice pénale: 485 ou 80% de (3) (6) Condamnations pénales pour blanchiment: 135 ou 22% de (3) et 28% de (5) dont 50% à une peine de détention ferme 45% à la détention avec sursis et 5% à une peine d amende 10 QUELOZ N. (Directeur scientifique), BOLLER B. et HAAG F. (Collaborateurs scientifiques), Dispositifs de contrôle du blanchiment d argent. Analyse compréhensive et évaluative du dispositif suisse et premiers éléments de comparaison avec le dispositif canadien. Rapport scientifique final au FNS, Université de Fribourg, Département de droit pénal, juillet 2006. 15